mercredi 31 décembre 2008

DU PROLETARIAT AU "POETARIAT".

08/12/2008. Du prolétariat au «poétariat».
Par Jean-Claude Pinson.
Les dernières décennies du XXe siècle, avec l’effondrement du mur de Berlin et du bloc soviétique, ont pu être interprétées comme un «adieu au prolétariat», aux illusions dont s’est accompagné son culte. «Adieu au capital», c’est peut-être ce que signifient, cette fois, l’effondrement de Wall Street et la crise économique qui l’accompagne. Car vouloir «refonder» le capitalisme est insensé, si c’est remettre sur les rails un american way of life (version Bush) dont on sait mieux que jamais de quelles inégalités il se paie, pour ne rien dire de la catastrophe écologique à laquelle il ne peut manquer de conduire.
Il est donc temps de changer de direction, de dire adieu aux formes de vie qui n’ont n’autre horizon que la croissance à tout prix, le travail «profitable» et la consommation érigée en fin dernière de l’existence. Temps d’inventer de nouvelles formes de vie, affranchies de ces opiums-là. Qu’une autre Amérique, un autre mode de vie américain soit possible, c’est ce que laisse entrevoir, peut-être, l’enthousiasme suscité par l’élection de Barack Obama.
C’est aussi ce dont témoigne, très en amont, la pensée, par exemple, d’un Thoreau. Pouvoir librement choisir un mode de vie affranchi de la frénésie consumériste et de ce qu’elle suppose est même, selon lui, la vérité de l’Amérique démocratique : «La seule vraie Amérique, écrit-il dans Walden, est le pays où vous êtes libre d’adopter le genre de vie qui peut vous permettre de vous en tirer sans tout cela [les biens de consommation inutiles], et où l’Etat ne cherche pas à vous contraindre au maintien de l’esclavage, de la guerre et autres dépenses superflues qui directement ou indirectement résultent de l’usage de ces choses.» «Jouis de la terre, mais ne la possède pas», nous dit encore Thoreau. Il faudrait alors, non pas retourner à un âge pré-capitaliste, mais inventer un mode de vie post-capitaliste.
Imaginer les contours d’une société autre, en explorer les possibles modalités, en décliner tout l’éventail de formes et de figures, en raconter les tours et détours, c’est l’affaire des poètes, des romanciers, des cinéastes, des artistes en général. Mais, parce que l’imagination, voulons-nous croire, est la chose du monde la mieux partagée, c’est aussi l’affaire de chacun, l’affaire de la multitude en tant qu’elle est un «poétariat». Au sens restreint, ce néologisme (je ne l’invente pas tout à fait, il vient en 1920 sous la plume d’un poète dadaïste demeuré presque inconnu, René Edme) peut désigner d’abord tous ceux qui d’une façon ou d’une autre mettent l’art au centre de leur existence et se veulent créateurs. Leur nombre, partout, est en croissance exponentielle, en même temps qu’est à la hausse dans l’ordre des valeurs le modèle de travail non aliéné attribué à l’artiste.
Au sens élargi, «poétariat» peut aussi s’appliquer à la foule des anonymes qui refusent de se couler dans le moule productiviste et consumériste et s’emploient à inventer, au jour le jour, des formes de vie, sinon alternatives, du moins soustraites au modèle dominant.

La réalité bien présente de ce «poétariat» signifie que d’une certaine façon le changement de direction, la bifurcation d’avec le mode de vie imposé par la religion capitaliste est chose déjà en cours. Les mutations du capital, l’importance prise par les technologies de l’information et le développement du travail immatériel ont mis fin à l’hégémonie du travail industriel et de la vieille classe ouvrière. Les prolétaires voués à des tâches manuelles de simple exécution n’ont évidemment pas disparu, mais d’autres sont apparus qui sont des travailleurs instruits impliqués dans l’économie de la connaissance, de l’information, de la communication et de la culture. Jeunes et issus des minorités, les électeurs d’Obama appartiennent pour une large part à cette nouvelle classe, autant sinon plus qu’à l’ancien prolétariat.
Sans doute faut-il se garder d’idéaliser et la situation et la figure de ce «poétariat». Occupant des emplois aussi précaires que peu rémunérés, ces nouveaux travailleurs endurent souvent une misère bien réelle. Immergés dans un univers où le marketing et la publicité règnent en maîtres, ils ne sont pas toujours indemnes, dans leur effort à créer, du kitsch que suscite le fétichisme de la marchandise.
Néanmoins, il vaut la peine, croyons-nous, de louer maintenant ces hommes ordinaires innombrables qui, non seulement s’efforcent à la survie, mais inventent, dans les interstices d’un système mortifère, de nouvelles formes de vie plus adéquates à l’exigence, désormais revendiquée par beaucoup, que chacun puisse se faire «le poète de sa propre existence». Cherchant à se soustraire à la tyrannie de la marchandise et du spectacle, ces sujets n’attendent plus le «Grand soir». C’est au présent et de façon immanente qu’ils entreprennent de modifier l’état des choses, de faire advenir une autre économie de l’existence et de rendre la terre un peu moins mal habitable.
Il serait sans doute hasardeux d’en déduire que pourraient prendre fin, au profit d’une «démocratie artistique», le règne de la nécessité et la prédominance de l’homo œconomicus. Mais du moins la possibilité d’un règne contre-factuel de l’homo poeticus, à l’aune des mutations en cours, cesse-t-elle d’être tout à fait une utopie.
Jean-Claude Pinson, philosophe et poète. Derniers ouvrages parus : Drapeau rouge, Champ Vallon, 2008. À Piatigorsk, sur la poésie, éd. Cécile Defaut, 2008.

ETRE HUMAIN, C'EST AVOIR LA TERRE EN PARTAGE.

« A lire dans Libération 29/12/2008. Etre humain, c'est avoir la terre en partage
par Sophie Foch-Rémusat, professeur de philosophie en lettres supérieures.

Philosophe et militante du RESF, j’étais présente dans l'avion à destination de Kinshasa avec trois autres philosophes, le 16 décembre, au cours duquel la reconduction de trois sans-papiers nous a amenés à intervenir, à poser des questions. L'un d'entre nous a été débarqué de force. Deux autres ont été interpellés à notre retour en France et placés en garde à vue pendant onze heures (lire le «rebond» de Sophie Foch-Rémusat, Yves Cusset et Pierre Lauret dans Libération du 24 décembre, ndlr).
Protestations de passagers, réticences de certains membres du personnel navigant, refus d’embarquement de certains commandants de bord, débarquements forcés de passagers qui sont ensuite poursuivis, voire débarquements de tout l’avion : de plus en plus fréquents, de tels faits prouvent que la politique d’expulsion d’étrangers, en plus d’être injuste, se révèle impraticable. Est-ce la vocation de la police de courir après des grands-pères, des pères et des mères des famille, d’emprisonner des petits enfants en centre de rétention administrative, puis, le cas échéant, de poursuivre des citoyennes et des citoyens innocents dont le seul tort est de s’émouvoir de ce qui leur paraît une injustice flagrante ?

Mais surtout, de quel délit accuse-t-on les sans-papiers ? Ce qu’on leur reproche, n’est-ce pas essentiellement d’avoir une autre idée de ce qu'est l'humanité, plus haute, fidèle aux principes où notre civilisation prend sa source – la Bible en effet, enseigne que Dieu a donné la Terre en indivision à tous les hommes ? Etre humain, nous dit Kant, ce n’est pas être libre, car il pourrait exister des êtres de raison sur d’autres planètes ; ce n’est pas non plus avoir une histoire, car le sujet de l’histoire, c’est l’espèce humaine. Etre humain, c’est, en réalité, avoir la terre en partage.
Forts de cette belle idée, qui fut aussi la nôtre, des hommes et des femmes franchissent des frontières, se croient libres d’arpenter le terre et de s’établir où bon leur semble, au gré de leurs désirs ou en fonction de dures nécessités. Nous ne pouvons pas tenir cela pour un délit ou pour un crime. Il nous faut donc nous demander : qu’est-ce que cela signifie avoir la terre en partage, aujourd’hui, dans les conditions économiques, environnementales et politiques du monde tel qu’il est ? Quelles formes nouvelles doit et peut prendre ce partage ?
Nous vivons en Europe dans un régime de souveraineté partagée. Parfois cela nous trouble et nous inquiète. Est-ce une raison pour compenser ce que nous pensons être un abandon de souveraineté par une exacerbation du sentiment de propriété ? En chassant et expulsant des étrangers, en les traitant comme des voleurs entrés par effraction dans l’espace commun, ne fait-on pas illusoirement de chaque citoyen un petit propriétaire ? N’est-ce pas jouer sur les mots que de laisser croire qu’un peuple possède un sol de la même manière qu’un particulier une terre, un domaine ou une habitation ? Notre pays, le possédons-nous, nous citoyens, à la façon d’une propriété privée ? Avons-nous le droit d’en défendre l’entrée ?
Il n’existe pas de pensée de la propriété qui ne soit une pensée des limites de la propriété. Dans mon quartier, mon immeuble, tout n'est pas privé. Les rues sont à tout le monde, libres de toute appropriation et d'ailleurs, ceux qui font mine qu’elles leur appartiennent, on dit que ce sont des voyous. Un pays où il n’y aurait aucun espace libre où s’installer et laisser s’installer serait inhabitable. Gouverner, c'est aussi veiller à ce qu’il reste des séparations, des vides et des intervalles entre les personnes et les biens, de telle sorte que puissent s’y nouer des relations et s’y produire des changements.
Enfin, dans quelle mesure cette politique de chasse aux sans-papiers et d’expulsions brutales ne sert-elle pas d’alibi et de couverture à une exploitation cynique, dans la restauration par exemple, le bâtiment, l’interim – une exploitation aux limites de l’esclavage, du malheur de femmes et d’hommes transformés en main d’œuvre d’autant plus corvéable qu’elle est terrorisée ? Plus on expulse, plus on aggrave la condition sociale des travailleurs sans-papiers de ce pays. Double langage d’un gouvernement qui se récrie bien fort qu’en expulsant les sans-papiers, il combat l’esclavage, tout en créant objectivement les conditions de sa prolifération.
Les travailleurs sans-papiers de ce pays sont, pour la plupart d’entre eux, un segment de la classe ouvrière. Leur exploitation est en quelque sorte le symétrique des délocalisations : une manière de se procurer de la main d’œuvre à prix cassés pour lutter contre la concurrence dans un monde globalisé. La chasse aux sans-papiers ne serait-elle pas une manière de masquer l’alliance objective de l’Etat et du patronat ?
Nous avons la chance de vivre dans une démocratie. Il y aura bientôt des élections européennes. C’est de notre responsabilité à tous d’accepter ou de refuser les politiques ou l’absence de politique qu’on mène en notre nom.
Rédigé le 29/12/2008 à 19:27


