mercredi 28 mai 2008

APPEL A LA GAUCHE DU PS. MELENCHON.

"TEMPLE EN RUINES" répercute cette prise de position de Mélenchon qui nous paraît tout à fait correcte en liaison avec ses prémisses et les "débats" actuels du PS français.
Qu'il nous soit permis d'exprimer nos réserves en fonction des positions récentes vis-à-vis de la Chine qui déforcent les propos.
C.V.
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PARTI SOCIALISTE. Mélenchon "adjure" la gauche du parti au "rassemblement".
NOUVELOBS.COM 27.05.2008 .

Le sénateur PS Jean-Luc Mélenchon "adjure" la gauche du parti, dans un communiqué mardi 27 mai, d'œuvrer au "rassemblement" de ce courant pour stopper "un nouveau glissement social-libéral" du PS.
"Le congrès du PS va-t-il se résumer à une course à : "plus libéral que moi, tu meurs" ?", s'alarme le sénateur, qui critique "la surenchère permanente" entre "Ségolène Royal, Bertrand Delanoë, Manuel Valls" sur le thème du libéralisme.
Selon Jean-Luc Mélenchon, "cette ligne politique est mortifère" et "en Italie, elle a produit la défaite et l'éclatement de la gauche en camps inconciliables".
Affirmant que "la gauche du Parti socialiste a une responsabilité essentielle pour bloquer ce processus", l'ancien ministre "adjure le NPS (Nouveau parti socialiste) d'Henri Emmanuelli et Benoît Hamon d'entendre les appels au rassemblement de la gauche du parti que je leur lance".
"Il faut une gauche au PS".
"Chaque occasion manquée par la gauche du parti condamne le PS à un nouveau glissement social-libéral, condamne la gauche à la défaite et donc le pays à la souffrance sociale", ajoute ce membre du Bureau national.
"Il faut une gauche au PS. Ou il n'y aura plus de PS de gauche. Alors Sarkozy aura gagné sur tous les tableaux", conclut M. Mélenchon.
Interrogé par l'AFP, Benoît Hamon a déclaré que "pour avoir une chance crédible d'empêcher les déchirures, il faut que la gauche du PS soit en capacité de se dépasser", en s'alliant "avec tous ceux qui veulent porter une alternative politique" et "construire une nouvelle majorité".

mardi 27 mai 2008

MICHEL VALOIS. LES PETITS PAVES.

Je n'aime pas les rencontres sur Internet.
Je me méfie quelque peu quand je ne puis plonger mes yeux dans les yeux de qui me cause.
Tout ça pour dire que je ne connais pas vraiment Michel Valois.
Simplement, depuis que je l'ai découvert, je retourne sur son site avec la certitude de partager - en prenant connaissance de ses publications - un évident sentiment de fraternité : je veux dire, Michel, que - quelque part - je suis sûr qu'on écrit pour les mêmes raisons.
On doit donc avoir des lecteurs de la même espèce et je voudrais que les quelques amis qui me suivent fassent aussi ta connaissance...
C'est pour cela que je me permets de publier ce qui suit.
J'aurais eu envie aussi qu'ils lisent ton compte-rendu jubilatoire du concert de Camille.
Mais j'ai été au plus pressé puisque tu fais du problème des sans papiers ton combat prioritaire...
Et puis, ils peuvent te rejoindre aussi ...
Bon vent ...
Claude.

Salomée.

Avais-je le droit de publier cette photographie ?
Puis je me suis posé d'autres questions, oui, je me pose parfois des questions et ce blog est une façon de chercher les réponses, sinon de trouver. Verbaliser, en essayant de se faire comprendre par un éventuel lecteur, c'est déjà essayer de se comprendre soi.

Le 27 avril, j'avais posté un texte qui me tenait vraiment à coeur.
D'ailleurs, il m'avait fallu du temps pour le publier et, alors que j'écris généralement sans trop réfléchir, considérant le premier jet comme le forcément meilleur puisque spontané, là, j'avais retravaillé, modifié.
Amélioré, je ne pense pas.
Je ne crois pas qu'on améliore un texte en l'enrichissant, ce que je suis d'ailleurs en train de faire avec celui-ci, commencé le 16, mais interrompu par nécessité. On court toujours le risque, en réécrivant mieux (on réécrit rarement pour faire pire) de se vautrer dans la boursouflure autosatisfaite.
Je préfère douter.

Il s'agissait dans ce papier du 27 avril de ces gens qui, d'une manière qui leur est propre, tendent la main, de quelques uns rencontrés essentiellement dans le périmètre du métro parisien. Ils ne sont pas allés pour autant à l'école de la main tendue, ils font ça parce que sinon, il n'y a rien.
Ils sont bien obligés d'accepter le regard de mépris d'un responsable syndical qui fut président de la CNAM, que j'avais accompagné lors d'un déjeuner par obligation et sans plaisir et qui, au dessert, s'était répandu en tristes lieux communs sur ceux qui lui tendaient la main et à qui, j'imagine, il répondait en levant le poing, du genre "camarade pauvre, ta gestuelle est indigne, la charité que tu demandes est contre-révolutionnaire" (ce qui, en soi, ne serait pas faux, d'un certain point de vue, mais je me souviens de Paul Laffargue, le gendre de Marx qui avait écrit : "on ne fait pas la révolution le ventre vide") et d'ailleurs, ce responsable syndical avait raconté des anecdotes qui ont fait pouffé de rire ses coreligionnaires, moi je n'ai pas de religion et mes obligations professionnelles ne me forcent pas à rire de n'importe quoi avec n'importe qui.
Un con qui se réclame de la classe ouvrière reste un con.

Moi, je suis du genre qui pleure en revoyant Modern times ou City lights ou encore A dog's life. On peut rire à Chaplin, ce n'est pas interdit (d'ailleurs, ce ne serait pas très libéral d'interdire de rire), mais chez moi, devant certaines scènes de Modern times, le rire s'étouffe en sanglots longs, même sans violons (en plus, chez Chaplin, il y a des violons, des moquettes de violons sur lesquelles on peut se répandre en sanglotant).

Donc, pour en revenir à mon sujet, cette photo : pouvais-je, avais-je le droit de la publier ici ?
Dans ce texte du 27 avril, je parlais d'une femme qui dit Bonjour. Elle est assise au bas de l'escalier, comme un tas de chiffons délavés abandonnés en vrac et dit Bonjour Madame aux dames (phrase non encore terminée) ...

Je ne suis pas de ceux qui s'autorisent à imaginer que donner conférerait à celui qui donne un droit quelconque sur celui qui reçoit. A mon sens, la vérité est ailleurs et si la richesse est mal répartie, ce n'est pas la faute de ceux qui ont le moins.
Je sais, le mérite est devenu un effet de mode et il est d'usage de stigmatiser les chômeurs, tous plus ou moins feignasses ou les RMIstes qui vivent sur le dos des pauvres classes moyennes, obligées de vivre constamment la main dans le porte monnaie à cause des pauvres.
Là encore, s'agissant des classes moyennes, il n'est pas tout à fait stupide de penser qu'elle est mise à lourde contribution bien plus que les plus riches, c'est vrai. Mais quand un petit porteur donne ses petits centimes, qu'il compte et reconte, faisant perdre son temps à la personne qui lui tend la main comme si, quand on tend la main, on a du temps à perdre, alors que fouiller dans son petit porte-monnaie et grappiller entre les grosses pièces destinées à des usages plus jouissifs, ces minuscules rondelles de métal jusqu'à l'exacte détermination de la pertinence du nombre de ces rondelles à distribuer à cet homme, cette femme, qui n'est rien, finalement, au généreux petit porteur, était source (ici, rechercher le début de la phrase pour ne pas être perdu), pour lui, d'une perte de temps mesurable et donc d'une gêne que seule une réelle générosité peut justifier.

Je hais la condescendance.
Je hais la suffisance du nanti, même du peu nanti face à celui ou celle qui n'a rien.
Ma timidité naturelle se double, s'agissant de rapports de classe dans lesquels je domine par ma possibilité d'ouvrir ou non mon porte-monnaie, de la crainte de devenir ou paraître condescendant.
Quand je donne une pièce à quelqu'un, c'est avec un sourire d'encouragement et le mot "merci" dans mes yeux.
Ce n'est à celui qui reçoit qui doit dire merci, c'est celui qui donne et quitte à me vautrer dans le christique, celui qui donne devrait demander pardon. Outre qu'il investit dans un terrain au Paradis, celui qui donne conserve toujours la plus grosse part pour lui.
Tant qu'on a pas tout donné, on n'a rien donné, on reste redevable.

