mercredi 29 avril 2009

PROUDHON, PERE DE L'ANARCHISME ? ?

Pierre-Joseph Proudhon, le père de l'anarchisme ?
Proudhon Pierre Joseph, fils d'un tonnelier et d'une cuisinière, il naît à Besançon en 1809 sous le règne de Napoléon 1er . De tous les théoriciens socialistes du XIXe siècle, il est le seul à être d'origine populaire. Il mourra à Paris, en 1865, quelques années avant la Commune. En 1820, une bourse lui permet de faire des études au collège de Besançon. Seul pauvre parmi les riches, les vexations sont courantes, ce qui ne l'empêche pas de remporter de nombreux prix d'excellence. A 17 ans, il devient ouvrier typographe pour aider financièrement ses parents. Il profite de son métier et de ses loisirs pour faire des études de philologie en comparant les versions grecques, hébraïques, latines et françaises de la Bible et rédige un ouvrage sur les " Catégories grammaticales " -qu'il reniera par la suite- qui attire l'attention de certains membres de l'Académie de Besançon.En 1838, celle-ci lui attribue une bourse qui lui permet, à 29 ans, de passer son baccalauréat et de poursuivre des études supérieures. En 1839, Proudhon fait paraître son premier ouvrage connu, " De la célébration du dimanche " puis, l'année suivante, " Qu'est-ce que la propriété ?" Sa fameuse formule " La propriété, c'est le vol " le rend célèbre dans le monde entier mais décide l'Académie à lui retirer sa bourse en raison des polémiques suscitées.
Ce premier mémoire sur la propriété sera suivi de deux autres qui le conduiront devant la cour d'assises. Le jury, se déclarant incompétent pour juger de questions "scientifiques", l'acquitte. La propriété pour Proudhon est avant tout la possibilité qu'à celui qui détient un capital d'acheter (dans le cas de l'esclavagisme) ou de louer (dans le cas du fermage ou du salariat) des êtres humains. La propriété, c'est " l'exploitations de l'homme par l'homme ". Le prolétariat n'étant pas "un Dieu qu'il faut adorer mais un mal qu'il faut détruire", Proudhon se prononce pour la propriété des moyens de production par les travailleurs eux-mêmes. Il se pose ainsi comme père de l'autogestion ou, pour employer sa terminologie dans " Les Confessions d'un révolutionnaire ", de la gestion directe.D'autre part, Proudhon développe ce qui deviendra l'un des concepts fondamentaux de sa sociologie, celui des forces collectives, irréductibles aux forces individuelles. L'organisation sociale qu'il faut, non pas inventer, mais découvrir dans la société elle-même, devra respecter cette pluralité des individus comme des collectivités. La situation matérielle de Proudhon est plus que précaire. Il devient "fondé de pouvoir" d'une entreprise de péniches que viennent de créer à Lyon des anciens amis de collège. Résidant souvent à Paris, il rencontre de nombreux intellectuels français, allemands et russes, en particulier Grün, Bakounine, Herzen et Marx. Ce dernier désirait que Proudhon soit le représentant français d'un organisme de propagande internationale qu'il essayait de mettre sur pied. Le refus de Proudhon sera à l'origine d'une haine que Marx conservera jusqu'à sa mort et qui le conduira à publier des écrits injustes, calomnieux, injurieux et d'une mauvaise foi extrême. Proudhon publie alors deux ouvrages importants "La création de l'ordre" en 1843 et les "Contradictions économiques" (où " Philosophie de la misère ") en 1846 dans lesquels il définit sa dialectique, rejette tout à la fois le spiritualisme et le matérialisme et cherche une méthode d'analyse qui permettrait d'appréhender la diversité sociale dans tous ses détails. Il reproche, entre autres, à l'économie politique classique, d'ignorer qu'elle n'est qu'une partie de la science sociale, c'est-à-dire qu'elle n'est possible que comme sociologie. En 1847, Proudhon décide de quitter son poste à Lyon pour devenir journaliste. Après bien des déboires, il réussit à fonder un quotidien, "Le Peuple", qui deviendra "Le Représentant du peuple", puis "La Voix du peuple" et, à nouveau, "Le Peuple" suite aux divers procès et interdictions successifs.
Février 1848, la monarchie est à nouveau mise à bas. La République est proclamée. Aux élections du 8 juin 1848, Proudhon est élu député.Il incarne l'extrême-gauche de la révolution de février. Il critique violemment les décrets du gouvernement provisoire -en particulier ceux relatifs à la création d'ateliers nationaux- et nie sa compétence révolutionnaire. La grande majorité de ses collègues le regarde avec hostilité. Fin juin, le peuple de Paris se lève contre ce gouvernement qu'il a mis en place et qui s'avère incapable d'améliorer la situation sociale.La répression des républicains est féroce. Proudhon n'a pas souhaité cette insurrection car, se réalisant sans " idée générale ", elle ne pouvait déboucher sur une révolution.Lors des journées sanglantes, il est néanmoins le seul, à l'Assemblée, à prendre fait et cause pour les insurgés. Son discours de juillet 1848 réclame tout d'abord clémence et aide aux travailleurs parisiens. Suite au rejet des députés, il oppose alors le prolétariat à la bourgeoisie. Proudhon affirme que le premier instaurera un ordre nouveau et procédera à une "liquidation" en se passant des moyens légaux. La guerre de classes entrait pour la première fois dans l'enceinte sacrée, l'Assemblée lui inflige un blâme motivé, à l'unanimité moins deux voix: la sienne et celle d'un canut lyonnais. Lorsque Louis-Napoléon Bonaparte est élu président de la République, en décembre 1848, Proudhon se déchaîne. Ses articles sont si violents et insultants qu'il est condamné à trois ans de prison dès mars 1849 et ne seront pas reproduits dans les " Mélanges (articles de journaux 1848-1852 par P.-J. Proudhon) " en 1868. Entre-temps, il avait essayé de créer une Banque du peuple dont le but était d'instaurer le crédit gratuit afin que les prolétaires parviennent à leur indépendance vis-à-vis des propriétaires. La prison mettra fin à l'expérience. Incarcéré, il écrit " Les Confessions d'un révolutionnaire " et " idée générale de la révolution ", deux ouvrages dans lesquels il développe ses positions antiétatistes et anticommunistes, "gouvernement de l'homme par l'homme". Libéré en juin 1852, Proudhon est de nouveau condamné à trois ans de prison, dès la parution, en 1858, de son "De la justice dans la Révolution et dans l'Eglise", ouvrage fondamental dans lequel il résume l'ensemble de ses premières recherches à travers un combat général contre la religion et, plus généralement, contre tout mysticisme, " adoration de l'homme par l'homme ". Il s'exile en Belgique où il restera jusqu'en 1862. Le fédéralisme s'impose de plus en plus à lui comme solution révolutionnaire d'organisation des sociétés. Cette idée s'oppose tout à la fois aux régimes en place et aux positions de la gauche qui combat alors pour l'unification de l'Italie ou la reconstruction d'un Etat polonais. La maladie l'empêchera de totalement développer ses conceptions. C'est néanmoins en puisant dans " La Guerre et la paix " et " Du principe fédératif " que les théoriciens du mouvement anarchiste qui succéderont à Proudhon élaboreront une théorie fédéraliste libertaire. La dernière année de sa vie sera consacrée à sa " Capacité politiques des classes ouvrières " qui deviendra le catéchisme du mouvement ouvrier français. Sévère réplique à un groupe de proudhoniens modérés qui souhaitait présenter des candidatures ouvrières indépendantes aux élections, Proudhon en préconise le boycottage et prêche une pratique de séparation absolue.
Père de l'anarchisme, de l'autogestion, de la dialectique moderne, du fédéralisme intégral, de la sociologie... Proudhon est indéniablement le penseur français le plus important du XIXe siècle.Mais, inlassable agitateur d'idées, pourfendeur de tout dogmatisme, de tout a priori, son nom laisse une odeur de souffre au nez des bien-pensants de tous bords qui s'attachent à ce que son oeuvre demeure méconnue.

http://increvablesanarchistes.org/articles/biographies/proudhon_pj.htm

mardi 28 avril 2009

ADIEU DIEGO, ANARCHISTE ESPAGNOL.

26/04/2009
Adieu Diego, anarchiste espagnol

Abel Paz est mort au début avril à Barcelone. Paz, dont le vrai nom était Diego Camacho, était connu pour quelques livres à la gloire des anarchistes espagnols dont il était et surtout pour sa biographie de Buenaventura Durruti, le leader de légende des Nosotros, le groupe des noirs et rouges le plus actif des années 30 et le premier chef du front d'Aragon, tué à Madrid en novembre 1936... Abel Paz avait 88 ans ou à peu près.
Et il avait été le héros d'un beau documentaire de Frédéric Goldbronn, Diego, qui sera présenté le 29 mai aux Ateliers Varan à Paris lors d'une soirée hommage avec Jean-Louis Comolli et bien d'autres personnes qui ont connu le dit Diego.
En hommage à ce bonhomme éruptif et attachant, héros de cinéma et auteur d'un livre légendaire, je joins à ce post un article que j'avais écrit il y a huit ans pour Libération. Voici:
Samedi 3 mars 2001, à Gérone, la section locale de la CNT, Confédération nationale du Travail organise un débat avec Abel Paz sur l'anarchisme. La réunion a lieu Carrer Rutlla dans un joli local de plain-pied, de style années 30, squatté par les libertaires du cru et surmonté d'un timide drapeau noir. A six heures et demie les participants au débat évacuent le café d'en face, le bar Pencil. Ils sont dix-neuf, pratiquement tous ont entre vingt et trente ans, quelques-uns les oreilles percées de nombreux anneaux, une punk, deux garçons aux cheveux très longs, deux autres aux cheveux très courts, tous le visage sympathique. Mais cela ne fait pas grand monde en face d'Abel Paz, le biographe de Durruti.

Pour présenter le bonhomme, le vieux lutteur de 80 ans, qui fume ses cigarettes brunes à la chaîne dans son coin, pour présenter aussi l'histoire du mouvement, pour faire revivre pendant cinquante minutes la CNT-FAI de 1936, l'animateur a choisi de passer un film du français Frédéric Goldbronn: Diego, qui s'intitule ainsi parce que le véritable nom d'Abel Paz est Diego Camacho.Ce très beau film très simple commence par une histoire que raconte Diego avec sa voix cassée d'Espagnol gros fumeur.
A la sortie de la prison en 1953, où il a passé de longues années, il va voir sa mère à Barcelone et l'emmène à Sitges, station balnéaire, proche de la capitale catalane. Il lui paie un week-end à l'hôtel, le premier de la vie de cette femme qui a toujours été pauvre, a fait des ménages, a élevé cinq fils dont quatre ont été tués. Diego se souvient de ces jours passés au bord de mer sous le soleil avec sa mère, de la surprise de celle-ci quand on a voulu lui servir le café au lit.
Paz dans le film raconte aussi comment seize ans plus tôt, sa vie du jeune homme né en 1921 à Almeria a changé. C'était le 18 juillet 1936. L'armée du Maroc vient de se soulever contre le gouvernement de front populaire. Tout le monde attend que les casernes de l'Espagne entière se rallient à ce pronunciamento. A Barcelone, sur la place Jaume 1er, celle où la mairie fait face au palais de la Generalitat, le gouvernement de Catalogne, Diego, jeune apprenti, manifeste avec des milliers d'autres anarcosyndicalistes. Ils réclament des armes pour se défendre contre le coup fasciste. On ne leur concède que de vagues promesses. Alors certains prennent les armureries d'assaut. D'autres allègent des gardes de nuit de leur pistolet. Et le 19 au matin, quand les troupes du général Goded sortent de la caserne de Pedralbes pour investir la ville au nom des généraux Franco, Mola, Sanjurjo, ils ont devant eux une foule très mal armée mais très en colère et décidée à en découdre. Sur les toits des tireurs canardent les uniformes à l'aide de fusils de chasse. L'élan est spontané. Il est ensuite canalisé par des meneurs de la Confédération nationale du travail, la grande centrale anarcosyndicaliste.

