jeudi 31 juillet 2008

JEAN JAURES.

«Le courage, c’est dire la vérité sans subir la loi du mensonge triomphant»
Gilles Candar historien jaurèsien, signataire de l’appel de Gauche Avenir.
LIBERATION QUOTIDIEN : jeudi 31 juillet 2008.


Que ferait Jaurès aujourd’hui ? Quels seraient ses choix ? Personne, bien sûr, ne peut le dire. Personne ne peut parler à sa place. Mais si nous aimons Jaurès, ce n’est pas seulement en songeant à un passé glorieux et tragique, c’est aussi parce que nous pensons qu’il peut nous aider à réfléchir, non nous donner des solutions toutes faites.
D’abord, un message de liberté et de fierté. Jaurès ne cesse de le dire, à ses élèves ou étudiants, comme à ses électeurs, aux militants et aux citoyens : soyez vous-mêmes, n’abdiquez pas votre liberté, soyez des citoyens et des citoyennes agissantes. C’est tout le sens de la phrase, si souvent répétée, du discours d’Albi à la jeunesse : «Le courage, c’est dire la vérité sans subir la loi du mensonge triomphant qui passe.» Propos général et consensuel ? En tout cas, pas inactuel : dans un monde complexe, incertain, la tentation est grande de laisser faire les leaders d’opinion, de suivre le courant… Des exemples récents ont montré la limite de l’exercice : se laisser porter par les vents dominants n’est pas la garantie d’un beau voyage.
Ensuite, que voulait Jaurès ? Une société plus humaine, plus fraternelle, moins déchirée et inégalitaire… Il s’en est souvent expliqué, de même qu’il a souvent dit pourquoi il avait fini par penser que ce rêve serait possible en développant toutes les formes de la propriété sociale. Ses réponses valent-elles toujours aujourd’hui ? On peut en discuter et, sans grand danger, présumer que beaucoup ont vieilli, évidemment. Lui-même appelait à ne pas trop se retourner sur le passé, à préférer la flamme vive de la pensée aux cendres refroidies du foyer…
Mais deux aspects ne vieillissent pas et ne peuvent pas vieillir, car ils ne tiennent pas aux évolutions de la société mais à une attitude générale devant la vie, à ce qu’on veut faire de soi, et à son rapport aux autres. Soit dit en passant, Jaurès a eu l’occasion d’expliquer un jour sa conception de la sottise : c’était, pour lui, «l’exagération de soi-même» (1), il ne l’oubliait pas pour lui-même et il est permis d’espérer que nos meilleurs dirigeants, à gauche et ailleurs, ne l’oublient pas non plus…
Ce qui ne vieillit pas, donc, chez Jaurès, c’est d’abord son respect des autres. Il écoute, il argumente, il expose ses raisons, les confronte à celles des autres. Ce n’est sans doute pas la plus mauvaise façon de faire de la politique. Le reste passe.
Mais, me semble-t-il, ce qui garde aussi toute sa vitalité, c’est son refus de la simple gestion, de la technique des affaires, du pouvoir conçu comme un savoir-faire demandant seulement de la bonne volonté et de la compétence technique.
À rebours, de son temps, les commentateurs de la «presse intelligente» (le Temps, les Débats…) lui reprochaient souvent d’être dans les nuées et les idées générales, de manquer de sens pratique. Aujourd’hui, où heureusement existe toujours, mais pas suffisamment, une presse intelligente, les idées sont à peu près les mêmes, même si les mots ont changé un peu : les formules passe-partout évoquent le respect de l’économie de marché, le réformisme assumé…
Jaurès pouvait déjà noter la propension des professionnels de la politique et des affaires à abriter leur conservatisme foncier derrière le refus des utopies, la volonté autoproclamée de l’efficacité dont ils seraient les meilleurs juges… Lui qui, élu local ou national, avait le sens de la réalisation, de la vitesse et de la prudence, de l’ensemble et du détail, se moquait de ces «hommes pratiques […] qui emploient quelques mots humanitaires pour amorcer les suffrages du peuple et qui, sous ces mots, ne mettent aucun sentiment ardent, aucune idée précise qui puisse inquiéter les privilégiés» (2). Et il précisait, s’agissant de lui-même : «Il y en a qui me reprochent de me tenir toujours dans des généralités, et je sais que les mêmes personnes ne me reprocheraient rien si je ne m’étais, en effet, toujours tenu dans les généralités.» Avant de conclure par ce dernier mot à ses contradicteurs : «Vous me comprendriez mieux si je n’étais pas aussi clair.» Pouvons-nous - faut-il ? - chercher à être plus clairs que Jaurès lui-même ?
Responsabilité, réformisme, et tout ce que l’on veut, bien sûr mais à condition, comme Jaurès, de se rappeler que l’objectif, ce qui importe, est toujours «d’aller chercher la justice dans les nuées où les habiles l’enveloppent».
(1) Chambre des députés, séance du 12 juillet 1912.
(2) Jean Jaurès, «Les moyens pratiques», la Dépêche, 12 mars 1890. Mêmes références pour les citations suivantes.

mardi 29 juillet 2008

LES MYSTERES DU CERVEAU.


A ne pas manquer :
LE TEMPS (quotidien suisse) : Les mystères du cerveau. Plongée dans le monde des neurones, à la découverte de la matière grise.


http://www.letemps.ch/dossiers/2008cerveau/

dimanche 27 juillet 2008

AU RENDEZ-VOUS DES TORDUS.


Le pardon, l’irréparable, l’impunité.
«Comment concilier l’idée de proposer un asile aux geôliers d’Ingrid Betancourt et faire la chasse aux ex-brigadistes italiens, trente ans après ?» s’interroge l’universitaire Carine Trevisan. Après la décision de Nicolas Sarkozy d’extrader Marina Petrella, aujourd’hui hospitalisée à Paris, vers l'Italie, la chercheuse établit un parallèle entre Ingrid Betancourt, Marina Petrella et Silvio Berlusconi.

Maitre de conférences à l'Université Paris Diderot-Paris 7, enseignante à la Maison d'Arrêt de la Santé, et à celle de Fresnes, sections Femmes, Carine Trevisan a travaillé sur les violences de guerre (Aurélien, d'Aragon : un "nouveau mal du siècle", 1996 ; Les Fables du deuil : la Grande Guerre, mort et écriture, 2001) et sur la littérature carcérale.
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On a, lorsqu’on met en regard ce qui est dit ces dernières semaines d’Ingrid Betancourt, de Marina Petrella, de Silvio Berlusconi, un sentiment de malaise, de confusion, presque de chaos. Il peut paraitre incongru de comparer ces trois personnes. Une ex-brigadiste italienne emprisonnée en France, en voie d’être extradée vers l’Italie pour subir la peine à perpétuité, une franco-colombienne, ex-sénatrice tout juste libérée de sa condition d’otage, un premier ministre italien qui vient de bénéficier pour ses actes de l’impunité réservée aux grands de ce monde. Mais le rapprochement n’est pas aussi absurde que cela. Dans les trois cas, il s’agit d’une question de pardon, mais dosée différemment, selon les cas.

Le pardon semble avoir désormais un statut quasi-juridique, mais nulle part inscrit dans la loi, qui accompagne la notion de « dédommagement ». On concède aujourd’hui qu’en lieu ou en complément du "dédommagement" auquel elles ont droit (on ne sait ce que signifie exactement ce terme), les victimes accordent leur "pardon" au coupable, ce qui peut alléger sa peine de prison. On peut s’étonner que ce pardon, qui est l’effet d’un acte individuel, inscrit nulle part dans la loi, puisse avoir un tel poids. A-t-on jamais vu un tribunal relaxer un coupable sous prétexte que les victimes lui ont "pardonné" ? Et pourtant, à propos de l’éventuelle libération de Marina Petrella, on lit dans Libération du 9 juillet 2008 ces mots de Giovanni Bianconi, journaliste et auteur de plusieurs livres sur le terrorisme en Italie : "En général, il faut que l’intéressé ait déjà effectué une bonne partie de sa peine ou encore qu’il y ait eu le pardon des parents des victimes".

Ingrid Betancourt : française et sénatrice colombienne, elle a été otage de la guérilla colombienne de 2002 à 2008. Capturée parce qu’entre autre, elle représentait une grosse somme d’argent et avait un poids médiatique énorme. M. le président N. Sarkozy propose un asile aux FARC, qui ont fait subir des traitements inhumains à Ingrid Betancourt, et qui sont toujours en activité (plusieurs centaines d’otages entre leurs mains, dont ils font commerce, ainsi que de la cocaïne). La France est prête à pardonner. On ne sait quelle est la position d’Ingrid Betancourt par rapport à cette éventualité. Elle a eu un mouvement de compassion pour l’un de ses geôliers, enchaîné à son tour, dans l’hélicoptère conduit par l’armée colombienne, où elle apprend qu’elle est à présent libre. Un geôlier pourtant particulièrement cruel, selon son témoignage. Elle a même noté qu’il avait peur. Singulière attention, dans une telle circonstance, aux mouvements émotifs de celui qu’elle serait en droit de haïr. Mais a-t-elle « pardonné » aux FARC de l’avoir privé de plus de six années de sa vie ? Cette question ne lui a apparemment pas été posée, ni à aucun des autres otages des FARC.

