samedi 31 janvier 2009

LA CRISE.

Pour contribuer au débat :
Samedi 31 janvier 2009. Fugues et fougues.
Michel Aglietta, La crise / par Alain Sueur
Pas plus long qu’un Que sais-je ? et beaucoup moins universitaire, ‘La crise’ offre en 10 questions +1 un décorticage pédagogique de ce qui s’est passé et des hypothèses judicieuses pour en sortir, malgré le silence sur certains risques. Sa conclusion est que nous ne sommes pas sortis de l’auberge et que le pouvoir du monde est en train de basculer.
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1 – La crise est-elle un phénomène inhérent à l’économie de marché ?
« Le marché des actifs fonctionne selon des lois qui ne sont pas les mêmes que celles du marché des biens et services ordinaires, l’instabilité est intrinsèque au capitalisme financier » p.15
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2 – Pourquoi n’a-t-on pas vu venir ?
Le coût du crédit très bas a incité les volumes de crédit à croître plus vite que le revenu disponible et a fait grimper les prix des actifs. L’erreur a été de modifier les normes comptables (IFRS) pour évaluer les actifs en garanties au prix du marché. « Les banquiers ne perçoivent donc pas le risque » p.19.
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3 – Quelles sont les caractéristiques de cette crise ?
« Cette crise est d’une ampleur exceptionnelle dans la mesure même où le crédit a atteint des niveaux jamais égalés auparavant » p.21 Il est dû au levier de l’ingénierie financière : évaluation au prix du marché, produits dérivés dont titrisation, évaluation du risque non plus par dossier mais statistique (en ‘value at risk’ ou queue de distribution). Il est dû aussi au modèle de banque d’affaires qui consiste à vendre des crédits et à en transférer le risque à d’autres, donc à l’évaluer sans soin. « Le volume du crédit prime désormais sur la qualité des prêts » p.27. Personne n’a voulu voir le risque du système. « A commencer par les investisseurs qui auraient dû se demander pourquoi cette nouvelle classe d’actifs [les crédits titrisés] qui leur rapportait davantage que les obligations ordinaires (…) étaient aussi bien notées que ces dernières » p.31.
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4 – Comment s’est-elle déclenchée ?
La crise asiatique de 1997 a changé le modèle des pays émergents, désormais excédentaires en dollars. L’entrée de la Chine à l’OMC a ouvert une ère de prix bas pour les biens à la consommation dans le monde. Or, « en soi, un contexte non inflationniste est très favorable à la prise de risques financiers parce qu’elle induit une baisse des taux d’intérêt » p.35. La crise des valeurs technologiques de 2000 a incité la Fed a poursuivre durablement une politique monétaire de relance, ce qui a permis l’envol des crédits – donc des prix – de l’immobilier américain. Le décalage croissant entre des pays excédentaires et les Etats-Unis vivant de plus en plus a crédit a entraîné un transfert massif de biens et de capitaux vers les Etats-Unis ce qui a empêché les taux longs US de remonter comme les taux courts dès 2005. « La Fed a perdu la maîtrise des taux longs » p.39. Cet afflux euphorique a fait s’effondrer les primes de risques et a poussé les prix des actifs vers la bulle. « La poursuite délibérée de l’offre de tels crédits [subprime = risqués], alors que les taux d’intérêt étaient à la hausse et que le marché immobilier donnait des signes d’essoufflement au cours de l’année 2006, était une fuite en avant des prêteurs que seule la titrisation justifiait parce les prêteurs se défaussaient du risque » p.42
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5 – Est-elle mondiale ?
La crise sur les prêts immobiliers a gagné les autres prêts des ménages car l’immobilier leur servait de garantie ; la titrisation a mélangé les bons et les mauvais risques ; les banques du monde entier ont acheté des crédits titrisés notés ’sans risque’ ; même les fonds monétaires. La faillite de la banque Lehman le 15 septembre 2008 a montré le risque et chacun s’est figé, nulle banque ne voulant plus prêter à une autre. Y compris aux « banques des pays émergents qui utilisaient fortement le crédit en devises auprès des banques occidentales » p.47. Finie la théorie du ‘découplage’ entre émergents et développés. Les fonds souverains des Etats fortement excédentaires en dollars jouent un rôle crucial : si la crise des émergents est atténuée, ils vont venir investir massivement dans les entreprises occidentales ; si elle s’aggrave, le dollar sera moins demandé et les flux de financement vers les Etats-Unis s’arrêteront. De toute façon les pays émergeants sortiront renforcés de cette crise [sauf explosion sociale en Chine ou guerre ouverte entre Inde et Pakistan, mais l’auteur reste un économiste qui ne fait nulle part au risque géopolitique, ce qui est la limite de cet essai]. « Le centre de gravité de l’économie et de la finance aura tendance à se déplacer vers l’Est. Mais, à la différence cruciale de ce qui se produisit en 1929, la globalisation se poursuivra » p.57.
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6 – Quelles sont les retombées de la crise financière sur l’activité économique ?
Panne de crédit entraîne baisse de croissance, récession et désendettement. « Il faut donc s’attendre à ce que les conséquences en soient très lourdes pour l’économie et l’on peut prévoir qu’il faudra beaucoup de temps pour remettre en état les bilans et de revenir à des niveaux de dette qui permettront de relancer le crédit dans des conditions normales » p.60
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7 – Comment gérer la crise ?
Restaurer le fonctionnement du marché des liquidités, resolvabiliser les banques empêtrées dans les subprime. Les Banques centrales ont baissé les taux, prêté ‘en dernier ressort’ en acceptant en garantie des créances plus douteuses, ce qui dégrade leur bilan. Les gouvernements ont apporté des capitaux publics aux banques et aux entreprises cruciales pour l’économie (assurances, automobile) sous formes d’actions préférentielles, de garanties de crédits et de rachat de créances douteuses. Ils recourent pour cela à la dette publique, mais à des conditions qui doivent être attrayantes. « Le rapport de force est désormais propice aux créanciers » p.81. [C’est un signe évident de spirale dépressive, mais l’auteur le minimise]. Cette dette publique va peser durablement sur les Etats : si l’emprunt privé ne repart pas, la croissance restera faible et les charges publiques seront élevées, faisant augmenter inévitablement les impôts à terme ; si le crédit repart, un effet d’éviction jouera sur la dette publique en faveur des emprunts d’entreprise et les titres d’Etat, malgré leur garantie, devront fournir un intérêt supérieur.
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8 – A-t-elle fait progresser l’Europe ?
Les défaillances de Fortis et Dexia ont prouvé que chaque Etat ne contrôlait rien à lui tout seul. La zone euro n’a aucun pouvoir de supervision, ni aucun Budget de relance en commun. On est dans le chacun pour soi alors que la crise montre qu’on ne peut s’en sortir tout seul. [Grâce à la Présidence française durant le second semestre 2008 - qu’en aurait-il été d’une présidence tchèque ou italienne ?], BCE et Eurogroupe « ont géré la crise en étroite liaison. C’est un incontestable progrès » p. 94 La crise offre l’opportunité d’aller vers une intégration plus nette, comme dans les Etats-Unis des années 1930.
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9 – Faut-il mettre en place de nouvelles régulations ?
Oui. Il faut obliger les banques à provisionner plus quand la valeur des actifs monte plus vite que le capital, donc réguler le levier. A augmenter leurs provisions en fonction de la croissance du crédit, donc réguler le volume. A exclure les échappatoires que sont les dérivés de crédit qui transfèrent le risque dans des structures non régulées comme les hedge funds, les places offshore et les marchés de gré à gré. « Cette règle n’aura de valeur et d’efficacité que si elle est internationale. Il ne sera pas aisé de l’imposer » p.102 Les agences de notation ne sont pas concurrentielles sur les crédits titrisés, juges et parties et rétribuées par ceux qu’elles ont mission de noter. Il faudrait en faire des organismes publics.
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10 – Quelle gouvernance demain pour les banques ?
En finir avec le bonus asymétrique qui ne joue qu’à la gagne et que sur le court terme. Rendre les stock options neutres sur la gestion long terme de l’entreprise en soumettant leur distribution au risque et à la plus-value effective par rapport au marché. La conception actuelle des stock options « est parfaitement antiéconomique puisqu’elle privilégie les performances du marché plus que le développement économique réel de l’entreprise sur le long terme » p.112 (Warren Buffet est d’accord). Revoir la structure des pouvoirs dans les établissements financiers avec de vrais contrepouvoirs, notamment au conseil d’administration.
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+1 – Quelle est la bonne réponse économique ?
« Il faut que les pouvoirs publics agissent de manière coordonnée pour que la récession ne se transforme pas en dépression » p.119. Baisser les taux, augmenter la dépense publique d’investissement, s’entendre pour cela en Europe notamment sur la recherche et l’éducation. « La leçon principale de la crise à plus long terme est la fin du modèle de croissance fondé sur la montée inexorable de l’endettement qui a été observé dans les vingt dernières années » p.124. Conjonction d’une gouvernance d’entreprise tournée exclusivement vers la création de valeur pour l’actionnaire qui a déconnecté productivité et salaires et encouragé le recours au crédit, d’une mondialisation des transferts de biens et de capitaux qui a artificiellement maintenus des taux bas, et de la montée des émergeants qui a pesé sur le prix du travail. « Il faut 3 à 4 ans pour que l’économie retrouve un rythme de croisière, et celui-ci est plus lent qu’avant la crise » p.125. Le modèle structurel de croissance en sera changé avec des rendements aux actionnaires plus raisonnables, un meilleur partage de la productivité et une croissance des émergents plus orientée vers leur marché intérieur.
Pour le prix de deux journaux du week-end, vous avez là un concentré d’information réfléchie à lire, à méditer et à consulter souvent.
Michel Aglietta, La crise – Pourquoi en est-on arrivé là ? Comment en sortir ? Michalon novembre 2008, 126 pages.

vendredi 30 janvier 2009

DU MANAGEMENT AU "DOUX FASCISME".