S'illustrent alors Francisco Ascaso (à droite), qui perdra la vie dans la journée en attaquant une caserne, Juan Garcia Oliver, qui va devenir le patron des milices de Catalogne et Buenaventura Durruti, le plus célèbre des combattants anarchistes (à gauche). "Trois secondes suffisent parfois à donner un sens à une vie, là ce furent presque trois jours qui m'ont marqué à jamais comme ils ont marqué des centaines de milliers d'autres personnes." explique Abel Paz. Le général Goded se rend. Barcelone est aux mains des ouvriers en armes. Il y aura évidemment des excès, des églises seront brulées, mais surtout la ville va apprendre la fraternité. Les barricades se fédèrent. "Toutes n'étaient pas stratégiques, mais elles étaient importantes car elles demandent la participation de chacun. Ce fut de nouveau comme cela au Quartier latin en mai 68." Dans un livre il a qualifié les barricades de drapeaux de pavé.Elles ne seront abandonnées que pour permettre aux combattants de partir vers le front d'Aragon. Ils s'en iront avec le sourire, la fleur au fusil, avec un armement peu adapté derrière Buenaventura Durruti. "J'ai demandé à partir moi aussi, mais on m'a refusé cet honneur. Tu n'es pas en âge de mourir m'a t-on dit. Tu es en âge de construire l'avenir..."Et à Barcelone cet avenir se construit avec ferveur. Les transports publics sont remis en marche sans intervention d'une quelconque direction. "Nous n'avions besoin d'aucun patron et nous le montrions, nous en étions particulièrement fiers." De nombreuses entreprises sont collectivisées. Paz-Camacho se souvient de l'ambiance incroyable qui régnait alors à Barcelone. Et dont Orwell devait lui aussi témoigner dans Hommage à la Catalogne: "L'aspect saisissant de Barcelone dépassait toute attente. C'était bien la première fois dans ma vie que je me trouvais dans une ville où la classe ouvrière était en selle... Tout cela était étrange et émouvant...il y avait là un état de choses qui m'apparut sur le champ comme valant la peine qu'on se battit pour lui..."
Pour être à la hauteur de ces rêves qui semblent devenir réalité, Camacho et quelques copains créent une association, celle des Don Quichotte de l'idéal.Bientôt sous la pression des Staliniens, ce Barcelone des coopératives et l'Aragon des collectivités paysannes ne seront plus qu'un souvenir. En mai 1937, la tension entre communistes et cénétistes est telle qu'une guerre civile dans la guerre civile éclate dans la capitale catalane. Barricades de nouveau. "J'avais un fusil mais je n'aurais pu tuer personne. J'ai tiré en l'air." Les camarades de la Pasionaria n'auront pas ces états d'âme. Ils se débarrasseront des alliés des anarchistes, les Poumistes (du POUM, Parti ouvrier d'unification marxiste, organisation léniniste anti-stalinienne), assassineront Andreu Nin, leur dirigeant le plus célèbre. Ils bordureront ensuite tellement les anarchistes que leur rêve deviendra cauchemar. La défaite viendra bientôt pousser un camp révolutionnaire épuisé vers l'exil ou la mort.
En 1939, Abel Paz et quelques amis passent les Pyrénées et se retrouvent dans un camp de prisonniers, à Bram. C'est sur cette période que se termine le film de Frédéric Goldbronn.
Mais la vie de Paz a bien sûr continué. Il a repris la lutte, connu les prisons franquistes où il a lu beaucoup et qui furent un peu ses universités. Puis ce fut l'exil de nouveau. En 1960, écrit-il plus tard, "je fus admis dans un sanatorium pour suivre un traitement, à cause d'une vieille lésion pulmonaire contactée lors de mes longues années de prison... dans le sanatorium, il y avait une excellente bibliothèque... La lecture m'avait toujours passionné... J'ai notamment lu tous les livres que comptaient la bibliothèque sur l'histoire de l'Espagne et plus particulièrement ceux à propos de la guerre civile. Je pus ainsi vérifier que l'unique version offerte au lecteur, de notre guerre, était la version stalinienne." Une camarade à qui il se confie lui explique "que l'absence de livres contredisant la version stalinienne de la guerre d'Espagne était due à la pression des intellectuels proches ou membres du parti communiste sur les maisons d'édition".Paz veut écrire alors l'histoire sous l'angle anarchiste, son amie lui conseille de plutôt travailler sur la biographie de Buenaventura Durruti."A cause du rôle que celui-ci avait joué dans l'histoire sociale de l'Espagne. Je suivis son conseil et à partir de ce moment je travaillai d'arrache-pied sur le sujet. Bien m'en prit de me hâter, car cela me permit de contacter des personnes très âgées, mortes depuis, lesquelles auraient emporté les secrets de leurs vies, clandestines la plupart du temps, dans leurs tombes."
Pour écrire ce livre, Paz contacta des témoins au Mexique, à Cuba, au Pérou, en Argentine, en Uruguay, au Chili, en Allemagne, en Belgique, en Suède, en France et en Espagne. Le livre parut en 1972 chez un tout petit éditeur.
Après le film, on a allumé la lumière. Les jeunes ont posé des questions. Pas sur le passé illustre de la CNT, quand la confédération comptait des centaines de milliers de militants, 180 000 rien qu'à Barcelone en 1936. Aujourd'hui c'est un vieux souvenir. A Gérone, les dix-neuf présents en sont parfaitement conscients. Même trop. "Que peut on faire? Les gens ne pensent qu'à rentrer chez eux, regarder la télévision. Ils ne discutent pas, n'écoutent pas ce que nous avons à leur dire. Ils sont esclaves mais aussi complices de leur esclavage", dit l'un. "Et les ouvriers sont racistes", dit un autre, assis sous une affiche qui proclame la solidarité des jeunes Catalans avec les sans-papiers.Eteignant un clope pour en allumer un autre, Abel Paz ne dira pas "de mon temps". Il sait combien l'époque a changé, et il veut redonner du cœur au ventre à ces petits. "Quand vous allez au café, quand vous rencontrez des gens vous voyez bien qu'ils sont malheureux. Et vous savez bien aussi qu'ils le savent. Vous voyez bien que ce qui manque aujourd'hui entre les gens c'est la communication. C'est à vous de la rétablir. Quand les gens échangeront de nouveau sur leur vie, ils n'accepteront plus leur sort. Il faut discuter avec les gens, sans acrimonie, avec modestie. Rétablir la communication c'est important. Moi à Barcelone, quand je vais au bistrot, je m'assieds presque toujours à la table où il y a quelqu'un qui déjeune seul. Le serveur peut tiquer. S'il demande à la personne que je rejoins son avis, elle est toujours d'accord. Rompre la solitude des gens c'est déjà beaucoup. Parler de tout et de rien avec eux, c'est énorme.Les jeunes libertaires présents écoutent avec étonnement ce grand-père leur donner quelques leçons de vie. Ils se mettent à discuter entre eux. "On est trop dans la proclamation. Crier vive l'anarchie! comme cela, sans rien d'autre, c'est idiot. Il faut mettre des contenus concrets dans le slogan", dit l'un qui continue: "il faut cesser de seulement dénigrer, il faut proposer des choses."Un type chevelu lui répond: "il faut quand même critiquer la société dans laquelle on vit. On ne peut pas laisser dire n'importe quoi." Un autre explique. Dans mon village on est trois maçons, il y a deux céramistes, un charpentier. Il faudrait qu'on se constitue en coopérative. On se paierait pareil. Ce serait les semences d'une société débarrassée du capital.Abel Paz demande aux jeunes si ils lisent, si ils lisent assez. La réponse de certains est négative.
"Je me demande comment on peut vivre sans livres. Comment on peut réfléchir sans dévorer des livres, des romans, des enquêtes, des livres d'histoire ou de philosophie. Tout est bon. Organiser un atelier de lecture avec discussion de certaines pages. Le sens critique est ce qui manque le plus en Espagne aujourd'hui. De tenter de le rétablir, c'est un acte révolutionnaire", dit il avant de s'allumer une autre cigarette.
Quatre jours plus tard, en fin de matinée, Abel Paz fumait encore un de ses ducados achetés dans un tabac du quartier de Gracia, son quartier. Dans son petit appartement d'un premier étage de la carrer Verdi aux murs recouverts d'affiches, catalanes, anarchistes, et de bibliothèques rustiques parfois boiteuses mais toujours surchargées de bouquins, il évoque la politique de la République au Maroc, le sujet de son dernier livre paru. La cuestion de Marruecos y la Republica espanola raconte en effet un épisode peu connu de la guerre d'Espagne dont les conséquences auraient pu être majeures:Dès juillet 36, la CNT avait l'intention de permettre aux Marocains de la zone espagnole (Ceuta, Mellilla, une partie du Rif) de déclarer leur indépendance. Cette initiative aurait eu le triple avantage: un, d'ouvrir un front à l'arrière des troupes franquistes ; deux, de les priver de leurs régiments de soldats maures et surtout de répandre le bon exemple, celui de la décolonisation en Afrique. Ce qu'Aurelio Fernandez, un des cénetistes chargés à l'époque de négocier ce nouveau cours, qualifiait vingt-cinq ans plus tard de "blessure mortelle infligée aux puissances colonisatrices" fut acceptée par le pouvoir catalan, dominé il est vrai par les anarcho-syndicalistes. Mais fut rejeté par les gouvernements de Madrid et plus
personnellement par Largo Caballero (à droite)."Objectivement le gouvernement républicain se fit complice des franquistes" dit Paz. "Et encore, Franco fut plus intelligent que les républicains. Dès qu'il comprit ce qui se tramait, il s'empressa de permettre aux élites marocaines de publier un journal en arabe, le premier jamais autorisé dans ces colonies. Et comme le Comité d'action marocain était des plus timorés, et qu'il avait compris qu'il fallait mieux collaborer avec ce camp qui savait ce qu'il voulait, cela lui suffit. Le gouvernement dirigé par les socialistes avait eu l'occasion, il l'avait laissé passer."D'après Paz, les anarchistes étaient conscients de ce qui se pouvait se jouer là-bas. Ils se méfiaient depuis toujours de la France et de l'Italie. De ces classes ouvrières qui s'étaient laissés traitées en mineures par des partis marxistes. La stratégie des anarchistes espagnols était plus orientée vers l'Afrique du nord, vers Tetouan, Mellilla. Dès 1931, dès l'instauration de la république, la CNT avait facilité l'entrée des Maures dans les syndicats, en se battant sur le mot d'ordre à travail égal salaire égal entre immigrés et espagnols. "La France n'était pas d'accord avec cette indépendance du Maroc. Elle avait peur que la liberté laissée au Maroc espagnol s'étende à son Maroc à elle puis à l'Algérie. Les Anglais avaient peur eux que les Palestiniens s'enhardissent. Tous ils ont fait pression sur Largo Caballero, qui a donc commencé par refuser les propositions de la CNT."Abel Paz élargit le propos. "Il faut quand même se souvenir que si Franco et ses amis se sont soulevés ce n'est pas parce qu'ils redoutaient ou détestaient la République. Il y avait parmi eux pas mal de républicains. C'est pour écraser un mouvement révolutionnaire qu'ils ont pris les armes. Et sur cette question ils avaient l'accord de beaucoup de monde pas seulement des nazis et des fascistes. Toutes les bourgeoisies du monde étaient contre la révolution en Espagne. L'avion rapide que Franco a pris des Canaries pour rejoindre ses troupes, c'est un avion anglais, que les Anglais ont livré."Il faut reprendre l'histoire de la guerre d'Espagne à zéro, raconte encore Paz, en rompant avec la vision qu'ont imposée les gens de la gauche modérée et les staliniens. En oubliant tout ce qui existait avant la guerre d'Espagne, en calquant des problématiques issues de la Deuxième Guerre mondiale sur un confit qui était d'une autre espèce." "Que ce se serait-il passé si le prolétariat français avait maintenu ses exigences, s'il n'avait pas abandonné ses occupations du printemps 36 ?" "Tout aurait sans doute changé. Même en URSS. Si Staline a frappé si fort cette année là, dans les fameux procès de Moscou c'est qu'il a senti le vent du boulet de la révolution passer très près." "En Espagne, le système libéral avait failli et la question était Revolution ou Fascisme. Après la défaite, un chapitre de l'histoire du monde est définitivement clos. Un autre chapitre s'ouvre."Quand on lui pose une question sur le manque de mémoire historique des Espagnols, Paz répond que quarante ans de fascisme laissent obligatoirement des traces. "La peur a longtemps été la compagne quotidienne des gens ici. Et ils la ressentent encore. Même les gosses de 18 ans qui n'ont rien connu de tout cela, ont hérité de ce patrimoine. Du coup les gens ne veulent plus rien savoir de leur passé et c'est tragique. Car sans passé il n'y a pas d'issue au présent."Il raconte comment il y a peu de temps, les socialistes ont présenté une loi pour la réhabilitation des maquisards anti-franquistes et comment cette demande fut refusée par la majorité du Parti Populaire, le parti d'Aznar qui, au contraire, a célébré la mémoire d'un chef de la police du pays basque tué en 1967, sous Franco. "Nous vivons encore dans l'esprit du franquisme", conclut Paz. "C'est d'ailleurs normal, puisque ceux qui nous dirigent aujourd'hui sont les enfants des vainqueurs de 1939 avec de l'argent en plus."Tirant sur sa cigarette, le regard baissé dans on ne sait quelle remémoration du passé, le vieil homme ajoute: "Certains jeunes d'aujourd'hui peuvent se dire anarchistes, essayer de réssusciter la CNT, ce n'est plus pareil. Il n'y a plus de presence anarchiste en Espagne. En 1977, un an après le rétablissement d'un certain nombre de libertés démocratiques en Espagne, la Confédération a organisé un grand rassemblement à Montjuic. il y avait 400 000 personnes. J'ai alors dit à Abad Santillan (dirigeant historique de la CNT, à droite): "Mes enfants c'est le moment de nous dissoudre, cela fera au moins un enterrement de première classe." "Personne n'a compris ce que je disais. Et pourtant il était facile de comprendre que la CNT était morte en Espagne. Au moins si nous l'avions dissoute ce jour-là, c'eut été un coup surréaliste.""Aujourd'hui les gens ne veulent pas entrer dans une organisation. Ils ne veulent pas dépendre de décisions prises par d'autres. Même la forme fédérative des anarchistes leur semble trop lourde. Et sans doute ont-ils raison. La crise des organisations qui touche aussi l'Etat est une crise essentielle. Et pourtant il existe un courant de pensée libertaire, fort notamment chez les intellectuels, mais il n'a rien à voir avec la CNT aujourd'hui."Rue Verdi, pas loin de chez Paz, il y a une belle bodega avec des grands tonneaux vernis et des petites tables de bois, un petit local sympathique où l'ancien apprenti insurgé de juillet 1936 aime de temps en temps boire un verre. Parfois il se sent un peu seul. "Je n'ai plus d'amis par ici. Il n'y a plus que mon frère qui habite par là."
EDOUARD WAINTROP
Abel Paz, La cuestion de Marruecos y la republica espanola, fundacion de estudios libertarios Anselmo Lorenzo.Abel Paz, Buenaventurra Durruti 1896-1936, Les éditions de paris, Max Chaleil, 500 pages, 148F