Marina Petrella est une ex-brigadiste rouge italienne, qui a bénéficié d’un droit d’asile en France, instauré dans les années 80 par le Président François Mitterrand. On connaît les termes de l’accord : la France accueille les brigadistes, à condition qu’ils renoncent à la violence armée. Marina Petrella a déjà fait 8 ans de prison en Italie. Sa première fille est née en prison. Condamnée à la perpétuité en Italie (alors qu’elle n’a jamais été une "exécutante matérielle" des crimes dont on l’accuse), elle s’exile, se réfugie en France, sur la foi de la parole étatique donnée. Elle y travaille comme jardinière, puis comme travailleuse sociale. Elle a, en France, un deuxième enfant : une petite fille qui a aujourd’hui 11 ans.
Après presque 15 ans de vie absolument paisible et pacifique (et plus que cela : on sait combien les tâches des travailleurs sociaux aujourd’hui sont lourdes), elle se retrouve brutalement incarcérée à la Maison d’arrêt de Fresnes, et à présent que M. le Président N. Sarkozy a signé son mandat d’extradition en Italie, où elle risque l’emprisonnement à perpétuité, dans l’attente d’une grâce du Président de la République italienne.
On s’interroge sur la logique présidentielle : pourquoi, soudainement, la reprise de la parole donnée ? Comment concilier (cela a été dit et redit ces derniers jours) l’idée de proposer un asile et une forme d’impunité aux geôliers d’Ingrid Betancourt, les FARC, et faire la chasse aux ex-brigadistes italiens, trente ans après ?

L’un des mots les plus courants de l’administration pénitentiaire française, et qui guide les décisions des juges d’application des peines, lorsqu’ils doivent accorder ou non une libération conditionnelle à un détenu, est "réinsertion". Le criminel a-t-il, ou non, manifesté le désir de se « réinsérer » et fait ce qu’il fallait pour cela ? Le sens de ce terme reste large. Lorsqu’on n’est pas juriste mais qu’on a un peu d’expérience de l’univers pénitentiaire, on comprend que "se réinsérer" signifie un retour à une vie "normale", respectueuse de la loi, et que pour prouver cette volonté de réinsertion, on a, en prison, suivi, entre autres, des formations, des études, ou tout simplement renoué contact avec son premier métier. Cela arrive, et cela marche.

Marina Petrella s’est "réinsérée" bien avant qu’elle soit incarcérée. Cela fait plus de 15 ans qu’elle est réinsérée.
Que demander de plus à cette femme qui n’a commis aucun crime imprescriptible (aucun crime contre l’humanité) ? Le pardon des victimes ? Mais, il y a sans doute eu là de l’irréparable. Ingrid Betancourt aurait beau pardonner aux FARC que les séquelles psychiques de sa détention seraient toujours actives.
Dans le même temps, on apprend que Silvio Berlusconi, qui va décider, en partie du sort de Marina Petrella, bénéficie, lui, à présent, d’une impunité pour ses actes illégaux.
L’Italie, les institutions italiennes lui ont "pardonné". »
LIBERATION. Contre journal. 25 juillet 2008.

jeudi 24 juillet 2008

U.S.A. TOUT A CHANGE. RIEN N'A CHANGE.



Nº2281
SEMAINE DU JEUDI 24 Juillet 2008. Le Nouvel Observateur. Tout a changé, rien n'a changé ».

Les Noirs ont longtemps hésité avant de soutenir Obama. Joseph Lowery, qui fut un proche de Martin Luther King, explique ce scepticisme des débuts. Interview.

Comment Martin Luther King, s'il n'avait été assassiné, vivrait-il la candidature d'Obama ?
Peut-être comme ce pasteur de l'Alabama, qui lutta avec lui pour soutenir Rosa Parks et imposer le boycott des bus de Montgomery. Figure du mouvement pour les droits civiques (un boulevard d'Atlanta porte son nom), ce proche de King, 86 ans, est l'un des premiers aînés historiques à s'être rangé derrière Obama. Il s'est fait remarquer aux funérailles de Coretta King, la veuve de Martin, en déclarant devant quatre présidents américains, dont George W. Bush : «Nous savons maintenant qu'il n'y avait pas d'armes de destruction massive, là-bas. Mais Coretta l'a toujours su, et nous savons qu'il y a ici même des armes pointées sur les mauvais objectifs. Des millions de gens sans assurance santé. La pauvreté omniprésente. Des milliards de plus pour la guerre, mais rien de plus pour les pauvres !»
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Le Nouvel Observateur.- Auriez-vous pu imaginer dans les années 1950, que vous verriez un Noir ayant une chance d'être président ?
Joseph Lowery. - Non, évidemment. Je ne l'aurais pas imaginé dans les années 1970, il y a dix ans, ni même il y a cinq ans.
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N. O. - Que se passe-t-il, dans ce pays ?
J. Lowery. - (souriant) Je ne sais pas. (sérieux) Il y a une vraie soif de changement. Les gens en ont ras-le-bol de voir dans quelle direction leur pays va, ils en ont ras-le-bol de la guerre, de la pauvreté persistante au milieu de toute cette richesse, de ces hostilités basées sur la race ou la classe sociale. Barack Obama est arrivé juste au bon moment, avec le bon message et la bonne personnalité. Il est une idée dont l'heure est venue. Rien de plus frustrant qu'une idée en avance sur son temps, mais rien de plus puissant que quelqu'un ayant la bonne idée au bon moment.
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N. O. - Une bonne partie de la communauté noire était sceptique, au début...
J. Lowery. - Les campagnes symboliques, on a donné, merci. Cette fois, vu la situation économique désastreuse du pays, personne ne voulait soutenir une candidature de ce genre. C'est à la commémoration de la marche de Selma, en mars 2007, que j'ai commencé à être curieux d'Obama, j'ai voulu mieux le connaître. Je l'ai écouté, son message me plaisait. Je me suis ensuite demandé si pour les Blancs, les jeunes notamment, c'était du sérieux. Lors du Martin Luther King Day, en janvier, je les ai interrogés : «Qu'est-ce qui vous excite tant que cela chez lui ?» Barack Obama... Barack Obama... Peut-être que le nom faisait partie de la mystique, s'il s'était appelé Joe Blow il n'aurait pas été aussi attrayant ! Bref, j'avais encore des doutes. Alors je suis allé dans l'Iowa et j'ai fait campagne pour lui, je voulais voir comment un Etat blanc réagirait. Et j'ai vu ! C'est là que j'ai compris que sa campagne était réelle, pas symbolique.
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N. O.. - Certains leaders trouvent qu'il n'est pas assez «Noir»...
J. Lowery. - Ils sont à côté de la plaque. Dans ce pays, il suffit d'avoir un douzième de race noire pour être considéré comme Noir, et il l'est au moins à moitié. Il est Noir !
N. O. - King a toujours refusé que la lutte pour les droits civiques soit définie par la question raciale, préférant parler d'une lutte contre l'injustice. Retrouvez-vous chez Obama cette volonté de transcender la race ?J. Lowery. - Il est obligé de le faire, ou bien les Blancs ne l'éliront pas. C'est ce que certains dans la communauté noire ont du mal à comprendre. La campagne de Jesse Jackson était basée sur la race, c'était une campagne noire. On savait qu'il ne gagnerait pas, mais elle représentait le droit d'aspirer à la présidence. C'était en droite ligne de ce que Martin avait dit en 1957 : «Donnez-nous le bulletin de vote, et de cette nuit noire naîtra une aube nouvelle de justice.» La candidature d'Obama, dans cette filiation, est l'étape ultime. En termes bibliques, nous sommes la génération de Moïse, il est celle de Josué, perchée sur nos épaules.N. O. - Un demi-siècle après King, quels progrès ont été réalisés ?J. Lowery. - Paradoxe : tout a changé, rien n'a changé. Plus de 300 maires noirs, dans ce pays, mais des pauvres qui le sont toujours autant. Davantage de policiers, de chefs de la police noirs, et en même temps cette brutalité policière, ces délits de faciès...
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N. O. - On est quand même à des années-lumière des sixties...
J. Lowery. - Notre mouvement souffre de son succès. Nous avons abattu les barrières, mais on est loin du compte, le «filet de sécurité» pour les pauvres est une passoire. Good times, bad times. C'est le paradoxe de la nature humaine.