Ce matin là, j'entends à nouveau "Bonjour Monsieur, Bonjour Madame" en me dirigeant vers l'escalier d'où je sors du métro.
J'avais emporté cet appareil photo reflex Nikon numérique D 80 que je venais de m'offrir et que je trimballais partout. J'ai osé demander à la mère, celle qui dit Bonjour, si je pouvais photographier Salomée. La jeune femme m'a souri "en vrai", pas juste pour les deux euros et m'a fait signe que oui. J'ai visé l'enfant avec mon appareil, mais c'était un peu comme si je la menaçais avec une arme.
Elle était méfiante, la tête baissée, avec les yeux tout en haut de leur orbite pour me voir quand même.
Après quelques sourires, je l'ai shooté deux ou trois fois, comme pour lui montrer que ça ne fait pas mal, puis on a parlé un peu. Elle a relevé la tête avec lenteur et peu à peu la magie de l'enfance a posé un sourire sur son visage. jolie, pas jolie ? c'est une enfant. Et manifestement ses cheveux sont propres, sa mère qui joue bcoup avec elle la soigne bien, elle est aimée comme par toutes les mamans, qu'elles aient les moyens d'ouvrir leur porte-monnaie ou juste de tendre la main. Au bout d'un petit temps d'apprivoisement, son sourire était devenu un sourire, un sourire d'enfant, un sourire d'enfant coquin.

Et j'ai fait cette photo, puis j'ai arrêté. J'ai redonné deux euros à la mère qui semblait ravie, en lui disant qu'elle aurait les photos le lendemain. Le lendemain, en effet, je lui ai tendu les épreuves en 13 - 18 que j'avais imprimées le soir tard et là, elle a souri avec tout son visage. Je lui ai souhaité une bonne journée et ce sourire de pauvre femme dans mon dos (l'enfant dormait) m'a réchauffé.

J'ai eu envie de raconter cette histoire simple ici. Mais devais-je publier une photo ?
Que penser du droit à l'image de cette petite fille. Dans une période où l'identité profonde d'êtres humains est réduite par le pouvoir en place (et pas seulement en France) à la possession ou non d'une carte plastifiée avec le tampon d'une préfecture, je me suis vraiment demandé, face au visage de cette enfant mise en confiance, si je pouvais la montrer.
D'abord, je n'ai pas dit à la mère que sa petite Salomée serait sur internet. J'ai supposé que cette femme qui dit Bonjour n'avait pas accès à internet. J'ai même supposé qu'elle ne connaissait pas l'existence d'internet. J'ai supposé que sa vision du monde était réduite, pourquoi pas à une main tendue et à la pièce sale qu'un inconnu y dépose ou y laisse tomber. J'ai pensé, avec honnêteté, que ma vision du monde était plus riche que la sienne. Que j'étais capable de comprendre ou d'échaffauder des systèmes complexes, faisant appel à des abstractions auxquelles elle n'avait pas accès. Auxquelles la petite Salomée, dans notre beau pays démocratique, n'accéderait pas. Alors, publier une photo ou pas, quelle importance.

Et ce soir je me demande si moi, cadre moyen supérieur avec un découvert abyssal parce que je ne sais pas gérer, mais avec la confiance de ma banque parce que j'ai un certain "répondant", je ferais comment si j'étais à la rue (quelque chose qui arrive plus vite qu'on ne croit dans notre beau pays et à des personnes qui n'auraient jamais imaginé ça, dans leurs pires cauchemards), avec une petite fille à nourrir et une simple main à tendre.
Est-ce que je saurais ? Combien de temps je survivrais.

Alors oui, ici, Chez Michel (rebaptisé Les petits pavés, en raison des pavés de l'espoir d'un printemps vitrifié) on est solidaire. En particulier avec les "sans-pap", mais pas seulement. Simplement on ne se sent pas supérieur et on se demande si on serait capable de dire, inlassablement, assis au bas des marches d'une station de métro "Bonjour Madame, Bonjour Monsieur, une petite pièce s'il vous plait, merci.
Il y a des soirs on on ne se sent pas grand chose.

Mais cette photo, petite, je la publie pour toi, avec tout le respect et l'amour que je te dois, que je dois à tous les enfants. Et si ta mère tombe sur ce blog, qu'elle sache que je la respecte profondément et je l'admire.
Posté par Michel Valois à 22:13 -
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samedi 24 mai 2008

TOUT EST POSSIBLE !


DAVID REVAULT D’ALLONNES. LIBERATION QUOTIDIEN : lundi 26 mai 2008.
Le rapport au libéralisme, ou le nouvel enjeu de la compétition socialiste.
Depuis l’affirmation par Bertrand Delanoë, dans son livre "De l’audace", paru jeudi, d’un credo à la fois «libéral et socialiste», le débat, au PS, a pris un tour nouveau.
Alors que toutes les attentions se focalisaient sur la confrontation annoncée entre Ségolène Royal et Bertrand Delanoë - comment l’emporter pour les uns, comment l’éviter pour les autres -, c’est un concept idéologique qui a fait irruption dans le champ des manœuvres socialistes.
«L’objet du prochain congrès n’est pas la querelle d’étiquettes», a bien tenté Jean-Christophe Cambadélis, proche de DSK et partisan d’une troisième voie.
Reste que la question du libéralisme, incontestablement, s’est installée au centre du jeu.

Entré en campagne samedi à la Mutualité à l’occasion d’une réunion de ses partisans, sans pour autant se déclarer explicitement candidat à la succession de François Hollande, Bertrand Delanoë n’a certes pas manqué de faire allégeance à sa famille politique : «J’assume tout de notre histoire, de Mitterrand à Jospin en passant par Rocard, Delors et Mendès.»
Avant de justifier ses audaces sémantiques en brandissant un libéralisme avant tout politique et sociétal, entre abolition de la peine de mort et homoparentalité, entre parité et «droit de vote des étrangers aux élections locales».
Sur le fond, pourtant, il ne regrette rien : «Je vais continuer à dire ce que je pense», assure-t-il. Avant de préconiser de «faire le pari de l’économie de l’intelligence». Et de revendiquer un «socialisme des années 2010».
«Il faut bouger».
Le mot, donc, est lâché. Et assumé. Même si l’opération, dans l’entourage du maire de Paris, n’est pas allée sans inquiéter. «On prend tous les risques», glisse un de ses proches. La députée de Paris Annick Lepetit souligne néanmoins le bénéfice politique d’un positionnement censé concilier orthodoxie partisane et modernisme : «Il assume l’histoire du parti mais aussi le fait qu’il faut bouger. Il dit qu’il est socialiste, mais ne s’interdit pas de parler compétitivité, start up et PME. Là-dessus, on peut trouver une majorité au PS.»
C’est que la dispute, idéologique, se révèle éminemment tactique.
Cette sortie place - momentanément - Bertrand Delanoë au cœur du débat. Une technique utilisée avec succès, pendant la primaire, par Ségolène Royal. Elle lui permet aussi de contester à cette dernière le monopole d’une rénovation majoritairement parée des atours du réformisme. Et, du coup, d’accentuer la pression sur un courant strauss-kahnien désorienté par l’exil de son leader.
Plusieurs partisans de DSK ont pris la parole, samedi à la Mutualité : Michel Destot, maire de Grenoble, Daniel Delaveau, maire de Rennes, Alain Richard, ex-ministre de la Défense, Alain Bergougnioux, secrétaire aux études, ou Dominique Lefèvre, patron de la fédération du Val-d’Oise. «Sur cette volonté d’offrir une orientation réformiste et adaptée au monde, il y a des convergences, assure Michel Destot. Les deux tiers de notre courant seront sur la motion Delanoë.»
«Pas rassurant». Et les autres ? Plutôt en accord, sur le fond, avec la thématique sociale-démocrate, le camp Royal, de bonne guerre, n’a pas manqué de jouer sur la forme.
«Il s’est un peu pris les pieds dans le tapis, jubile un proche de Royal. Parler de libéralisme, pour des militants qui combattent la droite, ce n’est pas rassurant.»
Une faute présumée, donc, qu’a tenté d’exploiter, hier sur Canal +, une Ségolène Royal fort gauchisée, citant Jaurès à trois reprises : «Je ne pourrais jamais dire : je suis libérale. Je ne crois pas qu’il faille réhabiliter ce mot et ce concept. C’est le mot de nos adversaires politiques», à ses yeux «synonyme de capitalisme débridé, d’écrasement des bas salaires, de violence».
Le jeu socialiste serait-il renversé ?
Voilà Ségolène Royal, sur ce point au moins, sur la même longueur d’ondes que l’aile gauche du PS.
«Le passé du Labour anglais ou du SPD allemand ne peut être l’avenir du PS français alors que l’offre politique de la social-démocratie européenne a été mise en échec partout», affirme Benoît Hamon, leader du NPS.
«Plutôt que de reprendre à la droite la bannière du libéralisme, tous ces camarades seraient bien inspirés d’éviter la captation de la gauche par Besancenot», ajoute Guillaume Bachelay, proche de Laurent Fabius, qui raille :
« Entrer dans un congrès socialiste en revendiquant le patronage du libéralisme, c’est un peu comme un gastronome qui entrerait chez Bocuse en criant qu’il adore le Mc Do…»

mercredi 21 mai 2008

L'AVENIR DE LA NATURE HUMAINE. JURGEN HABERMAS.