Rédigé le 26/04/2009 à 09:28 dans le cinéma des anarchistes

http://cinoque.blogs.liberation.fr/waintrop/2009/04/diego-est-mort.html

dimanche 26 avril 2009

LA VIE PRIVEE, UN PROBLEME DE VIEUX CONS ?

DEBAT.

La vie privée, un problème de vieux cons ?
InternetActu 17.03.09 16h29 • Mis à jour le 20.03.09 08h45

Il faudrait donc en finir avec l’idée de la vie privée, ne serait-ce que parce que le droit à la vie privée, tout comme les mesures techniques de protection (DRM, censées brider l’utilisation faite de tels ou tels fichiers), ne sont jamais que des tentatives, vaines, d’enrayer la libre circulation et le partage des données.
“Si nous croyons en l’individu, si nous croyons que nous nous définissons essentiellement par les réponses que nous recevons de notre environnement et des gens qui nous entourent, alors l’intimité est une illusion qui n’est pas nécessaire.
Il faut repenser ce qu’est un être humain ! Pouvons-nous dépasser l’idée obsolète que représente la vie privée, la sphère privée, et prendre le risque d’essayer de vivre avec l’idée que la vie privée n’existe plus ? Certains en souffriront, d’autres iront également en prison, mais c’est peut-être le prix à payer pour bâtir un nouveau siècle des Lumières.”
Mais peut-on bâtir un nouveau Siècle des Lumières en partant du postulat que “certains en souffriront, et que d’autres iront également en prison” ? Et si la vie privée n’existe plus, que met-on en place pour lui succéder (sans forcément la remplacer) ? Et comment concilier les libertés inhérentes à nos démocraties avec le placement systématique sous surveillance de leurs citoyens de façons que ne renieraient pas les régimes totalitaires ?
La vie privée est la première des libertés
La réponse à toutes ces questions est peut-être à chercher du côté de ce que nous apportent, effectivement, les technologies de l’information en terme de libertés. La révolution sexuelle n’a pas fait de l’échangisme ni des orgies le B-A.BA de la sexualité, mais a permis de décomplexer, et libérer, le rapport à la sexualité. De même, ceux qui revendiquent la libre circulation de leurs données personnelles ont déjà commencé à désinhiber, et décomplexer, tout ou partie de la façon dont nous protégeons notre identité. Mais cela ne se fait pas sans stratégies ni valeurs de remplacement.
Tous ceux qui se sont penchés sur la notion d’identité numérique constatent que ceux qui passent une bonne partie de leurs vies sociales sur l’internet ont appris à en maîtriser les outils, à mettre en avant leurs compétences, qu’elles soient professionnelles ou non, leurs passions et expertises, et savent plus ou moins bien protéger ce qui relève à proprement parler de leur vie privée.
Ainsi, le journaliste de Mediapart qui, pour rebondir sur le désormais célèbre portrait Google d’un internaute lambda, publié par Le Tigre, avait décidé de me tirer le portrait, n’a pas trouvé grand chose d’attentatoire à ma vie privée (voir Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur moi mais que vous aviez la flemme d’aller chercher sur l’internet…). L’identité numérique est un processus, une construction, qu’il faut donc apprendre à maîtriser. Encore faut-il en avoir le droit, et la possibilité.
En conclusion de son article, Antoinette Rouvroy rappelle que la vie privée n’est pas “un droit fondamental parmi d’autres, elle est la condition nécessaire à l’exercice des autres droits et libertés fondamentaux” et que “le droit à la protection de la vie privée joue notamment le rôle d’un “système immunitaire de l’espace psychique”“.
La liberté d’opinion (de pensée plus d’expression), la liberté de circulation, et de réunion, les libertés politiques, syndicales et de culte, ne peuvent être exercée dès lors que l’on n’a plus le droit à la vie privée.
Et autant je doute que les marchands de données personnelles non plus que les partisans des logiques sécuritaires soient à même d’initier un mouvement d’émancipation similaire à la révolution sexuelle, ou au siècle des Lumières, autant il est effectivement fort possible que le processus d’émancipation, de partage et de libération de nos savoirs et compétences, tel qu’on le voit à l’oeuvre sur l’Internet, dessine effectivement les prémices d’un “nouveau monde“, moins hiérarchisé, moins contrôlé “par en haut“, et donc forcément plus démocratique et “par le bas“.
Comme l’écrivait également Daniel Kaplan dans son éditorial précité, “Et si, à l’époque des réseaux, l’enjeu était de passer d’une approche de la vie privée conçue comme une sorte de village gaulois – entouré de prédateurs, bien protégé, mais qui n’envisage pas de déborder de ses propres frontières – à la tête de pont, que l’on défend certes, mais qui sert d’abord à se projeter vers l’avant ? Il n’y aurait pas alors de “paradoxe”, mais un changement profond du paysage, des pratiques, des aspirations.
Voir aussi les travaux (en cours) d’un groupe de travail “Informatique & libertés 2.0 ?“, réuni dans le cadre du programme "Identités actives" de la Fing.