Le Nouvel Observateur.

mercredi 23 juillet 2008

DROITE. GAUCHE. RICHES.


Nº2280. SEMAINE DU JEUDI 17 Juillet 2008. Le Nouvel Observateur. Des riches et du pouvoir. La chronique de Jacques Julliard.

Au moment où tous les journaux * titrent sur la richesse, voici une petite suite politique et un salutaire sursaut
Il y a en France trois partis : la droite, la gauche et les riches.

Les gens de droite qui ne sont pas riches sont essentiellement des gens de droite. Les gens de gauche qui ne sont pas riches sont essentiellement des gens de gauche. Mais les gens de droite qui sont riches ne sont pas essentiellement des gens de droite : ce sont des riches. Et les gens de gauche qui sont riches ne sont pas essentiellement des gens de gauche : ce sont des riches.
Partager la richesse avec des gens de l'autre bord n'est pas en effet chose anodine. Elle implique une véritable identité de condition sociale et de genre de vie : la résidence dans les mêmes quartiers, le départ vers les mêmes lieux de vacances, la fréquentation des mêmes fournisseurs, le goût pour les mêmes plaisirs, la participation aux même fêtes, la circulation et l'échange des mêmes femmes, l'occupation des mêmes centres de pouvoir, la pratique des mêmes tics de langage, l'attachement aux mêmes idées, aux mêmes valeurs, y compris financières.
Quant au milieu de la politique, il est celui des riches et non celui des pauvres. On y croise plus de banquiers que de tourneurs sur métaux, plus de hauts fonctionnaires que d'instituteurs, plus de diplomates que d'aides-soignantes, plus d'intellectuels ralliés que d'épiciers maghrébins, plus de directeurs de journaux que d'ouvriers du Livre.

Or l'Etat français, héritier de la monarchie d'Ancien Régime, assure à ses ministres, à ses grands commis et à ses petits parasites un genre de vie assez proche de celui que la richesse procure à ses détenteurs. Les ors de la République, le cérémonial du pouvoir, le luxe et la majesté des palais, la multiplicité des domestiques, le ballet des voitures à cocarde ou à sirène, l'opulence des dîners et des vins, les charmes des voyages officiels abolissent dans le vécu l'inégalité financière qui peut subsister encore entre les Riches et les Puissants. Il en résulte entre la richesse et la politique un lien de consanguinité demeuré longtemps dans la discrétion, mais que le pouvoir actuel affiche avec ostentation.
Bouygues, Bolloré, Arnault, Lagardère sont des amis personnels du président de la République, et avec eux tout le gratin du CAC 40.
On a insisté de façon trop exclusive, à la suite de Pierre Bourdieu, sur l'origine sociale des privilégiés. C'est le thème de la Reproduction. Mais pas assez sur un autre pan, essentiel, de sa sociologie, à savoir la capacité du capital financier d'attirer à lui, de s'attacher et de s'inféoder les détenteurs du capital culturel. Un énarque pauvre peut faire dans la deuxième partie de sa vie, un paquet de stock-options plus tard, un riche très présentable. D'où le problème actuel du Parti socialiste. Nombre de ses dirigeants sont riches. Tant mieux pour eux. Beaucoup d'autres sont de condition seulement aisée ou même modeste, mais psychologiquement, culturellement et même spirituellement, ils sont rattachés au parti de la richesse. Ils ne sont rien d'autre que l'aile sociale de la ploutocratie. Voilà pourquoi les petites gens se reconnaissent plus volontiers dans Olivier Besancenot, Ségolène Royal ou François Bayrou. Le programme Besancenot, c'est la lune + 10%. Celui du PS, c'est Bouygues - 10%. De plus en plus nombreux, les pauvres, voyez-vous ça, préfèrent le premier. Salauds de pauvres.


* "Tout sur les riches» («le Point), «La France des héritiers» («Nouvel Obs»), «L'argent maître» («Médium», la revue de Régis Debray), «Cette société qui tourne autour d'un seul soleil ... l'argent". ("Marianne").

samedi 19 juillet 2008

BELGIQUE : ETAT DES LIEUX D'UNE NON-NATION.


Nous publions cette synthèse assez remarquable pour contribuer au débat.

Pour notre part, il ne nous semble pas que les conclusions tirées par cet article tiennent encore la route.

Ce qui signifie en clair que notre diagnostic personnel est plus pessimiste (notamment vis-à-vis du rôle du mouvement blanc ...).

C.V.



Belgique : état des lieux d'une non-nation.
Il n'est pas à douter que dorénavant les prises de positions politiques, tant au nord qu'au sud, devront se faire non plus seulement par rapport aux questions économiques, sociales, linguistiques et confessionnelles mais aussi par rapport aux questions de démocratie et de justice portées par le mouvement blanc. Pour aider nos lecteurs français à mieux comprendre les réalités belges une radiographie signée Didier Brissa et repiquée du magazine du Forum Civique Européen...