[...] avec la technicisation de la nature humaine, la compréhension que nous pouvons avoir de nous-mêmes et qui procède d'une éthique de l'espèce est à ce point modifiée que, désormais, nous ne pouvons plus nous comprendre comme des êtres éthiquement libres et moralement égaux s'orientant au moyen de normes et de raisons.
Il a fallu que de manière imprévue des solutions surprenantes deviennent tout à coup possibles pour que les hypothèses élémentaires d'arrière-plan voient leur caractère d'évidence mis à mal (même si ces nouveautés - ainsi, les « chimères » artificielles que sont les organismes transgéniques, littéralement « dégénérés » puisque créés en marge de leur espèce ont eu leurs anticipations archaïques dans des images mythiques détournées de leur sens initial).
Ces irritations nous viennent de ce que les scénarios en question naviguent entre la littérature de science-fiction et les pages scientifiques de la presse quotidienne.
Ainsi sommes-nous depuis peu confrontés à de singuliers essayistes - et non plus à des auteurs de fiction - qui nous présentent un homme que l'on perfectionnerait par l'implantation de puces électroniques ou qui au contraire se verrait incessamment dépassé par des robots plus intelligents que lui.
Des ingénieurs experts en nanotechnologie échafaudent, pour assister techniquement les processus vitaux de l'organisme humain, l'image, qui mêle homme et machine, d'une station de production soumise à une supervision et une régénérescence autorégulées qui permettent que soient effectuées en permanence réparations et améliorations.
Selon cette vision, des microrobots capables de s'autodupliquer circulent dans l'organisme humain et se connectent aux tissus organiques afin, par exemple, d'interrompre les processus du vieillissement ou de stimuler les fonctions cérébrales.
Même les ingénieurs informaticiens ne sont pas en reste dans le genre puisque l'image qu'ils se font des robots de l'avenir, lesquels seront devenus autonomes, fait apparaître des machines qui jugeront que l'homme de chair et de sang est devenu un modèle obsolète.
Ces intelligences supérieures sont censées s'affranchir des exiguïtés du hardware humain. Ils promettent au software tiré de notre cerveau, non seulement l'immortalité mais encore la perfection infinie.
Le corps bourré de prothèses, destinées à améliorer les performances ou l'intelligence d'anges qui hantent les disques durs, ressortit à des images fantastiques qui empêchent qu'on fixe désormais les limites, et défont les cohérences qui, jusqu'ici, apparaissaient nécessaires, d'une manière quasi transcendantale, à notre activité quotidienne.
D'un côté, on assiste à la fusion de la croissance organique et de la fabrication technologique; de l'autre, la productivité de l'esprit humain est clivée de la subjectivité qui se vit et s'éprouve.
Peu importe que s'expriment dans ces spéculations des billevesées ou au contraire des pronostics qu'il s'agit de prendre au sérieux, des besoins en eschatologie qui ont été déplacés ou des formes nouvelles d'une science de science fiction; ce ne sont pour moi que des exemples d'une technicisation de la nature humaine qui provoque une transformation de la compréhension que nous avons de nous-mêmes en vue d'une éthique de l'espèce humaine, et une transformation telle qu'il en résulte une compréhension normative de soi qui ne peut plus être mise en harmonie avec l'autodétermination de la vie personnelle ni avec la responsabilité de l'action personnelle. [...]
© Jürgen Habermas, L’avenir de la nature humaine. Vers un eugénisme libéral ?, Gallimard, 2002, pages 66-68.

NON-LIEUX. MARC AUGE.

Marc Augé.
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MARC AUGÉ. NON-LIEUX. INTRODUCTION à UNE ANTHROPOLOGIE DE LA SURMODERNITE.
vu sur : Table d'écriture. Le blog de Lydia Flem.

Après La Traversée du Luxembourg, Un ethnologue dans le métro et Domaines et châteaux, Marc Augé poursuit son anthropologie du quotidien en explorant les non-lieux, ces espaces d’anonymat qui accueillent chaque jour des individus plus nombreux.
Les non-lieux, ce sont aussi bien les installations nécessaires à la circulation accélérée des personnes et des biens (voies rapides, échangeurs, gares, aéroports) que les moyens de transport eux-mêmes (voitures, trains ou avions). Mais également les grandes chaînes hôtelières aux chambres interchangeables, ou encore, différemment, les camps de transit prolongé où sont parqués les réfugiés de la planète.
Le non-lieu est donc tout le contraire d’une demeure, d’une résidence, d’un lieu au sens commun du terme.
Seul, mais semblable aux autres, l’utilisateur du non-lieu entretient avec celui-ci une relation contractuelle symbolisée par le billet de train ou d’avion, la carte présentée au péage ou même le chariot poussé dans les travées d’une grande surface.
Dans ces non-lieux, on ne conquiert son anonymat qu’en fournissant la preuve de son identité – passeport, carte de crédit, chèque ou tout autre permis qui en autorise l’accès.
Attentif à l’usage des mots, relisant les lieux décrits par Chateaubriand, Baudelaire ou les « passages » parisiens de Walter Benjamin, l’ethnologue remarque que l’on peut se croiser à un carrefour alors que l’échangeur interdit toute rencontre.
Si le voyageur flâne en chemin ou s’égare sur une route de traverse, le passager qui prend le TGV ou l’avion est déterminé par sa destination. Aujourd’hui, les repères de l’identité et le statut de l’histoire changent en même temps que l’organisation de l’espace terrestre.
Dans ce livre, Marc Augé ouvre de nouvelles perspectives en proposant une anthropologie de la surmodernité qui nous introduit à ce que pourrait être une ethnologie de la solitude.
1992, 192 pages.

MARC AUGÉ. LA GUERRE DES REVES. Exercices d’ethno-fiction.
Un nouveau régime de fiction s’instaure.
Il affecte la vie sociale au point de nous faire douter de la réalité.
Les reportages télévisés prennent des allures de fictions et celles-ci miment le réel.
Des idylles se nouent sur Internet où l’on dialogue avec des interlocuteurs sans visage. Insensiblement, nous passons au « tout fictionnel ».
Aux médiations, qui permettent le développement de l’identité, la prise de conscience de l’altérité et des liens sociaux, se substituent les médias de la solitude. La vision des désastres planétaires est désormais soumise au caprice de la télécommande.
Ces nouveaux partages entre le réel et la fiction conditionnent aussi la circulation entre l’imaginaire individuel (le rêve), l’imaginaire collectif (les mythes, les rites, les symboles) et l’œuvre de fiction.
Dans ce livre, Marc Augé rappelle la menace que fait peser, sur toute vie sociale, la confusion de ces trois pôles distincts de l’imaginaire.
Chaque culture institue des frontières spécifiques entre le rêve, la réalité et la fiction.
Toute société suppose de ne pas identifier le modèle et la réalité. Dans son ethno-fiction, parcourant l’Europe et les États-Unis, l’Afrique et l’Amérique latine, l’ethnologue nous conduit aux sources de toute anthropologie sociale. Celle-ci a pour objet, à travers l’étude des institutions et des représentations, la compréhension des relations entre les uns et les autres.
Pour Marc Augé, La Guerre des rêves a commencé.
Nous n’en voyons pas toujours clairement les tenants et les aboutissants. Sans être fatale l’explosion « fictionnelle » est désormais possible. La catastrophe serait de comprendre trop tard que, si le réel est devenu fiction, il n’y a plus d’espace possible pour la fiction, ni pour l’imaginaire. Pour conclure, l’auteur nous invite à une « morale de la résistance ».
1997, 192 pages.

mardi 20 mai 2008

GENETIQUEMENT LIBRE OU DELINQUANT.


Génétiquement libre ou délinquant par Guillaume Pigeard de Gurbert .

Gary Pugh, le directeur du service scientifique de Scotland Yard, veut établir un fichier ADN pour les enfants dès l'âge de 5 ans afin d'«identifier les gens avant qu'ils commettent un délit. Il nous faut trouver quels seront ceux qui commettront peut-être (possibly) les plus graves délits contre la société». Il s'agit, argumente-t-il, d'arrêter le crime avant qu'il ait lieu.

Au Royaume-Uni, ce sont déjà près d'1,5 million de jeunes entre 10 et 18 ans qui sont génétiquement fichés. La police a le droit depuis 2004 de prélever les empreintes génétiques d'un jeune qu'elle a arrêté, qu'il soit ensuite condamné ou innocenté (Source : The Observer, 16 mars 2008). On a vu comment la doctrine américaine de la «tolérance zéro» est passée de New-York au Royaume-Uni puis en Europe et en France singulièrement (Cf. L. Wacquant, Les prisons de la misère). Il faut donc voir dans cette biopolitique fascisante notre propre présent et non pas on ne sait quelle lubie britannique.
On se souvient du reste du récent rapport de l'Inserm commandé par Sarkozy, alors ministre de l'Intérieur, sur la détection des enfants prédélinquants de 36 mois. On n'a pas oublié non plus la croyance de ce dernier en l'origine génétique de la pédophilie ou du suicide des adolescents : «J'inclinerais, pour ma part, à penser qu'on naît pédophile, et c'est d'ailleurs un problème que nous ne sachions soigner cette pathologie. Il y a 1 200 ou 1 300 jeunes qui se suicident en France chaque année, ce n'est pas parce que leurs parents s'en sont mal occupés ! Mais parce que, génétiquement, ils avaient une fragilité, une douleur préalable.» (Philo Mag, N° 8). Quand les hommes politiques se mettent à manier des entités scientifiques auxquelles ils ne connaissent manifestement rien, le pire est à redouter.

La biologie se trouve enrôlée par une politique réactionnaire qui opère une confiscation biopolicière des possibles d'un individu.