Suit le commentaire :
La civilisation est l'ensemble des traits qui caractérisent l'état d'évolution d'une société, tant sur le plan technique, intellectuel, politique que moral. La civilisation inclut donc une notion de progrès et s'oppose par définition à la barbarie, la sauvagerie.
La civilisation est niée dès qu’on tente de fonder un jugement ou une appréciation dans la seule relation affective, sans contrat éthique, sans espace réservé à la responsabilité. La civilisation est niée dès qu’on refuse l’aide et le soutien d’une seule personne. Et surtout, évitons d’évoquer ici l’humanisme qui finit de perdre son sens dans le discours galvaudé du politique.
Comment mobiliser la conscience des proches que nous sommes dans une société qui vit au rythme de la performance, à une nécessité biologique absurde (métro-boulot-dodo), sous le signe de l’anonymat généralisé et de la déresponsabilisation permanente. Pourtant cette société institue ce qui, à la fois, relie les êtres entre eux et leur permet de se distinguer. Les hommes peuvent ainsi tenter des relations pacifiées tout en se coltinant avec des enjeux forts. Puisque ce n'est pas la faute des autres (journalistes ou autres politiques), il s'agit bien alors d'une responsabilité commune et à partager. Mais, rassurez-moi, le mot partager n’est pas un gros mot ? Oui, car partager pour nombre d’entre nous est compris comme dépossédé, spolié, dépouillé voire le signe de l’abolition du territoire, de l’espace privé.
A mon sens, l’idée de solidarité doit recentrer notre projet de société. La cohérence de la conduite personnelle doit être recherchée. La coordination prégnante et conscientisée du comportement citoyen et de la responsabilité doit s’accompagner d’une réaction vraie par la révision de nos pratiques et de notre pensée. Car, "Avoir la terre en partage, aujourd’hui, dans les conditions économiques, environnementales et politiques du monde tel qu’il est" suppose la mise en œuvre d’une approche globale et non stigmatisée. Un continuum convenu, des comportements instinctifs que nous devons adopter tels l’empathie, la générosité et la solidarité. Ces valeurs pas très à la mode mais essentielles doivent venir soutenir notre guidance pour l'élaboration d’une révolution de notre pensée, de notre culture via un nouveau projet sociétal. Car, c'est par l'échec de la perpétuation de nos comportements de génération en génération que le mode de vie de l'être humain des civilisations occidentales est aujourd'hui aussi peu adapté à la vie sur Terre.
Néanmoins et depuis le néolithique d’autres savaient :
"Regardez mes frères, le printemps est venu, la terre a reçu les baisers du soleil et nous verrons bientôt les fruits de cet amour. Chaque graine est éveillée, et de même, tout animal est en vie. C'est à ce pouvoir mystérieux que nous devons nous aussi notre existence. C'est pourquoi nous concédons à nos voisins, même nos voisins animaux, autant de droit qu'à nous d'habiter cette terre.Cependant écoutez-moi mes frères, nous devons maintenant compter avec une autre race, petite et faible quand nos pères l'ont rencontrée pour la première fois, mais aujourd'hui, elle est devenue tyrannique. Fort étrangement, ils ont dans l'esprit la volonté de cultiver le sol, et l'amour de posséder est chez eux une maladie. Ce peuple a fait des lois que les riches peuvent briser mais non les pauvres. Ils prélèvent des taxes sur les pauvres et les faibles pour entretenir les riches qui gouvernent. Ils revendiquent notre mère à tous, la terre, pour eux seuls et ils se barricadent contre leurs voisins. Ils défigurent la terre avec leurs constructions et leurs rebuts. Cette nation est comme le torrent de neige fondue qui sort de son lit et détruit tout sur son passage."Tatanka Yotanka, ou Sitting Bull, grand chef Sioux
Sans autres commentaires car au bout du compte et comble du paradoxe nous sommes parfois amenés à défendre l’état actuel du système comme si nos idéaux avaient été réalisés.
Rédigé par: G.Villan
le 30/12/2008 à 11:11
http://philosophie.blogs.liberation.fr/noudelmann/2008/12/un-avion-pour-k.html

lundi 29 décembre 2008

LES PILULES DU BIEN-ETRE.