Nº2308. NOUVEL OBSERVATEUR. SEMAINE DU JEUDI 29 Janvier 2009.
Trois questions à Michela Marzano* Du management au «doux fascisme»

Philosophe et chercheuse au CNRS, elle dénonce la culture d'entreprise dans la sphère publique.
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Le Nouvel Observateur. - De nombreux professionnels s'unissent aujourd'hui pour dénoncer la «casse des métiers». Pour vous, c'est la logique managériale qui serait en cause ?
Michela Marzano. - Oui, tout ça a commencé dans les années 1980 à l'intérieur des entreprises avec le conditionnement des gens par le management. On y a développé l'esprit du chacun pour soi, la culture de la performance personnelle et l'idée que travail rime avec épanouissement. Un tas d'injonctions qui ont contribué à l'effritement général des solidarités, à l'affaiblissement considérable des syndicats. Cette logique du «diviser pour mieux régner» a connu son apogée dans les années 1990. Et puis cette politique managériale a doucement envahi l'espace public, adaptée aux hôpitaux, aux écoles, à la justice, à la police...
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N.O. - Comment se manifeste ce culte de la performance ?
M. Marzano. - Nicolas Sarkozy fait tout le temps référence à la réussite, au mérite, appelle à faire toujours plus de chiffre. On met partout en oeuvre des systèmes d'évaluation, pour les enfants, les enseignants, les médecins, les malades mentaux. L'individu se trouve ainsi réduit à une valeur marchande, dont on estime par ces moyens la capacité à servir «l'entreprise France», grande fabrique d'idéal et de richesse. La seule question qui vaut désormais, c'est «comment faire ?». On a complètement oublié le «pourquoi ?», c'est-à-dire la question du sens. On met à l'écart toute pensée critique. La pratique aujourd'hui très répandue du coaching en est révélatrice. L'individu doit penser en termes de «stratégies comportementales» et de «capital à faire fructifier». Exit la complexité de l'être humain et ses contradictions.
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N.O. - Vous allez même jusqu'à parler de l'installation en France d'un «doux fascisme». Qu'entendez-vous par là ?
M. Marzano. - Oui, cela n'a rien à voir avec le fascisme des années 1930-1940 en Italie. Il s'agit d'un mode de gouvernement moderne caractérisé d'abord par le retour d'un leader charismatique, avec Nicolas Sarkozy. Puis par une idéologie de l'amalgame, qui consiste à tenir, d'une part, un discours progressiste, en disant par exemple stop à la logique de marché quand la crise éclate, et, d'autre part, à lancer des réformes qui correspondent plus que jamais à une logique managériale. C'est comme ça que les clivages politiques explosent, et que d'autres clivages s'installent, entre les gens notamment. Enfin, ce doux fascisme s'illustre par un transfert de la logique d'entreprise aux domaines de l'espace public, provoquant l'effacement de cette frontière qui conditionne normalement toute démocratie libérale.
* Auteur d'«Extension du domaine de la manipulation, de l'entreprise à la vie privée», Grasset.
Elsa Vigoureux. Le Nouvel Observateur.

CREANCIER ET DEBITEUR.

LE MONDE. Chronique d'abonnés.
Créancier et débiteur : la seule règle de droit qui a provoqué cette crisepar THOMAS T. 27.01.09.

Créancier et débiteur, une règle simple :
Tout le monde est soumis à cette règle, aussi bien une société, fiction en droit, qu'un sujet de droit comme l'être humain. Personne physique et personne morale doivent obéir à cette règle fondamentale qu'est celle du créancier et du débiteur.
En gros, quelqu'un doit quelque chose à quelqu'un d'autre. L'obligation de devoir par exemple une somme d'argent à quelqu'un qui vous a prêté cet argent. Il ne faudra pas 10 ans pour comprendre cette crise, comme l'on dit certains et nous n'avons pas à nous en remettre aux mains de Dieu.
Cette simple règle s'applique aussi bien au riche, qu'au pauvre. Le pauvre avec le prêt immobilier, le riche avec les produits financiers. Cependant, il faut inclure un autre facteur à cette obligation, c'est le temps.
La banque Lehman Brothers et cette bonne vieille règle
Un jour ou un soir, nous apprenons tous dans la presse qu'une banque a fait faillite. L'Etat américain ne viendra pas à l'aide de cette banque, malgré les répercussions sur le marché financier. Lehman Brothers, institution financière plus que centenaire, est en faillite.
Lorsqu'on dit qu'une société fait faillite, nous pouvons appliquer une règle universelle, qui a court sur l'ensemble des continents, celle du créancier et du débiteur. Derrière cette faillite, il y a deux questions à se poser pour comprendre ce qui s'est passé.
La première question est l'accumulation des dettes. Le système tel qu'établi a permis à cette banque d'accumuler des dettes. En gros, la banque a accumulé la règle du créancier et du débiteur en sa défaveur. Le temps est le facteur qui a permis cette accumulation, le décalage de la rencontre du créancier et du débiteur.
La seconde question est qu'est ce qui a fait que cette banque devait payer un instant T une dette qu'elle ne pouvait pas payer ? Qui avait le droit d'exiger le paiement immédiat d'une dette et donc la consommation de la rencontre du créancier et du débiteur, sans accorder le moindre timing pour y faire face ? C'est la cessation des paiements, l'impossibilité de payer les dettes à un instant T.
A qui doit on de l'argent ?
Malgré les annonces de la presse sur l'endettement des banques dans le monde, nous n'avons aucune idée du profil du créancier. Ainsi, la banque devient un débiteur et nous en tant que citoyen, nous ne connaissons toujours pas l'identité du créancier.
Lorsque la banque américaine a fait faillite, je n'ai pas eu la possibilité de connaître l'identité du créancier. Certes, on nous parle de subprime, mais ce n'est qu'une étincelle d'un vaste problème, celle de la gestion des dettes et de cette règle de droit.
Le marché financier tel qu'il s'est mis en place a consisté à décaler dans le temps la rencontre du créancier et du débiteur qui finalement a eu lieu avec cette banque. Résultat, l'ensemble des banques ont dû à leur tour consommer cette rencontre, découvrant peu à peu l'accumulation de la dette.
Est ce qu'il y a une ou des personnes qui ont fait valoir le droit de se faire payer ? Si oui, qui sont ces gens, des riches, des fonds de pension, des pays, ou bien n'est ce qu'un mouvement bestial qui par une panique a provoqué la réclamation du paiement de la dette ?
Marché financier, produit financier et règle de droit
Finalement, la déreglementation du marché financier a provoqué des produits financiers complexes, mais l'ensemble ne pouvait échapper à cette bonne vieille règle qui est celle du créancier et du débiteur. Dès lors, dans une économie du prêt, le produit financier avait pour rôle de retarder la rencontre du créancier et du débiteur.
Si l'Etat ne fait que prêter de l'argent aux banques, l'Etat devient un créancier et la banque s'endette encore plus. Le décalage dans le temps permet à la banque de trouver de l'argent pour honorer sa dette. Hors, l'hypocrisie est là. Comment pensez vous que la banque va honorer sa dette vis à vis de l'Etat ?
Simplement, en réaccumulant des dettes qui vont encore une fois se décaler dans le temps. Elle va rejouer sur le marché financier, le casino, pour pouvoir payer sa dette à l'Etat, d'où l'absence complète de réforme du marché financier.
Donc, cette crise est bien pire que 1929. Finalement, l'Etat participe à ce qui a provoqué la catastrophe : une accumulation de dettes, avec un décalage dans le temps, mais que fera t-on lorsque le créancier et le débiteur devront se rencontrer ?
Que va t-on faire ?

mercredi 28 janvier 2009

CRISE MONDIALE : JUSQU'A 51 MILLIONS DE CHÔMEURS EN PLUS.

Crise mondiale: jusqu'à 51 millions de chômeurs en plus.
AFP. mer 28 jan, 13h36.

La crise économique mondiale pourrait mettre au chômage jusqu'à 51 millions de personnes "si la situation continue de se détériorer", a averti mercredi le Bureau international du travail (BIT) dans son rapport sur l'emploi en 2009.
"Par rapport à 2007, le nombre de chômeurs pourrait augmenter de 18 à 30 millions à travers le monde, et même de 51 millions si la situation continue de se détériorer", a affirmé le BIT.
Selon ce dernier scénario, le plus défavorable, le nombre de chômeurs dans le monde atteindrait 230 millions, contre 190 millions en 2008 et 179 millions en 2007, affirme le BIT.
Le rapport indique également que "plus de 200 millions de personnes, la plupart dans les économies en développement, pourraient venir grossir les rangs des travailleurs extrêmement pauvres" si ce "scénario du pire" se concrétisait.
Le BIT se veut "réaliste, non alarmiste". Il considère que la crise économique "a élevé le niveau d'inquiétude" au sujet des répercussions sociales de la mondialisation.
"L'agitation sociale est déjà là", a remarqué Juan Somavia, directeur général du BIT, qui a appelé les gouvernements à "ne pas oublier les gens" dans leurs plans de relance économique.
Selon M. Somavia, les pays du G20 qui se réuniront le 2 avril prochain à Londres doivent s'accorder, "outre les mesures financières, sur des mesures urgentes à prendre pour promouvoir l'investissement productif, les objectifs de travail décent et de protection sociale".
http://fr.biz.yahoo.com/28012009/202/crise-mondiale-jusqu-51-millions-de-chomeurs-en-plus.html

lundi 26 janvier 2009

LEO FERRE ET BERNARD LAVILLIERS.