Exister n'est plus se faire, s'inventer et se créer, mais dérouler mécaniquement les attributs enveloppés dans son essence criminelle. Belle expression de l'antinomie de la raison libérale qui prône la liberté individuelle et qui pratique dans le même temps le déterminisme pseudo-biologique. On comprend que la liberté du libéralisme est un don inné que l’on a ou pas, et non un droit. C'est la nouvelle déclaration des «droits» de l'homme libéral : certains hommes naissent libres, d'autres non. Aux premiers le profit et la réussite, aux autres l'enfermement (carcéral, psychiatrique, médical ou biologique).

Guillaume Pigeard de Gurbert est professeur de philosophie en hypokhâgne au lycée de Bellevue à Fort-de-France.
Lu sur 24 heures Philo. Blog de LIBERATION.

UNE AGRICULTURE RESPECTUEUSE DE L'ENVIRONNEMENT.

«Il faut réinventer une agriculture respectueuse de l’environnement»
Arnaud Greth, président de Noé Conservation, sur la biodiversité.
Recueilli par ALEXANDRA SCHWARTZBROD.
LIBERATION QUOTIDIEN : mardi 20 mai 2008.

Alors que l’ONU entame à Bonn quinze jours de travaux sur l’avenir de la planète, l’association Noé Conservation organise à partir de cette semaine, au muséum d’histoire naturelle de Paris, l’exposition «Biodiversités, nos vies sont liées» (1) qui montre à quel point nous dépendons au quotidien de la biodiversité. Son président, Arnaud Greth, témoigne.

La vie sur terre est-elle menacée ?
Des espèces animales et végétales s’éteignent sans que cela nous émeuve. Le bouquetin des Pyrénées a disparu en 2000, et on vient d’annoncer la fin du Baji, le dauphin du Yangtsé. Derrière ces cas emblématiques, des milliers d’espèces ne jouent plus leur rôle écologique. Telles ces espèces vitales pour notre survie que sont les pollinisateurs. Sans ces insectes (parmi eux les papillons), on n’aurait plus ni fruits ni légumes. Cette dégradation de la fonctionnalité et de la productivité des écosystèmes nous concerne tous.


Les papillons chutent vraiment ?
En Europe, les populations de papillons ont diminué de 50 % en quinze ans ! Et ce ne sont pas les seules. Tous nos écosystèmes de proximité sont touchés.


Pourquoi ?
A cause de la disparition et de l’altération des milieux naturels, et de la pollution. Pour avoir des écosystèmes sains et productifs, il faut des milieux naturels en bon état. Or, en France, l’activité biologique (la microflore) des sols a été réduite de 90 % en trente ans à cause de l’agriculture intensive. Dans les pays en développement, des millions de kilomètres carrés de sols ont été détruits par l’agriculture sur brûlis. Pas moins de 60 % des écosystèmes qui rendent des services vitaux à l’homme sont dégradés, tels ceux nécessaires au stockage et à l’épuration de l’eau douce, à la décomposition des déchets organiques dans le sol, à la captation du CO2 (par les forêts et les océans).


La crise alimentaire en est-elle un des symptômes ?
Clairement. Si on veut nourrir la planète, il faut favoriser les cultures vivrières, et freiner cet essor des agrocarburants qui pousse à produire, aux dépens des paysans des pays pauvres, des cultures industrielles destinées à remplir nos réservoirs. Et surtout réinventer une agriculture respectueuse de l’environnement.


Y a-t-il une prise de conscience ?
Pour le climat, on est de plus en plus conscient des enjeux; la tonne carbone est devenue l’unité de mesure. Pour la biodiversité, le message est plus compliqué. Il faudrait qu’on trouve un indicateur simple, la tonne papillons par exemple ! On vit dans des sociétés urbaines où l’on a oublié le rôle et notre lien avec la biodiversité. La crise alimentaire mondiale est peut-être l’occasion de montrer que la nature est la meilleure alliée de l’agriculture. Mais maintenant il faut passer aux actes.
(1) www.noeconservation.org

lundi 19 mai 2008

1968 EN QUELQUES CHIFFRES.

NOUVELOBS.COM 18.03.2008.
Voici quelques chiffres représentatifs de la société française en Mai 68 :



La population française : 49,7 millions.


Le nombre d'étudiants : 695 318..



Les chiffres du travail :

  • Nombre de chômeurs : 584 600.
  • Congés payés : 3 semaines.
  • Part des femmes dans la population active : 37,9%.
  • SMIG horaire : 2,2 francs avant les accords de Grenelle, 3 francs après.
  • Secteur agricole : 1/5 de la population.

Les prix de base :

  • Une baguette : 0,45 franc.
  • Un litre d'essence : 1,04 franc.
  • Un litre de lait : 0,77 franc.
  • Un quotidien : 0,35 franc.
  • Un paquet de cigarettes : 1,35 franc.

L'état des logements au 1er avril :

  • Sans eau courante : 9%.
  • Surpeuplés : 31%.
  • WC sur le pallier : 48%.
  • Sans eau chaude : 50%.
  • Sans baignoire ni douche : 53%.
  • Sans chauffage central : 65%.
  • Sans téléphone : 85%.

samedi 17 mai 2008

LA DIFFICULTE CROISSANTE DE VIVRE ENSEMBLE. CLAUDE LEVY-STRAUSS.


Les leçons d'un ethnologue. Par Claude Lévi-Strauss.
En mai 2005, le grand anthropologue reçut le prestigieux prix international de Catalogne.
Ce fut alors, pour lui, l'occasion de méditer sur l'homme et le monde.

Parce que je suis né dans les premières années du XXe siècle et que, jusqu'à sa fin, j'en ai été l'un des témoins, on me demande souvent de me prononcer sur lui. Il serait inconvenant de me faire le juge des événements tragiques qui l'ont marqué. Cela appartient à ceux qui les vécurent de façon cruelle, alors que des chances successives me protégèrent, si ce n'est que le cours de ma carrière en fut grandement affecté.

L'ethnologie, dont on peut se demander si elle est d'abord une science ou un art (ou bien, peut-être, tous les deux), plonge ses racines en partie dans une époque ancienne et en partie dans une autre récente.
Quand les hommes de la fin du Moyen Age et de la Renaissance ont redécouvert l'Antiquité gréco-romaine et quand les jésuites ont fait du grec et du latin la base de leur enseignement, ne pratiquaient-ils pas une première forme d'ethnologie? On reconnaissait qu'aucune civilisation ne peut se penser elle-même si elle ne dispose pas de quelques autres pour servir de terme de comparaison. La Renaissance trouva dans la littérature ancienne le moyen de mettre sa propre culture en perspective, en confrontant les conceptions contemporaines à celles d'autres temps et d'autres lieux.

La seule différence entre culture classique et culture ethnographique tient aux dimensions du monde connu à leurs époques respectives. Au début de la Renaissance, l'univers humain est circonscrit par les limites du bassin méditerranéen. Le reste, on ne fait qu'en soupçonner l'existence. Au XVIIIe et au XIXe siècle, l'humanisme s'élargit avec le progrès de l'exploration géographique. La Chine, l'Inde s'inscrivent dans le tableau. Notre terminologie universitaire, qui désigne leur étude sous le nom de philologie non classique, confesse, par son inaptitude à créer un terme original, qu'il s'agit bien du même mouvement humaniste s'étendant à un territoire nouveau. En s'intéressant aux dernières civilisations encore dédaignées - les sociétés dites primitives -, l'ethnologie fit parcourir à l'humanisme sa troisième étape.

Les modes de connaissance de l'ethnologie sont à la fois plus extérieurs et plus intérieurs que ceux de ses devancières. Pour pénétrer des sociétés d'accès particulièrement difficile, elle est obligée de se placer très en dehors (anthropologie physique, préhistoire, technologie) et aussi très en dedans, par l'identification de l'ethnologue au groupe dont il partage l'existence et l'extrême importance qu'il doit attacher aux moindres nuances de la vie physique des indigènes.
Toujours en deçà et au-delà de l'humanisme traditionnel, l'ethnologie le déborde dans tous les sens. Son terrain englobe la totalité de la terre habitée, tandis que sa méthode assemble des procédés qui relèvent de toutes les formes du savoir: sciences humaines et sciences naturelles.

Mais la naissance de l'ethnologie procède aussi de considérations plus tardives et d'un autre ordre.
C'est au cours du XVIIIe siècle que l'Occident a acquis la conviction que l'extension progressive de sa civilisation était inéluctable et qu'elle menaçait l'existence des milliers de sociétés plus humbles et fragiles dont les langues, les croyances, les arts et les institutions étaient pourtant des témoignages irremplaçables de la richesse et de la diversité des créations humaines. Si l'on espérait savoir un jour ce que c'est que l'homme, il importait de rassembler pendant qu'il en était encore temps toutes ces réalités culturelles qui ne devaient rien aux apports et aux impositions de l'Occident. Tâche d'autant plus pressante que ces sociétés sans écriture ne fournissaient pas de documents écrits ni, pour la plupart, de monuments figurés.