NOUVEL OBSERVATEUR. Nº2303. SEMAINE DU JEUDI 23 Décembre 2008.
Les progrès en ce domaine sont considérables. Sans les psychotropes, on assisterait à une explosion des suicides. Mais la molécule miracle, sans addiction ni effets secondaires, on ne l'a - heureusement ? - pas encore trouvée.
En 1932, dans «le Meilleur des mondes», Aldous Huxley inventait la toute première molécule magique capable d'agir sur l'âme : le Soma, généreusement distribué le soir, à la sortie des usines. Pour permettre à des travailleurs aliénés de supporter leur sort, en les plongeant dans une sorte de béatitude artificielle, dépourvue de tout fondement. Sans le savoir, Huxley avait créé le prototype parfait des anxiolytiques - juste de quoi attendre sans angoisse un lendemain pénible, et ainsi de suite. Privilège de la science-fiction, cette drogue était dépourvue de tout effet secondaire fâcheux. Inutile de le préciser, dans les laboratoires, une molécule pareille, on la recherche toujours, et - heureusement ? - on ne l'a pas encore trouvée.
Mais patience...
En 1952, la découverte du Rimifon (isoniazide) constituait une victoire sensationnelle dans le combat contre la tuberculose. Cet antibiotique, particulièrement efficace contre le bacille de Koch, allait vider les sanatoriums en guérissant les tuberculeux. Toutefois, durant ces convalescences inespérées, on allait noter aussi un changement inattendu dans l'attitude des patients : ils retrouvaient soudain une joie de vivre qu'on ne pouvait pas expliquer par la seule disparition de leurs bacilles. Meux que la santé, ils recouvraient une appétence tous azimuts, y compris sexuelle - suscitant à l'occasion les protestations du personnel infirmier (et sur tout des infirmières), choqué par certaines privautés. Sans l'avoir voulu, les chimistes concepteurs du Rimifon avaient inventé, en même temps, le tout premier des antidépresseurs médicamenteux.
Restaurer le goût de vivre
Nul doute d ailleurs que cette joie de vivre retrouvée a pu contribuer à la guérison, car, on va le voir, l'âme et le corps - la biochimie et le cerveau - sont toujours liés. Les effets antibactériens et antidépresseurs du Rimifon ne pouvaient que se renforcer l'un l'autre, tant est «évident le lien entre l'état de stress et la maladie», dit le docteur Mchel Hamon, du laboratoire de neuropsychopharmacologie (Inserm, faculté de médecine Pierre-et-Marie-Curie). Ainsi des rats de laboratoire sur lesquels on a induit des tumeurs cancéreuses : «Les tumeurs croissent beaucoup plus vite chez les animaux abandonnés seuls, dans des cages tristes. Tandis qu'elles progressent bien plus lentement quand on s'avise de distraire les rats, en leur fournissant des jouets, par exemple des billes colorées.» Les rats, comme les humains, adorent se distraire. Les éventuelles «pilules du bonheur» chimiques ne pourront jamais être qu'un succédané de la véritable joie de vivre, avec tous ses «stimuli sensoriels» naturels, dignes d'une sorte de label «bio». Toujours est-il que le Rimifon, toujours produit comme antituberculeux, n'a jamais été prescrit pour ses vertus psychotropes.
Après la découverte fortuite de ses effets psychologiques, les chercheurs se sont cependant empressés de disséquer cette molécule, pour en exhiber les fonctions psychothérapeutiques. D'où la mise au point, en 1961, de l'iproniazide, le premier «inhibiteur des monoamine-oxydases» (Imao). Lequel allait donner naissance à d'innombrables antidépresseurs et neuroleptiques (comme la chlorpromazine) et permettre, par exemple, «la resocialisation spectaculaire de beaucoup de schizophrènes». Evidemment, on a cherché à savoir comment cela se passait dans le cerveau, comment ces molécules agissaient. C'est ainsi qu'on a découvert le «circuit de la récompense» (désir, action, satisfaction), qui implique trois neuromédiateurs principaux : dopamine, sérotonine, noradrénaline. Lesquels doivent agir d'une façon concertée, tous nos malheurs psychiques provenant de leur déséquilibre. En principe, les médicaments de l'esprit sont conçus pour moduler sélectivement l'action de ces neuromédiateurs, en agissant sur les récepteurs correspondants. Une meilleure connaissance de ces mécanismes délicats a permis la création de médicaments plus performants. Ainsi, les antidépresseurs dits tricycliques ont été supplantés par les «inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine», comme la fluoxétine (le célèbre Prozac). Pour 2009, on nous annonce une nouvelle génération d'antidépresseurs, l'agomélatine (Valdoxan).
Ces produits ont pour effet de restaurer le goût de vivre, en combattant l'«anhédonie», qui se définit par «l'incapacité à rechercher et à éprouver du plaisir». C'est pourquoi les sociétés modernes en ont tellement besoin. Car, dit le docteur Mchel Hamon, «nous vivons dans un monde de plus en plus anxiogène et «dépréssiogène», marqué par l'isolement social, l'urbanisation, la frustrante virtualité des contacts par internet - à l'opposé du village d'autrefois, de ses liens familiaux au sens large, et de ses solidarités de voisinage, même s'il convient de ne pas nier l'amélioration globale des conditions de vie aujourd'hui». De fait le mode de vie d'autrefois présentait aussi ses désagréments... En tout cas, selon l'OMS, à l'échelle planétaire, la dépression constitue déjà la quatrième «cause de morbidité» (c'est-à-dire de maladie) chez la femme. Il est statistiquement prévu qu'elle passera au premier rang à l'horizon 2020 - toujours pour la femme (l'homme, on ignore pourquoi, est un peu moins concerné). Il faut donc redouter une explosion du recours aux antidépresseurs et tranquillisants, dont les Français sont, depuis longtemps, les premiers consommateurs mondiaux, avec une progression de 7% par an.
Les centres du plaisir
C'est que, dit Michel Hamon, «les médicaments constituent le moyen le moins coûteux de traiter la dépression». Il vaudrait certes mieux recourir à des soins psychiatriques prodigués par d'excellents praticiens, ou, mieux, s'en sortir avec des contacts humains chaleureux. Mais cela ne se trouve pas si facilement, et la chimie apparaît souvent comme la moins mauvaise solution. «Sans les antidépresseurs, on assisterait à une recrudescence des suicides», ajoute le spécialiste.L'effet des molécules est relativement lent, ne se manifestant qu'après deux ou trois semaines. Pourquoi cette lenteur, alors que l'aspirine ou les antibiotiques agissent tout de suite ? Cela reste un mystère, tenant à la nature du cerveau, qui a besoin d'un certain temps pour établir les liaisons neuronales requises. Pour une satisfaction intense et immédiate, faudrait-il recourir aux drogues - licites ou pas, comme la cocaïne, l'héroïne, l'ecstasy, le cannabis, l'alcool, le tabac... ? Alors on court-circuite les récepteurs des neuromédiateurs pour «taper» directement sur les centres du plaisir. Avec l'avantage d'une sorte de satisfaction fulgurante. Et l'inconvénient d'installer une dépendance à ce plaisir instantané - que les neurophysiologistes refusent de confondre avec le bonheur, parlant plutôt d'une «suractivation du système hédonique». Toutes les drogues ont au surplus des tas d'effets secondaires plus ou moins redoutables sur lesquels nous ne nous étendrons pas, l'ecstasy étant même suspecté d'«une destruction irréversible des neurones, et pourrait engendrer la maladie de Parkinson». Bref, pour les pilules du bonheur, il faudra trouver autre chose.
Plaisir et dépendance
Dans le laboratoire de Mohamed Jaber et Marcello Solinas (CNRS, université de Poitiers), deux groupes de souris, rendues dépendantes à la cocaïne, ont été soumises à un régime de sevrage. Le premier groupe avait été maintenu dans le triste environnement d'une cage banale. Le second bénéficiait d'un «environnement enrichi», dans des cages de grande taille, avec de petites maisons, des jouets colorés et attractifs, une roue pour courir, des tunnels, etc. Résultat : grâce à l'«environnement enrichi», les souris ont facilement renoncé à la drogue. Dans une publication toute récente («PNAS», 27 octobre), les chercheurs en concluent sans surprise que «les conditions environnementales jouent un rôle important dans le traitement de la dépendance».
Au bonheur des rats
Cela peut sembler cruel car, dit un spécialiste, «le rat est un animal très propre, qui aime son confort peinard». Alors vous l'obligez à vivre dans la saleté, ne changez plus sa litière. Pas de doute, il déprime - au point de perdre son goût pour l'eau sucrée, dont il raffole. Ensuite, vous lui administrez un produit psychotrope bien choisi pour réduire son «anhédonie» - son incapacité à rechercher le plaisir. Avec les antidépresseurs, il reprend le goût de vivre, malgré l'inconfort de sa cage. C'est ainsi que l'on teste ces médicaments qui - à défaut de rendre heureux - permettent de supporter n'importe quoi.
Fabien GruhierLe Nouvel Observateur

dimanche 28 décembre 2008

DES "SUBPRIMES" A LA RECESSION.

Yahoo! France Mon Yahoo!
Des "subprimes" à la récession, les grandes dates de la crise économique en 2008.
sam 27 déc, 15h46.

L'année 2008 a été marquée par une crise financière, née quelques mois plus tôt aux Etats-Unis avec l'effondrement du marché des prêts immobiliers à risques ("subprime"), qui s'est étendue à l'économie mondiale.
- 22 jan 2008: Baisse du taux directeur de la
Banque centrale américaine (Fed).
- 17 fév: Nationalisation de la
banque britannique Northern Rock.
- 11 mars: Nouvelle injection massive de liquidités sur le marché du crédit par les
banques centrales.
- 16 mars: Avec l'aide de la Fed, JP Morgan rachète la
banque d'affaires Bear Stearns à un prix bradé.
- 7 sept: Les géants américains du crédit hypothécaire Freddie Mac et Fannie Mae mis sous tutelle.
- 15 sept: Dépôt de
bilan de la banque d'affaires Lehman Brothers, l'un des piliers de Wall Street. Sa concurrente Merrill Lynch rachetée par Bank of America.
- 16 sept: Quasi-nationalisation de l'assureur américain AIG, l'aide de l'Etat atteindra plus de 150 milliards de dollars.
- 25 sept: L'Irlande, premier pays de la zone euro à entrer en récession.
- 28 sept: Le bancassureur belgo-néerlandais Fortis est renfloué par les Etats du Benelux. Le 30, nationalisation par les autorités françaises et belges de la
banque Dexia.
- 3 oct: Adoption par le Congrès américain d'un plan de sauvetage bancaire (plan Paulson) de 700 milliards de dollars.
-4 oct: Mini sommet à Paris des quatre premières puissances européennes. Elles n'endossent pas l'idée d'un fonds européen de soutien, rejetée par Berlin.
- 5 oct: En reprenant Fortis, BNP Paribas devient la première
banque de dépôts en Europe.
- 8 oct: Plan gouvernemental britannique de recapitalisation des
banques. Baisse concertée de taux directeurs de six grandes banques centrales.
- 10 oct: Krach de la plupart des bourses mondiales.
- 12 oct: Accord de l'Eurogroupe sur un plan d'
action (garantie des prêts interbancaires, recapitalisation des banques).
- 13 oct: Paris, Berlin, La Haye, Madrid, Vienne et Lisbonne présentent leurs plans nationaux de sauvetage des
banques. Hausse spectaculaire des Bourses, le Dow Jones bondit de 11,08%. Le 15, Wall Street connaît sa pire séance en plus de 20 ans (-7,87%).
- 21 oct: Le président en exercice de l'UE, Nicolas Sarkozy, plaide pour la création de fonds souverains et d'un gouvernement économique de la zone euro (rejeté par Berlin).
- 22 oct: Dégringolade de la
bourse de Buenos Aires, affectée par le projet de nationalisation du système de retraites.
- 24 oct: L'Opep réduit sa
production de brut pour tenter d'enrayer la chute des prix. Mauvaises nouvelles, notamment dans le secteur automobile, confirmant que la crise financière commence à contaminer l'économie.
- 27 oct: Les bourses asiatiques s'effondrent: Tokyo au plus bas depuis 26 ans. Le 28, l'euro plonge à son plus bas niveau depuis avril 2006 (1,2328 dollar).
- 3 nov: Prévisions de la Commission européenne: récession en 2008, croissance au
point mort en 2009, progression de deux millions du nombre de chômeurs (2008-2010).
- 5 nov: Plan allemand destiné à stimuler l'économie.
- 6 nov: Le FMI prévoit en 2009 une récession dans les pays développés, la première depuis l'après-guerre, et une croissance mondiale ne dépassant pas 2,2%.
- 7 nov: Aux Etats-Unis, le chômage bondit à 6,5%, son plus haut niveau depuis 14 ans.
- 9 nov: Plan chinois de relance économique.
- 12 nov: Washington renonce au rachat d'actifs invendables des
banques, pour investir directement au capital de ces établissements.
- 13 nov: L'OCDE annonce pour 2009 une récession de -0,3% et une forte montée du chômage, notamment en Europe.
- 14 nov: L'Allemagne, l'Italie et Hong Kong entrent en récession, la zone euro également pour la première fois de son histoire. La France y échappe de justesse.
- 15 nov: A Washington, les grands pays développés et émergents (G20) s'engagent à relancer l'économie mondiale tout en lançant une réforme du
système financier international.
- 17 nov: Le Japon rejoint la liste des pays en récession.
- 19 nov: L'Islande, au bord de l'asphyxie, obtient un prêt du FMI et une aide de ses voisins nordiques.
- 24 nov: Entré en récession, Londres annonce un plan de relance. Le 25, mesures américaines destinées à soutenir la
consommation et l'immobilier.
- 26 nov: Plan de 200 milliards d'euros de l'UE pour stimuler l'économie.
- 1er déc: Confirmation que l'économie américaine se trouve en récession depuis un an.
- 4 déc: La
Banque centrale européenne abaisse son taux directeur (plus forte réduction de son histoire). Baisse historique également pour la Banque d'Angleterre et celle de Suède.
La France dévoile un plan de relance par l'
investissement pour soutenir les secteurs de l'automobile et du logement.
- 5 déc: Le
pétrole qui a perdu plus de 100 dollars depuis juillet, casse le seuil des 40 dollars le baril.
- 10 déc: La Chine, dont la croissance a ralenti au 3e trimestre, accuse en novembre une baisse des exportations et des investissements étrangers.
- 11 déc: Le Sénat américain ne parvient pas à un compromis pour voter le plan de sauvetage de l'
industrie automobile, adopté par la Chambre des représentants.

vendredi 26 décembre 2008

BELGIQUE : UN NOËL PATHETIQUE, COMME SI NOTRE SYSTEME ETAIT MORT.