LEO FERRE ET BERNARD LAVILLIERS.
L'EXPRESS. 08/08/2005. Lui et moi.
Léo Ferré et Bernard Lavilliers, propos recueillis par Gilles Médioni, mis à jour le 16/03/2007.
Léo Ferré (1916-1993) affirmait: «Je parle pour dans dix siècles.»
Capitaine d'anarchie, défricheur musical, matelot nihiliste, il a marqué de son souffle la chanson. Lavilliers raconte leurs souvenirs communs et dévoile l'influence multiple que le maître poète a eue sur lui..Parce que c'était lui«Ferré est l'un de mes "modèles en qualité", pour son sens de l'invective, sa marginalité, sa charge d'interprétation… Si je chante, c'est en partie grâce à lui. Ma mère écoutait souvent l'un de ses 25 centimètres: Léo Ferré chante Aragon. J'ai encore ce disque chez moi… Pendant longtemps, il n'a pas du tout été considéré comme interprète, à l'inverse de Brassens ou de Brel. Léo déroutait: il était un peu sulfureux, les gens trouvaient sa voix bizarre, son physique étrange, ses métaphores folles. En 1968-1970, lorsqu'il a rencontré la pop music et collaboré avec le groupe Zoo et les Moody Blues, il a jeté un pont vers les Doors, Patti Smith, Lou Reed, devenant une sorte de Rimbaud en musique, reconnu par tous.»Notre tournée commune«On partageait le même directeur artistique et, en 1976, une grande tournée d'été nous a réunis, ainsi que les groupes Magma et Gong. Son côté insurgé attirait le même public de gauchistes et d'anarchistes que moi. Je me souviens du son de Magma, "kolossal". Ils faisaient une musique wagnérienne, jazz-rock. Gong était un groupe de babas cool portant des chapeaux qui était mené par Didier Malherbe. Je jouais mon album 15e Round. Et Ferré chantait sur des bandes. Il détestait les musiciens et refusait de les payer. Normalement, Léo était le clou du show, mais notre puissance l'inquiétait tellement qu'il demandait parfois à être en lever de rideau. Personne n'a jamais osé évoquer cette histoire de bande d'orchestre, car il était très narcissique, cabot, adepte du scandale à l'italienne, et on se tenait à carreau.»Les clefs de Ferré«Il m'avait surnommé "le Torse". Ma musique l'intéressait, car j'étais dans l'époque et il me répétait: "Tu as inventé un style de chansons voyageuses, mais tu ne donnes pas les clefs." Je lui répondais: "Toi non plus, tu n'en donnes aucune dans La Mémoire et la mer." En chantant et en rechantant ce texte de lui que j'adore, j'ai trouvé certaines pistes. En tout cas, j'en comprends la mélancolie. Il m'avait dit aussi: "Tu t'es approprié Est-ce ainsi que les hommes vivent? Avec toi, on se croirait dans un bordel de Sarrebruck..." Ferré était avant tout un aventurier des mots qui ne voyageait pas. Il avait peur de l'avion et naviguait dans le monde clos de ses propres métaphores, de sa propre solitude, de son clan.»Mai 68 avec un «mais»«Ses chansons se sont d'abord promenées dans la tête des gens via ses interprètes: Edith Piaf, Juliette Gréco, Catherine Sauvage. Ferré était resté dans la tradition de la femme inspiratrice, de la muse, d'où un certain décalage avec l'époque. D'ailleurs, au moment de Mai 68, il était dans le Lot à régler ses histoires avec sa femme Madeleine. Quand il a été sacré demi-dieu de Mai 68 à la Mutualité, c'était plutôt un concours de circonstances. Ses chansons de révolte, que les gens prennent pour de la pop révolutionnaire, sont nées de conflits personnels… Son moteur était la contradiction. Il se disait proche de Proudhon et, en même temps, la propriété avait un sens pour lui: elle garantissait sa solitude. Ça lui convenait de manipuler son public seul sur scène. C'est pour cela qu'il n'a jamais pu faire œuvre collective. Il considérait l'anarchie comme l'aristocratie de la solitude. Une façon d'envisager l'existence avec panache, avec noblesse. Comme disait Rimbaud: "Par délicatesse, j'ai perdu ma vie."»Que reste-t-il de Ferré?«Ferré en savait long sur l'éternité des poètes. Piaf avait dû surpasser les autres pour rester intemporelle. Il a tout fait pour devenir un personnage, une star, un mystère. Je l'appelais "le Bâtisseur de mythes". C'était un homme mystérieux, qui accordait peu d'interviews et impressionnait son entourage. Il a écrit des chansons grandioses, voire grandiloquentes, qui l'ont porté sur les traces de Rimbaud, de Verlaine, de Breton, de Radiguet. Il pouvait entrer dans une grande introspection, se retrouver face à ses doutes, ses questions existentielles. Et pourtant Avec le temps, son plus grand tube, parle du quotidien avec délicatesse et violence. Ferré a pointé ces petites attentions que l'on a au moment de l'amour et a trouvé les mots pour décrire comment avec la haine tout s'efface. «On se sent tout seul peut-être, mais peinard»: l'image est vraiment juste. J'aime ses grandes chansons: Paris canaille, C'est extra, Jolie Môme. Et aussi La The Nana - que j'ai bien connue et qui s'appelait Marie. C'était une jeune Eurasienne, vierge, qui portait des blousons violets et qu'on surnommait "la Comtesse".Il a été très populaire, mais on ne l'entend plus trop à la radio. Certains artistes de la nouvelle génération comme Bénabar ou Raphaël le connaissent bien, lui rendent hommage. Il y a deux ans, je me suis replongé moi-même dans son répertoire et j'ai réécouté de nombreuses versions, j'ai lu tous ses textes pour faire une sélection. Actuellement, je reprends Préface dans mes concerts. C'est en fait un règlement de comptes avec André Breton, qui avait accepté puis refusé de préfacer son recueil Poète... vos papiers! Cette vocifération contre Breton a été prise comme une colère universelle. C'est encore un malentendu.»Mes derniers souvenirs de Léo«Je l'ai invité à l'occasion d'un documentaire qu'Arte préparait sur moi. Il est venu en train d'Italie et on a passé deux jours ensemble: je lui chantais ses premiers titres, inconnus de tous. En septembre 1992, pour la Fête de l'Humanité, je lui ai demandé de participer à mon concert. Léo m'a demandé: "C'est payé combien?"... Je l'ai amené jusqu'à la scène, car il ne voyait pas très bien et marchait très lentement, et puis il s'est posé devant le micro et il a entonné Les Anarchistes et Est-ce ainsi que les hommes vivent? devant 100 000 personnes. Il était impressionné. Après, un journaliste lui a lancé: "Les communistes, les anarchistes, c'est pareil!" Et il lui a répondu: "Non, nous on n'a pas besoin de secrétaire." Je venais de rentrer de Colombie quand j'ai appris sa mort, le 14 juillet 1993. Je savais qu'il était malade, mais j'ignorais que c'était à ce point. Ferré n'était sûrement pas du genre à se soigner. Chaque soir, en concert, Préface lui est dédié.»
http://www.lexpress.fr/culture/l-eacute-o-ferr-eacute-et-bernard-lavilliers_484943.html

dimanche 25 janvier 2009

DES MOTS POUR CHASSER LA GUERRE.

Arnold De Spiegeleer.
Texte écrit par des enfants lors d’un atelier d’écriture animé par Georget Mourin, dessin extrait d’une peinture d’Arnold De Spiegeleer.

lundi 19 janvier 2009

NOUS N'AVONS PAS DE SYSTEME ECONOMIQUE DE RECHANGE. Joseph Stiglitz.

DEBAT :
Joseph Stiglitz : "Nous n'avons pas de système économique de rechange"
LEMONDE.FR 19.01.09 09h29 • Mis à jour le 19.01.09 10h47
"Ce que nous vivons n'est pas seulement une crise du système financier, mais une crise de détérioration des richesses en général." Interrogé dans "Le Monde des livres" sur LCI, vendredi 16 janvier, sur la crise financière et économique, l'économiste américain Joseph E. Stiglitz, Prix Nobel d'économie (2001), professeur à l'université Columbia, a dénoncé l'hypocrisie du système financier américain qui, appuyé sur une dérégulation maximale des flux financiers, déresponsabilise les acteurs économiques, déséquilibre les rapports entre l'Etat et le secteur privé, et contribue à appauvrir plus qu'à enrichir les pays où règne le fanatisme du marché. D'où, selon lui, la nécessité d'inventer un système fondé sur de nouvelles valeurs.

M. Stiglitz a été chargé, début 2008 par le gouvernement français, de présider une commission visant à définir de nouveaux indicateurs de richesse. Il indique qu'il devrait remettre ses premières conclusions au cours du premier trimestre 2009. "Ce que nous allons souligner, c'est la nécessité de prendre en compte la durabilité du développement et de la croissance, afin de ne pas surestimer la santé des économies", dit-il.
La commission proposera "toute une série de réformes basées sur la prise en compte d'indicateurs liés non plus au seul PNB [produit national brut] mais à la soutenabilité de la dette, à la qualité des services publics, à l'état sanitaire des populations, aux performances en terme d'environnement...". "Nous essayons d'intégrer des valeurs qui ne mesurent pas seulement les biens matériels, dit-il, mais il n'y a pas de panacée et tout cela va prendre du temps, ça fait trop longtemps qu'on ferme les yeux sur ces problèmes."
"LES INÉGALITÉS, UN PROBLÈME SOCIAL, MAIS AUSSI UN PROBLÈME DE FLUX ÉCONOMIQUES"
Que se passera-t-il une fois passé le gros de la tempête actuelle ? Les pays touchés connaîtront-ils une vraie reprise ? "Je crains qu'on ne se dirige vers une situation de malaise à la japonaise, indique M. Stiglitz. Parce qu'il persiste des problèmes fondamentaux, en particulier celui des inégalités. Les inégalités ne sont pas seulement un problème social mais aussi un problème de flux économiques : ceux qui pourraient dépenser de l'argent n'en ont pas et ceux qui en ont ne le dépensent pas. La façon dont nous avons 'réglé' le problème ces dernières années était de permettre à ceux qui sont en bas de l'échelle d'emprunter toujours plus, mais ce système n'était pas viable. Aujourd'hui ce modèle s'est effondré, mais nous n'avons pas de solution de rechange sur le plan économique. Nous n'avons pas de nouveau modèle qui permettrait à l'économie de se développer de manière robuste et véritablement durable."
Florence Noiville
http://www.lemonde.fr/economie/article/2009/01/19/joseph-stiglitz-nous-n-avons-pas-de-systeme-economique-de-rechange_1143415_3234.html
Joseph Eugene Stiglitz est un économiste américain né le 9 février 1943 qui reçut le prix de la Banque de Suède en sciences économiques en mémoire d'Alfred Nobel en 2001 (pour un travail commun avec George Akerlof et Michael Spence). Il est un des fondateurs et un des représentants les plus connus du « nouveau keynésianisme ». Il a acquis sa notoriété populaire à la suite de ses violentes critiques envers le FMI et la Banque mondiale, émises peu après son départ de la Banque mondiale en 2000, alors qu'il y était économiste en chef.
WIKIPEDIA.

dimanche 11 janvier 2009

LA RACAILLE ET LES VRAIS JEUNES. Critique d'une vision binaire du monde des cités.

