lundi 30 juin 2008

NAISSANCE : LIMITE MOUVANTE.

Entrer dans la vie, terrestre ou éternelle, n'est pas une affaire simple. Et la biologie n'a, jamais, constitué qu'une partie d'un des puzzles les plus troublants de l'histoire humaine.
Sylvie Arsever. LE TEMPS.Lundi 30 juin 2008.

La décision a fait couler des flots d'encre: le 6 février 2008, la Cour de cassation française a autorisé trois couples de parents à inscrire leur enfant mort-né à l'état civil. L'un avait été expulsé à quatre mois et demi d'aménorrhée, les deux autres à la 21e semaine. Certains commentateurs y ont vu le signe d'une reconnaissance sans limite de la personnalité du fœtus - pourquoi pas jusqu'à la conception? L'idée a réjoui les associations de lutte contre l'avortement, inquiété ailleurs.

La portée des arrêts est plus limitée. La loi française reconnaît depuis 1993 le droit aux parents d'enfants mort-nés le droit d'obtenir l'inscription sur le registre des décès d'un «acte d'enfant sans vie». L'acte ne fait naître aucun droit, sinon celui de donner officiellement un nom à l'enfant. Il offre aux parents qui le désirent une forme de reconnaissance des espoirs qu'ils ont nourris et du deuil qu'ils traversent. L'ordonnance d'application a fixé une limite à cette nouvelle possibilité: il fallait que l'enfant soit né à au moins 22 semaines ou avec un poids d'au moins 500grammes. Limite illégale, a jugé la Cour de cassation: elle ne figure nulle part dans la loi qui se contente d'exiger que l'enfant soit né d'un «accouchement». Pour les parents en deuil, c'est une victoire. Pour les autres, une pièce de plus d'un puzzle vieux comme l'humanité: celui du début de la destinée humaine.

Le choix du père.
La question n'a jamais été simple, et elle ne s'est jamais résumée aux données biologiques ou à ce qu'on en connaissait. Elle a opposé philosophes et médecins depuis l'Antiquité sur des lignes de fracture que les progrès fulgurants de la biologie au XXe siècle n'ont pas effacées. Par les récits, les représentations, la plus ou moins grande protection accordée à la grossesse et au nouveau-né, les sociétés humaines lui ont donné des réponses empiriques tout aussi subtiles et moins déchiffrables. Le père de famille romain, qui disposait d'un pouvoir quasi absolu sur sa maisonnée, avait notamment celui d'autoriser l'avortement de sa femme et de décider de la survie de ses enfants. Sur un geste de sa part, le nouveau-né était élevé dans sa famille ou exposé. Cette dernière solution, aux yeux de Plutarque, vaut mieux que de voir les enfants «corrompus par une éducation médiocre qui les rend inaptes à la dignité et à la qualité». Une idée que reprendront, avec des méthodes certes moins radicales, les courants malthusiens des XIXe et XXe siècles. L'exposition ne condamne pas sûrement le nouveau-né. Il peut être recueilli et adopté ou réduit en esclavage. Reste que le vouer à la mort est acceptable.

• L'esprit du fœtus.
Avortement et exposition sont contestés au sein du monde antique, notamment par les stoïciens. Ils sont condamnés par les pères de l'Eglise. Mais cette dernière mettra plusieurs siècles à adopter une position définitive sur la question de l'entrée de l'âme dans l'embryon. Les confesseurs appliquent longtemps une conception que formalisera Thomas d'Aquin (1225-1274): le fœtus ne devient un être spirituel à part entière qu'à un stade de son développement qu'Aristote a fixé à 40 jours pour les garçons et 50 pour les filles. Avant, il mérite la protection mais les pénitences encourues par les mères qui avortent sont moins importantes. Face à l'exposition, l'Eglise préfère canaliser que condamner une pratique qui peut constituer une alternative à l'infanticide. Les parents sont encouragés à abandonner, le cas échéant, leur enfant dans des lieux publics Ce dernier est amené au prêtre qui fait en chaire un appel aux parents, voire aux bonnes âmes susceptibles de l'aider à les identifier.

• Des enfants à donner.
Si l'enfant est mort, les parents risquent le châtiment suprême. S'il a survécu, son sort dépend longtemps de celui qui l'a recueilli. La pratique autorisant ce dernier à le réduire en esclavage semble avoir subsisté plusieurs siècles avant de disparaître. Infanticide, avortement, abandon: la question du poids de ces pratiques doit rester ouverte comme toutes celles qui demandent des réponses chiffrées à des siècles qui ne se sont pas souciés d'en recueillir. Elle se superpose à une autre interrogation: quels étaient les désirs de procréation des parents et leurs sentiments face à leurs nouveau-nés? Le souci des pères de l'Eglise de condamner l'avortement, leur intérêt pour des pratiques sexuelles supposées empêcher la conception donnent à penser que les habitudes répandues dans l'Empire romain finissant n'ont pas disparu en un jour. De même, l'insistance des prêtres à dissuader les parents de faire dormir leurs nouveau-nés dans leur lit conduit plusieurs historiens à penser que les nombreux accidents favorisés par cette coutume ont pu masquer un recours plus qu'anecdotique à l'infanticide. Ce dernier menace surtout les enfants illégitimes, si l'on en croit l'obligation faite aux célibataires et aux veuves françaises par un édit de 1557 de déclarer leur grossesse. Mais lorsque l'opprobre ou la misère n'en fait pas un fardeau, la grossesse est un bien précieux et la stérilité une malédiction, découlant d'un péché ou d'un sort.

• Saints fœtus.
Le fœtus a sa place dans l'histoire sainte. Des récits miraculeux le montrent intervenant sur le sort de ses parents. Le Christ lui-même est figuré dans le ventre de la Vierge, notamment sur des tableaux représentant la rencontre de cette dernière avec sainte Elisabeth, enceinte de Jean-Baptiste. La mortalité des premiers âges est dévastatrice, et seul un humain sur deux atteint sa vingtième année. Cette hécatombe des nouveau-nés a amené plusieurs historiens à imaginer que les parents relativisaient fortement leur attachement à des petits souvent appelés à disparaître. Cette interprétation est aujourd'hui remise en question. Les enfants mort-nés, en tout cas, subsistent dans la mémoire de leurs parents, et figurent parfois sur les portraits de famille. Dans un monde où la vie après la mort constitue un élément central et très réel des représentations de l'existence, la question de l'entrée dans la vie est liée à celle de l'entrée dans la communauté du salut. Cette dernière pose à l'Eglise un dilemme dont elle peine à se dépêtrer. Porteur du péché originel, l'homme n'accède au salut que par le baptême. Controversée au début, cette doctrine s'affirme au Ve siècle avec l'excommunication du moine breton Pélage, qui soutient la thèse inverse. La logique de cet affrontement pousse saint Augustin (354-430) à postuler que les enfants morts sans avoir pu être baptisés encourent une forme - mineure - de damnation.

• Tristes limbes.
Le pape Grégoire le Grand formalise cette théorie en assignant aux avortons et aux enfants morts sans baptême le cercle supérieur de l'enfer, qui prendra au XIIIe siècle le nom de limbe des nouveau-nés. Ils y échappent aux peines infernales mais restent privés de la présence de Dieu - et donc du salut. La question de savoir si cette privation leur pèse - qui renvoie à celle des capacités spirituelles du fœtus - est disputée. Pour les parents, c'est d'autant plus insuffisant que les enfants morts sans baptême sont privés de sépulture. Aussi se mettent-ils à croire, à partir de la fin du Moyen Age, que cette injustice peut être réparée. Un saint peut accomplir le miracle de redonner vie à l'enfant quelques instants. Ce répit permet de lui administrer le sacrement qui lui ouvrira la porte du paradis - et donnera à ses parents l'occasion de marquer son bref passage d'une pierre tombale. Les récits de miracle se ressemblent. Au début, il n'est pas rare que la sage-femme, après avoir essayé en vain de ranimer l'enfant, l'enterre dans le jardin. Puis la mère, ayant repris des forces, exige de le voir. Ou c'est le père qui revient des champs et ordonne son exhumation. A ce moment, un groupe de personnes, composé souvent du père et/ou de la matrone qui a présidé à l'accouchement, de parents et de voisins se met en marche vers un sanctuaire réputé pour ses miracles.

• Répit pour le paradis.
La marche peut durer plusieurs jours et elle est le plus souvent ardue. Les sanctuaires à répit se trouvent souvent dans des bois, au sommet de vallées montagneuses. Ils sont nombreux: on en a dénombré près de 300 en France, sans compter ceux qu'on trouve en Belgique, en Suisse, en Autriche et en Italie du Nord. A l'arrivée, l'enfant est déposé au pied du saint et ceux qui l'ont accompagné se mettent en prière autour de lui, rejoints par des habitants du lieu. Et souvent, à la lueur des bougies, apparaît un signe. L'enfant change de couleurs, bouge un bras, ouvre les yeux ou la bouche, se met à suer. Autant de manifestations qu'un esprit incroyant peut attribuer sans trop de difficulté au début de la décomposition mais qui permettent de consommer le miracle. L'enfant est ensuite remporté chez lui pour avoir une sépulture chrétienne ou encore enseveli aux alentours du sanctuaire. Les parents en tirent un apaisement qui ressemble peut-être à celui des familles qui ont décroché la décision de la Cour de cassation de 2008. Cette pratique populaire tenace a longtemps dérangé l'Eglise qui finira par l'interdire au XVIIIe siècle. Cela ne l'empêche pas de survivre ponctuellement un siècle plus tard, dans un monde en proie à des changements profonds dans les conceptions de la fécondité, de la grossesse et de la vie.

• Des enfants utiles.
Dès la fin du Moyen Age, on tend à se marier tard en Europe occidentale: le nouveau couple doit d'abord acquérir une forme d'indépendance financière, ce qui peut prolonger le célibat féminin jusque vers 25 ou 26 ans. La règle n'a rien d'uniforme: elle varie suivant les régions et les époques, est influencée par les famines, les guerres et les épidémies qui déciment régulièrement les populations européennes. Mais elle tranche suffisamment sur les usages précédents et environnants pour avoir amené les démographes à parler d'un «modèle européen» de fécondité modérée. En milieu rural, les enfants sont des aides précieuses pour le travail des champs, en ville, ils sont souvent mis tôt à l'ouvrage. L'allaitement prolongé espace leur apparition et beaucoup ne survivent pas. Il y a peu de motifs de vouloir en diminuer le nombre. Certains historiens ont soutenu que l'idée même de contraception était, dans ces conditions, tout simplement impensable au sein du mariage. Quoi qu'il en soit, les choses se mettent à changer à partir du XVIIe siècle.

