lundi 29 octobre 2007

C'EST RAPE.

Josep Bofill. Anades i tornades.

Ixelles hiver 2001.
C’est un peu bizarre et douloureux de dire cela, mais la situation de ces dernières semaines a redébloqué des choses chez mon père.

A 82 ans, redécouvrir que le monde extérieur, ça existe. Reprendre des transports en commun, avec des horaires ! Ressentir à nouveau qu’il peut faire froid, la nécessité d’avoir des habits adaptés, le plaisir d’en avoir de nouveaux … Etre capable de refaire des choses par soi-même et de ne pas emmerder les autres, si on peut faire autrement…

Toutes choses qu’il n’aurait pas connues si je lui avais bêtement dit oui, si je m’étais contenté de transporter, en râlant intérieurement, le limaçon tous les jours…

Va-t-il rester quelque chose de tout ça demain, quand une routine nouvelle se réinstallera ?
Je l’espère pour lui car, pour ma mère, il y a longtemps que c’est définitivement râpé…

LETTRE A UN JEUNE. 4.

Jean-Louis Corby. La Ronde.

Je t’avais prévenu que c’est « un choix de vie », mais te laisse-t-on encore le choix ? Je ne vais pas recommencer à t’expliquer comment je l’envisageais pour moi et quels compromis j’ai fait avec la vie professionnelle.

Pour ce qui me concerne - et c’est un sentiment qui n’engage que moi – je considère que ce que j’ai fait et l’attitude que j’ai eue depuis le début jusqu’à la fin comme la dimension de ma vie la plus mature et la plus réussie. Cela ne vaut que pour moi et cela veut surtout dire que j’ai fait plein de conneries dans d’autres domaines, mais il faut quand même me laisser quelque chose…

J’ai réussi à n’être jamais bouffé par mon travail et à être cohérent avec mes idées, mais j’ai déployé autant d’énergie à cela que d’autres à s’enrichir.

On ne peut pas s’approprier la vie de quelqu’un pour un salaire : on ne peut lui prendre qu’un temps délimité. Il faut pouvoir quitter son boulot le soir à l’heure après l’avoir exécuté ; je dis ça même si, à ce point de vue, ce n’était pas tout à fait vrai puisque j’étais enseignant mais c’est à cause de ça aussi qu’on n’assurait que 20 heures de cours. Ce qui me paraît tout à fait correct.

Contre un salaire, je veux bien donner du travail, mais pas ma vie…

Maintenant on exige ta vie. Et pour pas cher…

samedi 27 octobre 2007

LETTRE A UN JEUNE. 2.

Jean-Louis Corby. Le premier qui tombe.
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Note liminaire importante :
Ce n’est pas parce que l’on passe sa vie à essayer de voir clair dans l’évolution du monde que l’on y parvient… Et ce n’est pas parce que l’on y réussit que l’on peut avoir la prétention de donner des conseils individuels qui dépendent d’ailleurs fondamentalement des désirs et, plus profondément, de l’engagement (même et surtout inconscient) et des contradictions personnelles qui y sont liées (aux désirs et à l’engagement). Les époques sont différentes aussi : des choses pouvaient se faire qui ne le pourraient plus et visse vers ça (ou vice..., tu m'as compris...).
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La situation que vous vivez (ta génération), comme je l’expliquais quelque peu dans un récent message, doit être très douloureuse.
Pourtant, je la prévoyais et - cela va t’étonner -, je l’espérais depuis longtemps.
Je savais que, à la manière dont la société évoluait, elle allait se mettre à exclure les moins qualifiés mais aussi les hyperqualifiés que produisent à cadence industrielle nos structures d’enseignement et, singulièrement, les universités.
Il me semblait que ces derniers exclus, mis dans cette situation, auraient au moins acquis les méthodes d’analyses qui devraient leur permettre de fabriquer leurs moyens de libération.
Que le savoir acquis leur donnerait la maturité et le jugement qui leur permettrait de gérer les mutations avec un maximum de chance que les choses se déroulent moins cruellement que lors des mouvements précédents qui, de plus, ont échoué.
Je suis maintenant devenu très pessimiste : je crains qu’il ne soit trop tard ; je pense qu’au niveau de la cruauté de la répression, on est loin d’avoir tout vu; je suis sûr, qu’en cours de route, les meneurs de ce mouvement (si, contre toute attente, il avait lieu) penseront avant tout à se servir et (ou) à se maintenir au pouvoir.
Et j’en viens à penser, avec l’âge, que la vie est décidément bien courte et qu’il vaut encore mieux ne rien faire et se protéger le mieux possible - soi ainsi que ses proches - des conséquences de l’évolution sociale que je crois maintenant inéluctable. Et on en revient, toi et moi, bien que dans une situation différente face à la vie - puisque toi tu la commences et moi on dit que je vais vers la fin - au problème commun : faut bien bouffer…

LA VIE S'ECOULE LA VIE S'ENFUIT.