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Chronologie des faits.
La mort de deux mineurs électrocutés après avoir pénétré dans un transformateur électrique à Clichy-sous-Bois, alors qu'ils se croyaient poursuivis par la police, a déclenché de violents affrontements en Seine-Saint-Denis, puis dans d'autres départements de la banlieue parisienne.
- 27 octobre: trois jeunes enjambent les grilles d'un transformateur EDF à Clichy-sous-Bois (Seine-Saint-Denis). Deux d'entre eux, Ziad, 17 ans, d'origine tunisienne, et Banou, 15 ans, d'origine malienne, trouvent la mort en s'électrocutant. Le troisième, âgé de 21 ans et d'origine turque, est grièvement blessé.
- nuit du 27 au 28 octobre: plusieurs dizaines de jeunes s'en prennent aux pompiers, aux policiers, à des bâtiments publics et 23 voitures sont incendiées à Clichy-sous-Bois.
- 28 octobre: le ministre de l'Intérieur Nicolas Sarkozy affirme que "la police ne poursuivait pas physiquement" les deux jeunes.
- nuit du 28 au 29 octobre: 400 jeunes affrontent pendant deux heures les policiers à Clichy-sous-Bois et dans la ville voisine de Montfermeil. Une balle réelle est tirée sur un fourgon de CRS, 29 véhicules sont incendiés.
- 29 octobre: 500 personnes défilent en silence dans Clichy-sous-Bois, en mémoire des deux mineurs. Le procureur de la République de Bobigny, François Molins, affirme que, selon l'audition du troisième jeune, "les trois adolescents ont pris la fuite à la vue d'un contrôle d'identité à Livry-Gargan. Ils se sont crus poursuivis alors qu'ils ne l'étaient pas".
- nuit du 29 au 30 octobre: 20 véhicules incendiés à Clichy.
- nuit du 30 au 31 octobre: affrontements à la limite entre Clichy-sous-Bois et Montfermeil, 8 voitures incendiées, une grenade lacrymogène utilisée par les CRS atteint une mosquée de Clichy.
- 31 octobre: trois jeunes condamnés à 8 mois de prison, dont deux ferme, pour avoir lancé des projectiles contre des policiers.- nuit du 31 octobre au 1er novembre: échauffourées à Clichy-sous-Bois et dans six autres villes de Seine-Saint-Denis, ainsi qu'à Chelles (Seine-et-Marne), ville limitrophe de Montfermeil, 68 véhicules incendiés.
- 1er novembre: Dominique de Villepin reçoit à Matignon les familles des deux jeunes, en compagnie de Nicolas Sarkozy. Le Premier ministre assure que "toute la lumière sera faite sur les circonstances de cet accident".Le ministre délégué à la Promotion de l'égalité des chances Azouz Begag dénonce la "sémantique guerrière, imprécise" du ministre de l'Intérieur.- nuit du 1er au 2 novembre: nouveaux affrontements en Seine-Saint-Denis, mais aussi en Seine-et-Marne, dans les Yvelines et le Val-d'Oise, 228 voitures incendiées.
- 2 novembre: Nicolas Sarkozy annule un voyage au Pakistan et en Afghanistan. Jacques Chirac appelle à l'apaisement des "esprits". Dominique de Villepin reporte une visite au Canada et annonce "un plan d'action" avant la fin novembre, tout en affirmant qu'il n'y a "pas de solution miracle face à la situation des quartiers". Deux jeunes condamnés à 10 mois de prison dont 3 ferme et 6 mois de prison dont un ferme.
- nuit du 2 au 3 novembre: septième nuit de violence, quatre tirs à balles réelles visent policiers et pompiers, un poste de police est "investi" à Aulnay-sous-Bois, plusieurs bâtiments sont incendiés, 177 véhicules brûlés en Seine-Saint-Denis.
- 3 novembre: le ministre de l'Emploi et de la Cohésion sociale Jean-Louis Borloo estime que "la fermeté doit rester de mise" mais "la main tendue aussi".Les familles des mineurs électrocutés portent plainte contre X pour non assistance à personne en danger, une information judiciaire est ouverte. Nicolas Sarkozy les reçoit pour leur présenter l'avancement de l'enquête de l'Inspection générale des services (IGS).
- nuit du 3 au 4 novembre: 420 voitures sont brûlées au cours de la nuit, alors que 1.300 policiers étaient déployés en Seine-Saint-Denis.- nuit du 4 au 5 novembre: près de 900 véhicules incendiés dans toute la France, des écoles et bâtiments publics attaqués, 250 interpellations.-
- nuit du 5 au 6 novembre: dixième nuit de violences, 1.295 véhicules brûlés, 312 interpellations.- 6 novembre: Jacques Chirac déclare, à l'issue du Conseil de sécurité intérieure réuni à l'Elysée, que la "priorité" est le "rétablissement de la sécurité et de l'ordre public". Dominique de Villepin annonce "un renforcement de nos dispositifs de sécurité partout sur le territoire où cela est nécessaire".
- nuit du 6 au 7 novembre: onzième nuit de violences.Bilan le plus lourd depuis le début des violences avec 1.408 véhicules incendiés, 395 personnes interpellées et 36 policiers blessés. Les violences ont touché 274 communes.Dominique de Villepin évoque un "couvre-feu" qui pourrait entrer en vigueur dès mercredi.- Nuit du 7 au 8 novembre : douzième nuit de violences. 1.173 voitures incendiées, 330 personnes interpellées. La violence a connu une nette décrue en Ile-de-France mais reste forte en province.
- 8 novembre : le Conseil des ministres prend un décret permettant d'imposer un couvre-feu "dans des zones qui seront définies", dans le cadre de la loi de 1955 sur l'état d'urgence.- nuit du 8 au 9 novembre: 617 véhicules incendiés en France, "baisse très importante", souligne le ministère de l'Intérieur.
- 9 novembre: publication du décret sur l'état d'urgence au Journal officiel.
- nuit du 9 au 10: 482 véhicules brûlés et 203 personnes interpellées en France, un bilan qui marque "un reflux important" des violences urbaines, selon la direction générale de la police nationale.
- 10 novembre: Huit policiers de Seine-Saint-Denis sont suspendus, dans le cadre d'une procédure disciplinaire, pour des "coups illégitimes" portés par deux d'entre eux à un jeune homme lundi soir à La Courneuve.
- nuit du 10 au 11 novembre: 463 véhicules sont incendiés et 201 personnes interpellées en France.
- 11 novembre: Face aux appels lancés sur internet et par SMS, le préfet de police de Paris interdit tout rassemblement "de nature à provoquer ou entretenir le désordre sur la voie et dans les lieux publics" de samedi matin 10h à dimanche 8h.
- nuit du 11 au 12 novembre: 502 véhicules sont incendiés et 206 personnes interpellées. La région parisienne connaît une baisse sensible des actes de violence, légère hausse en province.
- 12 novembre: La ville de Lyon enregistre des incidents dans le centre-ville.- nuit du 12 au 13 novembre: Les forces de police signale un retour progressif au calme avec 374 véhicules incendiés durant la nuit.
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La « racaille » et les « vrais jeunes. Critique d’une vision binaire du monde des cités.
Par Stéphane Beaud et Michel Pialoux.
Beaucoup ont été surpris par les violences [dites] urbaines des semaines dernières. Ayant publié en 2003 un livre intitulé Violences urbaines, violence sociale (Fayard, 2003) dont le point de départ était une « émeute urbaine » dans la ZUP de Montbéliard, ces événements ne pouvaient pas constituer pour nous une surprise. Les dernières phrases de notre livre évoquaient l’ampleur des discriminations subies par les jeunes Français issus de l’immigration et s’interrogeaient sur les conséquences sociales de l’impossible accès à l’emploi stable pour la majorité d’entre eux. Et le livre s’achevait par ces mots : « autant de bombes à retardement !... ». Il n’était pas besoin d’être devin pour anticiper l’avenir tant la récurrence des émeutes urbaines depuis quinze ans en France s’inscrit dans un « ordre des choses » qui renvoie à des phénomènes structurels tels que : chômage des jeunes non ou peu diplômés, précarisation sans issue, aggravation de la ségrégation urbaine, échec scolaire, paupérisation et déstructuration des familles populaires habitant en HLM, discriminations à l’embauche et racisme ordinaire, etc. Autant de phénomènes qui produisent, à la longue une violence sociale multiforme qui ne se donne pas toujours à voir mais qui, condensée et coagulée, peut éclater soudainement. Il suffit d’un détonateur. Donner un sens à une émeute urbaine, qui produit toujours un effet de surprise, voire de stupéfaction, c’est avant tout mettre au jour cette violence invisible, peu spectaculaire - si bien qu’on n’en parle peu dans les médias - qui, seule, peut expliquer l’espèce de rage autodestructrice qui la caractérise.