Le chapitre intitulé “Little Brother is watching you” du recueil sur La sécurité de l’individu numérisé revient ainsi sur le débat qui a suivi la mise en ligne des salaires et déclarations fiscales des Suédois :
“Nous avons conclu que la qualité des informations est aussi reliée à la qualité de la lecture. Le fait de rendre accessible à tous des informations personnelles sans une vérification raisonnable de la qualité est dangereux : des individus peuvent être mal représentés et il n’existe pas d’assurance que les récepteurs de la (dés)information soient suffisamment compétents pour effectuer des jugements judicieux.”
De même que le naturisme n’est pas une incitation au voyeurisme, mais une liberté que certains, dans des espaces-temps bien précis (chez eux ou dans des “clubs” prévus à cet effet essentiellement), font le choix de vivre et d’assumer, et que l’on ne saurait contraindre tout un chacun à vivre nu, en tout lieu et tout le temps, la transparence devrait rester un droit, une possibilité, pas une obligation, encore moins une contrainte. C’est non seulement une atteinte à l’intimité, mais cela peut aussi être vécu comme une provocation par ceux qui se contentent de regarder, et une humiliation par ceux qui se retrouvent ainsi “mis à nu” par des étrangers.
Pour en finir avec la vie privée ?
Bill Thompson, célèbre éditorialiste spécialisé dans les technologies à la BBC, avançait récemment à la conférence Lift qu’on pourrait tirer partie de la fin de la vie privée qu’annoncent les sites sociaux et notre “société de bases de données“, et repenser ce que nous entendons par “personnalité“, ainsi que les frontières de ce qui relève du public, et du privé :
“Ceux qui n’hésitent pas à adopter, et utiliser, les technologies qui minent l’ancien modèle de vie privée ont énormément à apprendre à ceux qui craignent de voir leurs mouvements, habitudes alimentaires, amitiés et manière de consommer les médias être accessibles à tous.
Les utilisateurs de Twitter, Tumblr et autres outils de réseaux sociaux partagent plus de données, avec plus de gens, que le FBI de Hoover, ou la Stasi, n’auraient jamais pu en rêver. Et nous le faisons de notre propre chef, espérant pouvoir en bénéficier de toutes sortes de manières.”
Les détectives privés, récemment réunis en congrès, semblent du même avis, et semblent largement profiter de ce naturisme numérique : “Facebook est très efficace, bien plus utile que les fichiers policiers comme Edvige. La Cnil ne nous met pas des bâtons dans les roues. Les gens racontent toute leur vie en détail. Et le plus fou : les informations sont exactes, la plupart ne mentent même pas.”
A ceci près que, comme le soulignait Daniel Kaplan, “Edvige stocke par principe de soupçon, sans nous demander notre avis ; les individus en réseau font des mêmes informations “sensibles” (et de bien d’autres qui le sont souvent moins) un usage stratégique, pour se construire eux-mêmes dans la relation aux autres, pour apparaître au monde sous un jour qu’ils auront au moins partiellement choisi. Du point de vue qui compte, celui des individus, de leur liberté et de leur autonomie, tout oppose donc les deux démarches !”
La comparaison faite entre Edvige et Facebook a ceci de facile et démagogique qu’elle vise, non seulement à justifier un fichage policier, sinon illégal et amoral, tout du moins problématique d’un point de vue démocratique, mais aussi parce qu’elle justifie également toutes sortes de dérives. De même que le port d’une mini-jupe ou le fait de bronzer les seins nus ne sont pas des incitations au viol, l’exposition ou l’affirmation de soi sur les réseaux ne saurait justifier l’espionnage ni les atteintes à la vie privée.
Bill Thompson ne se contente pas de constater ce changement de statut de la vie privée. Pour lui, il devrait aussi constituer l’un des postulats d’un nouveau Siècle des Lumières, numérique, à bâtir. Il estime en effet que nos sociétés sont fondées sur des croyances à propos de l’intimité (et de la propriété) héritées des Lumières, mais qui seraient devenues obsolètes à l’heure où nos vies deviennent de plus en plus transparentes.
Pour lui, le droit à la vie privée repose également sur le fait qu’il est techniquement impossible de surveiller tout le monde, tout le temps. La technologie évoluant, Thompson prédit que, d’ici quelques années, nous serons tous sur écoute, par défaut, et que les autorités policières et administratives disposeront probablement d’un accès direct à toutes les données nous concernant.
Il faudrait donc en finir avec l’idée de la vie privée, ne serait-ce que parce que le droit à la vie privée, tout comme les mesures techniques de protection (DRM, censées brider l’utilisation faite de tels ou tels fichiers), ne sont jamais que des tentatives, vaines, d’enrayer la libre circulation et le partage des données.
“Si nous croyons en l’individu, si nous croyons que nous nous définissons essentiellement par les réponses que nous recevons de notre environnement et des gens qui nous entourent, alors l’intimité est une illusion qui n’est pas nécessaire.
Il faut repenser ce qu’est un être humain ! Pouvons-nous dépasser l’idée obsolète que représente la vie privée, la sphère privée, et prendre le risque d’essayer de vivre avec l’idée que la vie privée n’existe plus ? Certains en souffriront, d’autres iront également en prison, mais c’est peut-être le prix à payer pour bâtir un nouveau siècle des Lumières.”
Mais peut-on bâtir un nouveau Siècle des Lumières en partant du postulat que “certains en souffriront, et que d’autres iront également en prison” ? Et si la vie privée n’existe plus, que met-on en place pour lui succéder (sans forcément la remplacer) ? Et comment concilier les libertés inhérentes à nos démocraties avec le placement systématique sous surveillance de leurs citoyens de façons que ne renieraient pas les régimes totalitaires ?
La vie privée est la première des libertés
La réponse à toutes ces questions est peut-être à chercher du côté de ce que nous apportent, effectivement, les technologies de l’information en terme de libertés. La révolution sexuelle n’a pas fait de l’échangisme ni des orgies le B-A.BA de la sexualité, mais a permis de décomplexer, et libérer, le rapport à la sexualité. De même, ceux qui revendiquent la libre circulation de leurs données personnelles ont déjà commencé à désinhiber, et décomplexer, tout ou partie de la façon dont nous protégeons notre identité. Mais cela ne se fait pas sans stratégies ni valeurs de remplacement.
Tous ceux qui se sont penchés sur la notion d’identité numérique constatent que ceux qui passent une bonne partie de leurs vies sociales sur l’internet ont appris à en maîtriser les outils, à mettre en avant leurs compétences, qu’elles soient professionnelles ou non, leurs passions et expertises, et savent plus ou moins bien protéger ce qui relève à proprement parler de leur vie privée.
Ainsi, le journaliste de Mediapart qui, pour rebondir sur le désormais célèbre portrait Google d’un internaute lambda, publié par Le Tigre, avait décidé de me tirer le portrait, n’a pas trouvé grand chose d’attentatoire à ma vie privée (voir Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur moi mais que vous aviez la flemme d’aller chercher sur l’internet…). L’identité numérique est un processus, une construction, qu’il faut donc apprendre à maîtriser. Encore faut-il en avoir le droit, et la possibilité.
En conclusion de son article, Antoinette Rouvroy rappelle que la vie privée n’est pas “un droit fondamental parmi d’autres, elle est la condition nécessaire à l’exercice des autres droits et libertés fondamentaux” et que “le droit à la protection de la vie privée joue notamment le rôle d’un “système immunitaire de l’espace psychique”“.
La liberté d’opinion (de pensée plus d’expression), la liberté de circulation, et de réunion, les libertés politiques, syndicales et de culte, ne peuvent être exercée dès lors que l’on n’a plus le droit à la vie privée.
Et autant je doute que les marchands de données personnelles non plus que les partisans des logiques sécuritaires soient à même d’initier un mouvement d’émancipation similaire à la révolution sexuelle, ou au siècle des Lumières, autant il est effectivement fort possible que le processus d’émancipation, de partage et de libération de nos savoirs et compétences, tel qu’on le voit à l’oeuvre sur l’Internet, dessine effectivement les prémices d’un “nouveau monde“, moins hiérarchisé, moins contrôlé “par en haut“, et donc forcément plus démocratique et “par le bas“.
Comme l’écrivait également Daniel Kaplan dans son éditorial précité, “Et si, à l’époque des réseaux, l’enjeu était de passer d’une approche de la vie privée conçue comme une sorte de village gaulois – entouré de prédateurs, bien protégé, mais qui n’envisage pas de déborder de ses propres frontières – à la tête de pont, que l’on défend certes, mais qui sert d’abord à se projeter vers l’avant ? Il n’y aurait pas alors de “paradoxe”, mais un changement profond du paysage, des pratiques, des aspirations.
Voir aussi les travaux (en cours) d’un groupe de travail “Informatique & libertés 2.0 ?“, réuni dans le cadre du programme “Identités actives” de la Fing.

Jean-Marc Manach
http://www.lemonde.fr/technologies/article/2009/03/17/la-vie-privee-un-probleme-de-vieux-cons_1169203_651865.html

samedi 25 avril 2009

LA GENERATION DECLASSEE A L'ECOLE DE L'INQUIETUDE.

Société 24/04/2009 à 06h51
La génération déclassée à l’école de l’inquiétude
Temoignages
L’entrée dans la vie active se fait entre découragement et amertume.
Recueilli par MARIE-JOËLLE GROS et CATHERINE MALLAVAL
(© AFP photo AFP)
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Comment voit-on son existence présente et son avenir quand on a autour de vingt ans et que l’on est déjà convaincu que l’on vivra moins bien que la génération de ses parents ? Libération est allé à la rencontre de six filles et garçons qui sont apprenti, ingénieur, stagiaire, étudiant. La plus jeune a 16 ans, la plus âgée 26. Portraits d’une génération dont le pragmatisme et la lucidité n’ont rien à envier à leurs aînés en ces temps de crise.