Or, avant même que la tâche soit suffisamment avancée, tout cela est en train de disparaître ou, pour le moins, de très profondément changer.
Les petits peuples que nous appelions indigènes reçoivent maintenant l'attention de l'Organisation des Nations unies. Conviés à des réunions internationales, ils prennent conscience de l'existence les uns des autres. Les Indiens américains, les Maoris de Nouvelle-Zélande, les Aborigènes australiens découvrent qu'ils ont connu des sorts comparables, et qu'ils possèdent des intérêts communs. Une conscience collective se dégage au-delà des particularismes qui donnaient à chaque culture sa spécificité.
En même temps, chacune d'elles se pénètre des méthodes, des techniques et des valeurs de l'Occident. Sans doute cette uniformisation ne sera jamais totale.
D'autres différences se feront progressivement jour, offrant une nouvelle matière à la recherche ethnologique. Mais, dans une humanité devenue solidaire, ces différences seront d'une autre nature: non plus externes à la civilisation occidentale, mais internes aux formes métissées de celle-ci étendues à toute la terre.

La population mondiale comptait à ma naissance 1,5 milliard d'habitants. Quand j'entrai dans la vie active, vers 1930, ce nombre s'élevait à 2 milliards. Il est de 6 milliards aujourd'hui, et il atteindra 9 milliards dans quelques décennies, à croire les prévisions des démographes. Ils nous disent certes que ce dernier chiffre représentera un pic et que la population déclinera ensuite, si rapidement, ajoutent certains, qu'à l'échelle de quelques siècles une menace pèsera sur la survie de notre espèce. De toute façon, elle aura exercé ses ravages sur la diversité non pas seulement culturelle mais aussi biologique en faisant disparaître quantité d'espèces animales et végétales.

De ces disparitions, l'homme est sans doute l'auteur, mais leurs effets se retournent contre lui. Il n'est aucun, peut-être, des grands drames contemporains qui ne trouve son origine directe ou indirecte dans la difficulté croissante de vivre ensemble, inconsciemment ressentie par une humanité en proie à l'explosion démographique et qui - tels ces vers de farine qui s'empoisonnent à distance dans le sac qui les enferme bien avant que la nourriture commence à leur manquer - se mettrait à se haïr elle-même parce qu'une prescience secrète l'avertit qu'elle devient trop nombreuse pour que chacun de ses membres puisse librement jouir de ces biens essentiels que sont l'espace libre, l'eau pure, l'air non pollué.

Aussi la seule chance offerte à l'humanité serait de reconnaître que, devenue sa propre victime, cette condition la met sur un pied d'égalité avec toutes les autres formes de vie qu'elle s'est employée et continue de s'employer à détruire.

Mais si l'homme possède d'abord des droits au titre d'être vivant, il en résulte que ces droits, reconnus à l'humanité en tant qu'espèce, rencontrent leurs limites naturelles dans les droits des autres espèces. Les droits de l'humanité cessent au moment où leur exercice met en péril l'existence d'autres espèces.

Le droit à la vie et au libre développement des espèces vivantes encore représentées sur la terre peut seul être dit imprescriptible, pour la raison très simple que la disparition d'une espèce quelconque creuse un vide, irréparable, à notre échelle, dans le système de la création.

Seule cette façon de considérer l'homme pourrait recueillir l'assentiment de toutes les civilisations. La nôtre d'abord, car la conception que je viens d'esquisser fut celle des jurisconsultes romains, pénétrés d'influences stoïciennes, qui définissaient la loi naturelle comme l'ensemble des rapports généraux établis par la nature entre tous les êtres animés pour leur commune conservation; celle aussi des grandes civilisations de l'Orient et de l'Extrême-Orient, inspirées par l'hindouisme et le bouddhisme; celle, enfin, des peuples dits sous-développés, et même des plus humbles d'entre eux, les sociétés sans écriture qu'étudient les ethnologues.
Par de sages coutumes, que nous aurions tort de reléguer au rang de superstitions, elles limitent la consommation par l'homme des autres espèces vivantes et lui en imposent le respect moral, associé à des règles très strictes pour assurer leur conservation. Si différentes que ces dernières sociétés soient les unes des autres, elles concordent pour faire de l'homme une partie prenante, et non un maître de la création.

Telle est la leçon que l'ethnologie a apprise auprès d'elles, en souhaitant qu'au moment de rejoindre le concert des nations ces sociétés la conservent intacte et que, par leur exemple, nous sachions nous en inspirer.

Paru dans «l'Obs» le 9 juin 2005.

mardi 13 mai 2008

SYNDICALISTE AVANT TOUT. DANIEL GUERIN 1936.



Chez les syndicalistes, j'avais parfois souffert d'un manque de vues politiques générales; chez les pivertistes, par contre, je souffrais de leur origine non ouvrière, de la distance relative qui les séparait de l'authentique prolétariat et de ses problèmes.

Et, surtout, je n'avais guère confiance, malgré mon retour tardif à la S.F.I.O., dans l'action des partis politiques.

Ma réadhésion au Parti socialiste n'avait été qu'un pis-aller, une tentative d'échapper à un isolement stérile. Mais les moeurs, le formalisme et la vétusté de cette vieille maison me rebutaient.
Je n'étais pas à l'unisson de mes camarades lorsqu'ils jouaient le jeu du parti, lorsqu'ils prenaient au sérieux son rituel désuet, lorsqu'ils pensaient en thermes arithmétique de tendance, de congrès fédéral, de statuts, etc.
Par contre, j'étais pleinement avec eux lorsqu'ils tentaient de s'implanter et de faire entendre leur message hors du parti, au sein des larges masses ouvrières.

Au fond, j'étais demeuré un syndicaliste révolutionnaire. La révolution menée par les syndicats était pour moi la meilleure des révolutions, celle qui éviterait l'hiatus, l'arrêt prolongé du mécanisme de la production, qui assurerait la continuité technique grâce à des comités préparés à assurer la gestion, enfin, qui dispenserait les travailleurs de passer par les fourches caudines de technocrates autoritaires.

Tel était, en effet, pour moi, le dilemme : ou bien le syndicalisme serait en mesure de se substituer à l'Etat, de produire et de répartir lui-même les fruits du travail, de fournir les cadres et de s'identifier avec la structure de l'économie future, ou bien, pour éviter le chaos, la classe ouvrière serait assujettie à la dictature de quelques intellectuels.

Le syndicalisme, à mes yeux, n'était pas une idéologie, mais une organisation, l'organisation, le rassemblement des producteurs sur les lieux du travail, l'ordre en face du désordre.
Le jour où les militants ouvriers auraient une mentalité de successeurs, la révolution serait au trois quart accomplie.
(...)

lundi 12 mai 2008

SYNDICALISME D'ACTION DIRECTE ET RENARDISME EN BELGIQUE.

André Renard.
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ArchivesFévrier 2006. Le Monde Diplomatique.
Changer la société sans prendre le pouvoir. Syndicalisme d’action directe et renardisme en Belgique. Mateo Alaluf (dir.)

Héritier de l’anarcho-syndicalisme, le renardisme refusait la tutelle du Parti ouvrier (« socialiste » après 1945) belge sur le mouvement syndical.
Le lecteur sera surpris d’apprendre que la lutte d’« action directe » révolutionnaire fut solidement enracinée au plat pays.
C’est dans la résistance à l’occupant nazi – et tandis qu’une frange de la gauche et du syndicalisme belges rejoignait le patronat dans la collaboration – que s’affirme le leader des métallurgistes liégeois André Renard.
Avec les Comités de lutte syndicale (CLS) communistes, son Mouvement syndical unifié (MSU) forme le noyau de ce qui deviendra, en 1945, la Fédération générale du travail de Belgique (FGTB). Le renardisme s’illustre dans les grèves quasi insurrectionnelles de 1950 et 1960-1961 et dans la rédaction du programme « anticapitaliste » de la FGTB, avant de se replier sur le combat wallon.
Les auteurs de l’ouvrage rappellent les grands moments de ce syndicalisme révolutionnaire.
Le titre entre en résonance avec une aspiration des mouvements sociaux actuels : changer l’ordre établi tout en refusant la politique « politicienne ».
Jean-Marie Chauvier. Labor, Bruxelles, 2005, 171 pages, 20 euros.
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« Temple en ruines » publie pour sa part, des extraits de la brochure introuvable d'André Renard : « Vers le socialisme par l'action. » qui date de 1958 et qui conserve, malgré le temps qui a passé, des aspects prophétiques...
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Les objectifs à atteindre.
Le moment est venu de le proclamer clairement : l'action ouvrière, l'action socialiste, qui se limitent à corriger périodiquement les effets les plus inhumains du système capitaliste n'ont pu qu'intégrer le mouvement ouvrier belge dans un capitalisme social à peine rénové.

En remettant aux calendes grecques - à savoir au moment d'une majorité absolue au Parlement, qu'une telle politique rend d'ailleurs inaccessible – toute lutte directe pour la transformation de la société, elles conduisent le mouvement ouvrier dans l'impasse.