Récupéré du site : Archives Alternative Libertaire.
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Les développements continus de la fédéralisation de l'État belge, les diverses pressions nationalistes conduisant à des institutions séparées et les modèles de séparatisme qu'ont connus divers États européens ces dernières années ramènent de plus en plus régulièrement la question de l'éclatement en deux entités distinctes de ce produit de la grande diplomatie européenne de la première moitié du XIXème siècle. Comprendre ce long cheminement et tenter d'en saisir les perspectives ne peut se faire sans un certain retour aux sources.
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Une zone de fracture.
Claude Semal, chansonnier bruxellois contemporains conte dans une de ses chansons la désorientation naturelle du sentiment national en Belgique par cette phrase : { Les généraux de toutes les têtes couronnées d'Europe sont venues culbuter nos campagnes }. La Belgique géographique fut en effet le théâtre de nombre de césures politiques au cours des deux mille ans d'histoire européenne. Elle tire son nom d'une tribu germanique mineures les Belges, qui occupaient son territoire vers le IIIème et IVème siècle av. JC. Ces seuls "vrais Belges" auraient immigré vers l'Angleterre lors de l'avancée vers l'ouest des autres tribus germaniques. La domination romaine, qui débuta en l'an 51 avant notre ère par l'écrasement des Éburons, est à l'origine d'un élément d'extrême importance pour le présent récent, puisque l'actuel tracé de la frontière linguistique correspond à peu de choses près à la limite nord-continentale des territoires et populations latinisées sous son autorité. Ainsi les populations comprises entre la Meuse, l'Escaut et au sud de Bruxelles entrèrent dans la sphère des populations de langue d'oïl, tandis que plus au nord elles conservèrent leur culture germanique. À partir du IIIème siècle, l'effondrement progressif de l'Empire romain verra les Francs occuper une majeure partie de la Gaule romaine, et la conversion de Clovis au christianisme permettra aux langues latines de se perpétuer là où elles étaient - en usage courant. La position centrale de la Belgique, proche d'Aix la Chapelle, au sein de ce qui allait devenir le Saint Empire Romain Germanique d'Occident, explique que les dynasties mérovingiennes, puis carolingiennes y fixèrent maintes capitales et villes importantes.
Plus tard, en 843, ces régions seront partagées par le traité de Verdun entre la France et la Lotharingie, puis la Germanie, l'Escaut servant de frontière. Une exception notable à ce partage fut la ville de Liège et la région environnante. Évêché dès le VIIIème siècle, elle devint capitale d'une principauté ecclésiastique relativement étendue et dirigée par un prince-évêque. Dépendant du Vatican, elle était politiquement et militairement vassale de l'Empire germanique. De sa particulièrement longue existence elle ne disparaîtra définitivement qu'en 1792, sous l'occupation de la France révolutionnaire - il restera un état d'esprit particulier qui fait qu'on ne peut toujours pas parler d'une nation wallonne au même titre ou degré que d'une nation flamande. De même, Liège, tout en étant aujourd'hui fortement francophile et francophone, fut longtemps aussi sous une influence intellectuelle, culturelle et architecturale fortement allemande.
Les différents conflits de succession au Moyen-Âge affaibliront tant les royaumes franc que germain, donnant naissance à une suite d'États intermédiaires, dont le très puissant Duché de Bourgogne, pour lequel Charles le Téméraire conquit de nombreux territoires (dont les Flandres, le Brabant, le Hainaut, le Luxembourg...). La Belgique d'alors, unie aux Pays-Bas actuels, passera ensuite aux mains de la maison des Habsbourg d'Autriche, puis d'Espagne, sous le nom de Pays-Bas autrichiens, puis Pays-Bas espagnols. En rébellion depuis 1555 contre la très catholique Espagne, les Pays-Bas septentrionaux, majoritairement calvinistes, font sécession en 1579 et se constituent sur la base de l'Union d'Utrecht en État indépendant sous le nom de Provinces Unies. La Belgique actuelle restera sous la coupe espagnole jusqu'en 1713, où elle revient à nouveau à l'Autriche. Dans la foulée de 1789 en France, les provinces belges, tentent de s'émanciper de la tutelle de Joseph Il d'Autriche, mais les Autrichiens redeviennent maîtres du pays en 1790. Après les victoires de Valmy et de Jemappes (1792), la France de la Convention occupe les provinces belges qu'elle annexera à la République en 1795, après la réaction thermidorienne [Élément essentiel dans l'histoire belge : alors que le gouvernement révolutionnaire jacobin avait songé à accorder une certaine autonomie aux provinces belges sous direction de révolutionnaires locaux, Thermidor, puis le Directoire installeront dans les responsabilités publiques de là République des aristocrates et grands bourgeois. L'aristocratie locale n'avait pas été décapitée, ni par les révoltes de 1789 ni par l'occupation française de 1792 pour deux raisons : dans les deux cas elle avait participé aux événements contre l'occupant autrichien, et parce que la France cherchait à se concilier des alliés et ne pratiqua pas en Belgique le même nettoyage social que sur son territoire.] Autant le départ de Joseph n'avait fait l'unanimité, autant la présence française amorcera la distinction politique au sein des notables belges, Les Français seront honnis par l'aristocratie, le clergé et la haute bourgeoisie, qui ne supportent pas les velléités centralisatrices et laïques du nouveau pouvoir, tout en y participant relativement, en particulier sous l'empire de Bonaparte et après le Concordat. La bourgeoisie libérale accueille la fin des privilèges de l'Ancien régime avec une satisfaction manifeste qui ne sera gâchée que par leur quasi-restauration sous le despotisme napoléonien. Par ailleurs, la principauté de Liège, qui avait connu en 1789 une révolution comme la France et qui avait chassé le prince-évêque, despote réactionnaire sera sans aucun doute la région qui accueillera la République avec le plus d'entrain. Ainsi pour la première fois les Pays-Bas autrichiens (provinces belges) et la principauté de Liège se trouveront réunis dans une structure unique.
Cependant, les divergences entre les provinces belges et l'ex-principauté sont annonciatrices des oppositions qui vont prévaloir au XIXème siècle, entre partisans d'un maintien intégral des institutions traditionnelles et partisans des réformes. Les classes privilégiées de l'Ancien Régime, s'appuyant sur le clergé et sur l'attachement des masses à la religion, susciteront un anticléricalisme politique toujours plus radical comme expression politique de la nouvelle bourgeoisie non privilégiée. Mais ces divergences seront rapidement mises entre parenthèses. An bout des Cent Jours et après la défaite de Napoléon à Waterloo en 1815, l'ensemble des territoires belges (provinces belges, ex-principauté de Liège et duché de Luxembourg) reviendront à Guillaume d'Orange - prince souverain des Pays-Bas - et à sa Maison, en récompense des bons et loyaux services rendus aux puissances coalisées. Guillaume Ier d'Orange ressuscitera rapidement la coalition entre catholiques (parce qu'il est protestant) et libéraux (car c'est un despote), présidant même à la naissance de la seconde ligne de fracture de la politique intérieure belge après le cléricalisme : la question linguistique. En effet, il se mit en tête d'unifier son royaume par l'usage obligatoire du néerlandais dans l'ensemble des administrations et cours de justice. Or l'ensemble des classes dirigeantes, qu'elles soient nobiliaires, haute et moyenne bourgeoises, sont francophones. Le français est à l'époque langue de culture et de commerce à travers l'Europe et, en Belgique plus qu'ailleurs, langue de distinction sociale pour les classes dirigeantes, tant en Flandre qu'en Wallonie. Aussi l'intention linguistique de Guillaume Ier est-elle presque aussi mal reçue au nord qu'au sud du pays, et pas seulement par les classes dirigeantes. En effet, le clergé catholique compte beaucoup sur l'extrême fragmentation des dialectes, tant flamands que wallons, comme frein au protestantisme qu'elle juge véhiculé par le néerlandais standardisé des Pays-Bas.
C'est l'état d'esprit qui préside, en juillet 1830, aux révoltes populaires de la petite bourgeoisie et du prolétariat naissant en cette aube de la révolution industrielle qui chasseront l'occupant hollandais des principales grandes villes. Et aux revendications nationalistes et linguistiques impulsées par les classes dirigeantes, se mêleront bientôt des cris de révolte contre le machinisme fauteur de chômage. Mais, face à une populace encore très ignorante, analphabète, désordonnée et sans direction, les classes dirigeantes mettront vite sur pied une garde bourgeoise qui, en plus de combattre les troupes hollandaises, assurera des missions de police visant à contenir, orienter, voire réprimer les insurrections populaires. Dans la nuit du 26 au 27 septembre, les troupes hollandaises commandées par le prince Frédéric d'Orange battent en retraite. La reconnaissance de l'indépendance sera consacrée au terme d'un long processus s'échelonnant de la conférence de Londres, qui commence en octobre 1830, jusqu'au règlement définitif de 1839.
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Naissance de l'État belge.
Dans la première partie, nous vous avons présenté un résumé de l'Histoire des populations ayant vécu sur la zone géographique dénommée "Belgique". Nous tentions de cerner l'origine des lignes de fracture de la société belge contemporaine, de l'époque romaine à l'aube de l'ère moderne : fracture linguistique, fracture religieuse, fracture sociale. Avec sa nouvelle indépendance (1830), la Belgique entre de plein-pied dans l'ère des Etats modernes, l'ère capitaliste.
Une monarchie constitutionnelle
Le 18 novembre 1830, malgré une très forte composante libérale et républicaine, le Congrès National (assemblée constituante) décida à une large majorité que la Belgique serait une monarchie constitutionnelle. Cette décision, pour les libéraux, fut prise par crainte qu'un choix républicain n'incite les grandes puissances à accorder à Guillaume d'Orange le soutien militaire qu'il sollicitait pour reprendre le pouvoir en Belgique. C'est ainsi que la Constitution belge est un savant dosage entre les exigences des nobles et haut-bourgeois catholiques conservateurs, et celles des bourgeois libéraux plus progressistes. Cela donne un étrange cocktail. En effet, les libéraux voulant garder la possibilité d'une future révision de la Constitution en faveur d'un régime républicain, les pouvoirs et prérogatives du roi sont, encore maintenant, les plus importants de toutes les monarchies constitutionnelles d'Europe, ressortant beaucoup plus du régime présidentiel que monarchique. La Constitution établit également un système électoral censitaire qui favorisa la couche la plus haute et la plus conservatrice des classes dirigeantes, et en particulier les grands propriétaires terriens. L'unionisme politique entre catholiques et libéraux, face à la précarité d'un État belge indépendant des grandes puissances et fondé sur l'homogénéité des intérêts immédiats des classes dirigeantes, durera jusqu'au premier gouvernement libéral intégral de 1847.
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Le mouvement flamand.
C'est la même année que la première manifestation concrète, probante et organisée du mouvement flamand se manifesta par la publication d'une Déclaration de principes fondamentaux. Il s'agissait d'une plate-forme réunissant élus et intellectuels flamands, issus essentiellement des classes moyennes, et que les premières manifestations du Romantisme poussent à radicaliser leur position en matière de langue et de culture. Ils avancent la revendication encore modeste de l'égalité de traitement des langues dans l'administration des régions où elles sont usitées. En effet, dans tout le pays, seul le français est en usage dans toutes les formes d'administration et de justice. Or la population de toute la moitié nord du pays ne le comprend pas (1). Si la bourgeoisie flamande parle français entre soi quand elle administre, elle commande en flamand.
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Réformes.
Les événements de 1848 en France permettront le retour des catholiques aux côtés des libéraux dans le gouvernement, la bourgeoisie faisant corps socialement face à d'éventuels mouvements populaires (2). Ce sera aussi l'occasion de concéder quelques réformes, tel l'abaissement du cens (donnant accès au vote à des couches inférieures de la bourgeoisie), l'extension de l'action sociale du gouvernement au champ économique (qu'il avait laissé totalement libre jusque là) en raison de la crise du moment. Il créa aussi une Caisse officielle de retraite (1850) et traça un cadre légal aux sociétés de recours mutuel, première forme de prise en compte publique des mouvements ouvriers montants (1851). C'était une façon détournée de freiner les différentes formes d'ententes ouvrières qui, bien qu'illégales selon le Code Napoléon, toujours en vigueur, qui prévoyait des peines de deux à cinq ans d'emprisonnement (3), sont de plus en plus nombreuses dans le pays. La Belgique est alors le deuxième pays le plus industrialisé au monde, juste derrière l'Angleterre, et voit apparaître un prolétariat de masse toujours plus nombreux. Avec la "révolution" belge, les Conseils des Prud'hommes, instaurés en 1809-1810 et passés de 2 à 17 en 1842 (première forme de représentation ouvrière, certes très limitée), donnèrent un premier moyen d'expression légal aux ouvriers. Par ailleurs, plusieurs courants libéraux avaient manifesté des préoccupations sociales dès les dernières années du régime hollandais, et plusieurs publications s'étaient fait l'écho de la pensée de Fourrier et de Saint-Simon (4). Voici posé le dernier des trois axes qui modèleront les clivages de la Belgique contemporaine : cléricaux/anticléricaux, francophones/flamandophones (5), classes privilégiées/classes laborieuses.
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Les clivages.
La première expression de ces clivages sera la formation en 1846 du parti libéral sous la présidence d'Eugène Defacqz (6). Celui-ci défendra principalement, d'une part l'abaissement du cens et une réforme électorale en faveur de la moyenne et petite bourgeoisie, et d'autre part l'enseignement public et la séparation à tous niveaux de l'État et de l'Eglise. Le parti libéral, intégrant à la fois contre-révolutionnaires orangistes et démocrates radicaux, sera avant tout le parti de la bourgeoisie anticléricale et urbaine. Bien que le parti catholique ne se structure en tant que tel qu'en 1884, il exista dès lors de fait, en quelque sorte par déduction. La difficile union des catholiques s'explique tant par leur énorme poids dans la société que par la multiplicité de leurs associations, divisées entre constitutionnels parlementaristes et ultramontains. Cela préfigure la largeur du champ social occupé encore aujourd'hui par le parti chrétien et son pilier, de la démocratie chrétienne à l'extrême-droite bon teint, du syndicat chrétien des employés presque gauchiste à une direction syndicale profondément engagée dans la cogestion ! Ainsi se dessina l'opposition classique gauche-droite à travers ce premier clivage de classes, tant entre partis qu'en leur sein. Après une succession de gouvernements libéraux homogènes, le dernier gouvernement unioniste de 1855 sera le premier à inaugurer la "question linguistique" dans la politique gouvernementale belge par une Commission "chargée d'examiner les dispositions à prendre dans l'intérêt de la langue et de la littérature flamandes". À partir de 1857, les gouvernements seront alternativement libéraux puis catholiques, et ce jusqu'en 1884. Le poids de l'Église dans la société belge fût le moteur essentiel des luttes sur presque tous les champs d'application du politique, au point d'entraîner la rupture des relations diplomatiques avec le Vatican en 1880, après la décision du gouvernement libéral d'instaurer un enseignement public généralisé, sous direction unique de l'autorité civile. En outre, les virages anticléricaux successifs de la franc-maçonnerie notamment pèseront autant que le Syllabus du très conservateur Pie IX.
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La question linguistique.
Rendu en 1857, le rapport de la Commission des griefs flamands, bien que modéré, fut accueilli avec tiédeur puis combattu par les gouvernements successifs de 1858-1859. Cela eut pour effet direct de renforcer le mouvement qui, parti d'intellectuels, rencontra de plus en plus d'échos dans les masses laborieuses flamandes. D'autant que les sentiments de celles-ci furent particulièrement touchés, dans la décennie qui suivit la diffusion du rapport, par plusieurs affaires fortement relayées par la presse, où il fut impossible pour des inculpés flamands d'être jugés dans leur langue. Il faudra plus de 20 ans pour que quelques-unes des propositions du rapport deviennent des lois : en matière répressive (1873), dans l'administration (1878) et dans l'enseignement (1883). Le Mouvement flamand s'affirmera de plus en plus transversal aux clivages politiques, au sein desquels il jouera le rôle de groupe de pression. Il sera cependant premièrement progressiste, ses revendications entrant en conjonction avec l'aspiration au suffrage universel.
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Le mouvement ouvrier.