Gilles Servat, qu'il reçoive mon salut fraternel, a mis en musique il y a déjà quelques années (1994), ce qu'il qualifie d'un "anonyme belge" : chanson écrite dans les années soixante (1960) par des ouvriers belges.

Peut-être a-t-il raison. Mais suivant une autre source que j'ai creusée, l'auteur des paroles pourrait être Raoul Vaneigem.

Mais ce serait un Vaneigem avant qu'il se soit replié - comme presque chacun d'entre nous - sur des positions de défense minimales.

J'aime à penser, comme Gilles Servat, qu'il s'agit d'un anonyme belge...

La vie s'écoule la vie s'enfuit
Les jours défilent au pas de l'ennui
Parti des rouges parti des gris
Nos révolutions sont trahies

Le travail tue le travail paie
Le temps s'achète au supermarché
Le temps payé ne revient plus
La jeunesse meurt de temps perdu

Les yeux faits pour l'amour d'aimer
Sont le reflet d'un monde d'objets
Sans rêve et sans réalité
Aux images nous sommes condamnés

Les fusillés les affamés
Viennent vers nous du fond du passé
Rien n'a changé mais tout commence
Et va mûrir dans la violence

Tremblez repères de curés
Nids de marchands de policiers
Au vent qui sème la tempête
Se récoltent les jours de fête

Les fusils vers nous dirigés
Contre les chefs vont se retourner
Plus de dirigeants plus d'état
Pour profiter de nos combats

La vie s'écoule la vie s'enfuit
Les jours défilent au pas de l'ennui
Parti des rouges parti des gris
Nos révolutions sont trahies

Comment ne pas, en outre, publier les paroles de cette chanson de Gilles Servat lui-même ?

LITANIES POUR L'AN 2OOO. Gilles SERVAT.
En ce temps il était possible
D'aller dans la rue sans son flingue
Car il n'y avait que les dingues
Qui prenaient les passants pour cible

C'était encore peu répandu
Quand on descendait à sa cave
De trouver vingt surhommes très braves
En train d'violer une inconnue

On pouvait circuler en ville
Sans peur, sans fouille systématique
Sans recevoir des coups de trique
De la part d'un vigile viril

Je garde en moi le souvenir
En ce moi de mai 2010
De ces années soixante-dix
Où l'on sentait tout ça venir

Le couvre-feu n'existait pas
Les lumières brillaient dans la nuit
On sortait bien après minuit
Car l'énergie nous manquait pas

Y avait encore des rossignols
Qui chantaient par les nuits d'été
J'avais pas d'masque sur le nez
L'oiseau tombait pas en plein vol

Il existait des grands chemins
Que les bandits fréquentaient guère
Aujourd'hui on croirait la guerre
Les embuscades au petit matin

Je garde en moi le souvenir
En ce mois de mai 2010
De ces années soixante-dix
Où l'on sentait tout ça venir

On avait encore une adresse
Pas de loisirs obligatoires
Pas de télé obligatoire
Et pas de matricule aux fesses

On pouvait prendre pour confesseur
Sa femme, son enfant, sa sœur
Sans être sûr d'ouvrir son cœur
Au ministère de l'Intérieur

Et même se regarder en face
Sans s'demander si c'est un flic
Si c'est soi-même ou un indic
Dont on voit les yeux dans la glace

Je garde en moi le souvenir
En ce moi de mai 2010
De ces années soixante-dix
Où l'on sentait tout ça venir

Il restait les derniers pavés
Il n'y avait que les maisons
Les trains, les cars et les avions
Qui avaient l'air conditionné

On avait encore le droit d'grêve
Et le cerveau en liberté
Machin avait pas inventé
La machine à lire les rêves

Avant qu'le siècle ne s'achève
Nous avons vaincu le cancer
Mais on ne meurt pas moins qu'hier
Les suicides ont pris la relève

Je garde en moi le souvenir
En ce moi de mai 2010
De ces années soixante-dix
Où l'on sentait tout ça venir

jeudi 11 octobre 2007

LETTRE A UN JEUNE.1.