Non seulement, elles mènent à une perte de substance des organisations ouvrières, à la démoralisation et au scepticisme des travailleurs, au dangereux apolitisme des jeunes. Mais elles ne permettent pas de conserver les conquêtes les plus importantes, notamment la démocratie politique.
Or, le vieillissement de notre structure économique, la position de plus en plus compromise sur les marchés mondiaux, l'extension des courants d'émancipation des peuples colonisés à l'Afrique noire, menacent incontestablement, dans les années à venir, cet équilibre précairement établi au lendemain de la libération.
Elles menacent du même fait les conditions qui ont permis au patronat d'accepter la politique des « hauts salaires » et la sécurité sociale.

Les travailleurs ne toléreront pas des attaques sérieuses contre leur niveau de vie.
Aussi le capital recherchera-t-il les moyens de les baillonner lorsque ce niveau de vie ne pourra plus être maintenu sans compromettre ses positions.
Car la démocratie n'est en effet tolérée par le grand capital que dans la mesure où elle laisse subsister les structures économiques et sociales qu'il a créées et où celles-ci ne sont pas soumises à des secousses trop menaçantes. (...)

Suivent une série d'objectifs à atteindre :
1. Planification économique.
2. Nationalisations.
3. Coordination des organismes publics de crédit.
4. Réforme fiscale.
5. Service national de la Santé.
6. Démocratie de l'enseignement.
7. Démocratie économique.
Le but final du socialisme, c'est la gestion collective des moyens de production par les producteurs eux-mêmes.
Mais ce but ne peut être atteint dans le cadre de l'économie capitaliste qui fonde sur le droit de propriété l'autorité au sein de l'entreprise.
De plus, si on accorde aux représentants des travailleurs la responsabilité partielle de la gestion des entreprises capitalistes, on les expose à s'intégrer dans le système capitaliste.
L'expérience de la cogestion dans l'industrie lourde de la Ruhr est concluante à cet égard.
Cependant, pour conquérir le pouvoir et pour être à même de reprendre en main la direction des entreprises, la classe ouvrière doit faire un effort spécial d'apprentissage.
Le contrôle ouvrier de la gestiondes grandes entreprises lui en donne les moyens.
Contrôle dans l'économie capitaliste, cogestion dans l'économie socialiste, telle est la formule qui correspond le mieux aux intérêts du mouvement ouvrier.
Ce contrôle ouvrier, il faut chercher à l'instaurer au plus tôt, notamment en élargissant le droit d'information des conseillers d'entreprise.
(...)

FRONT POPULAIRE. DANIEL GUERIN TIRE LES LECONS DE SON EXPERIENCE DE 36.


L'expérience de Juin 36 avait été pour nous une leçon un peu humiliante, mais salutaire.
Le brusque essor des masses nous avait pris au dépourvu. Nous avions été débordés. Malgré des improvisations merveilleuses, dont le mérite revenait à l'instinct de classe, à l'ingéniosité des travailleurs, il avait manqué, à l'heure décisive, l'essentiel : une coordination entre les divers éléments en lutte, une direction d'ensemble de la bataille. Et c'est pourquoi les organisations traditionnelles, s'étant enfin ressaisies, purent aussi facilement museler la classe.
Comment, à l'avenir, éviter de répéter les fautes commises ?

Ce que nous avions appris, c'était que les structures essentiellement corporatives de l'organisation syndicale, indispensables en période normale pour la défense des intérêts professionnels immédiats des travailleurs, ne suffisaient plus au cours d'une lutte généralisée.
D'abord, parce qu'en de tels instants, le moteur du mouvement doit être à la base : or dans les syndicats la pression de la base risque d'être passablement amortie par la forte armature bureaucratique; ensuite, parce que les cloisonnements corporatifs deviennent, dans une situation révolutionnaire, autant d'entraves et que ce qui compte alors, c'est la combinaison de toutes les forces ouvrières, tendues, au-dessus de tout particularisme corporatif, vers un but unique.

C'est pourquoi il nous semblait, qu'au cours d'un deuxième round social, les comités intersyndicaux locaux pourraient jouer un rôle infiniment plus important que celui dans lequel les enfermait leurs diables de statuts. Parce que mieux adaptés aux exigences de la lutte, ils feraient éclater leur cadre constitutionnel et se hisseraient au premier plan.
De même que les entreprises enverraient des délégués à chaque comité local (comme nous l'avions pratiqué au Lilas), à leur tour les comités locaux éliraient des délégués à un Conseil central des délégués ouvriers de la région parisienne.
Toute la France finirait par être couverte par une fédération de Conseils ouvriers.
Daniel GUERIN. Une révolution ne s'improvise pas.

LE FACTEUR BESANCENOT.

En participant à «Vivement dimanche», le porte-parole de la LCR confirme son poids politique à la gauche de la gauche.
PASCAL VIROT . LIBERATION QUOTIDIEN : lundi 12 mai 2008.

C’était son grand oral.
Passé devant un auditoire estimé entre deux millions et deux millions et demi de téléspectateurs. Soit beaucoup plus que les 1,5 million d’électeurs qui s’étaient portés sur son nom le 6 mai 2002. Une aubaine qu’Olivier Besancenot n’a pas laissé filer. La LCR, dont il est l’un des porte-parole, incarne l’une des facettes du trotskisme français un courant de pensée avec un véritable poids électoral que d’aucuns jugent comme une exception française. Ouverte aux mouvements de société (la défense des «sans», papiers, logements, droits, etc., des immigrés…), elle se démarque de Lutte ouvrière, l’autre grande branche du trotskisme français, plus ouvriériste.

Plus de trois heures durant, hier, sur France 2, dans l’émission de divertissement Vivement dimanche, animée par Michel Drucker, le porte-parole de la LCR a pu développer la vision de son monde. Celui du travail avec «les masses, les exploités, les opprimés» dont il rêve qu’ils «fassent irruption sur la scène politique».
Le monde de la politique, justement, lui qui «milite pour la révolution». Mais pas une révolution violente : «Pour moi, affirme-t-il devant Michel Drucker, la révolution, ce n’est pas une flaque de sang à chaque coin de rue.» Il a pu aussi stigmatiser «la grande distribution qui se fait des couilles en or».
Son monde à lui, enfin, avec des images le montrant jouer au football ou boxant. Et une confession quand il «revendique pour [sa] génération, un gros doute». Mais pas une image de sa compagne, ni de leur fils. Ses goûts pour la chanson tournent autour de Bernard Lavilliers et Jean Ferrat, Zebda et Charles Aznavour.

Décontracté, souriant charismatique («s’il te plaît, continue à parler!» l’a exhorté la députée PRG Christiane Taubira), le jeune postier - il a eu 34 ans le 18 avril - a su habilement laisser parler deux femmes syndicalistes, l’une de l’ex-fabricant de stylos Reynolds à Valence, aujourd’hui disparu, l’autre d’une entreprise métallurgique de la région lilloise. Des témoignages bruts sur la condition de salariés précaires.

Personnalisation. Au final, l’ancien candidat aux présidentielles de 2002 et de 2007, aura peut-être réussi à éviter l’écueil de la pipolisation. Cette crainte avait été soulevée par le courant minoritaire de la Ligue communiste révolutionnaire et son porte-parole, Christian Picquet. Un Christian Picquet à qui la direction de la formation trotskiste vient de supprimer le poste de permanent qu’il occupait. Le leader de la minorité tirait la sonnette d’alarme il y a une semaine, quelques jours avant l’enregistrement de Vivement dimanche, sur les risques de personnalisation du débat politique : «Même si Besancenot invite une infirmière et un prolo, cela va concourir à la dépolitisation de la vie publique puisqu’ils ne seront là que pour contribuer à son édification.» Au contraire, le leader historique de la Ligue, Alain Krivine plaidait pour la participation d’Olivier Besancenot à l’émission dominicale : «Boycotter la télévision bourgeoise ? Si on fait ça, notre message ne passe nulle part.» D’emblée hier, le porte-parole de la LCR a précisé: «Je n’ai pas hésité une seconde à venir. C’est l’occasion de présenter un certain nombre d’engagements, de causes et de donner la parole à d’autres, de s’adresser à des millions de personnes, donc de s’adresser au peuple, quand on est une organisation populaire.» Même s’il a pris soin d’ajouter : «La représentation médiatique, je n’y ai toujours pas pris goût.»

Nouveau parti. Mais derrière la polémique («Un peu une tempête dans un verre d’eau», dixit Besancenot) se cache un débat plus politique : quel visage donner au «nouveau parti anticapitaliste» qui devrait voir le jour à la fin de l’année ou début 2009.
Globalement, pour la direction de la LCR, ce NPA doit se construire «à la base», avec des militants déçus, qu’ils viennent du PCF, des Verts ou du PS.
Le «parti d’Olivier», comme l’appellent certains détracteurs, aurait vocation à concurrencer le PS sur sa gauche. «Je ne serai pas le seul leader de ce parti», a répété l’ex-candidat tout au long du dernier congrès de la Ligue, en janvier. Une stratégie que ne partagent pas les minoritaires, comme Christian Picquet qui dénoncent un «parti d’extrême gauche relooké», plaidant au contraire pour une formation large, construit avec des composantes venues de l’aile gauche du PS, du PCF, des Verts et des antilibéraux.

vendredi 9 mai 2008

LE MYSTERE BESANCENOT.