Dirk De Keyser. La belle gigue.

OLIVIER MOUTON.Un noël pathétique, comme si notre système était mort.
LE SOIR. mercredi 24 décembre 2008, 10:37

Vous êtes donc bien en Belgique au crépuscule de l'an 2008.
Au moment où vous vous attelez aux derniers préparatifs de Noël, la situation est ahurissante. Nous vivons dans un pays divisé, sans gouvernement, dont les banques restent très fragiles tandis que tous les indicateurs économiques annoncent une débâcle pour 2009.
Le Roi, lui, se prépare à un exercice délicat : l'enregistrement quasiment en direct de son discours de Noël au cours duquel il devrait prendre la tangente pour évoquer l'urgence d'un sursaut national avant d'évoquer l'un ou l'autre fléau de ce monde inquiet – faute de mieux. Rassurez-vous : de retour de Disneyland, un ancien Premier ministre « explore », fort de son expérience des années 1980 où il a géré les mêmes dérives. La Belgique était encore unitaire et les nouvelles générations ne voient plus l'avenir du pays de la même manière, mais ce ne serait qu'un détail.
C'est tout ?
Non. Alors que tout imposerait la mise en place rapide d'un nouveau gouvernement, les querelles entre partis ressurgissent de plus belle, en vue des élections de juin prochain. Les libéraux se plaignent d'être tenus à l'écart par un CD&V KO debout. Les francophones se sentent de plus en plus minorisés. La possible ouverture de la majorité à l'un ou l'autre parti de l'opposition nécessiterait l'improbable renégociation d'accords conclus.
Grâce…
Ce nouveau sommet du pathétisme à la belge pourrait vous faire exploser de rire. Dans les faits, les énièmes rebondissements de la déliquescence belge suscitent une lassitude croissante. Or, l'heure est grave. Avec la démission acceptée d'Yves Leterme, il n'y a plus de pilote en Belgique. Pas de budget pour 2009. Pas de réaction possible en cas de nouvelle déconvenue bancaire. Pas de plan de relance activé. Pas de projet, pas de vision…Est-ce trop demander aux partis de renoncer à leurs vues à court terme ? Trop exiger du CD&V de renouer avec la raison d'État ? Trop espérer d'attendre enfin une politique à la mesure de l'enjeu ? Dans d'autres démocraties, vivantes, la population serait déjà descendue dans la rue pour manifester. Ici, on se prépare à passer à table. Et on se tait… Comme si notre système était mort.
Joyeux Noël ?
http://www.lesoir.be/forum/editos/un-noel-pathetique-comme-si-2008-12-24-676583.shtml

samedi 20 décembre 2008

LA CHUTE DE LETERME RAVIVE L'INSTABILITE EN BELGIQUE.

LIBERATION 20 déc. 6h51.
La chute de Leterme ravive l’instabilité en Belgique.
Crise . Les conditions de la vente de Fortis mettent en difficulté le Premier ministre.
BRUXELLES, de notre correspondant JEAN QUATREMER.

-->
Yves Leterme, le Premier ministre belge, a remis hier soir au Roi Albert II, la démission de son gouvernement. Lequel a réservé sa réponse. Cette fois, la crise n’est pas provoquée par un énième rebondissement du conflit entre néerlandophones et francophones, mais par une grave violation de l’Etat de droit.
Pourquoi cette nouvelle crise politique ?
Yves Leterme, un chrétien-démocrate flamand de 48 ans, est accusé d’avoir fait pression sur la justice pour qu’elle valide le démantèlement de Fortis, un groupe bancaire belgo-néerlandais, et l’une des premières banques européennes emportées par le tsunami financier venu des Etats-Unis. Il a, en effet, quasiment liquidé l’un des derniers «joyaux de la couronne» belge : la partie néerlandaise est redevenue néerlandaise, alors que la partie belge a été nationalisée, en attendant d’être revendu à vil prix au français BNP-Paribas.
Le problème est que les petits actionnaires s’estiment spoliés, le cours des actions s’étant effondré, et ne le digèrent pas. Ils ont donc attaqué en justice le gouvernement, accusé d’avoir bradé dans la panique ce fleuron bancaire sans les consulter. Inquiet de voir son monopoly menacé, l’entourage de Leterme aurait multiplié les pressions sur les magistrats. En première instance, le substitut du procureur aurait ainsi reçu un appel d’un collaborateur de Leterme qui lui aurait lâché avec colère : «On est très préoccupés par votre avis. Etes-vous réellement conscients de votre responsabilité ?»
Après le jugement du tribunal de commerce validant le démantèlement, en novembre, les pressions ont repris de plus belle. En vain, puisque celui-ci a donné raison le 12 décembre aux petits actionnaires, en estimant qu’ils auraient dû être consultés. C’est le président de la Cour de cassation, le Flamand Ghislain Londers, qui a révélé ces pressions mercredi. Pressions dont il s’est par ailleurs plaint dans une lettre adressée au président de la chambre des députés, Herman Van Rompuy. Même s’il reconnaît qu’il n’a pas de preuve au sens juridique du terme, Londers souligne que «tout a été mis en œuvre pour que l’arrêt de la 18e chambre de la cour d’appel ne soit pas prononcé.»
Quelles conséquences pour la stabilité de la Belgique ?
Le grand vainqueur des législatives de juin 2007 est une sorte de recordman dans son genre : Yves Leterme a déjà démissionné deux fois de son rôle de «formateur» du gouvernement (les 23 août et 1er décembre 2007). Devenu Premier ministre le 20 mars 2008, il en est à sa seconde démission : le 14 juillet, elle avait été refusée par le roi, faute d’une solution alternative… Aujourd’hui, quelle que soit la décision d’Albert II, l’homme est de toute façon déjà gravement fragilisé depuis qu’il a perdu le soutien, en septembre, de la NV-A, un petit parti nationaliste flamand qui lui a assuré sa majorité. Depuis, il ne doit sa survie qu’à la bonne volonté de la minorité francophone (40 % de la population) qui lui assure une majorité à la chambre. Une situation intenable, les Flamands voulant toujours obtenir une vaste réforme de l’Etat afin d’obtenir une quasi-indépendance, ce que refusent les francophones…
Durant la crise bancaire, le conflit entre le nord et le sud du pays ne s’est absolument pas apaisé : la région flamande a confirmé son refus de nommer trois bourgmestres (maires) de la périphérie bruxelloise située en Flandre parce qu’ils sont coupables d’avoir envoyé en français à leurs électeurs francophones des convocations pour les élections municipales de 2006. La condamnation par le Conseil de l’Europe, il y a quelques semaines, de cette claire violation de l’Etat de droit, n’a pas fait fléchir la détermination des autorités flamandes… Autant dire que cette nouvelle crise n’est qu’un signe de plus du délitement de la démocratie belge. Normalement prévues en 2011, des élections anticipées deviennent de plus en plus probables dès juin prochain, en même temps que les régionales et les européennes.