• Les dames de Genève.
Les premiers signes se manifestent dans l'aristocratie de quelques villes italiennes, à Genève, à Paris. Les courbes des naissances, que des chiffres désormais disponibles permettent de tracer avec précision, se mettent à changer de forme: jusque-là, la mère a en moyenne 40 ans à la naissance de son dernier enfant. Cet âge s'abaisse jusqu'à atteindre 26 ans en France au XVIIIe siècle. Tout se passe comme si, une fois atteinte une certaine descendance, les couples cessaient de procréer. Ce changement, qui mettra trois siècles pour s'étendre à une grande majorité des populations européennes, a longtemps été analysé comme une réaction à la diminution de la mortalité qui s'esquisse au même moment. L'étude des situations locales dessine une image plus nuancée et plus confuse, où le recul de la fécondité précède parfois nettement celui de la mortalité.

• L'amour en moins?
Et l'apparition de la contraception - sans doute pratiquée avant tout au moyen du coït interrompu - n'intervient pas seule. Les pionnières se sont souvent mariées plus jeunes. Elles mènent une vie mondaine active ou travaillent dans la boutique ou l'atelier familial. Elles n'allaitent pas leurs enfants, ce qui a pour effet de rapprocher leurs grossesses - et de diminuer nettement les chances de survie de leurs rejetons. La coutume d'avoir des nourrices à domicile remonte au Moyen Age. Le recours à l'allaitement mercenaire se répand toutefois rapidement au XVIIe siècle et s'accompagne d'un tourisme des nourrissons très meurtrier. Elisabeth Badinter, qui a étudié ce phénomène, l'attribue à «l'amour absent», la froideur affective envers les bébés, une thèse contestée. La forte surmortalité des enfants mis en nourrice, relèvent ses adversaires, n'est pas forcément perçue et le choix de l'allaitement mercenaire répond souvent au souci de donner la meilleure alimentation possible au bébé. Reste que ce dernier semble désormais un intrus dans certaines cases d'une vie adulte de plus en plus compartimentée, où les aspirations individuelles s'expriment avec plus d'autonomie. Et que l'amour parental tel qu'il se redessinera à partir de la fin du XVIIIe siècle valorise plus la qualité, promue par l'éducation, que la quantité.

• L'enfant choisi.
A ce modèle, qui triomphe dans la seconde moitié du XXe siècle avec l'idée de l'enfant choisi, l'Eglise catholique oppose celui de l'enfant accepté, variante moderne de l'enfant don de Dieu. Mais d'autres facteurs s'immiscent dans le débat, désormais ouvert, sur la fécondité des familles. La population est devenue un enjeu politique. A partir du XVIIe siècle, les Etats ont à cœur de la dénombrer. D'abord comptée comme une richesse, elle apparaît menaçante à Thomas Malthus (1766-1834), qui prône l'adaptation des descendances aux possibilités productrices. Dans le camp adverse monte une préoccupation qui s'exprimera avec vigueur au début du XXe siècle: la peur de la dénatalité. Parmi les démocraties, c'est la France, où la baisse de la fécondité a quelques solides décennies d'avance, qui exprime cette crainte avec la plus grande virulence. La défense de la population française motive l'interdiction absolue de la contraception, de l'avortement, et de l'information à leur sujet à partir de 1920. Mais le souci populationniste n'est pas moins vif en Italie fasciste et en Allemagne nazie. La famille nombreuse est promue comme un contre-modèle à l'égoïsme bourgeois des démocraties. La fécondité doit renforcer la vigueur guerrière de la Nation. En Suisse, la droite catholique prône le renvoi des femmes à leurs berceaux avec des accents à peine différents.

• Mon ventre m'appartient.
Le combat pour la contraception et la dépénalisation de l'avortement qui se déroule à partir des années 1960 du siècle passé s'inscrit sur cette toile de fond. En disant que leur ventre leur appartient, les femmes qui mènent cette bataille disent certes qu'il n'appartient pas à la lignée paternelle mais elles proclament surtout qu'il n'est ni à l'armée ni à l'Eglise. Le Planning familial, né dans les années 1960, mène un combat pour la privatisation des choix de procréation dont les tenants et les aboutissants auraient sans doute échappé aux bourgeoises de Genève qui, au XVIIe siècle, se sont mises, sans rien demander à personne d'autre qu'à leur mari, à limiter la durée de leur carrière maternelle.

• Une question de délais...
De façon significative, on peine longtemps à distinguer dans cet affrontement deux fronts pourtant distincts: celui de la contraception, où ne s'opposent que les intérêts de l'Etat et ceux des individus, et celui de l'avortement où se jouent également les droits d'un tiers longtemps aussi instrumentalisé d'un côté que de l'autre: le fœtus. La solution dite «des délais», qui s'impose en France dès 1975 et en Suisse en 2002, se veut pragmatique. Elle rappelle, avec des différences substantielles, la position ambiguë des pères de l'Eglise sur le statut de l'embryon. Mais beaucoup de signes donnent à penser qu'il pourrait s'agir d'un arbitrage provisoire. Car le fœtus, si l'on ose dire, n'est pas resté inactif. Photographié sur papier glacé à tous les stades de son développement, épié de façon toujours plus performante par les machines à ultrasons, il accède toujours plus tôt, du moins au cours des grossesses désirées, à une forme élaborée de personnalité. Les progrès de la procréation assistée d'un côté, ceux de la médecine des grands prématurés de l'autre rognent aux deux extrémités la part de sa vie qui se développe dans le secret et la dépendance de la matrice maternelle. Ses maladies et ses imperfections peuvent être dépistées et parfois soignées en nombre croissant. Les motifs d'interrompre sa croissance, y compris aux alentours de la frontière mouvante qui définit sa viabilité hors de l'utérus, se multiplient.

• ... et d'amour.
Le recul de cette frontière remet en question les solutions purement temporelles au problème de l'avortement thérapeutique. Et cette remise en cause laisse réapparaître une vérité immémoriale: le début d'une destinée humaine se noue là où se rencontrent la chance biologique de la survie et le désir plus ou moins actif d'une société, d'une famille ou d'un individu prêts à l'accueillir. Le fœtus, en somme, est un sujet d'histoire comme un autre. Qui vient d'accéder au salut. En 2007, l'Eglise catholique lui a officiellement ouvert les portes du paradis. Suivant un souhait exprimé par Benoît XVI alors qu'il n'était que cardinal, la Commission théologique internationale a jugé que le limbe des nouveau-nés reflétait «une vision trop restrictive du salut» et estimé qu'il existe «des bases théologiques et liturgiques sérieuses pour espérer que, lorsqu'ils meurent, les bébés non baptisés sont sauvés».

dimanche 29 juin 2008

J'AI ECOUTE LA DOULEUR DES PRISONS.

«J'ai écouté la douleur des prisons»
BRUNO GRAVIER, chef du Service vaudois de médecine et de psychiatrie pénitentiaires, s'est battu contre l'idée que les délinquants sexuels sont inaccessibles aux thérapies. Mais son discours reste nuancé.
Fati Mansour. LE TEMPS (quotidien suisse). Samedi 28 juin 2008.
Déformation professionnelle, sans doute. Il a beaucoup de mal à parler de lui-même. C'est que Bruno Gravier, le chef du Service de médecine et de psychiatrie pénitentiaires du canton de Vaud, passe le plus clair de son temps à écouter la souffrance des autres. En particulier, celle des détenus qui présentent souvent des pathologies aiguës, qui arrivent avec des histoires, dit-il, «lourdissimes». Ces criminels, dont les actes et la violence ont défrayé la chronique, et qu'il faut aider à se réapproprier leur humanité. Sur ce travail thérapeutique en plein essor, soumis à une pression sociale grandissante, il est par contre intarissable.