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Marion, 16 ans, en module d’insertion dans l’Essonne: «Mon premier stage, je l’ai passé à faire des papiers cadeau»
«Je n’ai jamais aimé l’école. Et depuis la sixième, je veux faire esthéticienne. Alors j’ai atterri dans une troisième découverte des métiers. C’était parfait, j’étais en stage le jeudi et le vendredi dans un institut de beauté. Seulement après, j’ai voulu aller dans un centre de formation des apprentis. Et là, ma patronne, qui en stage me laissait pratiquer, m’a dit qu’elle ne voulait pas d’apprentis, qu’elle n’avait pas le temps de s’occuper de moi. Il fallait me rémunérer. Ça a peut-être joué aussi.
Alors de mars à septembre, j’ai cherché dans toute l’Ile-de-France et à Paris, même. Je commençais à 10 heures, et je faisais les salons avec mon dossier, un CV et une lettre de motivation. Je téléphonais aussi. J’ai compté : j’ai poussé 300 portes, et envoyé une centaine de CV. J’ai même mis une copine sur l’affaire qui a démarché des salons pour moi. On me disait : «Pas le temps de former»,«l’équipe est au complet». Ça m’a démoralisée. Je ne pensais pas que c’était si compliqué. Tout ce que j’ai décroché, c’est une journée d’essai à Paris. Sans succès. J’avais rien.
J’ai fini par atterrir dans un lycée qui propose un module d’insertion. C’est une autre troisième, de remise à niveau. Mais on alterne deux semaines de cours et deux semaines de stage. Mon premier stage, dans un institut, je l’ai passé à faire des papiers cadeau. Alors que je devais être en cabine. Ils m’avaient menti. J’ai fini par décider d’aller en coiffure. J’ai trouvé chez un salon Franck Provost. Là ils veulent bien me garder pour un CAP. Avec cette discipline, j’espère que ce sera plus facile.»
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Rémi, 17 ans, apprenti électricien dans le Rhône: «La retraite va arriver de plus en plus tard»
«Je prépare un BEP d’électricien en alternance. Je passe seize semaines par an à l’école et le reste sur des chantiers avec un contrat de 39 heures, payé à 37 % du Smic. Pour l’instant, il y a du travail, mais c’est moins de chantiers neufs et davantage de rénovations. Autour de moi, c’est pas terrible : j’ai un copain en carrosserie qui ne trouve que des petits contrats d’un mois par-ci par-là. Je me fais du souci. Quand je vais sortir de l’apprentissage, si mon patron ne me garde pas… Je vais essayer d’enchaîner sur un brevet de technicien, puis un BTS. Je ne sais pas si j’y arriverais, mais je ne voudrais pas rester ouvrier toute ma vie. J’ai choisi l’apprentissage parce que ça convient bien aux métiers manuels, ça prépare mieux à la réalité que si on reste tous les jours bien habillés sur les bancs de l’école. Et puis, un apprenti qui se débrouille bien, on ne le laisse pas partir comme ça. L’avenir, ça fait peur. La retraite va arriver de plus en plus tard. Les banques ne prêtent plus d’argent, alors qu’on en a besoin pour s’installer. Mais je préfère penser au présent. Si tout le monde se replie sur lui-même, c’est pas comme ça que l’économie va repartir.»
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Romain, 21 ans, étudiant en histoire à Nanterre: «Il faut faire vite, ça se ferme de partout»
«Je suis issu de la classe moyenne, père kiné, mère cadre à la SNCF. A la fac, on est tous un peu dans ce cas, sans gros problème d’argent. Et pourtant, il y a cette inquiétude : on sait, ça se voit, certains vont se paupériser, c’est évident. Je suis entré à la fac avec l’idée de devenir prof. Et j’en ai eu vite marre. Je n’ai plus du tout envie de faire des études, j’ai perdu le goût, je n’y crois plus. J’ai participé à différents mouvements pour défendre l’éducation, mais en réalité, le problème n’est pas là.
La vérité, c’est que le diplôme ne garantit rien. Dans les années 60, on a cru que l’école pouvait garantir une place dans la société. En fait c’est faux, et beaucoup de gens ne captent toujours pas ça. On peut avoir les meilleurs diplômes de la terre, quand ça n’embauche pas, il n’y a rien à faire. J’ai des tas de copains qui ont fait des masters et qui sont réduits à bosser dans des secteurs sans rapport avec leur formation. En plus, les rémunérations ne correspondent plus du tout au niveau de diplôme, alors à quoi bon s’acharner ? Ce n’est pas là que ça se joue. L’emploi, ce n’est pas une affaire de formation et de diplômes, c’est une affaire de contexte économique.
Aucune génération dans le passé n’a jamais été aussi diplômée que la nôtre, et pourtant, il n’y a pas de travail à l’arrivée. Même l’intérim, c’est mort. En tout cas, moi, j’arrête. Je suis en train de faire mon CV, je vais essayer d’entrer à La Poste ou à la SNCF. C’est-à-dire là où on embauche encore un peu. Il faut faire vite, car ça se ferme de partout. Je me dis qu’il vaut mieux y aller maintenant, plutôt que dans un an ou deux quand tout sera complètement bloqué.»
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Elise, 23 ans, ingénieure des universités dans le Lot: «J’ai contacté une petite centaine d’entreprises, j’ai décroché deux entretiens»
«Je suis diplômée depuis août d’un master professionnel en matériaux. Autrement dit, je suis ingénieure des universités. Cela touche à la physique et à la chimie. Normalement, cela ouvre des débouchés : le BTP, l’aérospatiale, l’aéronautique… Comme j’habite près de Toulouse, je pensais que ça tombait plutôt bien. Mon cursus m’a permis de faire un maximum de stages en entreprise. Je pensais que cela pouvait aider. J’en ai fait quatre, de deux à six mois.
Depuis octobre, je cherche du travail. J’ai contacté une petite centaine d’entreprises dans toute la France. En tout et pour tout, j’ai décroché deux entretiens. A Paris et à Orléans. La première boîte faisait du merchandising de polymères. Parfait. Finalement, ils m’ont expliqué qu’ils n’avaient pas le temps de me former à leur logiciel. La seconde était une boîte de BTP, spécialisée dans le béton. Elle proposait un poste de responsable de laboratoire. Ça me tentait. Nous étions deux jeunes diplômés sur le coup. C’est l’autre, un garçon, qui a été retenu. Il avait déjà fait un stage dans le béton. Et puis on m’a expliqué que le milieu du BTP est assez masculin.»
«Depuis janvier, février, plus rien. Ou pas grand-chose. Au début, je ne voulais pas tout mettre sur le dos de la crise. L’an dernier je regardais déjà les offres d’emploi, il y en avait davantage. Je m’étais fixé six mois pour trouver, c’est le temps moyen de recherche d’un emploi de cadres. Je suis au-delà. Je vais peut-être faire une thèse, c’est une façon de prolonger. Mais ce n’est pas un diplôme facile à valoriser. Ou alors, si cet été je n’ai toujours rien, j’envisage de partir à l’étranger.»
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Julie, 21 ans, étudiante en droit à Paris-II-Assas: «La vie des étudiants, ce n’est plus Saint-Germain-des-Prés, c’est la précarité»
«J’ai fait du droit parce que je ne savais pas trop quoi choisir. Mais aujourd’hui, en troisième année, je n’ai plus envie d’être juriste. Je vais passer les concours de la fonction publique l’année prochaine, sachant qu’entre la crise et la politique du gouvernement qui cogne sur les fonctionnaires, c’est pas gagné. J’ai conscience que ma génération vivra moins bien que celle de nos parents. Mes parents, quand ils étaient jeunes, les recruteurs venaient les chercher à la sortie de la fac. Nous, on rame. Je n’ai encore jamais fait de stages parce qu’ils ne sont pas rémunérés. Mes vacances, je les passe à bosser pour financer mes études. La vie des étudiants, ce n’est plus Saint-Germain-des-Prés, c’est la précarité pour une majorité. Je reste persuadée qu’un diplôme offre une protection, mais ma vision de l’avenir n’est pas très optimiste.»
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Laure, 26 ans, met sa recherche d’emploi entre parenthèses, Paris: «Je ne peux même pas m’inscrire au chômage, car je n’ai fait que des stages»
«J’ai fait une maîtrise de marketing à l’université Paris-Dauphine, puis un stage passionnant d’un an dans une grande enseigne française de luxe à New York. De retour en France, j’ai fait le meilleur master de la place de Paris en management mode et design, à l’Institut français de la mode, et enchaîné avec un stage de six mois chez L’Oréal division luxe. Puis j’ai voulu voyager six mois, à la fois pour mon plaisir et pensant en tirer bénéfice pour mon CV. De retour fin août à Paris, j’ai entamé ma recherche d’emploi. En sept mois, j’ai envoyé 50 CV, fait jouer mon réseau et ratissé large : je n’ai obtenu qu’un seul entretien, chez Dior, où l’on m’a proposé un boulot de vendeuse, ce que j’aurais pu faire avec mon baccalauréat. En plus, je ne peux même pas m’inscrire au chômage, car je n’ai fait que des stages.
J’ai tellement les boules que je préfère en rester là. Heureusement, mes frères ont monté leur boîte et m’ont embauchée, le temps de trouver quelque chose qui corresponde à ma formation. Je suis convaincue que l’économie va repartir, mais pour l’instant tout est bouché. Je reprendrai dans la deuxième moitié de 2009. Je n’ai pas envie de me griller auprès de contacts qui n’ont rien à offrir en ce moment. Pas la peine de les harceler. En attendant, je ne m’ennuie pas dans la PME de mes frères : je touche à tout, je prends des tas d’imitatives…»

jeudi 23 avril 2009

JEUNES : QUATRE MODELES A LA LOUPE.


Nº2319
SEMAINE DU JEUDI 16 Avril 2009
Le Nouvel Observateur

Que l'on soit français, anglais ou allemand, il ne fait décidément pas bon être jeune aujourd'hui. Dans toute l'Europe, les mauvaises nouvelles s'abattent sur une génération qui peine à s'émanciper. Précarité, taux de chômage des moins de 25 ans à la hausse, crise de confiance... Les repères vacillent. Certains n'hésitent pas à parler de «génération sacrifiée». Difficile d'entrer dans l'âge adulte lorsque l'on a le sentiment d'un déclassement et que l'on paie plus cher que les autres. Les gouvernements ont compris l'urgence de traiter le «péril jeune» en inscrivant la lutte contre le chômage des jeunes dans leur plan de relance. Mais cette pression supplémentaire s'ajoute à celle déjà existante de l'émancipation et de l'accès à l'autonomie, palpable à des degrés divers chez les moins de 25 ans.Cécile Van de Velde, maître de conférences à l'EHESS, a déterminé quatre modèles en Europe (1) : le nordique, où l'Etat se substitue très vite à la famille et où les trajectoires entre études et monde du travail sont très mobiles; le libéral des pays anglo-saxons, très individuel et avec une recherche d'emploi rapide; le méditerranéen, où la solidarité familiale est encore très légitime; le modèle intermédiaire des Français, où l'on surinvestit dans les études et le sacro-saint diplôme sans être sûr d'avoir un débouché. Pas étonnant que les Français soient plus pessimistes que les Danois face à leur avenir ! Pour la jeune sociologue, «les pays du Nord sont les mieux armés pour faire face à la crise», avec des parcours très mobiles et protégés par l'Etat. Mais elle reconnaît que la crise peut provoquer une «latinisation des parcours de vie», avec un poids de la famille en augmentation et un temps d'insertion plus long. Devant l'absence d'horizon, faut-il craindre un scénario à la grecque ? Et voir une jeunesse désespérée, parce que désoeuvrée malgré elle, passer à l'action.
(1)«Devenir adulte. Sociologie comparée de la jeunesse en Europe», par Cécile Van de Velde, PUF, 2008.
Marco Mosca Le Nouvel Observateur

lundi 20 avril 2009

FACE AUX AUTOMATES, LES CAISSIERES FONT DE LA RESISTANCE.