Comme signalé précédemment, la Belgique du XIXème siècle est une des premières et plus importantes puissances industrielles mondiales. Cette puissance s'accompagne d'une très forte prolétarisation qui prend très vite des formes massifiées. Autour des charbonnages, aciéries, usines textiles, etc., le patronat belge aura tôt fait de récupérer, à son profit, l'idée fourriériste du phalanstère, transformant ainsi les banlieues industrielles en vastes cités-dortoirs. La structure urbaine des villes du sillon Sambre et Meuse en est encore profondément marquée. Ce siècle verra naître à l'Histoire, à travers le mouvement ouvrier, des hommes et des femmes qui n'avaient pas d'expression jusque là. Laissant, en raison de ses origines paysannes et artisanales, peu de trace dans ses premières années, le mouvement ouvrier marquera le siècle de plusieurs révoltes parfois violentes en réaction aux conditions de vie et de travail. Mais, au-delà des réactions sporadiques, des actions coordonnées vont progressivement s'organiser. Ainsi, les sociétés mutualistes, légalisées en 1851, serviront-elles souvent de couverture à l'action syndicale, voire politique, entravées par des obstacles légaux. Les premières associations véritablement syndicales (1857) verront le jour dans l'industrie du textile en Flandre, toujours sous couverture de société mutualiste. Après des débuts laborieux, dus tant aux obstacles légaux qu'au régime électoral censitaire, le mouvement ouvrier va s'implanter peu à peu, sans pouvoir être justement représenté dans les chambres. Le suffrage universel des hommes sera donc un de ses principaux combats. La première organisation véritablement socialiste, l'Association de la Démocratie militante Le Peuple, naît en 1860 et son journal deviendra en 1866 l'organe de la représentation belge de l'AIT (l'Association Internationale des Travailleurs, dite Première Internationale). Les représentants belges de l'AIT eurent souvent une position médiane entre bakouninistes et marxistes, l'éclatement entre les options des des différents groupes se retrouvant sur le terrain belge. Après plusieurs tentatives unificatrices infructueuses, un parti ouvrier socialiste naît en 1879, mais les différends entre partisans de l'action politique (en Flandre et à Bruxelles essentiellement) et anarcho syndicalistes (majoritaires en Wallonie) fragilisent le mouvement. En 1880, année de la première grande manifestation nationale pour le suffrage universel (des hommes), la part de la population occupée dans l'industrie dépasse pour la première fois celle occupée par l'agriculture (7).
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Bipolarisation.
De la fin de l'unionisme à 1884, la vie politique belge s'est bipolarisée, entre la gauche libérale et la droite catholique, autour de la question de la laïcisation de l'État. La formation de ces deux partis est parallèle même si leurs dates officielles de fondation diffèrent. Ils ont une assise électorale préexistant à leur naissance, ce qui ne sera pas le cas du troisième grand parti, le parti ouvrier. L'apparition de ce dernier modifie les équilibres. Sur l'axe gauche-droite, tant que le clivage dominant était interne à la classe censitaire, la gauche libérale, anticléricale, s'opposait à la droite catholique conservatrice. Quand le clivage dominant traversera l'ensemble de la société, traduisant un antagonisme entre classes et non plus au sein d'une classe, les libéraux vont s'identifier à une fraction de la classe dominante et les socialistes à une fraction de la classe dominée, tandis que les catholiques vont prétendre transcender les classes sociales.
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Un État au bord de l'explosion.
Dans les deux premières parties, nous avons commencé à cartographier le paysage socio politique procédant de la Belgique contemporaine. Nous verrons ici l'apogée et le déclin de ce processus, conduisant aujourd'hui cet État au bord de la sécession, dans une atmosphère de scandales politico judiciaires et de déliquescence sociale.
Les "standen"
Sous la double pression du mouvement ouvrier et du mouvement flamand, l'État belge va être contraint d'ouvrir peu à peu le droit de vote et les assemblées à tous (le vote plural date de 1893, le suffrage universel des hommes de 1919). La récession économique, les effets directs et indirects de la seconde révolution industrielle (massification du prolétariat, de la presse populaire, exode rural, etc), la création d'un parti ouvrier unifié et la sanglante répression des mouvements sociaux de 1886 accentuent la cristallisation politique sur base de classes. De la fusion de divers groupes politiques avec une soixantaine de "sociétés ouvrières" (syndicats, mutualités, coopératives et ligues) va naître en 1885 le Parti Ouvrier Belge. Par réaction, une tendance démocrate-chrétienne se constituera au sein du parti catholique, sur les mêmes bases organisationnelles, et verra ainsi progressivement se transformer les oeuvres ouvrières chrétiennes en syndicats, mutualités et coopératives. Le monde libéral tentera de faire de même, avec plus (les mutualités) ou moins (les unions libérales ouvrières) de succès. Les trois grands piliers ("standen") de l'histoire politique belge se mettent ainsi en place pour près d'un siècle. L'existence du POB va pourtant modifier la nature de ses opposants : s'il partage l'anticléricalisme du parti libéral, par son action réformatrice sur le plan social il pousse les libéraux à ne plus s'identifier qu'à la bourgeoisie anticléricale. La combinaison de l'influence de Léon XIII (Rerum Novarum) et la peur de l'influence socialisante sur les masses poussera le parti catholique à l'interclassisme et à la création d'organisations ouvrières chrétiennes.
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Trente ans de gouvernements catholiques.
De 1884 jusqu'à 1914, les catholiques, favorisés par les votes censitaire et plural, tiennent la majorité dans les deux chambres et forment seuls les gouvernements. À l'opposé les socialistes, pour les mêmes raisons, n'y seront représentés qu'à partir de 1894. Entre 1886 et 1913, les manifestations et les grèves pour le suffrage universel firent près de 50 morts et plusieurs centaines de blessés. La politique ouvertement cléricale et conservatrice de ces trente ans de gouvernement forgera une solide contre-alliance entre libéraux et socialistes en matière d'enseignement et de législation civile. Il en restera pourtant un enseignement libre (comprenez catholique) numériquement équivalent à l'école publique en Wallonie et majoritaire en Flandre. Subventionné par l'État, mais sous l'autorité du clergé, ses programmes sont établis par l'État mais l'enseignement de la religion est obligatoire dans les deux réseaux. Les futurs gouvernements laïcs ne pourront en réduire le poids. Par ailleurs, l'aube du siècle verra l'internationalisation des activités des grands groupes financiers et industriels de Belgique : Empain, Solvay, Société Générale, etc... La première guerre mondiale aboutira à donner un coup d'accélérateur aux revendications tant linguistiques qu'ouvrières, suscitant aussi une réforme électorale à l'origine d'une constante politique jusqu'à nos jours : la nécessité de coalition pour gouverner. Le mouvement flamand sortira de la Grande Guerre renforcé et radicalisé. L'usage unique du français par les officiers aura de nombreuses conséquences malheureuses et servira d'argument moteur du mouvement flamand.
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Radicalisation de la question linguistique.
Dans les années trente, de nombreux éléments annonciateurs de l'importance sans cesse grandissante de la question linguistique ont été des facteurs d'instabilité gouvernementale : la naissance et la stabilisation en Flandre de partis à caractère linguistique ; le pouvoir croissant, comme groupes de pression transversaux aux courants politiques, des mouvements flamand et wallon ; les prééminences électorales toujours plus différenciées entre le nord (chrétiens) et le sud (socialistes). Ainsi les gouvernements successifs se sentiront contraints, toujours trop modestement au goût des mouvements nationalistes flamands, d'apporter des modifications aux législations linguistiques. Seule la collaboration des nationalistes flamands avec les occupants allemands ralentira un peu cette dynamique dans l'immédiate après-guerre (1944-1961), mais une accumulation de facteurs à forte composante émotionnelle poussera à une différenciation accentuée de sensibilité entre les populations du nord et du sud : · Les problèmes linguistiques au front en 14-18, cités plus haut. · Les lenteurs politiques à la "flamandisation" des études supérieures (l'Université de Gand, la première, ne fut "flamandisée" qu'en 1930) et à introduire l'usage du flamand dans les administrations et la justice. · Les conséquences différenciées de l'occupation allemande : l'attitude favorable des autorités occupantes envers les mouvements nationalistes · Dans le prolongement de cette situation, la "question royale" (1944-1950) : les sympathies du roi Léopold III pour le Reich rendirent impossible son retour jusqu'au référendum de 1950 sur cette question. Les résultats exprimèrent de profondes divergences régionales, liées aux sentiments sur la collaboration, avec 72% d'avis favorables en Flandre contre seulement 42% en Wallonie (48% dans l'arrondissement de Bruxelles). Le gouvernement social-chrétien, majoritaire dans les deux chambres, crut pouvoir décréter le retour du roi sur base de cette "majorité nationale", mais cette décision provoqua tant de mouvements de grèves et d'affrontements violents dans les centres industriels wallons que le roi renonça au trône en faveur de son fils Baudouin. flamands (qui s'étaient pour la plupart fascisés dans les années 30) et la libération des seuls prisonniers de guerre flamands créèrent un climat plus favorable à la collaboration. La revendication de l'amnistie des peines pour faits de collaboration reste une des principales exigences du mouvement flamand contemporain.
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Le système social : un ciment.
La société belge renforça la structuration de l'État suivant les fameux "piliers" ; en instaurant un système de sécurité sociale et d'assurance maladie-invalidité qui institutionnalisait le pluralisme des mutualités. Il en sera de même pour l'institutionnalisation et le financement des caisses de chômage par l'intermédiaire des syndicats (l'une des raisons du taux exceptionnel de syndicalisation : près de 70%). Ces structures para-étatiques à caractère unitaire sont aujourd'hui le dernier ciment de la Belgique fédéraliste et la principale cible des exigences confédéralistes, voire séparatistes.
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Fédéralisation.
Cependant, le clivage linguistique va conduire à une très profonde réforme de l'État : la fédéralisation des structures et la mise en place d'un double découpage, d'une part linguistique et culturel (communautés flamande, française et germanophone), et d'autre part géographique et économique (Régions flamande, wallonne et bruxelloise). La Belgique compte ainsi sept gouvernements et près de quarante ministres (ou équivalents) pour 10 millions d'habitants. Les grands partis eux-mêmes intégreront ce découpage par une scission linguistique. L'apparition de partis régionaux en zone francophone, la constitution d'unions patronales et d'entreprises francophones face à des homologues flamands, la régionalisation des structures syndicales viendront compléter le visage mosaïque de la Belgique moderne. À l'image de la démocratie chrétienne en Italie, la fédéralisation de la Belgique accentuera les tendances lourdes de la "standenorganisatie" (la piliarisation), en faisant du parti social- chrétien flamand (CVP) et de la social-démocratie Wallonie (PS) quasiment des partis-États dans leurs régions respectives. Aujourd'hui, la position différente des régions face au prolongement de la crise économique mondiale (vieilles industries lourdes en déclin et 25% de chômage au sud contre des PME modernes et 10% de chômage au nord) contribue à augmenter la pression flamande pour un transfert de pouvoirs supplémentaires de l'État fédéral vers les régions et pour la fédéralisation de la sécurité sociale.
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Dynamique séparatiste.
La dynamique séparatiste, renforcée par les exigences européennes pour la monnaie unique (la Flandre les remplirait plus facilement si elle ne devait tirer le "boulet", wallon) devrait subir une nouvelle accélération sous la pression flamande lors de la prochaine révision constitutionnelle devant approfondir le fédéralisme à l'horizon 1999-2001. Si la Flandre pose la question de la scission de la sécurité sociale comme préalable incontournable, l'État fédéral perdra l'essentiel de ses dernières raisons d'existence. Et c'est là le scénario le plus favorable. Car, étant donné l'état d'esprit actuel du personnel politique flamand (alors qu'une légère majorité de Flamands sont toujours favorables à un État fédéral), des exigences sécessionnistes n'auraient rien de surprenant. La véritable question à moyen terme (2010-2020) est beaucoup plus de savoir sur quel modèle se fera le divorce (à la tchécoslovaque ? à la yougoslave ?) que de savoir s'il aura lieu. La question de Bruxelles (80% de francophones, entourée de territoires flamands), revendiquée comme capitale par la Flandre, deviendra sans aucun doute le point de cristallisation des agressivités réciproques, à moins qu'une solution européenne (Bruxelles devenant capitale européenne à statut extra-territorial par exemple) ne résolve les divergences.
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Scandales politico-judiciaires .
Les deux dernières années ont considérablement modifié la sensibilité des Belges face à leurs institutions, effritant profondément la confiance des citoyens dans ce système de "standen". L'affaire Dutroux et ses conséquences sont, sur le plan politique, la goutte qui a fait déborder le vase. Depuis quinze ans, une longue succession de scandales politico-judiciaires avaient secoué la Belgique dans une apparente indifférence la population : ballets roses bruxellois début 80 (une affaire de moeurs mêlant des juges pour enfants, des hommes politiques et la famille royale, qui a été étouffée) ; tueries du Brabant (attaques sanglantes et meurtrières de complexes commerciaux avec un rendement financier quasi nul, mais ayant suscité un fort renforcement de la gendarmerie dans un contexte terroriste style "années de plomb" à l'italienne, jamais élucidées) : assassinat d'André Cools ex-premier ministre et e x-président du PS, promoteur de tout un réseau économique para-étatique, resté maître de la Wallonie alors qu'officiellement il n'était plus que bourgmestre de sa petite ville ; on tient les tueurs, mais pas les commanditaires) ; affaire Dassault et consorts (financement occulte des partis politiques, principalement les deux PS, affaire qui pourrait être liée à l'assassinat de Cools ; les divers ministres ou responsables "mouillés", après un bref écartement, ont tous retrouvé une place aujourd'hui ; les poursuites traînent en longueur, des pièces à conviction disparaissent, des témoins se rétractent ou changent de version) ; le rôle du gouvernement belge dans le génocide rwandais (complicité au minimum passive dans l'armement et le soutien financier aux milices génocidaires), etc...
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Le mouvement "blanc".
Pour la population, l'affaire Dutroux, et surtout la retransmission télévisée intégrale de l'enquête parlementaire sur les dysfonctionnements de l'enquête judiciaire, est venue achever le reste de confiance dans les institutions et relancer une dynamique de contestation généralisée à caractère démocratique. Il faut briser quelques lances contre l'attribution de caractère "populiste-poujadiste" aux mouvements blancs : un an après les faits, il subsistait près de 130 Comités blancs, organisant à divers degrés près de 5.000 personnes (3.000 en Wallonie, 1.000 en Flandre et 1.000 à Bruxelles). Ils ont organisé plus de 250 Marches blanches totalisant plus de 560.000 manifestants. La composition sociale des comités reflète en général celle de la population globale, avec une prédominance des classes moyennes. La semaine précédant la Marche blanche des 300.000 à Bruxelles, la justice décida le dessaisissement du juge d'instruction qui, après une demi douzaine de prédécesseurs, venait enfin de faire arrêter Dutroux et ses complices. Il s'ensuivit une "semaine folle" à caractère pré-insurrectionnel : 129 manifestations étudiantes, 78 interruptions de travail, 88 barrages et occupations d'axes routiers importants, 19 actions "dures" face aux Palais de Justice... au total plus de 500 actions et un demi-million de participants avant le Dimanche blanc. Essentiellement ouvrière et étudiante, parfois violente, surtout en Flandre, cette semaine de contestation a eu un réel caractère "classiste", car le dessaisissement du juge Connerotte - un "petit juge" - sera explicitement perçu comme un acte de justice de classe, une injustice de trop. Une enquête sociologique approfondie du Mouvement blanc, qui vient de paraître, montre que, loin des fantasmes "poujadistes", les exigences sont beaucoup plus de démocratie dans la justice que de solutions autoritaires. Cela se traduit chez les marcheurs blancs par 84% de méfiance à l'égard des partis politiques, 77% par rapport à la justice, 69% vis-à-vis du gouvernement, 53% face au patronat, 60% face à l'enseignement et 46% face à la monarchie. Un aspect majeur est que nul parti (excepté un peu Écolo, suite au rôle qu'il a joué dans la commission parlementaire d'enquête), pas même l'extrême-droite, ne bénéficie de cette perte totale de crédibilité des institutions dans leur ensemble. En août 1997, un sondage rapportait que 64% des Belges estimaient que le pouvoir n'avait pas ou presque pas tenu compte de leurs attentes et que 10% se disaient prêts à participer à une nouvelle marche blanche sur Bruxelles. Il n'est pas à douter que dorénavant les prises de positions politiques, tant au nord qu'au sud, devront se faire non plus seulement par rapport aux questions économiques, sociales, linguistiques et confessionnelles mais aussi par rapport aux questions de démocratie et de justice portées par le mouvement blanc.
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Didier Brissa. Journaliste à Liège.
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Cette synthèse est repiquée du Mensuel Archipel édité par le Forum Civique Européen.
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NOTES ---------