C'était il y a tout juste dix ans. En 1998, rompant avec une pensée longtemps dominante qui voulait qu'un délinquant sexuel soit inaccessible aux soins, Bruno Gravier reçoit le mandat d'ouvrir une consultation ambulatoire destinée à proposer un suivi pour les auteurs d'abus, après qu'ils ont purgé leur peine ou dans le cadre d'une libération conditionnelle. La consultation accueille aussi des patients qui ont bénéficié d'un sursis, qui sont sous le coup d'une mesure thérapeutique ou qui perçoivent en eux des potentialités inquiétantes. De ce travail difficile, le psychiatre retire surtout une leçon d'humilité.
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Alors que les attentes du public, du politique et de la justice sont énormes, et que le soin imposé devient aux yeux de beaucoup la solution à ces délits considérés comme inacceptables, Bruno Gravier n'a eu de cesse de mettre en garde contre la confusion des rôles. «On voudrait nous voir soigner, prédire, anticiper. Or, la psychiatrie n'a pas valeur d'oracle. Les approches doivent être multidisciplinaires. Il s'agit de voir le chemin de vie d'une personne.» Avec le soin, celui-ci peut devenir prise de conscience. C'est le cas, se rappelle-t-il, de cet homme, condamné pour des actes pédophiles, qui, après un suivi ordonné et une fois libéré de toute obligation, a repris contact après des années pour faire un travail très fouillé afin de protéger son entourage de ses penchants et comprendre sa propre histoire.
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Au sein du milieu carcéral, Bruno Gravier vit aussi le tiraillement. Au personnel pénitentiaire qui réclame des informations sur la pathologie d'un prévenu, il oppose le secret médical. «Je me dois de protéger l'histoire psychique de la personne.» Par contre, si le détenu fait courir un risque aux surveillants, il s'autorise à en parler avec eux, suivant en cela les directives de l'Académie suisse des sciences médicales.
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Pour le médecin, «corps étranger mais partenaire de l'institution», c'est un perpétuel exercice d'équilibrisme. L'arrivée en force ces dernières années de la notion de dangerosité - paradigme poussé à son extrême lors de la votation populaire sur l'internement à vie des délinquants - a bousculé encore plus le travail du psychiatre. Le médecin s'est retrouvé à la croisée des chemins. Devait-il devenir une sorte de criminothérapeute au service d'une vision sécuritaire de la société ou s'en tenir à une offre de santé mentale et physique à cette population qui va de plus en plus mal?
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A cette question délicate, Bruno Gravier a donné une réponse nuancée en puisant dans son expérience en France et au Canada. De l'Institut Philippe Pinel de Montréal - centre hospitalier à sécurité maximale de 290 lits où il a passé plus d'une année au sein d'une unité accueillant les meurtriers psychotiques -, il a retenu le besoin de cultiver un certain pragmatisme clinique et surtout de créer une instance tierce de décision en matière de libération conditionnelle afin de ne pas jouer ce rôle inconfortable et hasardeux de pronostiqueur. Cela l'amènera à convaincre l'autorité de créer la Commission interdisciplinaire consultative (CIC). Un principe qui a fait école puisqu'il a été introduit dans le nouveau Code pénal. Ne restant pas sourd mais plutôt critique face à ce discours de la défense sociale qui s'intéresse surtout à la récidive, Bruno Gravier a beaucoup insisté pour développer une réflexion sur l'évaluation du risque du comportement violent en rattachant celui-ci à la personne et à son vécu. «Il ne faut pas diaboliser cette réflexion sur le risque et la meilleure manière de le prévenir», ajoute-t-il.
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Mais cette modestie en matière de prévision ne l'a pas toujours aidé à faire passer son message à un monde avide de certitudes. Il se souvient ainsi de séances à Berne, consacrées à la mise en œuvre de l'initiative sur l'internement à vie des délinquants dangereux, où les parlementaires se sont montrés bien plus réceptifs aux propos d'un collègue alémanique. «Il leur parlait profils et programmes informatiques avec pourcentage de récidive à la clé. Mon discours nuancé n'a pas fait le poids face à ceux qui prétendent détenir la vérité absolue et qui rassurent ainsi une société en mal de repères et préoccupée par la protection des victimes.»
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Ce débat, il le vit au quotidien. «C'est un bouleversement fondamental qui place la pratique dans une tout autre logique. On ne travaille pas sur l'avenir hors des murs après la prison mais pour certains sur un avenir potentiellement dans ces murs.»
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Incompris? Parfois. Débordé? Beaucoup. Durant ces dix ans, la maladie mentale est devenue massive et omniprésente dans le milieu carcéral. Le défi est d'autant plus important. Les unités psychiatriques de la prison préventive de la Tuilière et du pénitencier de Bochuz, créées en 1992 et en 2000, affichent complet. «Ce matin, j'ai dû suspendre les admissions dans l'une d'elles en raison de l'épuisement du personnel», soupire Bruno Gravier. Les équipes doivent gérer avec les moyens du bord souffrances, délires, manifestations de violence et tentatives de suicide à répétition. Il y a aussi de plus en plus de patients ingérables dans les hôpitaux qui se retrouvent placés en milieu hautement sécurisé, sous le coup d'une mesure pénale.
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La prison, reflet du brassage et des misères sociales, confronte le psychiatre à des situations douloureuses. «On a connu des cas d'enfants soldats devenus adultes qui livrent des récits très durs à entendre.» Paradoxes et difficultés ne semblent toutefois pas avoir eu raison de cette vocation.
Bruno Gravier est tombé dans la marmite tout jeune. Sa mère, orthophoniste, lui a fait lire les psychanalystes. La remise en question des asiles et une autre manière d'écouter la folie dans les années 1970 ont participé de cette passion. Le destin a fait le reste pour l'entraîner sur le chemin de la psychiatrie légale. Il se rappelle cette première sortie à Montréal avec un dangereux criminel en congé. «On n'en menait pas large tous les deux.» Depuis, il sait que l'assurance n'est pas un sentiment très présent dans son domaine. Qu'à cela ne tienne. «Lorsqu'un délinquant sexuel prend la mesure de l'horreur commise, l'on se dit que ce travail sert à quelque chose.»

UN HOMME VEND "TOUTE SA VIE" AUX ENCHERES SUR INTERNET.

EBAY.Un homme vend "toute sa vie" aux enchères sur Internet.
NOUVELOBS.COM 29.06.2008 15:16.
Un homme de 44 ans a vendu sa vie aux enchères, comprenez ses biens matériels, mais aussi son travail et la possibilité de rencontrer ses amis, pour 399.000 dollars australiens (249.000 euros). De sa vie passée, il ne conservera que son passeport, son portefeuille, et les vêtements qu'il porte.
Ian Usher, 44 ans, a décidé de vendre sa vie aux enchères sur le site eBay, pour tout recommencer. (AP) Ian Usher, Britannique de 44 ans immigré en Australie, a annoncé dimanche 29 juin avoir vendu "toute sa vie" aux enchères sur le site eBay pour 399.000 dollars australiens (249.000 euros). La vente comprenait ses biens matériels, mais aussi son travail et ses amis. Le divorce d'avec sa femme a poussé l'homme à vendre sa maison à Perth, dans l'ouest du pays, sa voiture, sa moto, son jet ski et tous ses biens matériels. Son offre, mise à prix à 1 dollar (0,60 euros), comprenait également la possibilité de prendre son travail de vendeur de tapis et de rencontrer ses amis."Le prix final est de 399.000 dollars australien" (249.000 euros), a indiqué M. Usher à l'AFP, une semaine après le début de la mise aux enchères sur eBay. La vente lui a rapporté moins qu'il pouvait espérer. Sa maison est en effet estimée à 420.000 dollars (262.000 euros) et contient pour des "milliers de dollars" de biens électroniques. Mais il a dit se sentir "plutôt bien"."C'est une vente""Je pensais que les mises seraient un peu plus hautes sur la fin. Mais c'est une vente", a-t-il déclaré. A la fin de la première journée d'enchères, le 22 juin, des acheteurs potentiels avaient surenchéri jusqu'à 2,2 millions de dollars (1.373.000 euros), avant que Ian Usher ne réalise que le système d'inscription pour le dépôt d'offres n'avait pas été activé et que ces propositions élevées n'étaient pas sérieuses. De sa vie passée, le nouvel homme ne souhaite désormais conserver que son passeport, son portefeuille et les vêtements qu'il porte.
Il n'a pas indiqué où il avait prévu d'entamer sa nouvelle existence.

samedi 28 juin 2008

LE SCENARIO BRUT QUI FAIT PEUR.


Conjoncture. Alors que le prix du baril a crevé un nouveau plafond hier.
CHRISTIAN LOSSON.
LIBERATION QUOTIDIEN : samedi 28 juin 2008.


Le pire de la crise du crédit américaine est peut-être passé, mais le pire de la crise économique globale reste à venir. «Pendant une longue période, le monde a profité d’une combinaison de croissance robuste et de faible inflation, mais il affronte maintenant des vents contraires» , euphémisait, mi-juin, le G8 Finances. «Il y a de quoi être inquiet et bâtir des scénarios noirs» , résume l’économiste Anton Brender, qui se refuse pourtant à y croire.

Ces derniers temps, on voit bien que la crise s’aggrave, attisée par un pétrole qui, hier encore, s’est offert un nouveau record, à près de 143 dollars (90 euros) le baril. Un prix vertigineux, résultat, comme le croit Michael Master, un manager de hedge fund, de spéculateurs achetant à tour de bras, «autant que de la demande de la Chine». Mais cette exubérance, même irrationnelle, n’explique pas tout. La fin structurelle du pétrole bon marché est-elle liée au boom de la demande ou au peak oil, le déclin inexorable de la production, voire aux limites de production actuelles (lire ci-contre) ?
Le «pétropessimisme» - ou le réalisme - se retrouve alimenté quotidiennement. Jeudi, le président de l’Opep, Chakib Khelil, évoquait un baril qui pourrait atteindre «170 dollars cet été». Vendredi, le patron du géant de l’énergie russe Gazprom, Alexeï Miller, prédisait un or noir bientôt «à 250 dollars»… En attendant, les places boursières, dans la tourmente, se raccrochent au moindre semblant de bonne nouvelle pour ne pas trop dévisser (vendredi, la consommation américaine, meilleure que prévue)… Mais la contagion de la finance à l’économie réelle gagne du terrain. La croissance flageole et la hausse des prix (pétroliers, bien sûr, mais aussi alimentaires) s’emballe : + 3,3 % de hausse des prix en Allemagne en juin, du jamais vu depuis 1993. Le moral des ménages est dans les chaussettes (Libération de vendredi) avec, dit un économiste, «la peur de voir les entreprises défaillir, et le spectre d’un chômage de masse revenir.»
De nouveaux cadavres vont-ils sortir du placard de la finance véreuse d’où sont sorties les subprimes il y a dix mois ? «Pas forcément, note l’économiste Anton Brender, mais de nouveaux vont y rentrer avec le ralentissement de l’économie.» En économie, le cinéma zombiesque de George A. Romero s’appelle la stagflation. Un cocktail de mort-vivant fait de croissance molle et d’une inflation dure. Et que redoutent évidemment les banques centrales car très délicat à guérir. Comme le dit Nouriel Roubini, l’un des premiers économistes américains à avoir prédit le choc des subprimes : «Le scénario cauchemardesque n’est pas loin.»

MAIS OU EST LE P.S. ?


35 heures, télé publique, Europe: les socialistes, accaparés par leur congrès, laissent le champ libre à Sarkozy et à Besancenot.
DAVID REVAULT D’ALLONNES
LIBERATION : SAMEDI 28 JUIN 2008.