Face aux automates, les caissières font de la résistance
LE MONDE 20.04.09 14h12 • Mis à jour le 20.04.09 14h12
Depuis quatre ans, Olivia, caissière d'un Carrefour à Rennes, a troqué, en partie, son activité qu'elle jugeait pénible et monotone pour celle de "surveillante de caisse automatique". A la place des lieux de paiement traditionnels, son hypermarché propose en effet quatre caisses dites en libre-service où les clients remplissent eux-mêmes le rôle de caissiers, passant les codes-barres de leurs articles devant un laser et effectuant le paiement par Carte bleue. Olivia, elle, s'assure qu'il n'y a pas d'erreur.
Le travail reste éprouvant. "Les clients ne comprennent pas bien comment ça marche, ils râlent, nous manquent de respect. Psychologiquement, il faut être bien accrochée, raconte-t-elle. Mais je me suis portée volontaire, on n'a plus le choix, il faut s'adapter."
Olivia, comme les autres hôtesses de caisse de son magasin, redoute que son métier disparaisse. Le calcul est vite fait : il suffit d'une personne pour surveiller quatre machines. Et dans l'Intermarché d'à côté, il est prévu que 80 % des encaissements soient automatisés. "S'ils trouvent un système pas trop coûteux, demain, tout passera en automatique", prédit Olivia.
De fait, qu'il s'agisse d'Auchan, Carrefour, Casino, Champion, Système U, Monoprix ou Simply Market - anciennement Atac -, toutes les enseignes transforment peu à peu leurs magasins en "supermarchés du futur" où la machine remplace l'homme. En France, près de 3 000 caisses automatiques seront déployées cette année. "La France a quelques années de retard par rapport aux Etats-Unis ou à la Grande-Bretagne, où les grandes enseignes ont des magasins parfois totalement automatisés, commente Christian Despierre, chez NCR, leader de la fabrication de ces automates, mais maintenant, ici aussi, le déploiement est massif."
Pour les enseignes, l'enjeu est crucial. Mettre en place ces nouvelles caisses réduit les coûts de personnel (30 % des frais de la grande distribution) et améliore la fluidité lors du paiement, "point noir de l'insatisfaction client", note le cabinet de conseil BearingPoint. Un client passe en moyenne 46 minutes à faire ses courses dans un hypermarché (25 minutes dans une supérette) et ne supporte pas d'attendre. "Il n'est pas rare de trouver des Caddies en déshérence dans les rayons de supermarchés parce que les clients sont trop pressés et ne veulent pas faire la queue en caisse", note Bertrand Clémencin, associé chez BearingPoint. "Une caisse automatique ne fait pas vraiment gagner de temps mais le client n'a pas le sentiment d'attendre, car il est actif", ajoute-t-il.
L'idée a émergé vers 2005. Mais les résultats des premiers tests n'ont alors pas toujours été très concluants. Depuis deux ans, le processus s'est donc amélioré et affiné. Les caisses automatiques sont ainsi rarement destinées aux gros chariots mais plutôt à des paniers de moins de dix articles. Et le système s'applique davantage aux magasins de grandes villes qu'à ceux de périphéries.
LAISSER LE CHOIX
Surtout, peu d'enseignes, si ce n'est aucune, envisagent d'éliminer totalement les caisses traditionnelles. Parce qu'une caisse automatique coûte cher (15 000 euros l'unité). Et parce qu'"on ne peut pas prendre le client en otage, il faut lui laisser le choix", explique la porte-parole de Simply Market.
Depuis les vives protestations contre ces automates à l'hiver 2007, les enseignes ménagent leurs salariés. Elles évitent les licenciements et élargissent les compétences des employés. Les caissières passent ainsi du temps en rayons pour aider et conseiller le client.
La grande distribution a compris que la plupart des clients étaient attachés au lien humain, surtout en temps de crise. "Les hôtesses de caisse sont un élément essentiel du contact avec le client", atteste la porte-parole d'Auchan.
Les caissières et caissiers auraient donc de beaux jours devant eux. "Au début, les caisses automatiques ont inquiété tout le monde mais on se rend compte, finalement, que le métier ne va pas disparaître mais évoluer", indique Anna Sam, ancienne caissière chez Leclerc et auteur du blog "Caissière no futur" .
Pour Georges Chetochine, auteur de Quelle distribution pour 2020 ? (épuisé), "il y a en France une fibre sociétale à ne pas oublier, la caissière est un élément fondamental de fidélisation pour la grande distribution". Selon lui, les caissières seront même les "reines du supermarché en 2020".
Sur Internet :
Caissierenofutur.over-blog.com.
Claire Gatinois


vendredi 17 avril 2009

PETIT ESSAI SUR LE TERRORISME.

Police etcetera. Le blog de Georges Moréas.
17 avril 2009
Petit essai sur le terrorisme
Les uns après les autres les journaux reviennent sur l’affaire de Tarnac pour dénoncer le décalage entre une éventuelle tentative de dégradation de lignes SNCF et la procédure exceptionnelle utilisée, visant une organisation terroriste.
Et la ministre de l’Intérieur fait front, affirmant que « ce ne sont pas les journaux qui rendent la justice ». Certes, mais si la presse en l’occurrence n’est pas dans son rôle, il faut biffer Zola des manuels scolaires. Il est vrai qu’après son fameux « J’accuse ! », l’écrivain-journaliste a été obligé de s’exiler… mais ses cendres sont au Panthéon.
Ces jeunes gens du plateau de Millevaches n’ont pas le profil d’un Carlos ou d’un Rouillan. On n’y peut rien. Alors, terroristes ou pas ?
Mais juridiquement, c’est quoi le terrorisme ?
Oserais-je dire que juridiquement le terrorisme n’existe pas ! Il y a des règles internationales, européennes, mais pas une définition unique, claire et précise. La Convention de Strasbourg de 1977 envisage : « tout acte grave de violence dirigé contre la vie, l’intégrité corporelle ou la liberté des personnes et tout acte grave contre les biens lorsqu’il a créé un danger collectif pour les personnes ».
En France, l’article 421-1 du Code pénal1 reprend certains des mots de cette convention, mais le sens du texte diffère assez nettement. Et l’expression « acte grave » est remplacée par l’énumération des infractions concernées. À part les excès de vitesse (là, je fais du mauvais esprit), tout y est : les atteintes à la vie, les armes, les explosifs, les vols, les extorsions de fonds, les destructions, les dégradations et détériorations, l’informatique, le recel, le blanchiment d’argent, le délit d’initié, etc.
Le législateur n’a pas voulu créer d’infractions spécifiques. Il a préféré une notion subjective appliquée à des crimes et des délits déjà existants. Il appartient donc aux autorités judiciaires de déterminer au cas par cas si tel acte délictueux est considéré comme un acte terroriste. Ce qui change à la fois les conditions de l’enquête (garde à vue, surveillances, juridictions…) mais aussi les peines encourues. Si les faits incriminés sont inscrits dans le tableau des infractions ciblées, le juge n’a qu’une question à se poser : l’auteur de l’acte revendique-t-il un caractère politique ?
La France n’est pas une exception. La plupart les États ont fait du terrorisme un acte criminel de droit commun, en se dotant d’un arsenal juridique hors du commun.
Lors de la discussion des lois antiterroristes, certains députés ont rappelé que sous l’Occupation les résistants étaient qualifiés de terroristes. Tant il peut s’avérer difficile de distinguer le terrorisme d’une lutte pour la libération ! Et personne ne s’est mis d’accord, ni chez nous ni ailleurs, sur une définition.
Dans la Revue de science criminelle, David Cumin, Maître de conférences à l’université Jean-Moulin, Lyon-III, estime qu’il est impossible de parvenir à une définition objective du terrorisme, mais il en donne l’approche criminologique suivante : « Relève du terrorisme l’acte isolé et sporadique de violence armée commis dans un but politique en temps de paix contre des personnes ou biens protégés. Est terroriste l’auteur d’un tel acte, quelles que soient la composition du groupe auquel il appartient et l’idéologie qui l’anime ».
Cette définition s’applique-t-elle à Coupat et à ses acolytes ? On peut en douter. N’est-on pas en train de « banaliser » le terrorisme ? Supposons que ces bandes de banlieues qui font si peur à Monsieur Sarkozy deviennent plus virulentes, plus dangereuses pour la société, ne pourrait-on pas dénicher derrière leur action une volonté politique qui en ferait des terroristes ? Et la procédure exceptionnelle deviendrait alors le tout-venant.
Toujours dans la Revue de science criminelle, Philippe Mary, professeur ordinaire à l’École des sciences criminologiques de l’Université Libre de Bruxelles, se pose la question de la différence entre le terrorisme et la délinquance urbaine. Pour lui, le terrorisme se caractérise par son aspect « grande criminalité » (des malveillances contre la SNCF ?). Mais ce qui rapproche ces deux types de criminalité, c’est que dans les deux cas, il s’agit de phénomènes indéfinis. Traités le plus souvent dans l’urgence, ils génèrent une politique de gestion des risques, dans laquelle la sécurité apparaît comme une fin en soi. « Une telle évolution de la notion de sécurité est le signe de passage d’un État social à un État sécuritaire », affirme-t-il.
Sur 57 propositions en matière de lutte contre le terrorisme présentées au sommet de l’Union européenne tenu à Bruxelles, en mars 2004, plus de la moitié n’avait que peu ou rien à voir avec le terrorisme.
Dans un récent rapport au Sénat2, Robert Badinter déclare : « Nous n’avons pas été, à ce jour, capables d’avoir une définition internationale du terrorisme. Ceci pour des raisons éminemment politiques. Si on regarde les textes existants, on trouve des définitions faites par « raccroc » (…) Quand on regarde de très près les textes et notamment le texte fondateur de la Cour pénale internationale, on trouve une définition du terrorisme qui paraît acceptable : on considère comme crime contre l’humanité les actions décidées par un groupement organisé, pas nécessairement un État, ayant pour finalité de semer la terreur, dans des populations civiles, pour des motifs idéologiques. Les attentats du 11 septembre 2001 constituent une de ces actions… »
Dans une résolution du 14 janvier 2009, le Parlement européen « se préoccupe du fait que la coopération internationale dans la lutte contre le terrorisme a souvent abouti à une baisse du niveau de protection des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, notamment du droit fondamental au respect de la vie privée, à la protection des données à caractère personnel et à la nondiscrimination (…) ».
En France, une loi du 13 février 2008 autorise la ratification d’une convention du Conseil de l’Europe pour la prévention du terrorisme. Elle oblige les États à incriminer certains actes perçus comme pouvant conduire à la commission d’infractions terroristes, même si l’acte terroriste n’est pas commis. Il en va ainsi du recrutement et de l’entraînement de futurs terroristes, ou encore de la provocation à commettre des infractions terroristes.
Certains pays doivent donc adapter leur législation. Pour nous, c’est inutile, on est à la pointe du combat, puisqu’on en est à poursuivre une bande d’anars3 qui auraient eu l’intention de tenter de détruire des caténaires de la SNCF.
Coluche, tu nous manques !
http://moreas.blog.lemonde.fr/2009/04/17/petit-essai-sur-le-terrorisme/

mercredi 15 avril 2009

QUAND LA TELE JOUE AVEC LA CRISE.

Enquête
Quand la télé joue avec la crise
LE MONDE 15.04.09 15h37 • Mis à jour le 15.04.09 19h18