A l’opposé de cette perspective sociologique qui passe nécessairement par un détour par l’histoire et la compréhension de la genèse des dispositions, le discours sur les violences urbaines, qu’il soit tenu par les représentants des institutions (police, justice, école) ou par les hommes politiques, s’attache presque toujours à la recherche et à la désignation des « coupables » - ceux qui ont participé directement aux événements (les « casseurs » ou les « voyous » comme le dit aujourd’hui N. Sarkozy) - qu’il conviendrait de neutraliser au plus vite. A entendre les innombrables commentaires qui sont faits autour de ce type d’événements, on a l’impression que, pour rétablir le calme et pacifier le quartier, il suffirait de cibler des « micro-groupes » qui se constituent autour des meneurs (des « caïds ») et de les isoler durablement. Ce discours sécuritaire a pour particularité d’occulter la genèse des attitudes et des groupes étiquetés comme déviants. Il se nourrit d’une étiologie sommaire du phénomène de violence qui repose, au fond, sur une dichotomie rassurante : il y aurait, d’un côté, un noyau de « violents », d’« irréductibles », de « sauvages », dont on n’ose pas dire qu’ils sont irrécupérables et non rééducables (ce que pensent pourtant nombre de responsables...), et de l’autre, les jeunes « non violents », qui se laisseraient entraîner et qu’il conviendrait donc de protéger contre la contamination des premiers.

On reconnaît là les grandes lignes du discours du Ministre de l’Intérieur qui, en durcissant son langage, semble vouloir renouer avec le vocabulaire des classes dominantes du XIXe siècle confrontées à des émeutes populaires. Ainsi, les émeutiers ont, dès les premiers jours, été rebaptisés du nom de « racaille » par Sarkozy. Ces paroles, qui s’inscrivent dans une logique de provocation calculée, ont joué un rôle majeur dans la contagion des « émeutes » de Clichy-sous-Bois à la région parisienne et à la France entière. Cette « sémantique guerrière », pour reprendre les mots de l’autre Ministre (Azouz Begag), voudrait faire croire que, dans les cités il y a, d’un côté, les « délinquants », les « voyous » et, de l’autre, des « bons » jeunes (des « vrais jeunes » comme l’a dit une fois le Ministre à la télévision). Comme s’il suffisait de séparer ainsi le bon grain de l’ivraie.
Pour apporter la preuve de son interprétation des émeutes - des bandes de « voyous » qui sèment le désordre dans les quartiers - le Ministre de l’Intérieur a sorti de son chapeau des données statistiques qui établiraient que 80% des jeunes déférés au parquet seraient « bien connus des services de police ». Or, cette statistique brandie comme un trophée, et reprise sans recul par les médias audiovisuels, est plus que contestable. Les premières comparutions immédiates des « émeutiers » au tribunal de Bobigny ont fait apparaître que la majorité d’entre eux n’ont pas d’antécédents judiciaires et ne peuvent donc être étiquetés comme « délinquants ». La plus lourde peine jusqu’alors prononcée (quatre ans de prison pour un incendiaire d’un grand magasin de tapis) concerne un jeune de vingt ans, intérimaire, titulaire d’un bac pro de peinture, fils d’ouvrier français habitant la banlieue d’Arras. La sociologie des jeunes déférés au Parquet (près de 3000) reste à établir, mais les données tirées des audiences montrent, à l’opposé des déclarations du Ministre de l’Intérieur, qu’il s’agit de jeunes « ordinaires », appartenant aux milieux populaires : certains sont scolarisés, d’autres ont des petits boulots (intérimaires, vendeurs, commis de cuisine) ou peuvent encore être scolarisés. Sans casier judiciaire, ils se sont précipités dans le mouvement, attirés par l’effervescence du moment, portés par le même sentiment de révolte, sur fond de partage des mêmes conditions sociales d’existence et de conscience d’appartenance à une même génération sacrifiée. En ce qui concerne les mineurs, le juge Jean-Pierre Rosenczveig constate qu’au tribunal pour enfants de Bobigny, sur 95 mineurs déférés devant la justice, seuls 17 d’entre eux étaient connus de la justice : « et encore, quelques-uns étaient connus non pas pour des faits de délinquance, mais parce qu’ils faisaient l’objet d’une mesure d’assistance éducative pour enfance en danger » (Le Figaro du 19/11/05).

Pour comprendre ces premières données statistiques, qui contredisent la thèse commode qui impute les émeutes urbaines à la seule action malfaisante de la « racaille », rappelons d’abord que la jeunesse des cités constitue un univers social différencié, puis nous analyserons les raisons qui peuvent conduire des jeunes « ordinaires » à rejoindre le mouvement lancé par la fraction la plus potentiellement violente des jeunes de cité. Contrairement à la représentation qui en est souvent donnée, le groupe social que constitue la jeunesse des cités ne se réduit pas sa fraction la plus visible dans l’espace public, celle du noyau dur des jeunes chômeurs (certaines ZUS comptent 40% de chômeurs parmi les 15-25 ans). Il comprend aussi, d’une part, des jeunes actifs, principalement ouvriers ou employés, le plus souvent employés comme intérimaires ou en CDD, et d’autre part le groupe formé par des jeunes encore scolarisés, où l’on trouve aussi bien des élèves orientés dans des filières qu’ils perçoivent comme de relégation scolaire (BEP, voire bac pro, classes de STT) que des lycéens d’enseignement général et des étudiant(e)s - inscrits à la fac mais aussi en IUT ou en BTS (très rarement dans des classes préparatoires aux grandes écoles). Ajoutons qu’il existe aussi une minorité de jeunes appartenant aux professions intermédiaires (enseignants, éducateurs, animateurs, etc.) qui continuent d’habiter chez leurs parents ou qui ont choisi de prendre un appartement dans leur cité pour continuer à y vivre.

Les coupures peuvent être fortes entre ces divers groupes, notamment entre les fractions opposées que constituent, d’une part, la catégorie des étudiants bien partis dans leur quête de diplômes et, d’autre part, celle des jeunes de la cité qui, étant chômeurs ou scolarisés malgré eux dans des filières de lycée professionnel qu’ils n’ont pas choisies, se perçoivent souvent comme sans avenir. Ces derniers, les plus disponibles temporellement, sont principalement ceux qui se réunissent en bas des tours, à discuter, s’ennuyer (« tenir les murs »), fumer du shit, « délirer », non sans un sens développé de l’autodérision. Ces bandes ne sont pas des mondes fermés et étanches : peuvent s’y adjoindre, par moments et selon les circonstances, d’autres jeunes mieux scolarisés qui peuvent y retrouver le plaisir de l’entre-soi masculin. L’essentiel est de dire que, par-delà les différences statutaires internes, il existe une forme de porosité entre les diverses fractions de la jeunesse des cités. Et c’est cette porosité qui va faire que, par exemple, un « bac+2 », possédant un BTS et qui a connu une forte discrimination dans sa recherche de stage, peut très bien à un moment donné se joindre ponctuellement au combat de ses compagnons d’infortune, qui sont souvent des « bacs-5 ». Parce que, à un certain moment, ce qui les rassemble est plus fort que ce qui les sépare, à savoir cette très forte communauté d’expérience qui soude entre eux les garçons ayant grandi ensemble dans la cité et qui en gardent des liens très puissants (« à la vie, à la mort »). Communauté d’expérience, vécue souvent dans la bande, marquée par le même dénuement matériel, les mêmes humiliations sociales liées à la pauvreté endémique et à la couleur de la peau (contrôles au faciès à répétition, police de plus en plus agressive et brutale pour les Noirs et les Arabes qui constituent, on le sait, la grande majorité des habitants des cités de la région parisienne). On ne peut pas, par exemple, comprendre la récente et vive prise de position de Lilian Thuram, « milliardaire du foot », contre les propos de Sarkozy (« Il faut savoir pourquoi les gens deviennent comme ça ! Il n’y a pas d’agressivité gratuite, je ne crois pas à ça. Il faut chercher derrière ») si l’on ne sait pas que sa conscience politique s’est forgée dans sa jeunesse en cité, au contact des discriminations et du racisme qui étaient le lot quotidien de sa vie d’alors. Ce sont des stigmates qui ne s’effacent pas, quel que soit le niveau de revenu atteint, contrairement à ce que pense le Ministre qui a voulu disqualifier ces propos de l’International de football en ironisant sur son niveau de vie.La véritable question sociologique que posent ces émeutes est donc la suivante : comment expliquer la participation de ces jeunes de cité « ordinaires » à ces événements ? Tout semble s’être passé comme si les comportements d’autodestruction, jusque là réservés à la fraction la plus humiliée du groupe des jeunes de cité, s’étaient progressivement diffusés vers les autres fractions qui, jusqu’à récemment, avaient espéré « s’en sortir » par l’école ou, sinon, par leur ardeur au travail. C’est peut-être bien cela, la véritable nouveauté de ce mouvement : la désespérance sociale, autrefois réservée aux membres les plus dominés du groupe - et qui s’exprimait notamment par l’addiction aux drogues, l’adoption de conduites à risques (vols, conduite de « fous » au volant, etc.) - semble bien avoir gagné d’autres fractions du groupe des jeunes de cité - les jeunes ouvriers et les « bacheliers » - qui en étaient jusqu’alors un peu mieux protégées. Parmi ces derniers, beaucoup ont perdu patience et espoir à force de se cogner contre le mur de la discrimination et du racisme et ont peu à peu accumulé un énorme ressentiment. En fait, l’avenir objectif de ces jeunes de cité s’est dramatiquement obscurci pour tous lors de ces dernières années. Nul n’ignore que la situation sur le front de l’emploi s’est fortement dégradée depuis 2002. On sait peut-être moins que cette dégradation a touché de plein fouet les jeunes de cité. Pour le groupe des « bacheliers » (nous désignons par là les jeunes titulaires d’un bac ou d’un bac+2 qui peinent à trouver une place sur le marché du travail), la discrimination à l’embauche pèse fortement en exerçant une grande violence sur ceux qui la subissent, et surtout les petites portes de sortie (contrats aidés, emplois-jeunes) qui existaient pour les titulaires du bac se sont peu à peu fermées. S’il faut insister sur la disparition des emplois-jeunes, c’est parce qu’ils avaient permis à nombre de ces bacheliers de cité de rebondir, de reprendre confiance en eux après leur échec dans leurs études supérieures, leur donnant un statut, un revenu, des possibilités de s’installer et de rêver à un avenir meilleur. Pour le groupe des jeunes ouvriers, la précarité s’est fortement accrue pour les emplois non qualifiés (pour arriver à ce petit chef-d’œuvre de dérégulation du marché du travail que constituent les contrats « nouvelles embauches »). En région parisienne où les possibilités sur le marché du travail sont plus grandes (usines, bâtiment, hôtellerie-restauration, tertiaire non qualifié), une partie non négligeable de garçons de cité travaille dans des emplois d’exécution : en usine, à Roissy, dans le tertiaire non qualifié (tris postaux, centres d’appel, etc.). Or depuis le 11 septembre, Roissy qui était un gros employeur de jeunes de cité semble bien avoir fait le ménage, craintes de menace terroriste à l’appui. Citroën Aulnay a récemment « licencié » 600 intérimaires, Poissy annonce 550 « licenciements » d’intérimaires en décembre 2005. Les petites embellies sur le marché du travail n’ont pas duré, la grisaille est revenue. La dégradation a aussi concerné les conditions de travail. Stress, fatigue, « ambiance pourrie », ce sont les mots qui reviennent le plus souvent pour parler des nouveaux services ou des ateliers en flux tendus. Beaucoup des jeunes de cités qui travaillent voient leur situation comme un échec : ils restent dans des petits boulots, en CDD ou en intérim. Même s’ils n’emploient pas ce mot, ils sont « ouvriers » sans qualification et ont de grandes chances de le rester. Ils n’évolueront pas dans la société et reproduiront le modèle paternel qu’ils avaient presque toujours voulu « fuir ». Comme le dit l’un d’entre eux lors du reportage récemment diffusé par Envoyé Spécial « on est des manuels... comme nos pères (sourire triste), avec un tout petit quelque chose en plus, c’est tout ». C’est ce sentiment de surplace social qui est à leurs yeux insupportable. Comme un refus viscéral d’accepter cette condition ouvrière qui, pour eux, est désormais liée à l’iniquité.