Des dirigeants en quête de lumière et, à l’arrivée, un PS en coupure de son. Plus de treize mois après l’installation à l’Elysée de Nicolas Sarkozy, la principale force d’opposition, presque exclusivement tournée vers sa compétition interne, demeure, de l’avis même de ses leaders, plus «inaudible» que jamais. La dernière séquence politique n’a pas, loin de là, démenti la tendance : entièrement occupés à la rédaction et à la présentation de leurs contributions respectives en vue du congrès de Reims, en novembre les ténors du parti n’ont guère brillé par la puissance de leur expression.
Qu’il s’agisse de la réforme des 35 heures, de l’incendie du centre de rétention de Vincennes ou de la prochaine nomination par l’Elysée du patron de la télévision publique. Jean-Christophe Cambadélis, député de Paris, résume: «Nous n’étions déjà pas très audibles. Mais avec le temps des contributions, qui se multiplient comme des petits pains, nous le sommes encore moins.»
Sur le même sujet

Réflexe Lucky Luke.
Sur bien des dossiers, pourtant, on n’entend pas, entre socialistes, de désaccords majeurs quant à l’idéale position de l’opposition. «Les voix ne sont pas forcément discordantes. Mais chacun pense que la sienne est destinée à avoir un éclat supérieur aux autres. C’est le réflexe Lucky Luke: à celui qui dégainera plus vite que son ombre», se désole le député du Finistère Jean-Jacques Urvoas. «N’importe qui dit ce qu’il a envie de dire», confirme son collègue des Alpes-de-Haute-Provence, Jean-Louis Bianco, proche de Ségolène Royal.
De toutes les cases de l’échiquier socialiste monte le même refrain : l’impérieuse nécessité d’en finir avec une pratique politique socialocentrée. «Ce qui serait formidable, c’est qu’on redevienne un parti qui parle d’abord aux Français», dit Martine Aubry. «Plutôt que d’avoir des arrière-pensées ou des avant-pensées, il faudrait prendre quelques instants pour avoir des pensées», dit aussi Guillaume Bachelay, proche de Fabius. «Il y a une grande colère dans le pays», dit encore Ségolène Royal : «Les militants ne sont pas heureux de ce qui se passe.»

Paquet fiscal et pouvoir d’achat.
Le PS, pourtant, a su, sur certains sujets, faire entendre sa voix. Ainsi, sur l’emblématique dossier du paquet fiscal. Et, au-delà, sur la question du pouvoir d’achat. «Là où nous avons réussi à enfoncer le clou, c’est sur le tropisme d’une politique menée pour les riches et les puissants», estime Jean-Christophe Cambadélis. Ce qui permet à André Vallini, proche de François Hollande, de contester «une espèce d’autoflagellation permanente, typique de la gauche, alors même que la droite a trouvé qu’on n’était pas si mauvais.» Reste que d’autres dossiers ont démontré une carence certaine. Celui de la question scolaire, sur laquelle Jack Lang se dit «navré de ne pas avoir entendu un seul grand dirigeant tirer la sonnette d’alarme. Darcos a face à lui un ventre mou.»
On attend toujours de comprendre quelle est l’exacte position du PS sur le traité de Lisbonne et sur la réforme constitutionnelle dont les déconvenues sont aujourd’hui davantage imputables aux sénateurs de droite qu’au PS…

35 heures.
Quant au terrain social, en particulier celui des 35 heures, de moins en moins assumées par les socialistes, des absences criantes sont à signaler. Dont celles du PS à la journée d’action intersyndicale du 17 juin, à laquelle le Bureau national avait pourtant appelé à participer «massivement».
Alors que François Hollande, le soir même, parlait football à l’émission 100 % Euro, sur M6, «pas l’ombre d’un ténor sur le pavé», ironisait alors le député européen Benoît Hamon, tendance gauche du parti, qui s’interrogeait : «Qui était là à leur place?» Réponse: Olivier Besancenot, qui réunit ce week-end ses comités en vue de la fondation du futur Nouveau parti anticapitaliste, ne manque pas d’exploiter le filon : «Ceux qui à gauche aident le plus la droite c’est, a priori, ceux qui ne s’y opposent pas.»

vendredi 27 juin 2008

NOURRIE, LOGEE, BATTUE.


Elles viennent en France pour poursuivre des études ou pour des vacances. Tombées aux mains de «familles d’accueil» qui les exploitent, ces jeunes filles souffrent des années avant d’oser se confier.
Gaël Cogné
LIBERATION QUOTIDIEN : vendredi 27 juin 2008.

«Je suis arrivée en France à 17 ans.
Une amie de la famille avait proposé de me payer les billets. Je devais suivre des études.»
Comme pour beaucoup d’esclaves domestiques, l’histoire de Salima Sy (1) commence par la promesse d’un conte de fées. Une trop belle opportunité. «En arrivant, j’étais très impressionnée. Il faisait un peu frais. C’était tellement différent de Dakar.»

Fin du conte de fées.
Aujourd’hui, elle a 29 ans et travaille comme vendeuse dans un magasin de prêt-à-porter. Les contes de fées sont loin. Entre-temps, elle a vécu cinq ans dans un appartement de Saint-Germain-en-Laye (Yvelines). Asservie. Rapidement, il n’a plus été question de suivre des études. Passeport, visa et titres de séjour confisqués, la jeune fille doit aller chercher les enfants de l’«amie de la famille» à l’école, les nourrir et faire «la boniche». Salima Sy subit menaces et brimades, perd la notion du temps, devient une ombre qui fuit les questions des voisins, passe la majorité de son temps enfermée.
Il faudra cinq ans pour qu’une assistante sociale, amie de son frère, vienne la chercher et la confie au CCEM (Comité contre l’esclavage moderne). Viennent ensuite les procédures judiciaires et l’accompagnement. Salima Sy a la chance d’être placée dans une famille d’accueil. «Ils on été très gentils avec moi.» Heureusement, car au début, Salima Sy est complètement déconnectée. «C’était très difficile», confie-t-elle. Elle reste évasive sur la manière dont elle a remonté la pente.

Aminata (2), elle, est arrivée en France à onze ans.
«Je suis venue pour des vacances, mais ce n’était pas vraiment des vacances.» Le récit de son parcours se calque sur celui de Salima : une douche par semaine, travail continuel, couchage sur un canapé, violences et pressions. Elle n’est autorisée à laver ses vêtements que trois fois par an. La femme qui l’exploite lui soutient qu’elle connaît « les assistantes sociales, inutile d’aller les voir, elles te ramèneront. La police, ils sont méchants, ils vont te violer». Aucune issue . «Elle me frappait et m’a dit un jour que ça lui faisait plaisir de me voir souffrir.» La jeune fille, crédule, n’ose d’abord pas se confier à la voisine qui l’y invite. Mais elle finit par lui faire confiance. Elle échappe finalement à son «employeur».
Une fois libérée, il faut réapprendre à vivre. Dans le foyer de jeunes travailleurs où elle est hébergée, elle «ne dor[t] pas», «fai[t] des cauchemars», se retrouve à l’hôpital, confie-t-elle, de l’émotion dans la voix. «Lorsque je prenais le bus, je me sentais mal à l’aise, j’avais l’impression que tout le monde savait ce qui m’était arrivé. J’avais peur de m’approcher des gens. Quand j’en parlais, je voyais que ça rendait les gens tristes.» Un an de travail avec une psychologue a été nécessaire pour qu’elle commence à aller mieux. Longuement, elle prépare avec le CCEM la confrontation avec son exploiteuse au commissariat. Ça lui redonne confiance en elle. «Elle a essayé de m’impressionner mais j’étais prête.»
Nagham Hriech Wahaby est psychologue à l’association Esclavage tolérance zéro (ETZ), à Marseille. Elle a l’habitude de ce type de situation : «Elles témoignent, racontent, mais ne se racontent pas.» Difficile de parler de soi. «Quand les assistantes sociales demandent : "Comment allez-vous ?", ça les perturbe, ça fait dix ans que personne ne le leur a demandé.» Pour la psychologue, il n’y a pas de recette miracle. Il faut s’adapter à chaque situation, mais le temps est toujours un atout. «Il faut se réapproprier sa capacité à être sujet. Il est aussi important d’avoir un espace où l’on est écouté.»

Premier appartement.
La semaine dernière, Aminata emménageait. «C’est mon premier appartement. C’est chez moi. Je fais une formation en alternance en restauration dans une maison de retraite et je gagne 450 euros par mois. Je me débrouille pour vivre toute seule avec ça», lance-t-elle fièrement. «Je vais aller voir mes parents au pays. Je n’y suis pas retournée depuis mes 11 ans.»

(1) Relatée dans son livre, Personne ne voulait me croire, Editions du Toucan, 2008.
(2) Le prénom a été changé.

jeudi 26 juin 2008

QUAND L'ECOLE COGNAIT.