(1) Le recensement de 1848 relevait déjà que pour 42% de francophones, il y avait 57% de {flamandophones}, 1% de la utilisant l'allemand. Plus précisément, à cette époque seulement 10 à 15% de la population utilise principalement le français, l'immense majorité parlant son dialecte flamand ou wallon. Cette minorité trans-ethnique et nationale se retrouve essentiellement dans la bourgeoisie et les classes moyennes, ayant respectivement 45.000 et 140.000 électeurs censitaires.
(2) Notamment par l'exclusion d'un certain Karl Marx qui vivait à Bruxelles depuis 1845.
(3) Cet article ne sera aboli qu'en 1866. Jusque là les coalitions ouvrières seront reprises dans les statistiques annuelles de la criminalité, régulièrement et très brutalement réprimées.
(4) Dont notamment Louis de Potter, acteur de 1830 et éditeur d'une étude sur la Conspiration des Égaux ou encore le baron Jean-Hyppolite de Colins, auteur du Pacte social et père spirituel du socialisme belge non- marxiste.
(5) Néologisme créé par l'auteur : presque un siècle d'enseignement obligatoire du néerlandais en Flandre n'est pas encore parvenu à normaliser les différents patois flamands, restés très vivants. Il existe un néerlandais {administratif} et des flamands parlés par la population.
(6) Par ailleurs grand Maître du Grand Orient de Belgique. Ceci pour rappeler le rôle majeur des loges maçonniques dans la population belge intérieure et extérieure. Ce que Claude Wauthier mentionne pour l'ancienne Afrique française (Monde Diplomatique de septembre 1997) est valable pour les rapports entre la Belgique et le Congo-Kinshasa, le Rwanda et le Burundi, en particulier pour les loges chrétiennes. Par ailleurs, avant la mort d'André Cools, ex-Premier ministre et ex-président du PS, on avait coutume de dire que les décisions se prenaient plus souvent à la loge de Flémalle (commune dont il était bourgmestre) que par les instances du parti.
7) En 1871, près de 8.000 enfants de moins de quatorze ans travaillaient dans les mines.

