lundi 9 juin 2008

PATRICK ARTUS. SANS CORRECTION, LE SYSTEME RISQUE DE PETER.

«Sans correction, le système risque de péter».
Débat :La globalisation a-t-elle accouché du chaos ?
L’économiste PATRICK ARTUS répond.
Recueilli par CHRISTOPHE ALIX . LIBERATION QUOTIDIEN : lundi 9 juin 2008.

L’économiste Patrick Artus vient de publier, avec la journaliste Marie-Paule Virard, "Globalisation, le pire est à venir" (La Découverte).
Diagnostic aussi sombre que lucide sur les désordres de la globalisation.

A vous lire, la globalisation aurait accouché d’un cauchemar dont il sera difficile de sortir. Etait-elle finalement une erreur ?
En soi, la globalisation est positive car les échanges favorisent la croissance. Elle a fait entrer dans le circuit économique un milliard d’individus qui en étaient exclus en leur donnant du travail et en apportant de nouveaux débouchés. En créant plus de concurrence, elle a fait baisser les prix et maintenu les taux d’intérêt bas. Cette machine à inonder le monde de liquidités a permis de s’endetter à peu de frais et a globalement réussi, jusqu’au début des années 2000, à apporter plus de bien-être dans les pays riches comme chez les plus pauvres. Jusqu’au tournant actuel.

Votre bilan est sombre…
La globalisation a initié et alimenté des tendances insoutenables sur le long terme. En organisant un gigantesque transfert d’activités des pays avancés vers les pays émergents, elle a fait exploser les inégalités, généré des désordres financiers monstres et fait flamber les matières premières. Sans correction, le système risque de péter. Les conséquences seront alors dramatiques pour les perdants, chaque jour plus nombreux, de cette machine inégalitaire qui prend du revenu aux uns pour le redistribuer aux autres.

Comment est-on passé d’un enchaînement vertueux au chaos ?
Il n’y a rien de choquant à faire fabriquer les biens là où les salaires sont les plus bas. Sauf que l’accroissement de la richesse a provoqué un retour en force de l’inflation et un boom des matières premières. L’économiste libéral américain Paul Krugman qui, en 1996, écrivait La mondialisation n’est pas coupable l’a bien montré : les pays riches n’ont pas su prévenir les effets de la globalisation sur l’emploi. Car les emplois qui se créent en 2008 ne sont plus les mêmes que ceux qui sont détruits. Cette transition inédite pour l’Occident a polarisé le marché du travail aux deux bouts : le haut de gamme et le bas de gamme ; les nouvelles technologies et l’aéronautique d’un côté, les services à la personne et le temps partiel de l’autre. Tout ce qui était entre les deux disparaît.

Les autres effets négatifs, étaient sans doute plus prévisibles…
Au-delà du renchérissement des matières premières, des désordres financiers et environnementaux auxquels on pouvait s’attendre, le drame est que les institutions internationales n’ont pas intégré cette nouvelle donne. Dans le domaine monétaire, il n’est pas concevable qu’alors que 90 % de la création monétaire se fait en dehors des pays du G7, ceux qui fabriquent l’essentiel de la liquidité ne soient pas associés aux discussions. Avec une inflation dans la zone euro directement liée à la demande mondiale de matières premières, on ne peut plus non plus se contenter d’une politique monétaire européenne. La liquidité a augmenté de 18 % sur un an dans le monde, c’est un montant dramatiquement élevé qui vient alimenter les bulles financières : l’immobilier hier, les matières premières aujourd’hui, demain les terres agricoles et pourquoi pas l’eau. Parce que l’argent circule partout sur terre, le monde a besoin d’une banque centrale mondiale chargée de gérer la quantité de monnaie de l’ensemble de la planète.

Dans l’environnement, la réponse a été le protocole de Kyoto avec un succès très relatif. N’est-ce pas la preuve que cette gouvernance mondiale des «biens publics» reste une illusion face aux intérêts des nations ?
Il y a un énorme souci avec la Chine dont l’émergence au tout premier plan a un effet déstructurant sur l’équilibre de la planète. Pourquoi le pétrole continue-t-il à monter alors que les Américains eux-mêmes ont commencé à réduire leur consommation ? Parce que 1,3 milliard de Chinois en consomment 10 % de plus chaque année et que le marché automobile du pays a cru de 35 % en 2007. Pourquoi les prix des métaux explosent ? Parce que la Chine en consomme près d’un tiers à l’échelle mondiale, bientôt la moitié. A la différence de l’Inde dont le développement essentiellement centré sur les services reste, pour l’instant, très économe pour les ressources planétaires, la Chine a opté pour un modèle hyperindustriel, qui représente 70 % de son PIB. Et il est loin d’être acquis qu’elle accepte de participer à cette régulation mondiale. Avec seulement 2 000 dollars (1270 euros) de revenu par tête contre 40 000 aux Etats-Unis (25 420 euros), la Chine ne voit pas - et on peut le comprendre - pourquoi ce serait à elle de faire des efforts.

A la fin du livre, vous esquissez deux scénarios, l’un plus optimiste, l’autre carrément chaotique… Lequel a le plus de chances de l’emporter ?
Personne n’a la réponse. Si on arrive à se coordonner avec la Chine, si on remplace le G7 par un G15 avec une Europe qui y parlerait d’une seule voix, il n’est pas inconcevable que l’on parvienne progressivement à mieux réguler la globalisation. Sinon, il est à craindre, comme nous l’écrivons, que le pire soit à venir avec un retour en force du protectionnisme et le danger de réactions populistes de plus en plus exacerbées. Ce sera alors le règne du chacun pour soi et le retour de tensions géopolitiques lourdes de conséquences.

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