Nº2277. SEMAINE DU JEUDI 26 Juin 2008.
Le Nouvel Observateur. Quand l'école cognait.
On peut cogner, on peut fouetter. Mais gifler, Non.
Dans la longue histoire des châtiments corporels à l'école, le soufflet n'a jamais été bien vu. Même au XVIe siècle, lorsqu'on ne lésine pas sur les corrections. Les jésuites l'ont exclu (au moins en théorie) de l'arsenal punitif. C'est écrit noir sur blanc en 1599 dans leur charte pédagogique, le ratio studiorum. Lorsqu'un siècle plus tard il fonde la congrégation des frères des Ecoles chrétiennes, Jean-Baptiste de La Salle proscrit lui aussi la gifle. Les uns et les autres lui préfèrent l'usage d'un instrument. Pour les jésuites, c'est le martinet, auquel la figure du père Fouettard renvoie aujourd'hui. Les frères des Ecoles chrétiennes sont invités, eux, à privilégier la férule (petite palette de bois ou de cuir). Tout plutôt que la main ou les coups de pied.
Cette subtilité a été pensée : l'école doit se distinguer de l'univers familial ou des fripons qui manient le bâton. «Il en va de la préservation des prérogatives de la fonction enseignante», commente Eirick Prairat (1), professeur de sciences de l'éducation à l'université Nancy-II. Il faudra attendre le XIXe siècle pour voir les premiers textes interdisant les sévices aux écoliers, et la deuxième moitié du XXe siècle pour les voir respecter. Sous l'Ancien Régime, on se contentait juste de les codifier.L'historien Dominique Julia (2), qui connaît son Jean-Baptiste de La Salle sur le bout des doigts, peut presque réciter de mémoire chacun des préceptes du pédagogue : «Ne pas donner plus d'un coup de férule à la fois sur la main d'un écolier. Eviter de répéter l'opération plus de trois fois dans une demi-journée. Limiter l'utilisation des verges ou du martinet, ne jamais frapper sous l'emprise de la colère et adapter les corrections au caractère de l'élève», etc.
Dans les faits, c'est une autre histoire. Les instituteurs sont imprégnés de l'idée selon laquelle «douleur et souffrance creusent une antériorité dont on se souvient. On n'oublie jamais lorsqu'on s'est coincé les doigts dans une porte», ironise Eirick Prairat.
Et puis il y a la Bible, dont les proverbes décomplexeraient n'importe quel tyran. N'y lit-on pas que «la folie est ancrée au coeur du jeune homme [et que] le fouet de l'instruction l'en délivre» ? Il faut mater ce petit «être tordu et pervers». C'est ainsi qu'on perçoit l'enfant jusqu'à la fin du XVIIIe siècle. Jusqu'à ce que Jean-Jacques Rousseau, inspiré par quelques médecins, présente l'enfant comme «une promesse» dont il faut accompagner le développement.
Mais cette petite «promesse» devra encore patienter avant d'être débarrassée de la tyrannie de ses maîtres.La Révolution ne change pas grand-chose à l'affaire. Certes, on a basculé dans une autre époque. La discipline inspirée du modèle monacal sous l'Ancien Régime a vécu. Mais elle a été remplacée par une discipline toute militaire dans les lycées napoléoniens. Dans son processus de laïcisation, l'enseignement va cependant chercher à se démarquer des siècles précédents. Tout au long du XIXe, entre 1820 et 1880, «un ensemble de règlements qui tentent d'exclure le châtiment corporel sont édictés», note l'historien Jean-Claude Caron (3). Mais dans les faits, chez les frères des Ecoles chrétiennes par exemple, c'est encore férule, verge et Cie. Professeur d'histoire contemporaine à l'université Blaise-Pascal de Clermont- Ferrand, Caron a listé une série de plaintes parentales, dont certaines portées en justice. Dans les collèges et lycées plus fréquentés par des enfants de bourgeois, les punitions changent de nature. C'est la grande époque des cachots. Rien qu'à Louis-le-Grand, on en compte 13. C'est aussi celle des pensums, bonnets d'âne, port d'écriteaux, etc.
Les révoltes lycéennes, et notamment celle de Louis- le-Grand en 1883, auront, précise Eirick Prairat, «une influence déterminante sur le contenu du décret du 5 juillet 1890» qui confirme l'interdiction des sévices corporels. Mais c'est bien plus à l'influence des médecins et de la pensée hygiéniste des années 1860-1870 que l'anatomie des écoliers devra progressivement un répit. Au XXe siècle, les pédagogies nouvelles feront le reste. Car, comme le dit Eirick Prairat, «ce qui clôt une pratique, c'est la claire conscience de son inutilité». Certes, tout n'est pas linéaire. Jusque dans les années 1960, il n'était pas rare de se faire taper sur les doigts ou bien sur la tête par les enseignants. Et la gifle reste parfois un réflexe.
La preuve par José Laboureur.(1)«La Sanction en éducation», PUF, «Que sais-je ?», 2007.(2) A codirigé l'"Histoire de l'enfance en Occident. De l'Antiquité à nos jours", Seuil, 1998.(3) "A l'école de la violence. Châtiments et sévices dans l'institution scolaire au XIXe siècle", Aubier, 1999.

Nicole Pénicaut. Nouvel Observateur.

LA TIRELIRE A GATERIES.

La tirelire à gâteries. Palliatif.
Comment acheter du «sentiment» virtuel avec l’ikemenbank.
EMMANUÈLE PEYRET. LIBERATION QUOTIDIEN : mercredi 25 juin 2008.

Ça fait rêver ou frémir, c’est selon.

Ainsi donc, douze ans après les tamagotchi, les Japonaises (apparemment c’est réservé aux filles, ce qui n’augure rien de bon sur le sexisme de la chose), peuvent s’offrir une tirelire électronique.
Tu me diras, jusque-là ça va, mais là où ça se corse, c’est qu’à l’intérieur de la tirelire, il y a un «amoureux virtuel». L’ikemenbank (1), donc, ou «tirelire beau garçon», consiste en un appareil électronique en forme de cœur et équipé d’un écran LCD qui permet à sa propriétaire de vivre une histoire d’amour virtuelle avec un personnage d’animation au look manga (1).

Lettre d’adieu.
D’abord, on choisit l’élu de son cœur parmi les cinq «modèles» d’hommes proposés par l’ikemenbank, qui vont du «jeune athlète» à «l’homme plus âgé sachant faire preuve de patience». Rien que ça… Chaque fois qu’une nouvelle pièce est glissée dans la tirelire, le fiancé délivre un commentaire flatteur, comme «tu es la meilleure», ou encore «tu es de plus en plus jolie en ce moment». En revanche, si on le néglige pendant cinq jours, il disparaît en laissant simplement une lettre d’adieu.

La grande classe.
Un bifton, contre une gâterie, ça ne vous rappelle rien ? Et ça n’est pas fini : si l’histoire d’amour ne connaît pas une fin prématurée parce que le compagnon virtuel se sent délaissé, elle s’arrête de toute façon lorsque 100 pièces de 500 yens (3 euros) ont été accumulées dans ce bas de laine nouvelle génération. Bon. Mais rien ne dit que cette romance finit bien… Pour que ce soit le cas, il faut que l’utilisatrice ait instauré une bonne communication avec l’amoureux virtuel. C’est-à-dire qu’elle ait dit ce qu’il veut entendre. Du style, à la question : «J’ai l’impression que mon ami a le béguin pour toi… Qu’en est-il ?», la fille a intérêt à répondre un truc du genre «ah mais je m’en fous Jean-Mi, y a que toi qui compte».


Psychologue de l’amour.
De la relation hommes-femmes de très haut niveau. Surtout quand on sait que pour assurer du réalisme à la chose et aider les femmes de différentes générations «à ressentir réellement la sensation d’avoir des papillons dans l’estomac», la firme japonaise s’est adjugée les services d’une «psychologue de l’amour», a expliqué sans rire un porte-parole de Bandai, l’unité de jouets de la compagnie japonaise Namco Bandai Holdings, qui fabrique l’ikemenbank et qui avait à l’époque lancé les fameux tamagotchi (74 millions d’exemplaires).

Avec ce nouveau modèle, on ne nourrit pas un homme, on le paye pour avoir du sentiment et des compliments. Trop kawaï.
(1)A se faire rapporter d’urgence du Japon où la tirelire sera lancée le 6 septembre, au prix de 4,935 yens (29,6 euros). (2) A voir de près sur le site : http://ikemenbank.jp

vendredi 20 juin 2008

LA BLOGOSPHERE EST-ELLE EN DANGER ?

Par Nil Sanyas (PCINpact) - Vendredi 20 juin, 11h06.

La blogosphère est-elle en danger ?
Si pour l'instant, il n'y a pas péril en la demeure, les blogueurs devraient néanmoins se pencher sur un article du magazine bulgare Kapital, et traduit par Courrier International. D'après cet article, le Parlement européen « considère la blogosphère comme dangereuse et envisage de voter une mesure encadrant cet espace de libre expression ».
.
Pour le bien des blogueurs.
Une nouvelle peu enthousiasmante à l'heure où, en France (et ailleurs), l
e filtrage et la surveillance des contenus sont sur toutes les lèvres. Cet encadrement des blogs, initié suite à un récent rapport de la députée estonienne Marianne Mikko, se ferait via une sorte de labellisation des blogs, ceci grâce à un « indice de qualité, pour qu'il soit clair pour tout le monde qui écrit et pour quelle raison », peut-on lire dans le rapport en question.
Une labellisation des blogs, qui n'est pas sans rappeler
celle de la presse en ligne dont nous vous parlions l'année dernière, ou encore la future création par Michèle Alliot-Marie d'une Commission de déontologie du Net.

Certains blogs polluent le cyberespace.
« Jusqu'à présent, la blogosphère était un espace de bonnes intentions, avec un discours relativement franc et ouvert. Beaucoup de gens font confiance aux blogs. Cependant, du fait de leur banalisation et de leur multiplication, les blogs sont également utilisés par des personnes de moins en moins scrupuleuses. »
Si « jusqu'à présent, nous n'avons pas considéré les blogueurs comme une menace, ces derniers peuvent polluer considérablement le cyberespace », a ainsi rédigé la députée estonienne, certainement la future égérie des blogueurs.

Blogueurs, arrêtez de donner votre opinion.
Marianne Mikko n'est cependant pas la seule en Europe à se poser des questions au sujet des blogs. Selon Kapital, l'eurodéputé allemand Jorgo Chatzimarkakis a ainsi déclaré : « les blogueurs ne peuvent certainement pas être automatiquement qualifiés de menaçants », mais « les blogs sont aujourd'hui un puissant instrument de communication et peuvent être considérés comme une forme avancée de lobbying. Et constituer, en tant que tels, une menace ».
De là à penser que les blogueurs ont un peu trop milité pour le Non au traité de Lisbonne, contrairement à tous les autres médias (TV, radio, presse papier), et que cela gêne certains eurodéputés, il y a un pas que nous ne franchirons pas.

jeudi 19 juin 2008

L'EVASION EN CELLULE FAMILIALE.


L’évasion en cellule familiale.
La prison d’Avignon abrite l’une des sept Unités de visites familiales de France. Dans ces appartements aménagés dans la prison, un détenu peut retrouver ses proches pour quelques heures, ou quelques jours. ONDINE MILLOT.
LIBERATION QUOTIDIEN : jeudi 19 juin 2008.

Ils ne se quittent pas des yeux, ne se lâchent pas les mains. On dirait qu’ils ne voient rien d’autre, ni les papillons colorés sur les murs, ni les barreaux aux fenêtres. Ni la jolie terrasse au soleil, ni le grillage qui l’enserre. Une télévision allumée bavarde seule dans un coin. «C’est pour faire un peu maison» , sourit Alice.

Michel et Alice (1) sont «ensemble», comme ils disent, depuis treize ans. Dont dix de prison pour Michel. Ce matin d’avril, ils se retrouvent pour leur deuxième rencontre en Unité de visites familiales (UVF) au centre pénitentiaire d’Avignon-Le Pontet, où est incarcéré Michel.