Ajoutons aussi que les expériences de travail qui sont les leurs peuvent être extrêmement difficiles à vivre. La condition des enfants d’immigrés est devenue infiniment plus compliquée avec la montée du terrorisme porté par l’islamisme radical. Dans l’espace public, les contrôles se multiplient, mais dans les ateliers aussi, un « beur » est suspect par essence : soit comme potentiel allié des entreprises terroristes, soit comme « musulman » opposé à la loi sur le voile, etc. Ainsi, Karim, 22 ans, raconte comment dans son travail les ouvriers de son secteur ne l’ont jamais appelé par son prénom mais par son surnom censé faire rire tout le monde : « Al Quaïda ». Un étudiant nantais raconte dans un mémoire qu’un ami, intérimaire comme lui aux Chantiers de Saint-Nazaire, qui se prénomme Farid, s’est fait d’emblée surnommer par son chef d’équipe « petit Popaul » (et c’est comme ça qu’il sera appelé lors de ses six mois d’intérim). On pourrait multiplier le nombre de ces anecdotes qui en disent long sur le coût que ces jeunes de cité doivent payer pour leur intégration professionnelle. Ces expériences de travail, ces anecdotes, ne cessent de circuler dans les cités : non seulement il y a de la discrimination mais, une fois franchie timidement la porte de l’entreprise, il y a aussi cette sourde hostilité, et aussi parfois un racisme ouvert, que doivent affronter au travail les jeunes de cité. Ils n’ont pas l’impression d’être bienvenus dans le monde du travail. C’est peut-être là une grande différence avec leurs aînés ouvriers (appartenant à la génération de la marche des beurs) qui entraient dans un monde ouvrier peut-être aussi méfiant voire hostile vis-à-vis des « jeunes Arabes », mais qui était plus structuré, plus syndiqué. Le monde des ouvriers d’après la « classe ouvrière » est plus anomique, miné par la précarité mais aussi par les jalousies et les luttes de concurrence exacerbées par la nouvelle organisation du travail. Conséquence : se faire sa place au travail pour les jeunes de cité exige toujours plus d’efforts, d’abnégation, de retenue... Or ils appartiennent à une génération sociale, marquée par la vie en cité, qui ne veut pas jouer les « rabaissés », qui ne veut pas reproduire les logiques d’humiliation vécues par leurs parents.

Les expériences sociales vécues par les garçons de cité - au travail, dans l’espace public, dans les rapports avec la police (point essentiel que nous ne développons pas ici) - se diffusent par les conversations, sont transmises dans le groupe des jeunes et aussi dans les familles. Pas étonnant dans ce contexte que les filles de cité, bien qu’elles subissent des formes quotidiennes, parfois violentes, de domination masculine de la part des garçons (l’une d’entre elle déclare non sans humour à un journaliste de Politis : « nous, dans la cité, c’est le couvre-feu permanent »), n’en ont pas moins exprimé leur solidarité muette avec les garçons lors des émeutes : elles aussi vivent la cité au quotidien, voient la dégradation de leurs conditions matérielles d’existence et savent d’expérience que le racisme est sexué ; qu’il touche beaucoup plus les garçons que les filles. Même si elles sont souvent conduites à condamner cette violence gratuite, contre les écoles notamment, elles ne peuvent pas s’empêcher de comprendre la désespérance de leurs frères. Pas étonnant non plus si les parents immigrés (père comme mère) peuvent aussi manifester une grande ambivalence face à la révolte de leurs enfants. On a souvent observé qu’à la condamnation la plus ferme de la violence (parce que « ce n’est pas une solution ») succède, presque dans le même mouvement, l’évocation timide de « circonstances atténuantes » à leurs conduites qui ont pour noms : chômage, racisme, discrimination. Pas étonnant enfin si les cadets des familles immigrées, qui voient tous les jours la situation dans laquelle se trouvent leurs aînés - à 25-30 ans, ils habitent encore chez leurs parents et naviguent de CDD en CDD sans espoir de travail stable -, sont tentés de se radicaliser de plus en plus tôt. Ce groupe des mineurs habitant en cité, qui est décrit comme étant de plus en plus « dur », n’est pas né par génération spontanée mais constitue, au contraire, une génération sociale qui a grandi dans la crise et dans la précarité, qui a bien souvent assisté au « désastre » dans leurs familles : disqualification sociale des pères, divorce ou séparation des parents, chômage récurrent des frères aînés, impossibilité pour beaucoup d’entre eux de « faire leur vie », prison ou internement psychiatrique, suicide, etc.

Pour comprendre les émeutes urbaines, il faut avoir pu mesurer et sentir à quel point est décisive l’expérience vécue, de plus en plus tôt, de la désespérance sociale. On s’aperçoit donc que la réalité sociale que vivent les jeunes de cité est fort éloignée de la sociologie de bazar dont nous gratifie, chaque jour, notre Ministre de l’intérieur. La fuite en avant du gouvernement dans la logique répressive (couvre-feu de trois mois) illustre une profonde méconnaissance des structures mentales des populations qui habitent en banlieue. Abdemalek Sayad, sociologue, grand connaisseur de l’immigration algérienne en France, écrivait dans un de ses textes de La Misère du monde que « le monde de l’immigration et l’expérience de ce monde sont sans doute fermés à la plupart de ceux qui en parlent ». Ce qui inquiète dans la réaction de nos gouvernants, c’est leur grande difficulté, d’une part, à mesurer la fragilité sociale des habitants de cité, ce monde de souffrance qui s’enracine dans une histoire (comme le montre de manière exemplaire l’histoire de la famille de Fouad, ce jeune de 19 ans violemment frappé par des policiers devant les caméras de France 2, retracée dans Le Monde du 16 novembre) et, d’autre part, à percevoir le potentiel d’énergie et de ressources que recèle cette jeunesse des cités. Encore faut-il pouvoir un temps suspendre ses préjugés de classe et de caste et considérer la commune humanité qui habite « au-delà de nos périphs ».

samedi 10 janvier 2009

CRISE ECONOMIQUE EN BELGIQUE. 1930 et ...

André PLETINKX. (assistant VUB).
Le parti ouvrier belge dans la première phase de la crise économique. 1930-1933. :
1ère partie :
http://www.flwi.ugent.be/btng-rbhc/pdf/BTNG-RBHC,%2007,%201976,%203-4,%20pp%20273-327.pdf
2ème partie :
http://www.flwi.ugent.be/btng-rbhc/pdf/BTNG-RBHC,%2008,%201977,%201-2,%20pp%20237-289.pdf

ZONE EURO : LES MAUVAIS CHIFFRES SE BOUSCULENT.