.
OLIVIER MOUTON
Un noël pathétique, comme si notre système était mort.
LE SOIR. mercredi 24 décembre 2008, 10:37

Vous êtes donc bien en Belgique au crépuscule de l'an 2008. Au moment où vous vous attelez aux derniers préparatifs de Noël, la situation est ahurissante. Nous vivons dans un pays divisé, sans gouvernement, dont les banques restent très fragiles tandis que tous les indicateurs économiques annoncent une débâcle pour 2009. Le Roi, lui, se prépare à un exercice délicat : l'enregistrement quasiment en direct de son discours de Noël au cours duquel il devrait prendre la tangente pour évoquer l'urgence d'un sursaut national avant d'évoquer l'un ou l'autre fléau de ce monde inquiet – faute de mieux. Rassurez-vous : de retour de Disneyland, un ancien Premier ministre « explore », fort de son expérience des années 1980 où il a géré les mêmes dérives. La Belgique était encore unitaire et les nouvelles générations ne voient plus l'avenir du pays de la même manière, mais ce ne serait qu'un détail.
C'est tout ? Non. Alors que tout imposerait la mise en place rapide d'un nouveau gouvernement, les querelles entre partis ressurgissent de plus belle, en vue des élections de juin prochain. Les libéraux se plaignent d'être tenus à l'écart par un CD&V KO debout. Les francophones se sentent de plus en plus minorisés. La possible ouverture de la majorité à l'un ou l'autre parti de l'opposition nécessiterait l'improbable renégociation d'accords conclus.
Grâce… Ce nouveau sommet du pathétisme à la belge pourrait vous faire exploser de rire. Dans les faits, les énièmes rebondissements de la déliquescence belge suscitent une lassitude croissante. Or, l'heure est grave. Avec la démission acceptée d'Yves Leterme, il n'y a plus de pilote en Belgique. Pas de budget pour 2009. Pas de réaction possible en cas de nouvelle déconvenue bancaire. Pas de plan de relance activé. Pas de projet, pas de vision…
Est-ce trop demander aux partis de renoncer à leurs vues à court terme ? Trop exiger du CD&V de renouer avec la raison d'État ? Trop espérer d'attendre enfin une politique à la mesure de l'enjeu ? Dans d'autres démocraties, vivantes, la population serait déjà descendue dans la rue pour manifester. Ici, on se prépare à passer à table. Et on se tait… Comme si notre système était mort.
Joyeux Noël ?

vendredi 19 décembre 2008

UNE JEUNESSE GRECQUE. TONIA L'ENRAGEE.

NOUVEL OBSERVATEUR. 2302. 18/12/2008.
Une jeunesse grecque. Tonia l'enragée.
Elle a 28 ans, un diplôme de philo et galère au pays d'Aristote. Fatiguée, sans avenir, elle a rejoint la révolte. Portrait d'un désespoir qui monte dans toute l'Europe.
Tonia est en colère.
Rien à voir avec une crise de nerfs, le simple coup de sang, violent et passager. Non. La colère, froide et folle, la vraie, celle qu'on porte tout au fond de soi, disposée en petites couches épaisses, fossiles, géologiques, chronologiques, celle qui a pris son temps, des années, pour grandir, s'installer en silence, jusqu'à imprégner toutes les fibres du corps et de l'âme. «Vous avez des enfants ?» La voix est basse, calme, sans éclats mais tendue comme un arc. «Imaginez...» L'enfant souffre et appelle son père, «Papa !» Et lui, toujours distrait, ne répond pas. Le gosse insiste, tire sur la manche de sa chemise, tambourine de son poing contre le corps de son père. Aucune réaction. «Alors, pour se faire entendre, il prend un verre et le fracasse contre le mur... et là, le père, stupéfait par cette violence, s'aperçoit enfin que l'enfant existe.
La prochaine fois, pour prendre la parole, le gamin commencera par exploser un verre. Voilà la réalité grecque !» Tonia allume une Assos, une mauvaise cigarette, la moins chère du pays. Pas de bagues aux doigts, pas de montre, deux barrettes en plastique plantées dans un chignon, une médaille en toc suspendue au cou par une cordelette de tissu, un tee- shirt rouge et noir sans grâce, un vieux jean, des godasses de marche, éculées. Vingt-huit ans, deux grands yeux bleus, des cheveux châtains, parfois un sourire. Plutôt jolie, les traits durcis, les yeux cernés, étudiante en master de philosophie le jour, serveuse huit heures par nuit dans un bar, Au Nom de la Rose, dans le centre bruyant d'Athènes. Epuisant.
«Depuis vingt ans. Ah ! Ce gouvernement...»
Quoi ? D'abord la fac, les écoles, grises, laides, sans âme, comme les profs, fonctionnaires sous-payés qui débitent leurs cours, pressés d'aller assurer un deuxième travail, dehors, au noir. Les enfants d'Aristote ont droit à 3,5% du budget de l'Etat. Ici, on n'apprend rien. Tonia préfère avaler ses livres chez elle. A 15 ans, il faut déjà choisir sa voie, préparer un concours unique en accumulant les indispensables cours privés, 1 000 euros par mois au minimum, 1 200 pour son frère Dimitris, apprenti sculpteur.
Tonia voulait être journaliste. Raté. A deux points près.
Elle est dirigée vers le département philo-psycho. Selon la note obtenue au concours, un étudiant d'Athènes qui rêve de médecine peut se retrouver élève en théologie sur une île à moines. Absurde. Encore quelques examens et Tonia pourra s'inscrire sur la longue liste d'attente des professeurs. Dix ans minimum, sans passe-droits. «Au bout du chemin, j'aurai 40 ans, des enfants, 700 euros de salaire, une chambre à 400 euros de loyer, des vêtements achetés en supermarché et jamais de vraies vacances...»
Elle hésite, commande un express, le serveur tend l'addition... 4 euros ! Le coût de la vie a doublé depuis le passage de la drachme en monnaie européenne : «Les prix sont ceux de l'Ouest, les salaires ceux de l'Est.»
//-->
Tonia n'a pas de voiture, pas de scooter, pas de crédit maison. Stéphanos, son amoureux, 36 ans, chauffeur de taxi «comme son père», travaille la nuit onze heures d'affilée et refuse de voter.
La colère. Les socialistes du Pasok n'avaient pas fait grand-chose, les conservateurs du centre droit de Costas Caramanlis se bouchent les oreilles, indifférents et corrompus. En 2007, le Péloponnèse brûle, le feu lèche la banlieue d'Athènes et les sites archéologiques. Pompiers, équipement, organisation, tout fait défaut et 250 000 hectares de forêt partent en fumée. Le gouvernement de Caramanlis est réélu de justesse, une voix... tout va bien ! L'hiver dernier, le puissant secrétaire général du ministère de la Culture, proche du Premier ministre, est filmé en plein ébat sexuel avec une secrétaire. Un scandale de plus. A l'automne dernier, les moines pieux du célèbre mont Athos achètent un ancien site des jeux Olympiques de 2004, attendent trois mois, avant de le revendre deux fois plus cher ! Ce nouveau scandale implique des religieux, un ministère et des banques qui viennent d'ailleurs de recevoir 24 milliards de dollars pour leur permettre de surmonter la crise financière. Les moines en noir finissent par présenter leurs excuses au peuple grec qu'ils ont spolié.
Gouvernement, Eglise, banques, la brutalité du libéralisme, la mollesse du notable et la puanteur de la corruption...
Où voit-on de la jeunesse, du progrès et de l'avenir dans tout cela ? «J'enrage, je travaille comme un chien et je me sens misérable.» La Grèce est lanterne rouge en Europe pour le chômage des jeunes, 25,2% des 15-24 ans - un sur quatre - juste devant la France. Chaque année, le marché du travail n'absorbe que la moitié à peine des 80 000 nouveaux diplômés et le taux de travailleurs pauvres dépasse les 14%. Les prestigieux jeux Olympiques ont laissé un superbe métro, quelques autoroutes, une ardoise de 10 milliards d'euros et le goût amer d'une dette qui a explosé. Les économistes ont prévu une vague de licenciements massifs juste après la bûche de Noël, 100 000 emplois perdus dans les prochains mois, 5% de chômage en plus. «Nos ministres s'affichent au ski en Suisse pour Noël et moi je cours pour bosser pendant les fêtes dans cette ville sale, polluée, embouteillée, où j'ai du mal à marcher, à respirer.
Je cours, je me bats et... rien en vue !» De l'air, de la lumière, du bleu ! Celui de la maison familiale de Preveza au bord de la mer, où elle a passé son enfance. Tonia n'est pas fille d'ouvrier, mal grandie dans un ghetto de banlieue mais élevée avec amour par une famille «privilégiée» de l'upper middle-class.
Sa mère traduit les livres d'Oscar Wilde et de Stephen King, et son beau- ? père photographe est le seul Grec à avoir intégré l'élitiste agence Magnum.
La maison était vaste et belle en Epire, pleine de soleil et de culture, à proximité des facs de Ioannina. La pénombre n'est pas venue d'un coup dans la vie de Tonia mais par petites touches successives, noires comme des souvenirs. Elle a 11 ans, en 1991, en vacances avec sa famille à Athènes, attablée à une terrasse du café du quartier d'Exarchia, rebelle, populaire et bohème. Déjà, en 1985, l'assassinat d'un lycéen par la police avait provoqué des émeutes anarchistes. Cette fois, c'est la mort d'un professeur de Patras, tué par un gros bras conservateur, qui déclenche les violences. Tonia se souvient d'un policier casqué ordonnant à sa mère : «Emmenez la gosse loin d'ici. Vite ! Ca va exploser !» Et toute la famille courant jusqu'à la voiture pour fuir Exarchia.
A 13 ans, sa mère la tient par la main et elle marche sur la grand-place de Preveza, dans le cortège d'une manifestation de protestation contre une base de l'Otan : «Arrêtez de faire ce que vous disent les Américains. Prenez d'abord soin de votre peuple !» Un an plus tard, elle gagne un collège à Athènes paralysé aussitôt par une grève interminable. Elle perd trois mois d'école, la grève s'essouffle, les profs n'ont rien obtenu, les cours reprennent, et Tonia, désemparée, interroge sa mère : «Et maintenant ?» Rien. Tonia écarquille les yeux. Tout cela n'a aucun sens.
A 15 ans, elle doit choisir son orientation professionnelle : «Je ne savais pas encore comment m'habiller ni quelle musique choisir. Et il me fallait décider mon futur métier.» C'est le début du cycle infernal des cours privés. Cinq heures par jour, une dépense démesurée, une mère de 36 ans qui traduit dix heures par jour à la maison, cuisine, lave, repasse, s'occupe de Dimitris, 5 ans, et de la petite soeur de 15 mois, Lina.
«Je me sentais coupable de lui coûter autant, elle se sentait coupable de ne pouvoir faire plus...» Tonia oublie son adolescence et commence à travailler comme serveuse dans les bars, encore acharnée à rêver de la vie à la fac, bohème et lumineuse.
Un stage de vacances à Paris et à Londres lui fait découvrir les auberges de jeunesse et une cité plus organisée. Le retour à Athènes en est plus décourageant. «J'avais un rêve... la faculté, où ma vie allait changer, bien sûr.» L'université ? Des bâtiments sinistres, gris et moches, un café, une mauvaise cantine, des murs tagués, des couloirs hantés par des maîtres dévalués, sans flamme. La chambre à payer, l'électricité, la nourriture, la vie... 700 euros de plus à trouver.
La mère, écrasée, s'endette, et Tonia s'interroge : «Qu'est-ce que j'ai fait de mal ?»
La philo n'est pas rentable mais ses amis, architecte ou informaticien dans le privé, travaillent dix heures par jour et ne s'en sortent guère mieux. Pour réussir, il faut être avocat, médecin ou banquier. Ceux-là vivent sur les collines du nord d'Athènes, parcourues le dimanche par des voitures de luxe et des élégantes manucurées à talons hauts, les bras encombrés de paquets, entre messe orthodoxe et boutiques chics. Tonia, l'étudiante-travailleuse pauvre, commence à sentir quelque chose de nouveau, d'inconnu, croître tout au fond d'elle : «Je ne le savais pas encore, mais c'était ma colère qui commençait à naître.»
Les années qui suivent sont le temps de la dureté intérieure. Tonia se ferme, égoïste, sourde aux autres et à la société dont elle n'attend plus rien, acharnée à se battre pour sortir seule de la noirceur. Elle ne croit plus à un quelconque gouvernement - «ils ne construisent pas le pays, ils construisent leurs villas» -, ne se reconnaît plus dans un mouvement, délaisse les amis, vit sa condition d'employé, celui qui sait ployer, plier. Comme tous ces trentenaires frileux tout frais émoulus de l'école, qui ont grandi dans la peur du chômage, de l'amour, du sida, marchent les épaules en dedans, obsédés par leur rente mensuelle, terrorisés par la hiérarchie, fuyant l'audace de la lutte collective, l'oeil rivé sur un objectif unique, la survie individuelle.
Et pour quel résultat ?
Pour Tonia, à 26 ans, sans protection sociale décente, exploitée au noir, défaite par l'amoncellement des factures de loyer et d'électricité, elle doit se résoudre... à retourner vivre chez sa mère !
«J'avais envie de me cogner la tête contre les murs.»
Cette fois, la lave de sa colère jaillit «et j'ai décidé de ne plus la retenir !». Ce dimanche 7 décembre à 9 heures du matin, Tonia dort avec Stephanos quand elle est réveillée par un SMS envoyé par un ami : «Un jeune garçon, 15 ans, a été tué par la police à Exarchia. Personne du gouvernement n'en a rien à foutre ! Sortons. Faisons quelque chose !» La veille, des étudiants ont caillassé une voiture de police, comme cela arrive souvent dans les rues étroites du quartier. Les deux policiers sont allés garer leur véhicule et ils sont revenus à pied. Entouré par des jeunes, l'un d'eux a sorti son arme de service. Deux coups de feu en l'air, un tir vers le sol, une balle qui ricoche et atteint Alexis Grigoropoulos en plein coeur. Il était venu célébrer sa fête entre amis. Il a 15 ans, fils de bonne famille, visage de gosse innocent.
Le soir même, le ministre de l'Education assiste à un concert de musique traditionnelle. Et le Premier ministre mettra vingt-quatre heures avant de regretter... «l'incident».
Tonia bondit : «Ils ont tué l'un des miens.» Partout, à coups de SMS, d'internet, de portables, sur les réseaux Facebook et HI5, de balcon à balcon, le message s'est répandu comme une traînée de poudre. Dehors, ils sont bientôt 8 000 ! Et Tonia retrouvera sa mère et sa petite ? soeur. S'ensuit une longue semaine de manifestations, souvent violentes. Il pleut sans cesse sur Athènes, le vent retourne les parapluies, les pavés, les cocktails Molotov et les grenades lacrymogènes volent bas sous un ciel écrasant de tristesse. Le gros des manifestants est composé d'étudiants et de lycéens.
A l'enterrement d'Alexis, ils ont scandé : «Alexis, tu vis et tu nous guides !» Et aussi : «Alexis... Athanatos ! [Immortel !]»
Mais dès la fin des obsèques, les slogans ont visé les forces de l'ordre : «Flics, cochons, assassins !»
A l'écart, un syndicaliste policier explique sous couvert d'anonymat que la police en Grèce est un corps semi-militaire, issu de la gendarmerie et de la police urbaine. «L'Etat, c'est nous» et ils sont «face au peuple» pour réprimer les mouvements de masse, voilà ce qu'on leur a appris. Ils sont mal payés, mal entraînés et maintenant, ils ont peur face à la déferlante de la rue.
Bien sûr, installés dans l'Ecole polytechnique ou dans leur bastion du quartier d'Exarchia, il y a des anarchistes qui entretiennent une longue tradition de guérilla urbaine et n'hésitent pas à faire exploser des engins incendiaires devant les ministères. Mais la majorité des «casseurs» s'en prennent aux grands magasins de luxe, aux agences bancaires, aux supermarchés, à tout ce qui représente le gouvernement et la société de consommation. Et ils demandent, pêle-mêle, le départ du gouvernement, un budget pour l'éducation et la condamnation du policier tueur.
Détruire ? La plupart des manifestants font là leur première expérience et ils portent imprimée sur leur blouson, comme Tonia, une phrase en forme d'excuse : «D'habitude, je ne fais pas ce genre de choses !» Tonia a failli craquer en voyant un policier casqué, bouclier à la main, fumer une cigarette, l'air arrogant, face aux manifestants : «J'ai ramassé deux pierres et je suis allée les jeter, de toutes mes forces, à l'écart, contre un mur. Ensuite, j'ai éclaté en sanglots et j'ai passé le reste de la journée à hurler comme une possédée.»
En Europe, les politiques inquiets se demandent si l'incendie grec peut propager une culture de la révolte.
Une chose est sûre, durcir les conditions de vie, faire payer la crise, couper le lien social, rester sourd aux souffrances des jeunes... et toutes les conditions sont réunies pour que les jeunes cessent d'appeler à l'aide leurs parents et décident de fracasser leur verre contre un mur.
Pour se faire entendre. «Nous en sommes à un point critique, dit Tonia, la jeune femme en colère. La mort lente. Silencieuse. Ou une renaissance. Quitte à détruire ce monde qui nous ignore.»
De notre envoyé spécial à Athènes, Jean-Paul Mari. Le Nouvel Observateur.