Il est 10 heures du matin. Ils ont six heures devant eux. La prochaine fois, ce sera vingt-quatre, puis quarante-huit ou soixante-douze heures, s’ils en font la demande. Entre cette bulle d’intimité dans un appartement coquet et les habituels parloirs de trois quarts d’heure bruyants et étroitement surveillés auxquels ils ont eu droit jusque-là, c’est «le jour et la nuit», résume Alice.

Elle est belle, mince, blonde et hâlée, paraît dix ans de moins que son âge (54 ans). Il a 60 ans, la carrure et le visage d’un bel homme, le teint gris et le regard voilé de ceux qui vivent enfermés.
Alice a dormi cette nuit dans le bus qui l’amène d’Espagne, mais cela ne se voit pas. Elle s’est «pomponnée», rit-elle, en noir et blanc chic, maquillage soigné, boucles d’oreilles dorées. Lui aussi visiblement, qui confie que «l’UVF, on se le fait cent fois dans sa tête avant, cent fois dans sa tête après». Les habits, rebondit Alice, «c’est un indice sur ce que pensent les femmes qui rendent visite à leur mari en prison. Certaines sont sexy, apprêtées. D’autres… Je peux vous dire en les regardant qu’elles ne sont plus amoureuses. Elles sont là parce qu’elles se sentent obligées».

La conversation est un gai mélange de français, d’espagnol et d’anglais, où ce n’est pas un problème de se couper la parole ni de parler en même temps. Alice est anglaise, Michel est français. Ils se sont rencontrés en Espagne, où elle habite depuis ses 18 ans, où lui s’était exilé en 1989 pour cause d’«ennuis avec la justice».

«Surveillants de l’amour»

Alice est gérante d’un piano-bar. Il est venu boire un verre un soir. Ils ont flirté pendant des mois, une séduction «à l’ancienne». Puis se sont installés, en 1995, dans deux maisons côte à côte, elle avec ses deux enfants, lui voyageant souvent «pour affaires» en Amérique latine. Du commerce d’import-export, disait-il. Un trafic international de cocaïne, a dit la justice, qui, l’accusant également de braquages commis au début des années 80, l’a condamné à vingt ans de prison.

L’arrestation de Michel, en 1998, les a surpris. «Elle ne savait pas grand-chose de mon passé, raconte-t-il. Elle ne connaissait même pas mon vrai nom.» «Quand on l’a arrêté, coupe-t-elle, c’était un choc, mais je ne me suis pas sentie trahie. Il ne m’avait pas menti, puisque je ne lui avais jamais posé de questions.»

Il est midi. Michel s’est installé derrière le comptoir de la cuisine américaine. Il prépare un brunch, parce que c’est ainsi qu’ils mangeaient tous les deux «avant». «Alice travaille la nuit, explique-t-il, alors pour elle, midi, c’est l’heure du petit déjeuner.» On s’éclipse pour les laisser seuls.

Derrière la porte de l’appartement, un long couloir blanc, et plusieurs portes : l’autre appartement, un F3 quasiment identique ; la salle d’attente, où patientent les familles ; la salle de fouille où transitent les détenus ; et le local des surveillants. Ils sont deux aujourd’hui : Xavier, 38 ans, et Isabelle, 47 ans, volontaires pour travailler en UVF. «C’est un autre rapport avec les détenus, dit Xavier. Ils sont cordiaux, et même vraiment gentils avec nous. Il y en a un qui nous appelle "les surveillants de l’amour".» «Depuis seize ans que je suis dans la pénitentiaire, enchaîne Isabelle, on me parle de réinsertion. Et franchement, quand on passe la journée à ouvrir et fermer des portes, la réinsertion, je ne vois pas trop où elle est. Ici… c’est différent. On leur apporte vraiment quelque chose.»

Avec l’aide du conseiller d’insertion et de probation (CIP) et du psychologue, Xavier et Isabelle gèrent les demandes d’UVF.«Quatre-vingt-dix pour cent des réponses sont positives, explique Sophie Masselin, directrice adjointe du centre pénitentiaire d’Avignon Le Pontet. Mais on fait une enquête pour chaque dossier.» Le CIP doit s’assurer de l’existence d’une relation amoureuse ou familiale. Et vérifier que les futurs visiteurs sont au courant du motif et de la durée de l’incarcération.
«On veut éviter de fausses projections», explique Sophie Masselin. Seuls les enfants, qui ne peuvent venir qu’accompagnés, ne sont pas toujours très bien informés. «On entend souvent les mères dire : "Voilà, c’est là que travaille Papa!" , raconte Christophe Prat, psychologue. Mais les enfants voient les serrures, les surveillants en uniforme… On n’oblige à rien, mais on conseille la vérité.»

Dans la grande pièce des surveillants se trouvent deux immenses frigos, où est stockée la nourriture. Les détenus commandent à l’avance, via le système des «cantines», de quoi nourrir leurs visiteurs. «Ils veulent tellement bien faire qu’ils prévoient des tonnes» , raconte Isabelle. Elle se souvient d’un détenu qui, pour une journée avec sa femme et ses deux enfants, avait acheté «deux pizzas, trois poulets, un kilo de poivrons, cinq kilos de pommes de terre…» La famille est repartie avec les restes.

Trois fois par jour, les surveillants passent une tête dans les appartements. «Pour apporter le pain et voir aussi l’atmosphère, explique Xavier. C’est déjà arrivé que les choses se passent mal.» Dix minutes avant, ils annoncent leur venue par interphone. Le dispositif fonctionne dans les deux sens : les détenus et leurs proches peuvent appeler l’extérieur.
Tous les deux mois

Retour à l’appartement UVF 2. Il est 14 heures. Alice et Michel prennent le café sur la terrasse. Ils parlent de leur «prochain UVF»… dans deux jours. Théoriquement, ces journées en appartement ne sont autorisées que tous les deux mois mais, du fait de la présence de Libération, celle d’aujourd’hui ne compte pas. Michel s’est porté volontaire pour nous recevoir : «Il y a beaucoup de choses qui vont mal en prison. Quand il y a quelque chose de bien, il faut l’encourager.»

Après son arrestation, Michel a été incarcéré deux ans et demi en Espagne. Il a ensuite été extradé et, puisque lié au grand banditisme, classé DPS (détenu particulièrement surveillé), donc régulièrement transféré d’un établissement à un autre. Pour lui comme pour Alice, la transition fut rude. «Je connais toutes les prisons de France, soupire-t-elle. Parfois, ils ne me prévenaient même pas qu’ils l’avaient déplacé. Je faisais le trajet d’Espagne, et je trouvais un parloir vide.»

Ce n’est qu’en 2007, à l’issue de ses nombreux procès (assises, appel et cassation), que Michel a pu «se poser» au centre de détention d’Avignon. Devenu expert en comparaison des conditions de vie carcérales, il affirme la supériorité des prisons espagnoles : «Je gérais mon entreprise depuis ma cellule. J’avais mon téléphone portable pour travailler, appeler Alice, et même mon juge !» Seul avantage de la France : nos fameux UVF. En Espagne, le système équivalent s’appelle «vis-à-vis», et dure au maximum deux heures, tous les quinze jours. «Il y a le vis-à-vis "familial", avec deux fauteuils, décrit-il. Ou "intime " : une chambre glauque, avec juste la place pour un lit et une douche. On a l’impression d’être au bordel. C’est humiliant.»

Plus timide sur ces questions, Michel se laisse déborder par Alice. «Le sexe, bien sûr que c’est important, rit-elle. Quand on a eu notre premier UVF, il y a deux mois, cela faisait huit ans, depuis l’Espagne, qu’on n’avait pas couché ensemble. On était tellement nerveux, on faisait tout pour éviter le lit !»

Michel pense que l’abstinence finit par «détraquer» les détenus. «Après dix ans de prison, j’en connais qui sont devenus obsédés, obnubilés par leurs fantasmes.»
Quand on lui demande s’il ne préférerait pas sortir en permission, il hausse les épaules. Les permissions, il a testé il y a longtemps. «C’est le stress. Il faut passer voir untel, puis untel, on n’a pas le temps de se poser, de profiter des gens. Et puis il y a l’angoisse de savoir qu’il va falloir retourner en prison, ne surtout pas être en retard.»

Alice passe son bras autour des épaules de Michel. Voici maintenant huit ans que, tous les deux mois, elle grimpe dans un bus de nuit espagnol, et se retrouve le matin aux portes d’une prison française. «Au tout début, à Grasse, j’ai rencontré une femme qui venait voir son mari depuis huit ans, se souvient-elle. Je me suis dit que moi, jamais je ne tiendrais aussi longtemps.»

Régulièrement, au téléphone, il la taquine. «Il me demande si je l’aime, il me dit qu’il m’attend…» Elle se tourne vers lui : «Non mais eh, oh, d’abord, c’est moi qui t’attends, et puis franchement, tu crois que je serais là si je ne t’aimais pas ?»

Elle dit que le plus dur, c’est le regard des autres, ces taxis qui refusent la course quand elle indique la destination prison, ces amis qui lui répètent qu’elle gâche sa vie. «J’ai essayé de m’intéresser à d’autres hommes. Quand on travaille dans un bar de nuit, ce ne sont pas les occasions qui manquent. Mais je n’y arrive pas.»

Elle n’arrive pas non plus à lui en vouloir. «Quand je me suis mariée, il y a longtemps, je croyais que j’étais amoureuse… Et puis je me suis rendu compte que je ne connaissais pas mon mari. Avec Michel, malgré tout ce qui est arrivé, je n’ai jamais eu ce sentiment. Personne ne me connaît, ne me comprend aussi bien que lui.»

L’interphone grésille, la voix du surveillant est douce : «Bonjour, votre UVF va se terminer dans vingt-cinq minutes.» Avec les remises de peine, Michel peut espérer sortir dans cinq ans. On leur demande s’ils ont des projets. «On a le projet de rester ensemble» , sourit Alice.
(1) Les prénoms ont été modifiés.

650 DETENUS PORTEURS DE BRACELETS.

Par Céline CORNU. AFP. HAUBOURDIN (Nord).
"Panne électrique", "Sorti pendant le couvre-feu": sur l'écran d'ordinateur, les messages s'affichent en rouge. Pôle régional de surveillance des détenus placés sous bracelet électronique, le centre d'Haubourdin (Nord) suit ainsi en continu quelque 650 personnes.