Savoir ce que les employés pensent de leur patron, obliger les salariés d'une entreprise en difficulté à choisir leurs collègues qui seront licenciés... La crise s'invite à la télévision, et les producteurs profitent de l'occasion pour repousser les limites de la télé-réalité.
Les Etats-Unis vont commencer les premiers avec "Someone's Gotta Go !" ("Quelqu'un doit s'en aller !"), qui devrait être diffusé dès l'été ou, au plus tard, à la rentrée de septembre. Développée par Endemol, numéro un mondial de la télé-réalité, "Someone's Gotta Go !" reprend le principe de l'élimination, "apparu" en France en 2001 avec "Loft Story" puis avec la "Star Academy", deux productions Endemol. Mais il ne s'agit pas ici de locataires désoeuvrés enfermés dans un appartement, ou d'apprentis chanteurs confinés dans un château. Le "jeu" a pour décor une entreprise au bord du dépôt de bilan. Chaque semaine, les salariés devront choisir celui (ou ceux) d'entre eux qu'ils veulent voir partir. Pour cette première saison, "Someone's Gotta Go !" se déroulera dans des petites entreprises de 15 à 20 salariées contraintes de licencier pour avoir une chance de se redresser.
Afin de mettre un peu de sel sur les plaies et alourdir encore plus le climat, les salariés pourront consulter les dossiers de tous leurs collègues et connaître le montant de leur salaire. Pour décider des têtes à couper, les employés seront épaulés par un professional business coach-employment consultant, une sorte de spécialiste des ressources humaines mis à disposition par le producteur.
A la différence du "Loft" ou de la "Star Academy", les téléspectateurs ne pourront pas voter par téléphone, via les numéros surtaxés, pour éliminer/licencier les "candidats". "Someone's Gotta Go !" est un "docu-réalité", un programme intégralement enregistré avant sa diffusion. Une sorte de "Koh Lanta" qui aurait fixé son camp de base dans une entreprise au bord du dépôt de bilan.
Sans surprise, c'est la Fox, chaîne américaine contrôlée par le milliardaire ultraconservateur Rupert Murdoch, qui a acheté les droits de diffusion de l'émission. Selon la presse spécialisée américaine, le programme est déjà "en production".
"Someone's Gotta Go !" ne devrait pas être adaptée sur une chaîne française, TF1 ou M6. "Ce genre de format ne verra pas le jour en France", nous assure Virginie Calmels, PDG d'Endemol France, filiale française d'Endemol. A l'en croire, les Etats-Unis sont "un marché totalement différent" du paysage audiovisuel français. Surtout, là-bas, la législation est beaucoup plus permissive. En France, le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) mettrait son veto.
Pour autant, la France ne devrait pas échapper à cette nouvelle sorte d'émissions. Endemol France a acheté les droits de diffusion de "Undercover Boss" ("Un patron incognito" ou "Le Patron espion"). Ce concept britannique a déjà été diffusé sur Channel 4.
Cette fois, il ne s'agit pas de licencier mais d'infiltrer. Un patron ou un cadre dirigeant d'une grande entreprise est recruté, sous une fausse identité, tout en bas de l'échelle de sa société ou de l'une de ses filiales, et va devoir passer dix jours sans être démasqué. En Grande-Bretagne, Channel 4 avait notamment filmé le quotidien d'un patron installé incognito à la caisse de son entreprise du secteur de la grande distribution.
Le but de l'émission serait de permettre au patron de repérer ce qui ne va pas dans sa société et d'y mettre bon ordre. Selon nos informations, les moments forts de ce docu-réalité ont lieu principalement autour de la machine à café. Quand les salariés se livrent et daubent sur leurs collègues mais aussi sur leurs chefs. Au terme de ces dix jours passés au bas de l'échelle sociale, le patron dévoile sa véritable identité et délivre les bons et les mauvais points à ses salariés.
Dans l'émission britannique, le patron récompensait ceux qu'il avait jugés les plus méritants avec des augmentations, des promotions, des primes ou encore des jours de vacances supplémentaires. Des autres, l'émission ne dit rien... Dans le dossier de presse de l'émission, Channel 4 avait prévenu : "Les talents méconnus seront distingués ou promus, tandis que les tire-au-flanc n'auront plus d'endroits où se cacher."
Endemol France, le producteur, ne veut retenir que les aspects positifs d'un tel programme. "En ces temps de crise où de nombreuses sociétés sont amenées à se séparer d'une partie de leurs salariés, ce format veut au contraire valoriser et promouvoir les travailleurs de l'ombre", a indiqué Virginie Calmels. A l'en croire, la version française d'"Undercover Boss" n'en serait qu'à ses premiers pas. "Nous venons tout juste d'en acheter les droits. Nous avons seulement raconté le pitch (l'argument) aux chaînes", ajoute Mme Calmels. Pourtant, Endemol France aurait, dit-on, déjà obtenu l'accord d'un patron d'une importante société française. "Nous sommes en discussion avec plusieurs patrons potentiels", indique seulement Mme Calmels. La production recherche plutôt un dirigeant d'une "multinationale".
Endemol prospecte surtout des entreprises disposant de filiales où les dirigeants de la maison mère ne sont pas forcément connus des salariés. Toutefois, pour éviter d'être reconnu trop vite, le patron sera "déguisé, un peu grimé, un peu changé", dévoile Mme Calmels.
Liée par contrat avec Endemol France depuis 2001, TF1 serait sur les rangs pour diffuser l'émission, mais M6 pourrait à son tour entrer en lice pour acquérir les droits. Ce programme ne serait "pas trash du tout", selon Thomas Valentin, directeur des programmes de M6.
In fine, "Undercover Boss" pourrait être diffusé dès la rentrée et en première partie de soirée. Aux Etats-Unis, CBS a fait le même choix. "Undercover Boss" devrait démarrer dès la rentrée sur la chaîne américaine.
Guy Dutheil

vendredi 10 avril 2009

LES IDOLES N'EXISTENT PAS.

Cet article écrit par Léo Ferré a été publié dans la revue JANUS N°5Février -mars 1965.
Une solitude peuplée, voilà le sens de notre condition sociale. Une solitude peuplée d'images. Voilà pourquoi les hommes n'aiment guère quitter la ville. Il faut beaucoup d'abnégation pour vivre ailleurs que dans le cercle. Les sages qui y parviennent sont rayés des listes. On n'aime guère les marginaux. Le sens commun, disait Debussy, est une religion inventée pour excuser les imbéciles d'être trop nombreux. C'est le sens commun qui invente les dieux, les idoles, disons-nous aujourd'hui. L'homme contemporain est manigancé selon les canons d'une politique qui doit plus à la religion de l'image qu'à Karl Marx. L'idole c'est d'abord une image, c'est un trait, une figuration. Mme Garbo était une actrice. M. Aznavour est une idole. Les idoles laides sont plus rentables dans ce commerce misérable parce qu'elles répondent mieux aux demandes du voyeur commun qui se retrouve plus facilement dans un Aznavour que près d'une Garbo. Au fait, sans voyeur, pas d'idoles.Ce n'est pas la plastique qui fait l'idole mais le potentiel de désirs, d'inventions larvées au fond des lits songeurs, c'est l'œil qui fabrique l'image. Une idole mal rasée, les yeux cernés, offerte comme sur une descente de lit, est aussi efficiente que Mme Bardot tirée à quatre caméras. Ce n'est donc plus tant la beauté qui compte mais une certaine présence contrôlée par une firme de disques, un éditeur de livres, un cartel de publicité. Supprimez le tireur de ficelles : plus d'idole, rien. Pour être une idole il faut, d'une façon ou d'une autre, être dans le champ, sur les murs, il faut se donner. La prostitution ça n'est pas seulement vendre son corps, c'est d'abord le proposer. Le tic de langage qui se traduit par le mot pin up est intéressant à tous égards. On dit d'une fille bien balancée que c'est une pin up, alors qu'on devrait dire plus précisément : c'est une épinglée. le critère de l'idolâtrie c'est l'épingle. Trois phases : l'offertoire, la torture, l'exposition. L'offertoire sur la scène, à l'écran de télévision, dans les colonnes de "France-Dimanche". Comme à la foire, on palpe, on discute, on prend. La torture cela se passe après, quelquefois dans la rue - l'idole est objet public, comme certaines filles - c'est le regard possessif, l'œil du maquignon. La torture est consommée, vite, par l'autographe, ce don de l'écriture à défaut d'autre chose. L'exposition, enfin, sur le mur de la chambre, l'épingle qui tue l'idole. On a l'icône qu'on peut.Juste le temps de se mettre un peu dans le sens de l'histoire, et voilà qui surgit du plus profond de notre condition, un catalogue d'idoles où les dieux le disputent aux ténors de la politique ou de la cléricature. Si Johnny Hallyday était prêtre, que d'encens dans les maisons les plus pasteurisées, que de messes, que de prières, que d'indulgences n'inventerait-on pas pour faire d'un chanteur de music-hall un nouveau Bouddha, un Jésus aux bottes de cow-boy.J'ai le temps nécessaire, juste le temps de rentrer ma prière au fond de ma gorge et d'aller me gargarisant de blasphèmes. Rien ne vaut rien. Aucun homme ne vaut aucune peine. La prière, qu'elle monte d'un matin froid, dans une église banale, ou qu'elle exsude d'une machine à musique est une horreur d'indigence. De Gaulle, Paul VI, Einstein, Sartre, Vartan, Brassens, Jazy... qu'est-ce que cela veut dire ? Sartre dit que la littérature vacille devant un homme qui a faim. Mais tout vacille, même devant l'homme repu. Alors ? Alors, crachons sur les idoles, de toutes façons. J'enrage à la pensée d'imaginer un homme se prosternant. Je me prosterne devant l'amour, tout juste. J'aime sans plier jamais. On parle aujourd'hui des "idoles" comme s'il s'agissait de calmants, d'excitants, de "gadgets" de parapluies, de remèdes enfin contre l'ennui, les maux de dents, les allocations familiales... Ca ne va pas ? Achetez-moi donc l'idole du jour, de l'heure, le dernier disque de Machin, et tout ira bien. Ecoutez Europe 1 et vous saurez tout de cette nouvelle sociologie de l'adoration. Dans un café, à Lyon, la fille de la maison me dit sans rire : "Mon Johnny". C'est ici que je touche à la seule vérité de l'idolâtrie contemporaine...D'accord, je prends votre idole, je vous l'achète, mais il faut qu'elle soit à moi, totalement, pas le disque, mais la personne, la chose vivante que vous m'avez proposée et vendue toute gravée dans la cire. Il faut que je couche avec. C'est mon, c'est ma. Je n'ai pas d'autel chez moi, alors, vous permettez ? La photo et le transfert y suppléeront. Demain, je changerai. Tiens, Zitrone ! Pourquoi pas ? Zitrone - Zeus...Les idoles ne crèvent pas, on en change. Il est significatif que notre époque soit une époque de "mots". Le mot est devenu la clef de notre décrépitude, de nos angoisses, de notre soumission au roi, au chef, à l'État. Le mot idole a été réinventé par les marchands. Il est repris à son compte par l'État. Regardez la télévision : les idoles font passer le temps et les mauvaises nouvelles. L'idole meuble l'horaire quand il manque de fait divers. Du temps de Rudolf Valentino, on ne parlait pas d'idole. Le fait passa comme la gale. Aujourd'hui on ne se suicide plus pour un Rudolf. L'idole est la dépendance d'un érotisme à papier d'emballage. Cette fille de Lyon qui me parlait de son Johnny, qui sait, la nuit venue, ce qu'elle fait de son autographe épinglé ? Elle se signe, probablement.La télévision est une mangeuse d'idoles. Une mante. Passez à l'écran, sortez dans la rue : on vous demandera de signer, signer... Les hommes doivent être bien malheureux qui s'en vont chercher l'icône jusqu'aux cabinets. Cabinet en vérité que cette télévision qui entre chez vous à l'heure dite, qui vous mange l'œil comme le serpent mange l'œil de l'oiseau. Ce sont tout de même ces "images"qui font la pluie, le beau temps et les ventes dans les kiosques. Quand il m'arrive de passer sur le petit écran je ne me dissocie pas de ces guignols. J'en suis un moi aussi.Au dehors, quand je "signe", je m'arrange toujours pour supprimer le piédestal.Je suis horrifié par les yeux en quête de chair divine. Je laisse ça à l'eucharistie. Je suis un homme comme vous, jeune homme !C'est parce qu'il y a des images qu'on vous envoie dans l'œil à l'aide de cet autel électronique appelé télévision, c'est pour cela et par cela qu'il y a et qu'on vous vend ce qu'on a convenu de nommer les idoles. Avant cette vente forcée de visages électrifiés, il n'y avait d'idoles que dans les temples.Les idoles qu'on nous propose sont des chagrins d'enfants sculptés par des employés de commerce. Les techniques d'information et de diffusion sont au service du raccourci. Exclusif : Sylvie - Johnny. L'événement : Bardot - Moreau. Élisabeth souffre en silence. Soraya sans Shah... Les idoles se vendent deux francs, chaque semaine. Nous vivons à 200 à l'heure. Nous aimons à 200 à l'heure. Nous mourrons bientôt de même. Une revue comme Janus a éprouvé le besoin de faire une enquête sur les idoles. Fait social ? Non. Fabrique d'images pour yeux inertes. Quant aux yeux forcés, violés, qu'ils se dépêchent de regarder ailleurs. On se laisse prendre à ces serpents de malheur.
Des marchands inventent des besoins en même temps qu'ils les satisfont. Le besoin d'idolâtrie ne va pas sans le disque ou le journal et l'obstacle inclus que l'on doit vaincre. Mettez un leurre dans la cage au rat : le pauvre finira bien par se leurrer et l'œil, objectif, derrière la vitre, s'informera d'une particulière sociologie : le réflexe conditionné... Les idoles n'existent pas, même dans la cage au rat . Les idoles, ce sont les leurres. Passez à côté. J'ai connu, je connais des hommes, des femmes célèbres. J'ai vu Ravel, en 1933, dans une salle de concert, à une répétition d'orchestre et Paul Paray se tournant de temps à autre et lui disant : "Maître.." Je le regardais. Il était petit, tout blanc et ne ressemblait pas à sa musique. J'ai vu, chez lui, en 1948, Fernand Léger devant un tableau d'une cruauté mentale à me faire douter de mes lunettes. Il me demanda ce que j'en pensais. Je reculai d'effroi et de lâcheté. Il est des gens qui mettent Léger dans leur moulin à prières. Pour moi Léger était gros et gentil. Il n'y a pas d'idoles. Non. L'idolâtrie est littéraire ou imbécile.
Il n' y a que des hommes, et encore...
Il y a la vie, et puis la mort.
C'est tout.

