samedi 20 décembre 2008

LA CHUTE DE LETERME RAVIVE L'INSTABILITE EN BELGIQUE.

LIBERATION 20 déc. 6h51.
La chute de Leterme ravive l’instabilité en Belgique.
Crise . Les conditions de la vente de Fortis mettent en difficulté le Premier ministre.
BRUXELLES, de notre correspondant JEAN QUATREMER.

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Yves Leterme, le Premier ministre belge, a remis hier soir au Roi Albert II, la démission de son gouvernement. Lequel a réservé sa réponse. Cette fois, la crise n’est pas provoquée par un énième rebondissement du conflit entre néerlandophones et francophones, mais par une grave violation de l’Etat de droit.
Pourquoi cette nouvelle crise politique ?
Yves Leterme, un chrétien-démocrate flamand de 48 ans, est accusé d’avoir fait pression sur la justice pour qu’elle valide le démantèlement de Fortis, un groupe bancaire belgo-néerlandais, et l’une des premières banques européennes emportées par le tsunami financier venu des Etats-Unis. Il a, en effet, quasiment liquidé l’un des derniers «joyaux de la couronne» belge : la partie néerlandaise est redevenue néerlandaise, alors que la partie belge a été nationalisée, en attendant d’être revendu à vil prix au français BNP-Paribas.
Le problème est que les petits actionnaires s’estiment spoliés, le cours des actions s’étant effondré, et ne le digèrent pas. Ils ont donc attaqué en justice le gouvernement, accusé d’avoir bradé dans la panique ce fleuron bancaire sans les consulter. Inquiet de voir son monopoly menacé, l’entourage de Leterme aurait multiplié les pressions sur les magistrats. En première instance, le substitut du procureur aurait ainsi reçu un appel d’un collaborateur de Leterme qui lui aurait lâché avec colère : «On est très préoccupés par votre avis. Etes-vous réellement conscients de votre responsabilité ?»
Après le jugement du tribunal de commerce validant le démantèlement, en novembre, les pressions ont repris de plus belle. En vain, puisque celui-ci a donné raison le 12 décembre aux petits actionnaires, en estimant qu’ils auraient dû être consultés. C’est le président de la Cour de cassation, le Flamand Ghislain Londers, qui a révélé ces pressions mercredi. Pressions dont il s’est par ailleurs plaint dans une lettre adressée au président de la chambre des députés, Herman Van Rompuy. Même s’il reconnaît qu’il n’a pas de preuve au sens juridique du terme, Londers souligne que «tout a été mis en œuvre pour que l’arrêt de la 18e chambre de la cour d’appel ne soit pas prononcé.»
Quelles conséquences pour la stabilité de la Belgique ?
Le grand vainqueur des législatives de juin 2007 est une sorte de recordman dans son genre : Yves Leterme a déjà démissionné deux fois de son rôle de «formateur» du gouvernement (les 23 août et 1er décembre 2007). Devenu Premier ministre le 20 mars 2008, il en est à sa seconde démission : le 14 juillet, elle avait été refusée par le roi, faute d’une solution alternative… Aujourd’hui, quelle que soit la décision d’Albert II, l’homme est de toute façon déjà gravement fragilisé depuis qu’il a perdu le soutien, en septembre, de la NV-A, un petit parti nationaliste flamand qui lui a assuré sa majorité. Depuis, il ne doit sa survie qu’à la bonne volonté de la minorité francophone (40 % de la population) qui lui assure une majorité à la chambre. Une situation intenable, les Flamands voulant toujours obtenir une vaste réforme de l’Etat afin d’obtenir une quasi-indépendance, ce que refusent les francophones…
Durant la crise bancaire, le conflit entre le nord et le sud du pays ne s’est absolument pas apaisé : la région flamande a confirmé son refus de nommer trois bourgmestres (maires) de la périphérie bruxelloise située en Flandre parce qu’ils sont coupables d’avoir envoyé en français à leurs électeurs francophones des convocations pour les élections municipales de 2006. La condamnation par le Conseil de l’Europe, il y a quelques semaines, de cette claire violation de l’Etat de droit, n’a pas fait fléchir la détermination des autorités flamandes… Autant dire que cette nouvelle crise n’est qu’un signe de plus du délitement de la démocratie belge. Normalement prévues en 2011, des élections anticipées deviennent de plus en plus probables dès juin prochain, en même temps que les régionales et les européennes.

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OLIVIER MOUTON
Un noël pathétique, comme si notre système était mort.
LE SOIR. mercredi 24 décembre 2008, 10:37

Vous êtes donc bien en Belgique au crépuscule de l'an 2008. Au moment où vous vous attelez aux derniers préparatifs de Noël, la situation est ahurissante. Nous vivons dans un pays divisé, sans gouvernement, dont les banques restent très fragiles tandis que tous les indicateurs économiques annoncent une débâcle pour 2009. Le Roi, lui, se prépare à un exercice délicat : l'enregistrement quasiment en direct de son discours de Noël au cours duquel il devrait prendre la tangente pour évoquer l'urgence d'un sursaut national avant d'évoquer l'un ou l'autre fléau de ce monde inquiet – faute de mieux. Rassurez-vous : de retour de Disneyland, un ancien Premier ministre « explore », fort de son expérience des années 1980 où il a géré les mêmes dérives. La Belgique était encore unitaire et les nouvelles générations ne voient plus l'avenir du pays de la même manière, mais ce ne serait qu'un détail.
C'est tout ? Non. Alors que tout imposerait la mise en place rapide d'un nouveau gouvernement, les querelles entre partis ressurgissent de plus belle, en vue des élections de juin prochain. Les libéraux se plaignent d'être tenus à l'écart par un CD&V KO debout. Les francophones se sentent de plus en plus minorisés. La possible ouverture de la majorité à l'un ou l'autre parti de l'opposition nécessiterait l'improbable renégociation d'accords conclus.
Grâce… Ce nouveau sommet du pathétisme à la belge pourrait vous faire exploser de rire. Dans les faits, les énièmes rebondissements de la déliquescence belge suscitent une lassitude croissante. Or, l'heure est grave. Avec la démission acceptée d'Yves Leterme, il n'y a plus de pilote en Belgique. Pas de budget pour 2009. Pas de réaction possible en cas de nouvelle déconvenue bancaire. Pas de plan de relance activé. Pas de projet, pas de vision…
Est-ce trop demander aux partis de renoncer à leurs vues à court terme ? Trop exiger du CD&V de renouer avec la raison d'État ? Trop espérer d'attendre enfin une politique à la mesure de l'enjeu ? Dans d'autres démocraties, vivantes, la population serait déjà descendue dans la rue pour manifester. Ici, on se prépare à passer à table. Et on se tait… Comme si notre système était mort.
Joyeux Noël ?

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