En cas de problème de ligne, de non-respect par un intéressé de ses horaires de sortie ou encore d'altération de son bracelet, un message avertit immédiatement les surveillants.
"Quel que soit le problème, si la personne sort de son périmètre, si elle n'est pas revenue de son travail à l'heure... on l'appelle pour lui demander ce qui se passe", explique le brigadier Philippe Zuzlewski.

Et à chaque fois, "on traite la violation, on envoie par fax (l'information) à la maison d'arrêt, aux travailleurs sociaux et pour certains établissements, au juge d'application des peines", souligne-t-il.

Embouteillage, urgence médicale ou familiale... Les violations, nombreuses, ne sont, dans leur immense majorité, pas des tentatives d'évasion.
"Sur le millier de détenus équipés à Lille depuis 2000, il n'y a eu qu'une quinzaine de tentatives", souligne le responsable du dispositif au centre pénitentiaire de Lille, Mario Sonta.

Dans la salle située au sein du centre de semi-liberté d'Haubourdin, deux personnes assurent la permanence la journée, et une la nuit.
Sur un tableau, les noms des quelque 650 personnes suivies dans les juridictions du Nord/Pas-de-Calais, de Picardie et de Haute-Normandie sont affichés, avec un code de couleur homme-femme. Leurs dossiers sont rangés dans une armoire adjacente.
Un ordinateur est entièrement consacré au suivi 24 heures sur 24 des détenus placés sous bracelet électronique mobile (PSEM).

Alors que le bracelet "fixe" est utilisé pour les courtes peines ou comme alternative à la détention provisoire, ce dispositif "mobile" concerne les personnes en libération conditionnelle, condamnées à 7 ans de prison ou plus, ou en fin de peine et sous surveillance judiciaire.
A la différence du premier système, qui ne signale que le non-respect des obligations, le bracelet mobile permet une surveillance permanente des déplacements, via un système GPS.
Dès qu'ils le souhaitent, les surveillants peuvent ainsi localiser les détenus sur l'écran. Si ces derniers entrent dans une zone interdite (domicile de ses victimes...), le centre est immédiatement prévenu.

Depuis le lancement du dispositif en août 2006, cinq détenus ont été suivis à Haubourdin, pôle pilote, et un l'est encore.
"Sur le PSEM, si on a une violation, on laisse tout tomber. La priorité, c'est ça", souligne M. Zuzlewski.
En mai, 14 détenus bénéficiaient en France d'un bracelet mobile, tandis qu'environ 3.200 étaient sous bracelet fixe.

Le bracelet électronique est "une mesure qui fonctionne très bien", avec un taux de récidive plus faible qu'en cas de sortie sèche, explique le vice-président chargé de l'application des peines au tribunal de Lille, Loïc Binot.
"Mais elle nécessite des moyens humains importants", pour préparer les dossiers et accompagner les détenus, notamment parce que sur le long terme le bracelet peut être "assez difficile à supporter psychologiquement", souligne-t-il.

"La volonté du législateur est de développer cette mesure mais il faudra augmenter les moyens", sauf à perdre en qualité de suivi, estime le magistrat.

CRISE DU SOJA.

La crise du soja culmine en Argentine.
De notre correspondant à Buenos Aires ANTOINE BIGO.
LIBERATION QUOTIDIEN : jeudi 19 juin 2008.

Il n’y a plus de steak au pays de la viande. Ni d’huile au supermarché. Dans le centre de Buenos Aires, il faut faire la queue devant les boutiques de change pour acheter des dollars, seule valeur refuge à l’approche d’une de ces tempêtes qui balaie régulièrement l’économie argentine. L’inflation frôle les 30 % et la fronde du campo (la campagne) qui réunit pour la première fois toutes les associations rurales - des petits fermiers des contreforts des Andes aux barons du soja de la Pampa - paralyse le pays.

Furie. Depuis cent jours, les agriculteurs coupent les routes et bloquent les exportations de grains et de céréales. Ils refusent d’être la vache à lait du gouvernement péroniste de Cristina Kirchner qui a augmenté de 25 % les taxes à l’exportation du soja et de ses dérivés, dont l’Argentine est le troisième exportateur mondial.
A quelques semaines de la récolte, en mars, cette décision, qui a déjà coûté la tête d’un ministre de l’Economie, a déclenché la furie du campo : «Les autorités oublient que les prix des engrais, des carburants, du loyer des terres et du transport a augmenté et réduit notre rentabilité. L’intransigeance du gouvernement risque de convertir une opportunité historique en une crise économique et politique de plus», avertit Eduardo Althabe, qui cultive 1 000 hectares dont 400 de soja au sud de Buenos Aires.

Avec des prix tirés vers le haut par la demande chinoise et une hausse de 30 % des cours en 2007, les revenus du soja - qui représentent la moitié des 30 millions d’hectares cultivables en Argentine et 50 % des exportations - sont une rente pour l’Etat. Mais l’invasion de cette plante oléagineuse a un impact désastreux sur l’environnement et entraîne la disparition des cultures traditionnelles ou vivrières moins rentables.
Même la viande dont l’Argentine est le plus gros consommateur au monde (69 kilos par an et par personne) doit être subventionnée par le gouvernement. Car la vente des bêtes en peso sur le marché intérieur ne rapporte rien par rapport au tourteau de soja payé en dollar par la Chine.
Depuis la crise immobilière américaine, les flux financiers internationaux, alléchés par la rente agricole promise par cet «or vert» achètent des dizaines de milliers d’hectares et renforcent la concentration des terres. Aujourd’hui en Argentine, 20 % des agriculteurs du soja se partagent 80 % des cultures et 2 % concentrent la moitié de la production.

Mal expliqué. Intensive, très mécanisée et gourmande en engrais, la culture du soja transgénique a éjecté des campagnes les petits agriculteurs. Pour le gouvernement, la hausse des taxes à l’exportation avait deux objectifs : financer un programme de construction d’hôpitaux et de logements sociaux, et ralentir «l’extension de cette mauvaise herbe au détriment des aliments sur la table des Argentins».
Cet essai a été très mal annoncé et expliqué. Il a entraîné une jacquerie ponctuée de manifestations de soutien spontanées dans les villes. Des rassemblements inédits depuis l’effondrement de l’Argentine en décembre 2001.


mercredi 18 juin 2008

LE DROIT AU PLAISIR.

C'est vrai que je n'ai jamais vu un organe de presse belge traiter de ce problème-là. Et pourtant ...
Le Courrier (quotidien suisse). 31 mai 2008.