Zone euro : les mauvais chiffres se bousculent
LE MONDE.FR avec AFP 08.01.09 12h32 • Mis à jour le 08.01.09 12h40.
L'économie de la zone euro s'est bien contractée de 0,2 % au troisième trimestre comparé au trois mois précédents, entrant en récession pour la première fois de son histoire, a confirmé l'office européen des statistiques (Eurostat) dans son estimation publiée jeudi 8 janvier. Les pays de la zone euro avaient déjà enregistré une baisse de 0,2 % de leur PIB au deuxième trimestre. Il s'agit donc d'une récession, définie par deux trimestres au moins de recul du PIB. Sur un an, le PIB de la zone euro a crû de 0,6 % au troisième trimestre, confirme Eurostat. Le PIB de l'ensemble des vingt-sept pays de l'Union européenne a reculé de 0,2 % au troisième trimestre comparé aux trois mois précédents, et a crû de 0,8 % sur un an.
Le taux de chômage dans la zone euro est monté, lui, à 7,8 % en novembre, son plus haut niveau depuis presque deux ans, a également annoncé Eurostat. Il faut remonter à décembre 2006, avec 7,9 %, pour trouver un taux de chômage supérieur. En octobre, le taux de chômage dans la zone euro avait été de 7,7 %. Les investissements ont reculé de 0,6 % au troisième trimestre dans la zone euro, tandis que la consommation des ménages est restée stable, a par ailleurs confirmé Eurostat. Concernant le commerce extérieur, les exportations sont restées stables elles aussi, tandis que les importations ont augmenté de 1,4 %.
L'indice de confiance économique, un indicateur qui résume l'opinion des chefs d'entreprise et des consommateurs, a perdu, pour sa part, près de 8 points, pour tomber à 67,1 points. C'est son plus bas niveau enregistré depuis la création de l'enquête, en janvier 1985. La zone euro n'existe que depuis 1999, mais les données pour les années précédentes ont été recalculées. En octobre et novembre, il avait déjà fortement chuté, à 80,0 points puis 74,9 points, atteignant alors son plus bas niveau depuis août 1993. Dans l'ensemble des vingt-sept pays de l'Union européenne, la confiance des chefs d'entreprise et des consommateurs a également fortement reculé, à 63,5 points, son nouveau plus bas niveau historique. En novembre, elle avait déjà atteint un plus bas depuis vingt-trois ans, à 70,5 points.
"Il est clair que nous avons eu une détérioration significative de l'économie réelle", avait déclaré, mercredi 7 janvier, le président de la Banque centrale européenne (BCE), Jean-Claude Trichet, dans un entretien accordé au magazine américain Institutional investor."Ce qui me frappe, c'est que les prévisions les plus récentes sont aussi les plus pessimistes. Et cela est vrai au niveau mondial, pas seulement au niveau de la zone euro", avait-il poursuivi. La BCE réunit son conseil des gouverneurs jeudi prochain pour décider de sa politique monétaire.
http://www.lemonde.fr/la-crise-financiere/article/2009/01/08/zone-euro-les-mauvais-chiffres-se-bousculent_1139157_1101386.html

VIVES INQUIETUDES SUR L'EMPLOI EN CHINE.

Reportage. Vives inquiétudes sur l'emploi en Chine.
LE MONDE 09.01.09 14h16 • Mis à jour le 09.01.09 14h17 .
PÉKIN CORRESPONDANCE.
Daniel Zhou a toujours été attiré par le luxe, et il avait, dit-il, "un boulot de rêve pour un Chinois" : originaire du Jiangsu (Est), il travaillait depuis 2005 pour Louis Vuitton à Pékin, comme chargé de communication, puis comme directeur des opérations dans une boutique, à 6 000 yuans (642 euros) par mois.
En juillet, les ventes ne sont pas bonnes - les nouveaux riches regardent à deux fois avant d'acheter, dit-il - et son salaire tombe à 3 600 yuans. Le 15 octobre 2008, las d'engloutir sa paye dans son loyer, il démissionne : "J'étais confiant, je parle bien anglais, j'ai fait une bonne université et j'avais une expérience assez incroyable pour les Chinois. Depuis plus de deux mois, j'ai envoyé des CV sur Internet, rencontré des agences de chasseurs de tête et fait jouer toutes mes relations : rien à faire, je suis dans le pétrin. Soit on ne répond pas, soit on veut m'envoyer dans des petites villes, soit on me propose un tout petit salaire", se plaint-il.
M. Zhou fait partie de cette nouvelle génération de jeunes urbains, pour qui voyager, succomber aux dernières modes vestimentaires et acquérir un appartement étaient devenus des objectifs réalisables à plus ou moins court terme. Pour eux, c'est la douche froide.
En quelques semaines, la perspective d'une crise économique brutale fait souffler un vent de panique sur l'emploi en Chine et inquiète aussi bien travailleurs migrants, étudiants, jeunes cadres employés de multinationales, gérants de petits commerces ou retraités.
Selon Zhang CheWei, chercheur de l'Académie des sciences sociales de Pékin cité par le China Economic Weekly, le nombre de licenciements "dépasse les estimations initiales" : le taux de chômage urbain réel serait de 9,4 %, plus du double du taux officiel.
"La situation de l'emploi est extrêmement sombre", prévenait, il y a quelques jours, le premier ministre Wen Jiabao lors d'une réunion du gouvernement consacrée aux étudiants. Leur trouver un emploi doit être "une priorité", a déclaré le premier ministre. 6,1 millions d'étudiants seront diplômés en juillet, mais 1 million de diplômés de 2008 seraient encore au chômage.
VIRUS DE LA CRISE AMÉRICAINE
Les étudiants seront "encouragés" à travailler dans les provinces plus pauvres de l'ouest, en manque de cadres, mais aussi à rejoindre des programmes de recherche. Le nombre de diplômés augmente plus vite que les emplois qualifiés et chaque nouvelle vague de jeunes sur le marché du travail conduit à des ajustements inattendus : Le Quotidien de Guangzhou (sud-est) rapportait qu'une agence qui propose les services de nounous et de femmes de ménage avait reçu des milliers de candidatures étudiantes.
Le virus de la crise américaine gagne la Chine en remontant la sacro-sainte "supply chain", la chaîne d'approvisionnement entre l'atelier du monde et ses marchés outre-mer : l'américain KB Toys, dont la faillite en décembre 2008 conduira à la fermeture de ses 461 magasins aux Etats-Unis, aurait laissé quelque 10 millions de dollars (7,3 millions d'euros) d'impayés auprès d'une centaine d'usines du Guangdong (sud-est) détenues par des capitaux de Hongkong et employant près de 100 000 ouvriers. Une quarantaine d'entre elles se sont regroupées pour faire valoir leurs intérêts auprès du groupe hongkongais Li & Fung.
CRAINTES DE DÉSTABILISATION
Berceau des exportations chinoises, le Guangdong aurait vu 600 000 travailleurs migrants rentrer chez eux en 2008, selon Huang Yunlong, son vice-gouverneur. Sur l'ensemble du pays, le ministère de l'emploi et des affaires sociales estime que 10 millions de migrants sur les 130 millions estimés seraient retournés dans les zones rurales en 2008, faute d'emploi dans les provinces côtières.
Le chiffre, qui est à prendre avec des pincettes, a ravivé les craintes de déstabilisation : en 2009, la Chine "connaîtra sans aucun doute une recrudescence d'incidents de masse" - euphémisme pour désigner les manifestations et les émeutes -, ont prévenu les chefs locaux de bureau de l'agence Xinhua, dans une analyse consacrée à la situation sociale explosive par le magazine de l'agence, Outlook.
Nombre des travailleurs migrants ont pris leur parti du ralentissement en rentrant de manière anticipée pour les fêtes de fin d'année. A la gare routière de Liuli Qiao à Pékin, Li, qui cherche un billet de bus bon marché pour rentrer à Fuyang, dans l'Anhui, n'a plus assez de contrats en raison, dit-il, de "weiji jingi", la "crise économique".
Il habitait dans un de ces garnis aménagés dans un sous-sol, où il partage une chambre pour 150 yuans par mois. L'équipe d'ouvriers à laquelle il appartient fait des aménagements dans des appartements. Il travaille depuis 2005 à Pékin, a économisé assez pour construire un deuxième étage à sa maison à Fuyang. Il ne reviendra pas à Pékin.
Mais, un jour ou l'autre, il faudra bien, dit-il, qu'il reparte travailler à l'extérieur. Sa terre, trop petite, pas assez fertile pour une famille de quatre, leur permet tout juste de survivre. Sa dernière fille, qui est en dehors du quota de l'enfant unique, n'est pas "déclarée". Il devra beaucoup dépenser pour la régulariser et lui permettre d'aller à l'école.
Brice Pedroletti
Article paru dans l'édition du 10.01.09.

http://www.lemonde.fr/la-crise-financiere/article/2009/01/09/vives-inquietudes-sur-l-emploi-en-chine_1139850_1101386.html

mercredi 7 janvier 2009

LE DEVELOPPEMENT ACCELERE LES MIGRATIONS.

Catherine Wihtol de Wenden, du Centre d'études et de recherches internationales : "Le développement accélère les migrations".
LE MONDE 07.01.09 15h25 • Mis à jour le 07.01.09 20h48
Dans le nouvel Atlas mondial des migrations qu'elle vient de réaliser (Ed. Autrement),
Catherine Wihtol de Wenden démontre comment les déplacements de population se mondialisent et surtout changent de nature.

Qu'est-ce qui caractérise aujourd'hui les migrations ?
Les migrants. La planète compte 200 millions de migrants, soit 3 % de la population mondiale. L'Asie est le plus grand réservoir démographique et de migrants du monde, elle le sera de plus en plus jusqu'en 2050. La diaspora chinoise compte à elle seule de 40 à 50 millions d'émigrés dans le monde, celle de l'Inde plus de 20 millions.
Les demandeurs d'asile. Ils sont moins nombreux qu'ils ne l'étaient dans les années 1990 mais de nouveaux profils de réfugiés apparaissent : entre 2030 et 2050, il pourrait y avoir jusqu'à 200 000 réfugiés environnementaux, selon les experts.

Ce qui frappe désormais, c'est l'universalité du phénomène migratoire. Toutes les régions du monde sont concernées, par le départ, l'accueil ou le transit de migrants. Avec l'accélération de la mondialisation, la circulation des capitaux, le développement des technologies de la communication, l'urbanisation rapide de pays de Sud, la mobilité des populations s'accroît. Même dans les recoins les plus isolés, les gens sont dans une réalité migratoire forte, étant tous plus ou moins connectés au monde par la télévision, Internet. De plus en plus, ils refusent le déterminisme consistant à rester dans des pays qu'ils considèrent sans avenir. Parce qu'ils savent que l'on peut mieux vivre, travailler, se faire soigner ailleurs.

Les individus sont de plus en plus acteurs de leur mobilité, et plus simplement mis en mouvement par des entreprises recherchant de la main-d'oeuvre. Ils se prennent davantage en main, décident de ne pas rester toute leur vie à attendre une hypothétique embellie. Fait nouveau, on assiste à une prise de distance de plus en plus forte des migrants par rapport à leur Etat d'origine dont ils savent aujourd'hui qu'ils ne peuvent pour ainsi dire rien attendre, quand il est corrompu et que l'exploitation des matières premières se fait par d'autres.