mercredi 17 décembre 2008

CRISE : LE RETOUR DES RISQUES POLITIQUES ET SOCIAUX.

Le retour des risques politiques et sociaux.
Le Monde.fr. mer 17 déc, 14h36.

Les marchés vont devoir à nouveau intégrer la variable politique dans leur évaluation des risques. Dominique Strauss-Kahn, directeur général du Fonds monétaire international (FMI), a attiré l'attention sur le fait que les gouvernements doivent rapidement empêcher la récession économique de laisser les troubles sociaux se généraliser. Les marchés feraient bien d'être attentifs eux aussi à cet avertissement.
L'année 2008 a été tumultueuse. Pourtant, les investisseurs se sont à peine émus des émeutes grecques ou des attaques terroristes de Bombay, de la même façon qu'ils ont superbement ignoré la guerre en Géorgie. De fait, depuis les attentats commis aux Etats-Unis en septembre 2001, les événements sociaux et géopolitiques n'ont eu aucun impact sur leurs placements. Mais aujourd'hui, cette bienheureuse indifférence touche peut-être à sa fin, et ce pour deux raisons.
La première est que la crise du crédit a rendu les investisseurs plus timorés face à toutes sortes de risques. La deuxième raison tient à l'interaction qui se développe entre le monde politique et la sphère financière. En mettant en oeuvre des plans de sauvetage et des nationalisations, les Etats se sont engagés plus avant sur le terrain des affaires. La prééminence du prisme politique gagne encore en puissance, maintenant que d'autres secteurs économiques viennent solliciter l'aide publique.
L'opprobre qui frappe le modèle de la finance libérale
risque de rendre les orientations politiques défavorables aux investisseurs. La montée du chômage ne pourra qu'exacerber les tensions préexistantes, qu'elles soient de nature purement nationale ou liées à des frictions frontalières. Le mécontentement des peuples poussera les dirigeants affaiblis à prendre des mesures protectionnistes, nationalistes et anticapitalistes.
La grande dépression des années 1930 a engendré la deuxième guerre mondiale. Il est heureux que, grâce aux progrès qu'ont connus les infrastructures sociales et la coopération politique, de telles tragédies nous seront sûrement épargnées. Mais si l'appel de M. Strauss-Kahn à une intervention publique musclée reste sans réponse, les émeutes qui secouent la Grèce pourraient bien n'être qu'un avant-goût de ce qui nous attend.
(Traduction de Christine Lahuec.)
http://www.lemonde.fr/la-crise-financiere/article/2008/12/17/le-retour-des-risques-politiques-et-sociaux_1132194_1101386.html

lundi 15 décembre 2008

CLAUDE OLIEVENSTEIN EST MORT.