Nº2270. SEMAINE DU JEUDI 08 Mai 2008.
Le Nouvel Observateur.
Son talent fait merveille. Le mystère Besancenot. Un révolutionnaire ce dimanche chez Michel Drucker, on n'avait pas vu ça depuis Arlette Laguiller.
Mais Olivier Besancenot, placé dans le trio de tête des personnalités de gauche, est aujourd'hui sur une autre planète. Questions sur une star politique, incarnation de la colère...


S'en souvient-on, on l'appelait «Amélie Poulain» ! C'était Alain Krivine qui en faisait des tonnes avec ce surnom... Olivier Besancenot, Amélie Poulain de la politique, un produit frais !

C'était en 2002, quand la LCR groupusculaire envoyait un facteur de 27 ans gratter les parts de marchés d'Arlette Laguiller.

Pas grand monde y croyait. «Je n'étais pas fait pour ça.»

Besancenot montait dans les médias comme les poilus au front.

Pour ses premières télés, il gardait sa feuille de paie dans sa poche.

«Si je m'étais fait coincer par les journalistes, je leur aurais dit : je n'ai peut-être pas toute les réponses, mais voilà d'où je viens, voilà ce que je représente !»

Il n'a jamais eu à balancer ses 1 000 euros de salaire mensuel aux journalistes, alors moins hostiles que condescendants. Et aujourd'hui Olivier Besancenot n'a plus besoin de talisman.

A 35 ans, il possède un statut à part : l'opposant absolu et absolument populaire, ne passant rien à Sarkozy ni à ses opposants, les «clowns» de la gauche institutionnelle, et pourfendant le «capitalisme» pris en bloc. A la télévision, son talent fait merveille. Dans les entreprises en lutte, il est de plain-pied avec les salariés. Les médias le traitent en majesté.

Son invitation chez Michel Drucker, dimanche sur France 2, a la valeur d'un couronnement. Besancenot est protégé : son statut de tribun du peuple interdit les questionnements politiques ou personnels.

«On a tort de s'intéresser à Besancenot, répond-il. Au lieu de pointer les caméras sur moi, on ferait mieux de les tourner vers la société française. Je ne suis pas intéressant. Mais la révolte sociale et politique, elle, devrait alerter les médias.»

Sur la colère sociale, le facteur a raison. Mais sur lui-même, il a tort. Olivier Besancenot est assez intéressant pour qu'on essaie de le comprendre.


Voici quelques questions qui fâchent, sur cet encore jeune homme en qui se reconnaissent tant de mécontents. Ce n'est pas si souvent qu'un révolutionnaire est une star, dans ce pays tempéré !


1. Peut-on être révolutionnaire et aller chez Drucker ?

Ca le fait marrer, cet éboueur qui arrête sa grosse benne à ordures dans la rue Ramey, sur les contreforts de la butte Montmarte : «Vous allez vraiment chez Drucker ?»

Acquiescement de Besancenot.

«Alors parlez de nous !»

CQFD. «Ceux-là, Drucker ne les dérange pas», conclut Besancenot, las du procès en pipolisation que lui intentent les puritains de l'extrêmegauche.

«L'émission, on y parlera politique, on parlera des salariés et des sans-papiers...»

Il n'a pas varié. Le révolutionnaire a la culture de son époque. Un enfant de la télé, de Coluche et du rap. Et il a déjà fait plus baroque que Drucker. En 2002, il avait accepté une interview croisée avec le jet-setter Massimo Garcia dans «VSD» ! Tout était bon pour exister. Et aujourd'hui rien n'est à négliger pour toucher la France populaire. Besancenot est une telle bête de télévision qu'il pense éviter les pièges.

«Evidemment que je joue un rôle dans le système médiatique. Mais l'important est ce que j'en fais !»


2. Au service du peuple ou de sa propre gloire ?

Olivier Besancenot est trop doué pour la politique pour ne pas aimer qu'on l'aime. En même temps, le postier se veut un être moral : il fait ça pour la cause. En 2004, après les régionales et les européennes, quand la Ligue s'était brisée sur le vote rose utile, il confiait sa peur d'un destin tracé : devenir un nouvel Arlette, l'incarnation élec torale d'une révolution impossible.

Le référendum européen de 2005, puis la présidentielle, l'ont requinqué : la self-esteem est politique ! En fait, Besancenot est plus perso que narcissique. Quand il est devenu le candidat de la Ligue en 2001, il a négocié avec les «potes» ses espaces de liberté. C'était du temps pour lui, sa boxe française ou le foot ? il est supporter du PSG.

De ce point de vue, Besancenot n'a pas bougé. La star des trotskistes est de sa génération, qui a compris l'importance de l'individualisme. Ses plongées dans le monde du rap n'ont rien de factice. Besancenot s'est branché Monsieur R, adorable jeune homme et sulfureux rappeur, contempteur de la «FranSSe» raciste, en reprenant avec lui un vieux tube du groupe Trust, «Antisocial».

R est devenu compagnon de route de la Ligue d'Olivier.

Ils déjeunent parfois ensemble, porte de Clignancourt à Paris. Mais Besancenot n'est pas que roots, il est aussi paillettes : il a récemment tourné pour «Groland» un sketch anti-Sarko ! Est-ce Besancenot qui est devenu un produit Canal, un révolutionnaire aseptisé, ou Canal qui fait de la politique ? «Moi ça m'a fait marrer...» C'est aussi la clé.


3. Son nouveau parti est-il un bluff ?

Besancenot est sur le podium de la popularité à gauche. Mais de là à imaginer les Français prêts à adhérer à un «parti anticapitaliste», il y a de la marge.

«La popularité d'Olivier est durable tant il incarne un renouveau politique et générationnel il est le seul trentenaire visible à gauche, affirme Denis Pingaud, vice-président délégué du sondeur OpinionWay. Mais son parti aura du mal à décoller : c'est dans les gênes de la LCR.»

Pingaud, ex de la Ligue, a la sensation du déjà-vu : «Ils attirent des ouvriers et des jeunes radicalisés. Mais ensuite ils n'arrivent pas à s'ouvrir. Ils n'ont pas voulu construire avec les altermondialistes. Olivier aurait pu être un leader unitaire idéal s'ils avaient osé prendre des risques.»

Evidemment, Besancenot n'est pas d'accord. Il croit régénérer la politique. Il imagine un parti de nouvelles têtes : «Ce que la Ligue a fait avec moi, on le fera avec d'autres !»

Il croit surtout que la France enragée peut se retrouver avec lui. Il y voit même une urgence.

«Il y a une colère qu'on n'imagine pas. Je n'ai jamais oublié cet ouvrier de ThoméGénot, une boîte dans les Ardennes qui fabriquait des alternateurs pour automobiles. Il regardait une cuve d'acide, il me disait : «Il y a plein de CRS en ville, ils nous prennent pour des terroristes. S'ils y tiennent, on va le devenir...» Un jour, quelque chose va sauter...»

Et la Révolution devra conjurer la violence ?


4. Le héros des prolos est-il un petit-bourgeois ?

«Le mythe du col bleu qui serait le seul salarié vraiment révolutionnaire, ça fait longtemps que je n'y crois plus !»

Cela fait des années qu'il le dit au sein de la Ligue, contre les vieux mythes des vieux copains. «Ils expliquaient que les profs n'étaient pas vraiment des exploités... Ca a changé en 2003, quand les enseignants ont pris tous les risques contre la réforme des retraites.»

Lui n'a jamais eu de doute.

On peut être col blanc, employé, postier ou instit et être du peuple en lutte. Besancenot est fils d'enseignants.

«Une famille de la classe ouvrière qui entre dans l'Education nationale.»

Besancenot a réinscrit l'extrême-gauche dans l'aventure brisée des milieux populaires français, qui croyaient en l'ascension républicaine et ont été trahis par la crise...

Cet homme est un caméléon, audible dans tous les mondes de la gauche.

Il vit dans le 18e arrondissement de Paris, avec sa compagne éditrice et leur fils, comme plein de foyers des classes moyennes intellectuelles. Mais il accompagne régulièrement des luttes entre Metaleurop ou Nestlé : il sait, comme aucun autre politique, être le copain des prolos qui combattent... Son absence d'inhibition ouvriériste lui a permis de comprendre aussi les nouveaux combats : il a accompagné la grève du McDonald's du boulevard Sébastopol à Paris. Comme il a défendu, très tôt, les salariés sans-papiers.

On le sait depuis Mai-68 : certains «petitsbourgeois radicalisés» ne sentent pas trop mal la société...


5. Est-ce un vrai facteur ?

La Poste fut le must des premiers reportages sur Besancenot : ah, les ballades matinales dans les rues de Neuilly avec le jeune homme en tournée !

Ensuite est venue la rumeur : Besancenot serait un déclassé par choix politique, abrité dans la fonction publique pour pouvoir militer !

La construction l'enrage. «Entrer à La Poste, c'était un choix professionnel. La trouille du chômage, toute ma génération l'a connue.

J'aurais pu devenir prof, mais je n'avais pas le courage de me taper encore un an d'études, tout en travaillant, pour préparer le Capes. Quand j'ai été pris à La Poste, mon père m'a offert le champagne tellement il était soulagé !»