FICHIER EDVIGE.


LIBERATION. Contre Journal.18 juillet 2008.
«Le fichage Edvige n'a aucun rapport avec l'ordre public».
«Le nouveau fichier Edvige des "personnes portant atteinte à l'ordre public" est un pas de plus vers une société de surveillance généralisée» estime Jean-Pierre Dubois, président de la Ligue des Droits de l'Homme (LDH). La création de ce fichier qui mêle citoyens ordinaires et responsables politiques, discrètement annoncée au Journal officiel du 1er juillet, provoque une mobilisation sans précédent. Plus de 27.000 personnes et 245 associations ont d'ores et déjà signé la pétition pour l'abandon du fichier. La Ligue des Droits de l'Homme a décidé de saisir le Conseil d'Etat. La pétition est
ici.
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Jean-Pierre Dubois : « Il s'agit d'un pas de plus vers une société de surveillance généralisée. Edvige (Exploitation documentaire et valorisation de l'information générale) est un nouveau fichier qui s'inspire des caractéristiques de l'ancien fichier des Renseignements généraux, en les aggravant. Il est créé en même temps que la fusion entre les Renseignements Généraux et la DST (Direction de Surveillance du Territoire), au sein d’une même agence de renseignements — la Direction Centrale de la Sécurité Publique. Son but est de recenser des personnes susceptibles de porter atteinte à l'ordre public, en dehors du cadre des procédures judiciaires et ce, pour des gens qui n'ont pas de casier. Mais ce fichage est censé inclure les responsables syndicaux, chefs d'entreprises ou personnalités politiques, qui n'ont aucun rapport avec la notion d'ordre public mise en avant (1). Les informations concerneront à la fois le domaine public comme l'appartenance politique, l'engagement associatif, l'appartenance religieuse mais aussi des données beaucoup plus personnelles comme l'orientation sexuelle ou la situation familiale.
(1) Il recensera, de manière systématique et généralisée, toute personne « ayant sollicité, exercé ou exerçant un mandat politique, syndical ou économique, ou qui joue un rôle institutionnel, économique, social ou religieux significatif ».