Le professeur Claude Olievenstein, le "psy des toxicos", est mort.
LEMONDE.FR avec AFP 15.12.08 10h06 • Mis à jour le 15.12.08 10h12.
Fondateur du Centre Marmottan, à Paris, pour le traitement des toxicomanes, le professeur Claude Olievenstein, surnommé le "psy des toxicos", est mort, dimanche 14 décembre, dans la capitale, à l'âge de 75 ans, a-t-on appris lundi auprès de Marc Valleur, médecin-chef de Marmottan.
Le professeur Olievenstein était "en soins palliatifs" à Jeanne-Garnier, une clinique privée du 15e arrondissement, a indiqué le docteur Valleur. "Il était atteint depuis une dizaine d'années d'une maladie de Parkinson invalidante et était quasi inconscient ces dernières semaines."
Claude Olievenstein fut l'un des pionniers, au début des années 1970, d'une méthode de prise en charge des jeunes toxicomanes. Il avait créé le
Centre Marmottan en juillet 1971, alors qu'un mouvement dans l'opinion publique s'était ému de morts de jeunes par overdose.
"Olievenstein dans le monde de la toxicomanie, c'est un peu
Big Ben qui s'arrête", a estimé Marc Valleur, qui avait succédé en 2001 au "docteur Olive" lorsque ce dernier avait pris sa retraite.
Claude Olievenstein était né le 11 juin 1933 à Berlin. Après des études à la faculté de médecine de Paris, il avait consacré toute sa carrière, comme psychiatre, au traitement des toxicomanes.
Il était l'auteur de plusieurs ouvrages dont La Drogue (1970) et Il n'y a pas de drogués heureux (1977). Claude Olievenstein était chevalier de la Légion d'honneur, officier de l'ordre national du Mérite et décoré de la croix de la valeur militaire.
http://www.lemonde.fr/societe/article/2008/12/15/le-professeur-claude-olievenstein-le-psy-des-toxicos-est-mort_1131161_3224.html

Le révolté de Marmottan.
LEMONDE.FR 15.12.08 11h55 • Mis à jour le 15.12.08 12h09.
Claude Olievenstein est mort dimanche 14 décembre dans la capitale à l'âge de 75 ans, a-t-on appris lundi auprès de Marc Valleur, médecin-chef de Marmottan. Nous republions à cette occasion son portrait, publié dans Le Monde du 12 juillet 2001. Claude Olievenstein venait alors de partir à la retraite après trente années passées au centre médical de Marmottan.
Il ne s'assiéra plus derrière son vieux bureau, situé dans la pièce au fond du couloir, au premier étage du centre médical Marmottan, à Paris. C'est dans cette pièce sans luxe, dont les murs de couleur verdâtre témoignent éloquemment du passage du temps, que s'est achevée, avec son départ en retraite le 1er juin 2001, la carrière d'un pionnier de médecine humanitaire en zone urbaine. Pendant trente ans, le professeur
Claude Olievenstein - "Olive", comme l'appellent ses familiers - a accueilli dans ce bâtiment de brique rouge des toxicomanes en perdition, ceux dont aucune autre structure médicale ne voulait au début des années 1970. Cela n'a pas été simple.
Quand le premier consultant se présente à Marmottan, le 25 juillet 1971,
Claude Olievenstein n'y est installé que depuis quatre jours, avec une assistante sociale et une secrétaire. Ministre de la santé de l'époque, Robert Boulin a fini par accepter, contre l'avis du préfet de police, de confier à Claude Olievenstein les locaux désaffectés de l'hôpital Marmottan, rue d'Armaillé, à deux pas de la place de l'Etoile. Dès que la nouvelle est connue, des riverains de cette rue étroite du 17e arrondissement de Paris protestent. Des plaintes pour tapage nocturne ont été déposées avant même l'ouverture du centre. Le projet voit malgré tout le jour, car les overdoses mortelles font la "une" des gazettes. La menace d'une fermeture reste cependant présente : "Nous nous demandons tous les six mois si nous n'allons pas fermer", continue de répéter le docteur Marc Valleur, qui a succédé au professeur Olievenstein comme directeur du centre en mars 2000.
"Marmottan était le dernier endroit où faire une carrière, mais le premier où les choses allaient dans le bon sens La technique y passait après l'humanité." Arrivé au centre en 1974, il y trouve un
Claude Olievenstein "terriblement chaleureux et paternaliste, donneur de leçons et incroyablement séducteur. Comme j'étais ceinture noire de karaté, je l'intéressais, car face à certains cas difficiles il cherchait des gens qui n'avaient pas trop peur de la violence". Les professionnels qui viennent à Marmottan s'engagent corps et âme. L'équipage a embarqué sur un vaisseau qui possède son livre de bord, Le Cancan, où sont inscrits jour après jour les événements et les humeurs. C'est un sacerdoce. Il fallait "travailler tout le temps, avoue Marc Valleur. Il n'y avait pas de grandes frontières entre la vie privée, les références thérapeutiques et le travail quotidien". Non sans heurts, la vie commune s'organise entre les "clients", comme ils sont officiellement désignés, les "accueillants", anciens toxicomanes reconvertis dans la prévention, les infirmières, les médecins...
La drogue y est interdite. Mais pas toujours les excès. Marc Valleur se souvient d'une soirée bruyante où le vin rouge coulait à flots et des joints circulaient. Sur un tableau, avec des lettres magnétiques, les plus freudiens s'amusent à composer une anagramme de Marmottan : "Mormattan". Quand "Olive" débarque au petit matin, il se joint à la fête. Ce qui ne l'empêchera pas d'assurer, sérieux comme un pape, au responsable du dispensaire d'hygiène mentale, qui partage les locaux de l'ancien hôpital Marmottan, qu'il ne comprenait pas comment des gens de son équipe avaient pu ainsi se laisser aller et d'affirmer qu'il allait leur "passer un savon". Bien entendu, il n'y eut pas de suite.
AU début des années 1970, les livres de
Claude Olievenstein sur la drogue, en particulier son best-seller Il n'y a pas de drogués heureux, le font connaître. Sa volumineuse couronne de cheveux dressée comme un défi au conformisme médical des années 1970, "Olive" s'impose à la télévision comme le contradicteur idéal des hommes politiques au discours sécuritaire. Eux voient dans les toxicomanes des délinquants, des dangers publics ; lui insiste sur une approche de clinicien, mais n'oublie pas de citer comme moteur la recherche du plaisir. Pourfendant, il y a quinze ans, les thèses répressives du projet de loi sur la drogue présenté par le garde des sceaux Albin Chalandon, il expliquait dans les colonnes du Monde son hostilité à des mesures qui faisaient "partie du grignotage de l'Etat de droit par l'Etat de force. Pour faire accepter cela aux Français, il faut trouver des boucs émissaires aux marges de la société. Aujourd'hui, les toxicomanes sont tout indiqués" ( Le Monde du 15 novembre 1986).
Savamment provocateur,
Claude Olievenstein choque. Il bouscule et dérange. Loin de stigmatiser les toxicomanes et d'en faire des parias, il n'hésite pas à raconter sa propre expérience avec les drogues. Jeune psychiatre, il séjourne en Californie aux plus belles heures du mouvement psychédélique et du Flower Power. A nous la liberté ! En particulier de consommer toutes sortes de drogues, à commencer par le LSD, auquel il consacrera sa thèse. Cette expérience personnelle lui permet de parler non plus d'un point de vue purement extérieur à l'univers du "drogué", mais comme un clinicien qui sait que la drogue peut être source de plaisir. Dénoncées comme iconoclastes, ses idées vont progressivement imprégner la politique officielle en matière de toxicomanie.
En juin 1984, alors que le sida commence à faire des ravages parmi les usagers de drogues administrées par voie intraveineuse, il réclame le premier aux pouvoirs publics, contre l'avis de toute la commission des stupéfiants, la mise en vente libre de seringues. La mesure, pourtant cruciale, ne sera annoncée que le 24 février 1987 par
Michèle Barzach. Plus tard, au début des années 1990, Claude Olievenstein va entretenir des rapports conflictuels avec les médecins généralistes, qui privilégient l'utilisation des produits de substitution. Leur logique est la suivante : les toxicomanes utilisant des drogues par voie intraveineuse s'exposent à des contaminations par les virus du sida ou de l'hépatite C, le plus souvent en partageant leur seringue ; en recourant à des opiacés administrés par voie orale, on peut limiter les risques de contamination, même si l'on ne guérit pas le toxicomane de sa dépendance.
1 Paul Benkimoun.
Un point de vue que combat Olievenstein, mais qui va cependant prendre le dessus, parallèlement à un déclin médiatique du directeur de Marmottan. Aujourd'hui encore, Claude Olievenstein a du mal à accepter que les idées "modernes" qu'il a défendues, non sans succès, "soient considérées comme ringardes, comme s'il n'y avait qu'une seule politique de réduction des risques. Ce n'est pas le produit, mais la personne qui doit être vue en premier", assène-t-il.
De fait, même si elle s'est atténuée, l'opposition entre les deux approches tenait du contentieux entre Montaigu et Capulet, voire des schismes de l'Eglise et de leur cortège d'excommunications. Vice-président de l'Association française pour la réduction des risques et ex-responsable du programme méthadone de Médecins du monde, le docteur
Bertrand Lebeau a travaillé à Marmottan du printemps 1993 à l'été 1994. "Pour Olive, lâche-t-il, les toxicomanes n'avaient que des désirs et non des besoins. Son brio masquait les carences de son approche. Auprès de lui, j'ai appris beaucoup de choses, mais il a eu des positions très conservatrices vis-à-vis des produits de substitution. En fait, il ne donnait de la méthadone qu'en douce." Ancien directeur de l'association Nova Dona, consacrée à la prise en charge des toxicomanes, le docteur Antonio Ugidos souligne les contradictions de Claude Olievenstein, qui occupait, lui, le poste de secrétaire : "Il adoptait des positions publiques assez rigides, mais dans la pratique il se montrait plus pragmatique. Il a largement contribué à faire obtenir l'agrément du centre méthadone de notre association."Lui reproche-t-on d'avoir changé de position, aussitôt, Claude Olievenstein revendique ses volte-face : "J'assume mes contradictions, je ne suis pas linéaire." Continuité dans la discontinuité. L'art de l'esquive comme mode de vie autant que stratégie de défense. Il sait pourtant se montrer lucide et faire preuve d'humilité : "On a considérablement exagéré l'importance de la drogue, et je dois faire mon autocritique là-dessus" (Le Monde du 15 novembre 1986). Douze ans avant que le rapport du professeur Bernard Roques n'entérine cette position, il affirmait dans le même entretien : "J'aurais dû m'engager davantage pour la dépénalisation de l'usage du cannabis. Je n'ai pas assez insisté sur la différence entre les drogues et sur le fait qu'il n'y a pratiquement aucun rapport entre un usager occasionnel et un toxicomane. J'ai trop accepté qu'on parle de drogue en général sans jamais citer l'alcool, le tabac ou l'abus de médicaments."Ses rapports avec le pouvoir ont toujours tenu de ceux de la souris avec le chat. Il y a dix ans, dans le grand amphithéâtre de la Sorbonne, où, aux côtés de Georgina Dufoix, alors déléguée générale du gouvernement à la lutte contre la drogue, il présidait le vingtième anniversaire de Marmottan, Claude Olievenstein s'était amusé : "La dernière fois que je suis venu dans cet amphi, c'était en mai 68. Aujourd'hui, j'ai la Légion d'honneur et je reçois les ministres. Où diable me suis-je trompé ?" Claude Olievenstein joue avec les institutions, comme avec ceux qui l'entourent. Il est à la fois la référence et celui qui se trouve là où on ne l'attend pas. Comme s'il flirtait en permanence avec les frontières et les dérives possibles. En particulier, celle de se transformer en gourou, un rôle auquel il affirme avoir toujours été opposé. L'attitude de certains de ses disciples semble pourtant donner quelque consistance au reproche. Il y a souvent plus de subtilité dans les propos d'"Olive" évoquant "le rôle pernicieux de la notoriété", que dans la révérence d'une partie de ses élèves envers la parole du maître.
Le 26 janvier 2001, dans la grande salle de la Mutualité, à Paris, mille sept cents personnes, venues de quinze pays, étaient réunies pour célébrer le trentième anniversaire du centre médical Marmottan. L'incertitude a longtemps plané : viendra-t-il ? Nul n'ignore qu'"Olive" a des problèmes de santé, qui ne lui permettront peut-être pas d'être de la fête. Pourtant, même absent, il est difficile d'être plus présent. Finalement, à la mi- matinée, lors d'une pause, une silhouette ronde, dans un imperméable mastic, et coiffée d'une casquette, se glisse à petits pas fragiles, appuyée au bras d'un jeune homme, pour gagner les coulisses. Claude Olievenstein n'allait tout de même pas rater ça.
Il prend place à la tribune où sont déjà intervenus
Marc Valleur, Dominique Gillot, encore secrétaire d'Etat à la santé, et Nicole Maestracci, présidente de la Mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie (Mildt). Flanqué du philosophe Jacques Derrida et du généticien Albert Jacquard, Claude Olievenstein scrute la salle. Si les cheveux sont courts et ont blanchi, le regard, en revanche, n'a pas changé. Très mobile. Un mélange de douceur et de détermination. Une lueur d'ironie sous des faux airs d'indifférence. L'élocution rendue hésitante par la maladie - ce pour quoi il demande l'indulgence de son auditoire -, il critique sans ménagement l'action du gouvernement, fustigeant le "budget ridicule" affecté à la lutte contre la toxicomanie, dénonce l'étranglement du système de santé français et ne manque pas de décocher une flèche contre ses rituels adversaires, qui considèrent qu'il n'y a "qu'une seule politique, la réduction des risques". Au terme de son discours, la salle se lève pour l'ovationner longuement. Le psychiatre ne perd pas sa maîtrise. Il remercie, les mains jointes dans un salut à la manière bouddhiste, sans laisser paraître l'émotion pourtant décelable derrière le masque.
A la fois dans et hors de l'institution,
Claude Olievenstein sera avant tout resté "un rebelle vis-à-vis de l'ordre établi", résume Thérèse Brulé, sa secrétaire pendant vingt et un ans à Marmottan. Lui-même, né à Berlin le 11 juin 1933, quatre mois après l'arrivée au pouvoir de Hitler, en convient : "J'ai gardé de mon enfance juive, de mon communisme primaire, le sentiment de révolte, en particulier face à la bêtise des gens."
précédent 1 2
Paul Benkimoun.