La colère de Besancenot n'est pas feinte. L'idée qu'il se fait de lui-même est son moteur : «Si on oublie la politique, je suis comme plein de mes collègues. Des diplômés de la fac devenus postiers, il y en a énormément !» Il ignore s'il restera facteur toute sa vie. «Mais pour l'instant c'est ce que je suis. C'est moi. C'est mon univers, mes collègues, une partie de ma vie, comme la boxe. Et ça me protège.»

De lui-même, des tentations du starsystème ?

«De vous, des médias. Du personnage qu'on me fait jouer...»


6. Son programme économique est-il bidon ?

L'économie, selon Besancenot, est une belle utopie... sauf si l'on fait revivre les années 1970.

«Il prolonge ce qu'on disait au moment du Programme commun», dit Liem Hoang Ngoc, un des économistes de la gauche du PS, qui veut revenir sur la rupture de 1983 et donne quitus aux liguards : «A force de fréquenter Attac, la Fondation Copernic, les comités du Non européen, ils se sont frottés à la réalité.

Et l'homme qui les inspirait, Michel Husson, est un des meilleurs macroéconomistes français.»

En 2007, Besancenot défendait un «plan d'urgence» très «première gauche redistributrice et étatiste» : une augmentation du smic à 1 500 euros net; une loi interdisant les licenciements et permettant la nationalisation des entreprises défaillantes; une renationalisation des services publics; l'objectif de gratuité en matière de transports et d'éducation; le retour aux 37,5 annuités de cotisations pour une retraite à taux plein. Et une augmentation des cotisations patronales...

«C'est viable, à condition d'avoir un rapport de force politique, dit Husson, qui s'est éloigné de la Ligue mais ne renie rien. On combinerait une relance par les revenus avec un nouveau partage des richesses, et on relancerait l'emploi en abaissant la durée du travail. Mais il faudrait assumer le conflit avec le patronat ce que ne savent plus faire les sociaux-démocrates.»

Besancenot en social-démocrate de substitution ?

«On peut tenir nos mesures sans perdre pied dans la compétition internationale, jure le facteur. Louvrier français est le plus productif du monde.» Mais la suite de son programme «une remise en cause de l'idée même de propriété» - est un peu moins soc-dem...


7. Est-ce un démagogue ?

«Il a saisi la colère des nouveaux déclassés, dit le socialiste Manuel Valls. Mais ce qu'il propose ne sert qu'à entretenir la colère et la frustration. Il a besoin que les blocages perdurent pour nourrir son populisme compassionnel.»

Quand il vient soutenir des salariés, Besancenot vend pourtant peu de rêves et ne prône que le combat. Sa démagogie est ailleurs, dans le discours qu'il porte sur «la classe politique», une verve anti-politicards déconcertante : «Eux en bouffent, pas moi; ils vivent de la politique, pas moi.»

Depuis 2002, la LCR veut cristalliser à l'extrême-gauche comme le FN avait cristallisé à l'extrêmedroite, dans un discours antisystème. Besancenot le porte, avec presque trop de sincérité et de talent. Il enfourche le cheval populiste privé de cavalier depuis la chute de Le Pen... au point d'avoir une bonne cote d'amour auprès des sympathisants du FN !


8. Nouvelle gauche ou vieux trotskisme ?

Besancenot a repris des trotskistes vétérans le culte de la longue patience qu'importent les défaites, les luttes reprendront... A l'étranger ses repères, ses correspondants sont les militants de la IVe Internationale. Il est amoureux de l'Amérique latine, séduit par Cuba, où il était en vacances en avril «les réformateurs du castrisme en ont assez que la gauche française les tape systématiquement !».

Mais il n'est jamais allé en Chine, où tout change et tout se joue pourtant.

«Il faut construire des liens avec le mouvement social chinois, toute la crise du capitalisme est concentrée là-bas», reconnaît-il, déclinant un classique. En même temps Besancenot est plus baroque que les vrais sectaires du vieux Léon ou les enfants de Mai-68. Son guevarisme est une idéologie de l'inachevé : «Le Che me passionne parce que sa pensée n'était pas figée, pas aboutie», dit-il. Il pioche, aime les banlieues. Et il lit, en ce moment, les grands auteurs anarchistes. Il cherche les explications à la violence qu'il sent poindre, qui le taraude, l'attire et l'inquiète à la fois.


9. Est-ce un vrai sectaire ?

En 2002, au forum social de Porto Alegre, ll grimaçait en croisant Chevènement «ce type qui expulse les sans-papiers» - quand Krivine claquait la bise à « Jean-Pierre», un pote depuis les années 1970 !

C'est une affaire de génération : Besancenot est né à la politique quand le pouvoir s'appelait Mitterrand. Si les socialistes le trouvent sectaire, c'est qu'il ne les connaît pas, ni ne les aime, sauf exception. Il ne supporte pas Julien Dray, qui le regarde avec l'air de supériorité des anciens LCR passés au PS, sur le mode «toi aussi tu y viendras». Mais il estime Harlem Désir, connu dans le mouvement altermondialiste. Besancenot cultive de bons rapports avec les figures antilibérales. Il respecte Arlette Laguiller et discute beaucoup avec José Bové, ce qui ne l'a pas empêché de les humilier l'an dernier. C'était pour le parti ! Christian Picquet, l'opposant interne de la Ligue privé de son poste de permanent, peut en témoigner : à la guerre, Olivier ne plaisante pas. Mais la dureté du combattant n'empêche pas l'homme Besancenot d'être séduisant. Il a conquis Nicolas Hulot un méfiant, comme lui en lui expliquant pourquoi il ne signerait pas son pacte écologique au nom de l'impératif social. Depuis, les deux hommes dialoguent sur la conjonction du social et de l'écologie.

«Je suis écolo», affirme Besancenot, antinucléaire et ex-faucheur d'OGM, tandis que Hulot, sur la mondialisation, tient un discours de plus en plus à gauche ! Hulot et Besancenot ont dîné ensemble à Paris, en petit comité, au début de l'année. Un ami de Hulot, l'homme-consensus, peut-il vraiment être sectaire ?

Claude Askolovitch. Le Nouvel Observateur.

jeudi 8 mai 2008

Ken pell zo da c'hortoz. GILLES SERVAT.


Alan Stivell.


L'Assemblée lève le tabou des langues régionales lors d'un débat inédit.
Par Suzette BLOCH AFP - Mercredi 7 mai, 23h45.

PARIS (AFP) - L'Assemblée nationale a débattu pour la première fois en séance publique mercredi de la place des langues régionales et minoritaires, mettant fin à un sujet quasi tabou en France, à la satisfaction des députés tous partis confondus.
Bretons, Alsaciens, Catalans, Corses, Occitans, Béarnais: une vingtaine d'élus, lors de ce débat inédit, ont revendiqué dans un français parfois teinté d'accent ou dans leur langue régionale la reconnaissance de leur identité régionale, déplorant, parfois avec passion, le déclin "des langues de France".
"Senyor Ministre, els Catalans son gent orgullosa, honesta i pacifica. La seva llengua es un dret i saben quins son els seus Diras" (M. le ministre, les Catalans sont fiers, honnêtes et paisibles. Leur langue est un droit et ils savent où sont leurs devoirs), a ainsi lancé Daniel Mach (MP).
Interrompu par le vice-président de l'Assemblée, Marc L'affineur (
UMP), qui, du haut du perchoir, l'avertissait qu'il était "interdit de s'exprimer autrement qu'en français dans l'hémicycle", le député des Pyrénées-Orientales a tenu à terminer sa phrase en catalan après avoir évoqué "les humiliations historiques pour les Catalans".
"Egalité ne veut pas dire uniformité", a-t-il ajouté, réclamant "du concret sur l'éducation, les médias, internet, la signalétique" et "une belle et grande loi" pour les langues régionales.
M. Le Fur avait mené une fronde d'une trentaine de députés UMP lors de l'examen du texte sur le traité européen en début d'année, tentant en vain par un amendement de modifier la constitution pour permettre la ratification de la Charte européenne sur les langues régionales. Le gouvernement s'était alors engagé à organiser un débat.
La France a signé en mai 1999 cette Charte, dont s'est doté le Conseil de l'
Europe en 1992, mais ne l'a jamais ratifiée, le Conseil constitutionnel ayant estimé qu'une telle ratification nécessitait une révision de la Constitution.
Les députés de l'opposition n'ont pas été en reste, rejoignant ceux de la majorité dans leur "fierté de représenter des cultures régionales". Ils ont réclamé la ratification de la Charte européenne et proposé d'ajouter à l'article 2 de la Constitution ("la langue de la République est le français") les mots suivants: "dans le respect des langues régionales qui font partie de notre patrimoine".
"La France, qui a la chance de posséder 75 langues régionales, les laisse s'éteindre peu à peu", a déploré Françoise Olivier-Coupeau (
PS, Morbihan), "il est largement temps de vaincre la frilosité des institutions".
La ministre de la Culture, Christine Albanel, a confirmé que la France ne ratifierait pas la Charte européenne, "contraire à nos principes".
Cette ratification "implique la reconnaissance d'un +droit imprescriptible+ de parler une langue régionale, notamment dans la sphère publique", a-t-elle notamment argué.
La ministre s'est cependant engagée à proposer un texte de loi, réclamé par de nombreux députés. UMP, sans préciser de calendrier.