Les migrations restent-elles des mouvements Sud-Nord ?
Non, les migrations Sud-Sud sont tout aussi - si ce n'est plus - importantes. Présents partout ailleurs dans le monde, les Asiatiques migrent aussi beaucoup au sein même de l'Asie, vers la Corée du Sud, la Japon, la Malaisie, Taïwan, Singapour. En Afrique aussi, les migrations vers les pays du Golfe, notamment, et venant du Maghreb ou d'Egypte, vont croissant. L'attraction de l'Afrique du Sud est également croissante. D'anciens pays d'émigration sont devenus des pays d'accueil : c'est le cas de l'Europe du Sud, mais aussi du Mexique, de la Turquie, du Maroc qui restent des pays de départ tout en devenant des pays de transit où sont contraints de s'arrêter ceux qui ne parviennent pas à aller plus loin.

Cette réalité a-t-elle changé l'approche de la migration par les Etats ?
Les pays de départ et d'accueil ont changé leur regard sur la migration et c'est un autre élément nouveau. Longtemps considérés comme peu productifs, les transferts de fonds sont devenus un facteur essentiel du développement des pays d'origine. En une décennie, ces envois ont triplé pour atteindre 300 milliards dollars en 2007, soit trois fois l'aide au développement (105 milliards). Ces transferts sont la seule ressource véritable qui permette aux personnes dans leur pays d'avoir de l'eau, de l'électricité, une école, accès à un minimum de consommation.

Le regard des Etats d'accueil évolue-t-il ?
Le déclin démographique est un puissant facteur de prise de conscience pour les nations développées : elles ont à la fois besoin de remplacer leur population vieillissante et de développer des emplois répondant à ce vieillissement. D'où la concurrence à laquelle se livrent les pays développés pour attirer les migrants très qualifiés. Mais dans le même temps, ils persistent dans l'idée qu'il faut fermer les frontières aux autres, alors même que leurs besoins en main-d'oeuvre peu qualifiée sont aussi, si ce n'est plus, importants. Des pénuries de main-d'oeuvre existent partout dans le bâtiment, l'agriculture, les services à la personne. L'Europe illustre bien ces contradictions : elle cherche à la fois à maintenir ses frontières fermées aux uns et à les entrouvrir aux autres, le tout sous le contrôle d'une opinion publique utilisée comme arbitre du maintien de mesures répressives.

Le développement ne freine-t-il pas la migration ?
Contrairement à ce que continuent de penser les pays d'accueil, le développement n'est pas une alternative à la migration, il ne freine pas la migration : au contraire il l'accélère, car il crée de nouveaux besoins, les gens accédant à la société de consommation, à plus de scolarisation. Le modèle de l'Espagne, du Portugal ou de l'Italie, dont le développement a stoppé la migration, n'est pas un modèle mondial. Aujourd'hui dans beaucoup de pays de départ, en Chine, en Afrique, en Amérique latine, développement et migration fonctionnent en parallèle.
Pour éviter la sédentarisation, les pays du Nord continuent de développer des politiques d'aide au retour et de codéveloppement. Mais la circulation fonctionne d'autant mieux que les migrants acquièrent un vrai statut de résidents, des titres de séjour à entrées multiples ou la double nationalité. Plus les frontières leur sont ouvertes, plus ils circulent. L'Union pour la Méditerranée aurait pu être l'occasion de créer un espace de circulation euro-méditérranéen. Mais les migrations n'ont pas été inscrites comme priorité, alors que les visas sont une préoccupation récurrente des pays de sa rive sud.
Propos recueillis par Laetitia Van Eeckhout.
http://www.lemonde.fr/planete/article/2009/01/07/catherine-wihtol-de-wenden-le-developpement-accelere-les-migrations_1138750_3244.html

lundi 5 janvier 2009

LES JEUNES, PREMIERES VICTIMES DE LA CRISE SOCIALE DE 2009.

Les jeunes, premières victimes de la crise sociale de 2009. Par LeMonde.fr.
lun 05 jan, 16h35.

C'est une litanie de mauvais chiffres. Le 3 décembre, l'Irlande annonçait un taux de chômage à 7,8 %, du jamais vu depuis 1998 ; le 5 décembre, on apprenait que l'économie américaine avait détruit 533 000 emplois rien que sur le mois de novembre, ce qui n'était pas arrivé depuis trente-quatre ans ! L'Espagne et la France ne sont pas en reste. La première devrait perdre, selon les prévisions de la Fédération des promoteurs de Madrid, 900 000 emplois dans le bâtiment d'ici à 2010 ; en France, les statisticiens sont obligés d'aller rechercher jusqu'en 1984 pour retrouver la même envolée du chômage (+ 64 000 personnes supplémentaires sur un mois) enregistrée en novembre. Le Bureau international du travail (BIT) et l'organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) ne s'y trompent pas. L'un comme l'autre estimaient en octobre que la crise risquait d'accroître entre 20 et 25 millions dans le monde, le nombre de personnes sans travail d'ici à 2010.
Débutée à l'été 2007 avec la faillite de deux fonds d'
investissement de la banque américaine Bear Stearns, la crise bancaire a commencé à contaminer l'économie réelle en 2008. Le marché du travail étant un indicateur conjoncturel décalé - les entreprises se mettent à réduire la voilure une fois qu'elles perçoivent un réel retournement de l'activité -, l'horizon de l'emploi s'est véritablement assombri à l'automne et devrait se noircir davantage en 2009.
On sait par expérience comment les directeurs des
ressources humaines (DRH) réagissent, en France ou ailleurs, lorsque le péril économique est là. Pour ajuster la force de travail à la baisse de la production, ils réduisent d'abord, en principe, les heures supplémentaires ; mettent fin ensuite aux missions d'intérim et aux contrats à durée déterminée (CDD) ; ont recours au chômage partiel ; puis enchaînent avec des plans sociaux. "Tout ce qu'ils appellent le "gras" disparaît, confirme Philippe Askenazy, directeur de recherche au CNRS, Ecole d'économie de Paris. Et la file d'attente pour les recrutements, quand ces derniers sont indispensables, se forme. Les demandeurs d'emploi les plus qualifiés et les plus récents aux Assedic passent devant les chômeurs de longue durée, souvent les plus fragiles."
Un schéma classique, vécu par exemple lors de la récession de 1993. Pour autant, dans plusieurs pays, la crise actuelle semble innover, en faisant des emplois précaires (CDD, intérim) un amortisseur beaucoup plus important qu'à l'habitude, protégeant du coup davantage le "noyau dur" du salariat : les "insiders". "Ce phénomène est particulièrement sensible en France ou en Espagne, par exemple, où les politiques menées depuis plusieurs années ont conduit au développement d'un marché du travail plus flexible", constate M. Askenazy. Selon l'économiste, cela explique pourquoi le taux de chômage grimpe actuellement plus vite en France et en Espagne qu'en Allemagne, où la flexibilité est moindre. Au sein de l'Hexagone, deux embauches sur trois se font aujourd'hui en CDD.
Une analyse partagée par Eric Heyer. Le directeur-adjoint à l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) fait remarquer, s'appuyant sur les statistiques de l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale (Acoss), qu'après une légère baisse en août, le nombre d'heures supplémentaires est reparti à la hausse en septembre et en octobre, où il a atteint 46,8 millions pour ce seul mois. Depuis la loi travail,
emploi et pouvoir d'achat (TEPA), votée en août 2007, les heures supplémentaires bénéficient, il est vrai, d'exonérations supplémentaires. "Ces chiffres montrent, insiste-t-il, que les DRH ont préféré garder leurs salariés (et les exonérations) pour se séparer des plus précaires, ce qui confirme l'existence de la concurrence entre temps de travail et emploi." Une réalité sur laquelle le syndicat des professionnels de l'intérim (Prisme) décidait d'alerter, annonçant à l'automne une baisse de 10 % du nombre d'intérimaires en mission, ce qui se traduit par une "perte de 50 000 emplois" depuis le début de l'année.
On connaît les premières victimes de ce grand nettoyage dans les missions d'intérim : les jeunes, vivier privilégié du travail temporaire. "Nous en voyons de plus en plus franchir les portes de nos missions locales, remarque Annie Jeanne, présidente de l'Association nationale des directeurs de missions locales (ANDML). En plus des jeunes qui cherchent à s'insérer et qui souffrent beaucoup en cette période de crise, nous voyons des moins de 25 ans qui étaient parvenus à une situation professionnelle quasiment stable grâce à l'enchaînement des missions d'intérim - ce qui leur permettait de payer un loyer, d'être autonome - et qui se retrouvent maintenant sans travail."
Pour Philippe Askenazy, "aujourd'hui, le gouvernement devrait avoir plus peur des jeunes que des ouvriers. Et réfléchir à ce qui s'est passé en Grèce".
Cette relative protection du noyau dur du salariat au détriment des actifs qui sont à la périphérie ne doit pas être une surprise. En septembre 1997, Henri Guaino, alors commissaire général du Plan, s'inquiétait déjà de cette structure du marché du travail français, évoquant le développement inquiétant du sous-
emploi et de la précarité, estimant à l'époque que près de 7 millions de personnes étaient directement et indirectement touchées par les difficultés de l'emploi, la "gangrène du chômage". Douze ans plus tard, la situation a empiré. Conseiller spécial du président de la République, M. Guaino n'a pu que le constater. "Les salariés en situation précaire sont tellement nombreux que le nombre de chômeurs pourrait remonter rapidement en France jusqu'à 3 millions", insiste M. Askenazy. Une plaie sociale à laquelle pourrait s'ajouter le mécontentement des salariés en emploi dont le pouvoir d'achat s'érode en raison des restrictions de rémunération que vont imposer les DRH.
Face à toutes ces menaces qui pourraient faire de 2009 l'année de la crise sociale, en France mais aussi dans d'autres pays de l'Union européenne, les gouvernements ont allumé des contre-feux (plans de relance, amplification du traitement social du chômage, etc.). Certains à l'instar de l'Espagne, décidant même de fermer leurs frontières, qu'ils avaient pourtant grandement ouvertes en période de croissance, aux travailleurs immigrés.