http://www.lemonde.fr/carnet/article/2008/12/15/le-revolte-de-marmottan_1131224_3382.html
http://www.lemonde.fr/carnet/article/2008/12/15/le-revolte-de-marmottan_1131224_3382_1.html

AFFAIRE MADOFF.



LIBERATION.
La crise financière.
Notre dossier sur le krach qui secoue les marchés financiers.
Économie 13 déc. 19h28.
Après l'escroquerie de Bernard Madoff, la planète finance fait ses comptes.
Arrêté jeudi, Bernard Madoff, célèbre gestionnaire de fonds et ancien président du conseil d’administration du Nasdaq, est accusé d’avoir monté une gigantesque fraude pyramidale.
-->
Des investisseurs parmi les plus riches et puissants de la planète auraient été dupés, pendant des années parfois, par le gérant financier en vue de New York, Bernard Madoff, accusé d’avoir mis en place une gigantesque fraude pyramidale.
De Tokyo à l’Europe en passant par les Etats-Unis, ces clients - des établissements bancaires, des fonds d’investissements et des fortunes personnelles - feraient actuellement leurs comptes pour évaluer les pertes sur les fonds confiés à Madoff, indiquent plusieurs journaux.
Selon le Wall Street Journal, des banques comme BNP Paribas en France, Nomura Holdings à Tokyo et Neue Privat Bank à Zurich seraient exposées.
Arrêté jeudi, Bernard Madoff, 70 ans, un célèbre gestionnaire de fonds de Wall Street et ancien président du conseil d’administration du Nasdaq, l’une des deux grandes bourses de New York, est accusé d’avoir monté une gigantesque fraude pyramidale portant sur quelque 50 milliards de dollars.
S’adressant à son personnel, l’homme d’affaires a déclaré qu’il «était fini, n’avait plus rien et avait perdu environ 50 milliards de dollars», ont indiqué jeudi le parquet de New York et le FBI. Il a été libéré contre une caution de 10 millions de dollars.
Pendant des décennies, le conseiller en investissements a été l’un des piliers de Wall Street, à la réputation impeccable, fréquentant les milieux influents et cultivant une liste de clients exclusifs.
La SEC (Securities and Exchange Commission), le gendarme boursier américain, a affirmé que M. Madoff avait toujours obtenu de forts retours sur investissements, en utilisant des fonds frais apportés par de nouveaux clients.
Malgré ces surprenants forts retours sur investissements et le fait que des entreprises inconnues ou presque réalisaient ses audits, la SEC «est apparue totalement surprise» à l’annonce de l’arrestation du gérant, selon le New York Times.
«Malgré ces clignotants au rouge, les hedge funds (des fonds spéculatifs, ndlr) ont continué de faire la promotion des fonds de Madoff auprès d’autres fonds ou portefeuilles», écrit le journal.
L’escroquerie a été mise au jour lorsque ses clients ont voulu retirer le capital qu’ils avaient placé et découvert que les coffres du gérant étaient vides.
Selon la presse européenne, des investisseurs espagnols, dont le fonds Optimal-Santander, seraient exposés pour «plus de 3 milliards de dollars» à la fraude du gérant new-yorkais.
Selon le journal ABC, le gérant de fortunes espagnol M&B Capital Advisor serait exposé pour un montant de 558 millions de dollars dans des produits de la société de Bernard Madoff.
En Suisse, les banquiers de la place financière de Genève pourraient perdre jusqu’à cinq milliards de dollars dans la fraude, indique samedi le quotidien suisse Le Temps.
«Plusieurs estimations recueillies par Le Temps laissent à penser qu’au moins 5 milliards sont à risque» à Genève, explique le journal qui a contacté un certain nombre d’institutions de la ville au bord du Léman.
L’Union bancaire privée, numéro un mondial des hedge funds, «risquerait de perdre au moins un milliard», assure encore Le Temps. Une information que l’institution a refusé de commenter.
Aux Etats-Unis, parmi la longue liste des clients individuels victimes de l’escroquerie, figurerait le propriétaire de l’équipe de baseball des New York Mets Fred Wilpon et l’ancien propriétaire de l’équipe de football américain de Philadelphie, the Philadelphia Eagles, Norman Braman.
Le New York Times rapporte qu’une firme de conseil en hedge funds, Fairfield Greenwich Group, aurait investi 7,5 milliards de dollars avec Madoff.
(Source AFP).