Les associations qui leur viennent en aide et le milieu de la prostitution l'ont bien compris: les personnes en situation de handicap, hommes et femmes, ont des besoins sexuels semblables à tout être humain. Dans le but de leur venir en aide, une formation d'assistant-e sexuel-le va voir le jour en juin en Suisse romande, créée par l'association «Sexualité et Handicaps Pluriels». Malgré cela, la société dans son ensemble est encore loin d'accepter un état de fait simple: le handicap n'annihile pas le désir! Le monde politique aura à se pencher sur la question prochainement, lorsqu'il s'agira de trouver un statut à ces futurs assistant-e-s. Pour l'instant, la loi les considère comme des personnes prostituées. Il est toutefois trop simple de voir dans ce nouveau métier de la prostitution déguisée en «bonne action». Leur rôle sera d'apprendre à leurs patients à connaître leur propre corps et de leur prodiguer une présence sensuelle. Contrairement à la prostitution, l'assistance sexuelle est sensibilisée, de par sa formation, à l'approche du handicap. Mais, davantage que politique et juridique, il s'agit d'un vrai sujet de société, autour duquel les mentalités en général doivent changer. D'un côté, c'est à la population de prendre conscience des besoins sexuels de ces personnes. Les reconnaître comme dotées d'un sexe serait un premier pas. L'exemple des toilettes publiques où trois genres sont définis par des logos (homme, femme, chaise roulante), montre que l'on voit encore aujourd'hui en eux des êtres asexués. Autre exemple, choquant: Pro Infirmis a perdu 400000fr de dons en lançant une formation similaire outre-Sarine. En se donnant bonne conscience en versant de l'argent à des oeuvres de bienfaisance, certains refusent de considérer les besoins de la population invalide. L'assistance sexuelle devra faire face à une autre difficulté, et de taille: l'entourage des personnes atteintes de handicap. Personnel soignant et tuteurs devront oser recourir à leurs services. Et les parents eux-mêmes devront avoir le courage d'aborder cette thématique. En effet, il est difficile d'imaginer chez son enfant, même majeur, ce besoin vital de profiter d'une sexualité épanouie. Lorsqu'ils auront terminé leur formation en juin 2009, les assistant-e-s sexuel-le-s auront la lourde tâche de se trouver une place dans une société où les tabous ont la peau dure.
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HANDICAP: LE DIFFICILE ACCÈS AU PLAISIR DES CORPS. MATHIEU SIGNORELL.
TABOU - Le plaisir sexuel peut être inexistant pour certaines personnes en situation de handicap. Associations et prostituées proposent leurs services pour pallier ce manque. Une formation d'assistant sexuel commence d'ailleurs bientôt en Suisse romande.
Enquête.
Le «désert sensuel» des personnes handicapées, Catherine Agthe Diserens le combat depuis vingt ans. Sexopédagogue et formatrice d'adultes, elle préside l'association genevoise «Sexualité et Handicaps Pluriels» (SEHP) qui a mis sur pied une formation romande d'assistant sexuel pour personnes en situation de handicap. Une première volée commencera les cours en juin. Au total, onze personnes (cinq femmes et six hommes) de tous âges y participeront. Le SEHP cherche d'ailleurs encore trois femmes pour débuter la formation.
«Les assistants sexuels auront tous un travail à côté de cette activité, car nous voulons que cela reste accessoire», explique Catherine Agthe. Concrètement, une fois formés, ces assistants sexuels seront à même de prodiguer des caresses, du corps à corps intime et une présence sensuelle auprès de personnes atteintes d'un handicap physique, sensoriel, mental ou psychique, aussi bien des hommes que des femmes. La palette des services ne comprend pas d'emblée des actes tels que la fellation, le cunnilingus ou la pénétration. Un tarif fixe sera demandé pour chaque «consultation» d'une heure: 150 francs. Dix-huit journées de formation sont prévues sur une année à Nyon et à la clinique de Genolier, pour un coût de 4500 francs à la charge de chaque participant. Le SEHP cherche d'ailleurs à baisser ce prix.
«Sentir la peau d'un homme nu».
Le but ultime est de suppléer à un manque «dans une éthique de cet accompagnement adapté érotique», précise Catherine Agthe. D'où une différence fondamentale selon elle avec la prostitution: «Une prostituée fait d'abord un acte rapide et minuté.»
Le handicap revêt des formes extrêmement variées. Du léger retard mental à la tétraplégie lourde clouant une personne sur un lit, les besoins sont très différents et le SEHP estime qu'une formation est nécessaire pour y répondre.
Catherine Agthe prend l'exemple d'une femme de 34 ans, atteinte de maladie dégénérative grave, qu'elle suit actuellement. «Elle m'a dit vouloir sentir une fois dans sa vie la peau d'un homme nu contre la sienne. Qui sera d'accord de se coucher contre son corps dysmorphique?» Les prostitués avec lesquels le SEHP est en contact n'ont pas pu fournir cette aide. La situation est identique pour un jeune homme dont le handicap est mental. Ne parvenant pas à se masturber, il frappe son sexe jusqu'à se blesser. «Il a besoin d'une personne formée qui puisse prendre sa main pour lui apprendre ce geste. Nous sommes complémentaires avec la prostitution.» Cette complémentarité, les milieux de la prostitution la notent également (lire ci-contre), comme le souligne l'association genevoise Aspasie, qui vient en aide aux travailleurs du sexe: «Nous soutenons cette formation», indique Joanna Pioro Ferrando. Pour elle, cela ne créera aucune concurrence. Etre à l'écoute.
Enseignant dans une école supérieure genevoise, Ludovic* est l'un des onze futurs assistants sexuels. En plus d'une formation de réflexologie, il dit avoir un don pour le massage et l'apposition des mains. «Etant enfant, j'ai été en contact avec des personnes handicapées ou décalées par rapport aux normes de la société. Ces différences ne m'ont jamais fait peur», explique-t-il. «La libération de l'énergie durant un acte sexuel est une porte qui ouvre sur une autre dimension, poursuit-il. J'ai accompagné un certain nombre de femmes dans la révélation de leur sensualité ou dans les retrouvailles avec une sexualité créative.»
La compagne de Ludovic, elle, voit d'un bon oeil cette formation. «Elle apprécie cette disponibilité que j'ai.» Selon le jeune homme, les désirs sexuels des personnes handicapées ne sont pas suffisamment reconnus par la société en général.
François Planche partage cet avis. Tétraplégique après un accident de moto, il est notamment membre du comité cantonal de Pro Infirmis et du comité d'éthique des fondations Aigues-Vertes, Foyer Handicap et Clair-Bois. «Tout le monde a les mêmes droits à la santé, à l'intégration et au bien-être global, note-t-il. La sexualité fait aussi partie de ces notions selon l'OMS.»
Problème de langage. Selon lui, il s'agit d'un devoir éthique que de donner aux personnes handicapées la possibilité d'accéder à une sexualité épanouie. «Certains n'ont jamais connu de contact physique avec une personne, outre la toilette. Le désir est là, mais l'accès à la satisfaction est parfois très fortement ou complètement entravé par le handicap. La frustration est grande.» Une satisfaction sexuelle entravée, le directeur général de la fondation genevoise Clair-Bois le remarque également, s'occupant de divers foyers et ateliers pour personnes en situation de handicap lourd. «Parmi les gens dont nous nous occupons, il y a souvent un problème de langage», souligne Christian Frey. «Seules certaines personnes ont pu s'exprimer clairement à ce sujet et ont manifesté des besoins très précis.» Mais s'adresser à une prostituée reviendrait à «une solution de facilité» car «elle ne connaîtrait pas les désirs réels de la personne.»
Outre une sensibilisation auprès des enfants polyhandicapés, la fondation traite aussi de ce sujet avec les adultes. Il y a quelques années par exemple, un jeune homme de 25 ans avait clairement émis des désirs sexuels. En accord avec ses parents, la fondation avait décidé de faire venir pour lui une travailleuse du sexe. «Quand les parents ont donné leur accord, il n'a plus manifesté de désir, se souvient Christian Frey. C'est comme si l'autorisation avait suffi.»
A l'inverse de cet exemple, l'un des obstacles majeurs à la satisfaction sexuelle complète des personnes handicapées est représenté par la famille. «Neuf fois sur dix, les parents ont tendance à voir leur enfant polyhandicapé comme un petit enfant dépendant», complète Christian Frey. Une difficulté que rencontre aussi l'unité de développement mental des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG). Le service tente alors de «dédramatiser» la situation avec les familles, selon les mots de sa responsable, Giulana Galli-Carminati. Pour elle d'ailleurs, la sexualité des personnes en situation de handicap mental n'est pas différente des gens dits «normaux». «Toutefois, ces personnes sont moins ouvertes au contact avec l'autre, souligne-t-elle.
Cela entraîne une sexualité plus personnelle, exercée solitairement, même si certains ont une vraie vie de couple.»
Toutes les informations au sujet de la formation d'assistant sexuel sur www.sehp-suisse.ch

mardi 17 juin 2008

LA LUTTE CONTRE LA DESERTIFICATION.

«La lutte contre la désertification ne concerne pas que les Africains».
Questions à Luc Gnacadja, responsable auprès des Nations unies .
Recueilli par SONYA FAURE .
LIBERATION QUOTIDIEN : mardi 17 juin 2008.

Le 17 juin a été décrétée journée mondiale de la désertification. A cette occasion, Luc Gnacadja, secrétaire exécutif de la convention de la désertification de l’ONU, explique comment il veut remédier à la sous-médiatisation dont souffre la question de la dégradation des sols.

La lutte contre le réchauffement a su faire parler d’elle. Pas celle contre la désertification. Pourquoi ?

Déjà parce que la convention de l’ONU consacrée à la lutte contre la désertification est née au forceps à Rio, en 1992. Voilà son mal originel : elle a toujours été l’objet d’un bras de fer entre les pays du Nord, qui poussaient les questions de changement climatique et de biodiversité, et ceux du Sud, qui tentaient d’axer les conférences internationales sur la désertification, comme si le sujet leur appartenait, comme si la désertification ne concernait qu’eux seuls.
Ça semble paradoxal : il a été plus facile pour l’atmosphère que pour le sol d’être considérée comme un bien public mondial ! La terre a une dimension patrimoniale, nationale et culturelle : la relation qu’on a avec elle n’est pas la même d’un pays à l’autre… d’où la difficulté à en faire un bien public mondial. Il faut voir le mal qu’ont eu les pays membres de l’Union européenne à se mettre d’accord sur leur directive sols (1) !
A la fin des années 90, on parlait beaucoup du problème de la biodiversité. Aujourd’hui, a lieu une énorme prise de conscience sur le réchauffement. L’agenda des terres, lui, n’a pas tant progressé depuis quinze ans. Dans les négociations internationales, la désertification est souvent prise comme une partie de l’aide au développement, comme si c’était le seul problème du Sud. Un exemple parlant : à Bruxelles, la lutte contre la désertification relève de l’Aide au développement, alors que le réchauffement et la biodiversité relèvent, eux, de l’Environnement.

Est-ce que ça peut changer ?

Oui, car les pays du Nord ont désormais compris qu’il n’était pas besoin d’avoir sur son territoire des déserts de dunes pour être victime de la désertification ! L’Espagne, l’Australie, les Etats-Unis, etc. sont désormais très touchés par la dégradation de leurs sols et l’épuisement des ressources. Lors de la conférence des parties de Madrid, une étape essentielle a été franchie : pour la première fois, les 192 pays membres de l’ONU ont adopté à l’unanimité une stratégie décennale.

Que prévoit cette stratégie ?

Nous devons montrer que la lutte contre ce fléau ne concerne pas seulement les Africains, elle peut avoir des bénéfices pour l’ensemble du globe : assurer la sécurité alimentaire par exemple. C’est une évidence quand on voit qu’au Darfour ou au Tchad des conflits éclatent notamment pour les ressources naturelles. La polémique autour des agrocarburants prouve aussi que la lutte contre les émissions de gaz à effets de serre ne peut être pensée indépendamment de l’appauvrissement des terres. Enfin lutter contre la dégradation des sols, c’est aussi lutter contre le réchauffement climatique. Les connaissances scientifiques actuelles - les conclusions du GIEC [Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, ndlr] sont claires à ce sujet - ont montré que la désertification exacerbe le réchauffement et que celui-ci exacerbe à son tour la désertification. C’est d’ailleurs ce qui a favorisé la prise de conscience des pays du Nord…

Qu’est ce qui vous manque pour provoquer une réelle prise de conscience ?

Déjà, des indicateurs : il faut savoir mieux mesurer ce problème pour lutter contre. Nous voulons monter un «GIEC des sols» d’ici à 2009, c’est-à-dire obtenir un accord des communautés scientifiques sur un même bilan.

Est-ce qu’il ne vous manquerait pas aussi un Nicolas Hulot ?

Je cherche en effet des personnalités de ce genre qui pourraient porter ce combat. Et si Nicolas Hulot veut embrasser totalement le combat pour l’environnement, il devrait plaider davantage en faveur de l’agenda des terres.

Et les financements ?

C’est le problème. Lors de la conférence de Madrid, la convention n’a pas réussi à accoucher d’un budget. Il a fallu organiser une conférence extraordinaire à New York, en novembre, pour obtenir un accord sur le budget qui ne comporte pas une ligne sur le financement de la stratégie. Il nous faut donc décrocher des fonds, des partenariats pour pouvoir faire vivre la Convention contre la désertification. Nous avons commencé à plaider auprès des parties, à Bruxelles, à Paris, où j’ai rencontré Jean-Louis Borloo. Jusqu’à présent j’ai rencontré des personnes attentives. J’attends désormais qu’elles nous aident à obtenir des financements.
(1) qui vise à lutter contre la dégradation des sols, à l’échelle européenne.