mercredi 7 janvier 2009

LE DEVELOPPEMENT ACCELERE LES MIGRATIONS.

Catherine Wihtol de Wenden, du Centre d'études et de recherches internationales : "Le développement accélère les migrations".
LE MONDE 07.01.09 15h25 • Mis à jour le 07.01.09 20h48
Dans le nouvel Atlas mondial des migrations qu'elle vient de réaliser (Ed. Autrement),
Catherine Wihtol de Wenden démontre comment les déplacements de population se mondialisent et surtout changent de nature.

Qu'est-ce qui caractérise aujourd'hui les migrations ?
Les migrants. La planète compte 200 millions de migrants, soit 3 % de la population mondiale. L'Asie est le plus grand réservoir démographique et de migrants du monde, elle le sera de plus en plus jusqu'en 2050. La diaspora chinoise compte à elle seule de 40 à 50 millions d'émigrés dans le monde, celle de l'Inde plus de 20 millions.
Les demandeurs d'asile. Ils sont moins nombreux qu'ils ne l'étaient dans les années 1990 mais de nouveaux profils de réfugiés apparaissent : entre 2030 et 2050, il pourrait y avoir jusqu'à 200 000 réfugiés environnementaux, selon les experts.

Ce qui frappe désormais, c'est l'universalité du phénomène migratoire. Toutes les régions du monde sont concernées, par le départ, l'accueil ou le transit de migrants. Avec l'accélération de la mondialisation, la circulation des capitaux, le développement des technologies de la communication, l'urbanisation rapide de pays de Sud, la mobilité des populations s'accroît. Même dans les recoins les plus isolés, les gens sont dans une réalité migratoire forte, étant tous plus ou moins connectés au monde par la télévision, Internet. De plus en plus, ils refusent le déterminisme consistant à rester dans des pays qu'ils considèrent sans avenir. Parce qu'ils savent que l'on peut mieux vivre, travailler, se faire soigner ailleurs.

Les individus sont de plus en plus acteurs de leur mobilité, et plus simplement mis en mouvement par des entreprises recherchant de la main-d'oeuvre. Ils se prennent davantage en main, décident de ne pas rester toute leur vie à attendre une hypothétique embellie. Fait nouveau, on assiste à une prise de distance de plus en plus forte des migrants par rapport à leur Etat d'origine dont ils savent aujourd'hui qu'ils ne peuvent pour ainsi dire rien attendre, quand il est corrompu et que l'exploitation des matières premières se fait par d'autres.

Les migrations restent-elles des mouvements Sud-Nord ?
Non, les migrations Sud-Sud sont tout aussi - si ce n'est plus - importantes. Présents partout ailleurs dans le monde, les Asiatiques migrent aussi beaucoup au sein même de l'Asie, vers la Corée du Sud, la Japon, la Malaisie, Taïwan, Singapour. En Afrique aussi, les migrations vers les pays du Golfe, notamment, et venant du Maghreb ou d'Egypte, vont croissant. L'attraction de l'Afrique du Sud est également croissante. D'anciens pays d'émigration sont devenus des pays d'accueil : c'est le cas de l'Europe du Sud, mais aussi du Mexique, de la Turquie, du Maroc qui restent des pays de départ tout en devenant des pays de transit où sont contraints de s'arrêter ceux qui ne parviennent pas à aller plus loin.

Cette réalité a-t-elle changé l'approche de la migration par les Etats ?
Les pays de départ et d'accueil ont changé leur regard sur la migration et c'est un autre élément nouveau. Longtemps considérés comme peu productifs, les transferts de fonds sont devenus un facteur essentiel du développement des pays d'origine. En une décennie, ces envois ont triplé pour atteindre 300 milliards dollars en 2007, soit trois fois l'aide au développement (105 milliards). Ces transferts sont la seule ressource véritable qui permette aux personnes dans leur pays d'avoir de l'eau, de l'électricité, une école, accès à un minimum de consommation.

Le regard des Etats d'accueil évolue-t-il ?
Le déclin démographique est un puissant facteur de prise de conscience pour les nations développées : elles ont à la fois besoin de remplacer leur population vieillissante et de développer des emplois répondant à ce vieillissement. D'où la concurrence à laquelle se livrent les pays développés pour attirer les migrants très qualifiés. Mais dans le même temps, ils persistent dans l'idée qu'il faut fermer les frontières aux autres, alors même que leurs besoins en main-d'oeuvre peu qualifiée sont aussi, si ce n'est plus, importants. Des pénuries de main-d'oeuvre existent partout dans le bâtiment, l'agriculture, les services à la personne. L'Europe illustre bien ces contradictions : elle cherche à la fois à maintenir ses frontières fermées aux uns et à les entrouvrir aux autres, le tout sous le contrôle d'une opinion publique utilisée comme arbitre du maintien de mesures répressives.

Le développement ne freine-t-il pas la migration ?
Contrairement à ce que continuent de penser les pays d'accueil, le développement n'est pas une alternative à la migration, il ne freine pas la migration : au contraire il l'accélère, car il crée de nouveaux besoins, les gens accédant à la société de consommation, à plus de scolarisation. Le modèle de l'Espagne, du Portugal ou de l'Italie, dont le développement a stoppé la migration, n'est pas un modèle mondial. Aujourd'hui dans beaucoup de pays de départ, en Chine, en Afrique, en Amérique latine, développement et migration fonctionnent en parallèle.
Pour éviter la sédentarisation, les pays du Nord continuent de développer des politiques d'aide au retour et de codéveloppement. Mais la circulation fonctionne d'autant mieux que les migrants acquièrent un vrai statut de résidents, des titres de séjour à entrées multiples ou la double nationalité. Plus les frontières leur sont ouvertes, plus ils circulent. L'Union pour la Méditerranée aurait pu être l'occasion de créer un espace de circulation euro-méditérranéen. Mais les migrations n'ont pas été inscrites comme priorité, alors que les visas sont une préoccupation récurrente des pays de sa rive sud.
Propos recueillis par Laetitia Van Eeckhout.
http://www.lemonde.fr/planete/article/2009/01/07/catherine-wihtol-de-wenden-le-developpement-accelere-les-migrations_1138750_3244.html

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