Corby. L'homme à la fenêtre.

Et même si ça se passait bien…
Du temps que ça allait quand même mieux. (Du moins, je trouve).

merci de vouloir me rassurer
je crois que tu te trompes :
ce que tu décris c'est la vraie vie
la vraie de vraie...

mais gagner sa croûte
c'est la vraie vie aussi
la vraie de vraie
d'ailleurs je ne réduirais pas cette part de cette vie à ça...

(gagner sa croûte).
je parlerais de vie intime
(avec tout ce que cela comporte
y compris de ce dont tu as dû faire le deuil....)
et de vie publique

certains ont le malheur que ce soit totalement distinct
alors oui ils gagnent leur croûte
une partie importante de leur vie

d'autres parviennent à colorer
leur vie publique de leur intimité
Que tu l'admettes ou pas
quand tu travaillais chez ***
ton travail était largement teinté de toi
à un point tel que tu n'avais plus du tout de vie intime
et... que tu courais pour y échapper

tu ne peux pas être prof en gagnant seulement ta croûte
ou tant pis pour toi
et tant pis pour ceux que tu tripotes...
quand c'est comme ça
- soit que c'est comme ça, soit que c'est devenu comme ça –

il faut se barrer, vite fait
pour te sauver toi...
et les sauver eux de toi...
peut-être pour trouver quelque chose


où tu ne fais que gagner ta croûte...
et t'évader dans l'intimité qui te reste

bref il faut faire la part des choses

et ne mélanger les deux que si c'est sain...
sinon il faut distinguer...
ou alors il y a tout qui s’infecte…
mais même si les dés sont pipés
et bien sûr qu'ils le sont
il faut quand même
restituer un peu à la société
ce qu'elle a investi en toi
que ce soit agréable ou pas...
faut travailler, quoi...
En n'oubliant pas que si tu distingues
il faut une vie intime..., une vraie
sinon tu as perdu perdu


bref il faudrait recomposer tout ça

ça urge

lundi 8 octobre 2007

CHAQUE SOCIETE PREPARE SES ENFANTS...

Chaque société prépare ses enfants à devenir les adultes dont elle a besoin. Comparons :

Je garde en moi le souvenir. 9.

(Et l’on se dit qu’il est bien tard).
Nelson Oliveira de Lima (enfant brésilien, trois ans) a passé 12 jours égaré en pleine forêt amazonienne. Fiévreux, déshydraté, avec des piqûres d’insectes sur tout le corps et des écorchures aux jambes et aux pieds, il a été retrouvé par un chasseur. Adossé à un tronc d’arbre, il chantonnait…La mère du petit pense qu’il a dû s’alimenter avec les fruits qu’il trouvait par terre. Elle croyait que son fils avait été attaqué par un jaguar ou un épervier royal et avait perdu tout espoir de le retrouver en vie. Sa communauté vit de la cueillette des fruits de l’andiroba et du murumuru dont on fait de l’huile pour les cosmétiques.

Je garde en moi le souvenir. 3.

(Et l’on se dit qu’il est bien tard).
Tout à l’heure, on emmènera les enfants assister à la simulation commémorative de la pêche à la crevette à cheval et puis - les pieds dans l’eau juste sous hauteur d’Aigle junior, plongeant leurs filets - ils s’émerveilleront de la captation de quelques couteaux vides… On les rassemblera l’après-midi, en rang par deux, pour défiler - contraints - au musée marin municipal et rendre un hommage posthume au monument aux poissons.*Pour terminer la journée, ils iront voir une malle quitter le port et l’autre y revenir pour qu’ils dorment tranquilles la nuit prochaine, bercés par ce balancement significatif.

Lapin attend granulés au clair de lune.

(T’es vivant).
Pour une raison que l’enquête ne manquera pas de déterminer, un camion a versé sur l’autoroute, projetant sur l’asphalte son chargement de cages maintenant désarticulées et béantes ainsi que leur contenu : 5000 lapins. Certains d’entre eux se décident à s’extraire, mais restent sur place à folâtrer et à profiter du soleil anormalement actif en ce début de printemps. Ils ne songent pas à s’épandre dans la campagne environnante : depuis leur naissance, ils sont nourris mécaniquement par des granulés et n’ont rien à tirer de l’environnement pourtant relativement protégé à cet endroit.