LA CRISE ALIMENTAIRE, UN RISQUE POLITIQUE NEGLIGE.

Compte rendu
La crise alimentaire, un risque politique négligé
LE MONDE 09.04.09 15h11 • Mis à jour le 09.04.09 15h11

C'était il y a tout juste un an. Les images d'émeutes de la faim en Afrique, en Asie ou aux Caraïbes se succédaient dans les journaux télévisés. De nouveau, sécurité alimentaire rimait avec sécurité tout court.
Douze mois plus tard, on en est encore à tirer la sonnette d'alarme. Révélé par le Financial Times, mardi 7 avril, un rapport préparatoire à la réunion du G8 sur l'agriculture prévue du 18 au 20 avril en Italie réclame des "interventions immédiates". Il indique que la crise alimentaire, qui pourrait devenir structurelle si rien n'est fait, aura "de graves conséquences non seulement sur les relations commerciales, mais de même sur les relations sociales et internationales, lesquelles auront un impact direct sur la sécurité et la stabilité de la politique internationale".
La sous-alimentation progresse dans le monde
Faim. Selon la FAO, plus d'un milliard de personnes vont souffrir de sous-alimentation en 2009, contre 963 millions fin 2008. Avant l'envolée des cours agricoles, elles étaient en moyenne 850 millions chaque année.
Prix. Depuis les sommets atteints au printemps 2008, les prix alimentaires ont reculé, mais ils sont toujours supérieurs de 19 % à la moyenne de 2006.
Besoins. D'après la FAO, il suffirait de 30 milliards d'euros par an pour combattre la faim, en relançant l'agriculture familiale.
Même s'il est admis que les besoins en matières premières agricoles vont croissant et que le réchauffement climatique accentuera les dangers de pénurie et de flambée des prix, les pays riches continuent d'ignorer la question agricole. Au G20 de Londres, elle ne faisait pas partie des priorités, même si les Etats-Unis ont annoncé, à l'issue du sommet, qu'ils comptaient doubler leur aide à la production dans les régions pauvres, ou si la France veut lancer un fonds d'investissement pour aider l'agriculture africaine.
L'indifférence n'est pas née avec la crise financière et économique. "Cela fait trente ans que cette question cruciale est sous-estimée", rappelle Sophie Bessis, directrice de recherche à l'Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS). Elle reconnaît que les experts en géostratégie eux-mêmes, qui commencent pourtant à s'intéresser à l'eau, négligent toujours la problématique agricole. Elle distingue, pour sa part, deux types de déstabilisation politique engendrée par l'agriculture : à l'échelle internationale, car depuis dix ans, c'est là-dessus qu'achoppent les négociations de libre-échange de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) ; à l'échelle nationale, car les mécontentements sur la cherté des prix peuvent facilement déstabiliser les Etats en déficit de légitimité.
Si dans les pays riches, la hausse des prix alimentaires a amené les consommateurs à acheter autrement, "en Afrique, elle s'analyse en termes de vie ou de mort, et cela menace l'existence même des Etats", a rappelé Aly Abou Sabaa, de la Banque africaine de développement, lors d'un récent colloque à la Banque de France.
Plusieurs participants africains y ont rappelé les graves conséquences que peut entraîner l'inflation des prix alimentaires : des émeutes, mais aussi l'essor des migrations et du terrorisme, le développement de la culture de la drogue, comme en Afrique de l'Ouest, ou de la piraterie, comme en Somalie. Sans oublier les guerres que la faim a souvent provoquées.
"L'inflation est beaucoup moins un risque que l'hypervolatilité des cours, que nous ne savons toujours pas maîtriser", précise de son côté Jacques Carle, délégué général du MOMA, un groupe de réflexion français. Selon ses calculs, la tonne de blé devrait régulièrement varier de 80 à 320 euros dans les prochaines années.
Dans ces conditions, il sera difficile d'espérer une production mondiale stable, car les agriculteurs règlent leurs ensemencements sur le niveau des cours. Ainsi, en 2009, les Américains ont-ils décidé de mettre de nombreuses terres en jachère, dans l'attente d'une remontée des prix.
Pour protéger les populations des pays pauvres, une solution fait l'unanimité : permettre à leurs agricultures de se développer. Mais comment ? Depuis un an, les projets d'investisseurs étrangers à la recherche de terres sont devenus une nouvelle source de risques politiques. Paysans et populations s'inquiètent d'une spoliation des ressources. A Madagascar, l'accord de cession de terres au sud-coréen Daewo par l'ex-président Marc Ravalomanana a provoqué en partie la chute de celui-ci.
Un autre phénomène, désormais, entrave la hausse nécessaire de la production agricole et multiplie les risques de flambée des prix : la limitation de l'accès au crédit, du fait de la crise financière. En agriculture, tout est lié à l'emprunt : les paysans y ont recours pour acheter semences et engrais. A la Réserve fédérale américaine, on s'inquiète aussi de l'impact de la restriction du crédit sur les exportations, alors que l'OMC prévoit un recul des échanges mondiaux en 2009. Ce qui pèsera davantage sur les gros importateurs de denrées, dont les pays pauvres.
Enfin, la question se pose de la capacité budgétaire des Etats à garantir des prix alimentaires raisonnables. "En 2008, certains ont pu prendre des mesures grâce aux excédents budgétaires qu'avait générés l'envolée du pétrole depuis 2006. En 2009, ils ne pourront pas autant intervenir", soulignait récemment Philibert Andzembé, gouverneur de la Banque des Etats d'Afrique centrale.
En 2008, la subvention du prix du pain, les exonérations de taxes ou de droits de douanes pour faciliter les importations, voire des hausses de salaires ont permis de soutenir les ménages. Les huit pays de l'Union économique et monétaire ouest-africaine y ont laissé plus de 457 millions d'euros en recettes fiscales.
Laetitia Clavreul

http://www.lemonde.fr/planete/article/2009/04/09/la-crise-alimentaire-un-risque-politique-neglige_1178651_3244.html#ens_id=1178742

mercredi 8 avril 2009

24 HEURES PHILO S'OUVRE A SES LECTEURS.

LIBERATION. 24 heures Philo.
Regards de philosophes français et étrangers sur l'actualité.
Un blog coordonné par François Noudelmann et Eric Aeschimann.
07/04/2009
24 heures philo s'ouvre à ses lecteurs
par Eric Aeschimann et François Noudelmann, animateurs de 24 heures philo •

Un an après la création de 24 heures philo, le temps d'un premier bilan est venu.
Au rang des motifs de satisfaction, il nous semble que le but recherché a été atteint: une petite fenêtre a été ouverte, des philosophes et intellectuels sont venus s'exprimer chez nous, des lecteurs nous suivent avec attention et la mise en ligne d'un texte suscite un nombre élevé de consultations (635.000 visites depuis le début et lorsqu'un texte est mis en ligne, la barre des 10.000 consultations en 24 heures est très souvent atteinte).
Des doutes, malgré tout, demeurent. La réaction éphémère qui est le principe du blog ne produit-elle pas une illusion de philosophie? Ne tombons-nous pas dans le piège de la simple "opinion"? Le risque existe. Au moins avons-nous varié les thèmes abordés, de l'élection américaine à la crise financière, de la Guadeloupe aux neurosciences, de la condition animale à Spike Lee. Chaque fois, une seule ambition a servi de boussole à nos choix: lire l'actualité en s'aidant des outils forgés par la philosophie et nourrir la philosophie du flux de l'information.

24 heures philo est un lieu fragile mais vivant. Lorsque Daniel Bensaïd veut répondre à Alain Badiou, c'est sur 24 heures philo qu'il le fait. La novlangue du temps présent est analysée chaque week-end par Giorgione. Quand une philosophe est interpellée pour être intervenue lors de l'embarquement d'un sans-papiers dans un avion pour le Cameroun, c'est 24 heures philo qui accueille son témoignage. Et c'est ici même que le colloque organisé par l'inspection générale de philosophie et filtré par les CRS a été décrypté la semaine dernière.
Aujourd'hui, 24 heures philo s'ouvre plus largement. Jusqu'à présent, les textes arrivaient de philosophes avec lesquels nous étions déjà en contact. Par définition, cela exclut beaucoup de monde. C'est pourquoi nous souhaitons faire savoir à tous nos lecteurs que cet espace peut devenir le leur et que leurs contributions, pourvu qu'elles s'inscrivent dans un dialogue entre l'actualité et la philosophie, pourront désormais y avoir leur place.
Cela ne veut pas dire que nous publierons tout texte qui nous sera envoyé. Les contributions devront s'inscrire dans un dialogue entre l'actualité et la philsophie, respecter une exigence d'écriture, de pensée, de construction. L'invective, l'attaque gratuite, l'argument d'autorité seront bannis. Notre sélection, par la force des choses, comprendra une part d'arbitraire que nous assumerons. Mais le désir d'élargir le cercle des contributeurs et d'approfondir l'espace commun de la réflexion est désormais une priorité.
Concrètement: que ceux que 24 heures philo inspirent nous envoient leur texte à l'adresse:
24heuresphilo@liberation.fr. L'envoyeur d'un texte retenu sera prévenu dans les plus brefs délais. En revanche, l'absence de réponse vaudra refus.
Une telle démarche est exceptionnelle dans le monde des blogs où règnent les égos scannérisés et les commentaires vite ficelés. La mise en commun de la pensée, tel est le but de 24 heures philo. Cela passe aussi par l'effort de l'écriture - et son plaisir.
http://philosophie.blogs.liberation.fr/noudelmann/