Ce mélange des genres est extrêmement choquant puisqu'on confond les « délinquants » et les citoyens paisibles. La deuxième critique concerne le fichage de mineurs dès l'âge de 13 ans. Même si la ministre de l'Intérieur, Michèle Alliot Marie, a affirmé que la majorité pénale était effective à cet âge là, on sait qu'elle n'est prise en compte par les tribunaux que dans des cas exceptionnels.
Edvige ignore la séparation des pouvoirs politiques, judiciaires et informatiques puisque il n'y a plus de distinction entre une décision de justice et un fichage politique. Il viole aussi la présomption d'innocence puisqu'il n'y a pas de jugement. La consultation directe au fichier n'est pas possible, sauf en passant par la CNIL, la contestation non plus. On sait pourtant que certains employeurs s'informent sur leurs salariés grâce aux Renseignements Généraux.
A l'heure actuelle, environ 20 millions de personnes sont fichées. La majorité des Français n'en a pas conscience et estime qu'elle n'a rien à cacher, mais les dérives existent. Le fichier national automatisé des empreintes génétiques (FNAEG) était, par exemple, destiné à l'origine au fichage des délinquants sexuels mais il est aujourd'hui utilisé pour des délits comme les infractions routières. La situation est encore plus complexe en ce qui concerne le STIC (Système de Traitement des Infractions Constatées ) puisqu'il s'agit d'une base de donnée interconnectant les fichiers policiers et répertoriant toute personne ayant été concernée par une procédure judiciaire (crimes, délits et contraventions diverses et variées), qu'elle soit mise en cause ou bien... victime. Et quand bien même le mis en examen est blanchi. Nous ne sommes pas hostiles au recours à des outils informatiques si ceux-ci sont réservés à des cas précis et n'engendrent pas l'expansion permanente du fichage des individus.
On entre aujourd'hui de plus en plus dans un État informatique, avec le développement de techniques de surveillance (caméras, puces à radio fréquence présente dans les cartes de crédit, de transport ...). La vidéo surveillance n'est pas aussi visible que les contrôles d'identité. Cela n'en reste pas moins une privation de liberté et une remise en cause de la protection de la vie privée. Ces évolutions techniques entraînent un rapport de plus en plus déséquilibré entre le citoyen et le pouvoir.
Ce fichier ouvre la porte à une stigmatisation de la population et à toutes formes de discrimination. Cette logique de contrôle social exercé par l'État est aujourd'hui incontrôlée. Alors qu'en droit pénal, une infraction doit être précise, qu'entend-on aujourd'hui derrière le terme "d'atteinte à l'ordre public" ?
Avec d'autres organisations comme le syndicat de la Magistrature, Le collectif Droits Et Libertés face à l'Informatisation de la Société (DELIS), IRIS (Imaginons un Réseau Internet Solidaire), la ligue Des Droits de l'Homme a décidé de saisir le Conseil d'Etat.»
Réalisé par Laura Roland.

CRISE MONDIALE : EXCES DE LIQUIDITE ?


Ma chanson fait le tour
de la favela ou d'une tour
se méfie du serpent
- monétaire - évidemment
Tu rêvais d'abolir les frontières
la musique devenait planétaire
mais la violence a ses clients
pris dans la machine
où sont tes rêves tes évasions ?
On n'oublie jamais
d'ensoleiller les imaginations
Bernard LAVILLIERS.



ECONOMIE. Le Temps. «L'excès de liquidité est déjà en train de fabriquer la prochaine crise mondiale»
Patrick Artus: «En continuant ainsi, on finira bien par tuer le système bancaire.»
Patrick Artus, économiste, auteur, chef des études économiques de la banque Natixis.
Sylvain Besson, Paris; Samedi 19 juillet 2008 .
Retour de l'inflation, chute des bourses, banques qui vacillent... La crise issue de l'éclatement de la bulle des «subprime» donne des sueurs froides aux acteurs financiers. Spécialiste de la politique monétaire, l'économiste français Patrick Artus porte un regard lucide sur la situation.

Le Temps: Vous aviez vu juste, l'été dernier, en prédisant que la crise des crédits immobiliers américains serait sévère et de longue durée. Quel est votre pronostic pour les prochains mois?
Patrick Artus: Ce qu'on a vu, c'est le dernier avatar de cette crise mouvante, liée à l'excès de liquidité qui a été investi, au début des années 1990 déjà, dans l'immobilier, puis dans les pays émergents, puis dans les nouvelles technologies, puis, de 2002 à l'été 2007, à nouveau dans l'immobilier, cette fois dans les crédits ou les actifs financiers liés à ces crédits. Le ralentissement actuel est l'effet de l'arrêt du soutien aux ménages par la liquidité, c'est-à-dire l'arrêt de la croissance qui venait de l'augmentation de l'endettement des ménages. Elle était très forte à peu près partout, sauf dans deux pays, l'Allemagne et le Japon, qui sont aujourd'hui peu touchés. Si vous excluez ces deux pays, vous avez une crise mondiale. Et ce n'est pas un ajustement cyclique - il y a bien sûr une composante cyclique, parce qu'on a trop de maisons invendues - mais la perte, probablement définitive, du supplément de croissance qui venait de l'endettement des ménages. A cela, il faut bien sûr ajouter la flambée du prix du pétrole, mais ça n'est pas l'essentiel: de très loin, ce qui explique le ralentissement, c'est l'arrêt des prêts aux ménages. Quand vous chiffrez cette perte, vous voyez que la croissance passe de 2,5 à 1,5% en France, de 2 à 1% en Italie, de 3 à 1,5% au Royaume-Uni. Si vous prenez la zone euro, la croissance des crédits aux ménages est passée de 15% à 4%, et continue à ralentir. L'encours de crédit représente 90% du revenu annuel d'un ménage européen moyen; celui-ci vient donc de perdre l'équivalent de 10% de son revenu! Nous sommes arrivés à la saturation complète de ce qui a fabriqué la croissance depuis dix ans. Donc, c'est méchant, mais ça n'est pas une récession, parce qu'à la différence des années 1990 il y a un bout du monde qui s'appelle les pays émergents. Ils apportent environ 1,5% de croissance à la zone euro et aux Etats-Unis. Mais on est passé d'une croissance forte à une croissance faible. Cela risque de durer très longtemps - peut-être trois, quatre ans... - Autant que ça? - Oui, car on ne voit pas cette liquidité extraordinairement abondante dont je parlais revenir vers les ménages avant de nombreuses années. Au Royaume-Uni, l'endettement d'un ménage moyen équivaut à 170% d'une année de revenu. Aux Pays-Bas, c'est 180%; aux Etats-Unis, 140%. Et c'est arrivé très vite: en 1998, l'endettement représentait seulement 68% du revenu d'un ménage espagnol, aujourd'hui, c'est 145%. Pendant les dix prochaines années, le ménage européen va donc plutôt essayer de diminuer son taux d'endettement.
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- Le problème central, dites-vous, c'est la liquidité. Mais de quoi s'agit-il? Cet argent qui se balade partout, d'où vient-il?
- Les états émergents d'Asie et les pays producteurs de pétrole ont d'énormes excédents. Si nous étions dans un monde de taux de change flexibles, leurs monnaies s'apprécieraient énormément par rapport au dollar. Mais, comme ces Etats veulent empêcher cela, ils ont accumulé depuis une dizaine d'années d'énormes réserves de change, ce qui veut dire, simplement, qu'ils achètent des avoirs en dollars. Or, aujourd'hui, cette accumulation de réserves de change est plutôt en train d'accélérer. La base monétaire du monde - c'est-à-dire les liquidités créées volontairement par les banques centrales - a augmenté de 1600 milliards de dollars en un an, de juin 2007 à juin 2008. Et le crédit mondial a augmenté de 8500 milliards de dollars en un an! Quand vous lisez dans la presse que les entreprises ou même les banques ont des problèmes de liquidité, c'est strictement faux. Les dépôts bancaires dans la zone euro ont augmenté de 16% en un an. Il y a certains endroits où la liquidité ne va plus: le crédit immobilier, ou le marché des prêts interbancaires, qui est mort. Mais qui finance la bulle spéculative sur le riz, le maïs, le soja? C'est évidemment la liquidité mondiale.
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- Mais on pourrait se dire que tout cet argent, c'est formidable! D'accord, c'est un peu chaotique, mais les affaires tournent...
- Bien sûr, quand il y a une crise, on est extrêmement content d'avoir des liquidités. Le problème, c'est que ça fabrique la prochaine crise. On peut prendre, comme vous venez de le faire, ce point de vue un peu cynique: and so what, on a une crise sur les actions, sur l'immobilier, sur les pays émergents, le Vietnam ou les pays Baltes explosent, mais le monde n'en meurt pas. Aujourd'hui, on continue d'avoir une politique monétaire mondiale violemment expansionniste: la liquidité a augmenté de 17% alors que la croissance nominale mondiale n'est que de 11%. Or, chaque crise de liquidité est plus violente que la précédente. Les prix du blé, entre juillet 2007 et mars 2008, où ils ont commencé à baisser, avaient été multipliés par 5! Les prix des maisons aux Etats-Unis et en France ont été multipliés par 2,5 entre 1999 et 2007. La conséquence, c'est que vous avez des gens qui ne peuvent plus se loger, qui ne peuvent plus manger, et que quand ça baisse, ça a tendance à tuer les gens qui avaient placé leurs économies dans les secteurs qui s'effondrent. En continuant ainsi, on finira bien par tuer le système bancaire. Là, on n'en est pas passé très loin. Les banques ont perdu à peu près 400 milliards de dollars, soit une année de résultat, ou un tiers de leurs fonds propres. Le secteur bancaire a résisté parce qu'il a trouvé des investisseurs, venus pour la plupart des pays émergents, qui ont souscrit à 400 milliards de dollars d'augmentation de capital. Supposez que ces investisseurs ne se soient pas présentés. Vous n'auriez plus UBS, ni Citibank, Merrill Lynch ou Barclays... Si la même crise s'était produite cinq ans plus tard, avec 17% de liquidité en plus chaque année, il aurait fallu trouver 1000 milliards de dollars. Toutes les banques seraient mortes, à part les deux ou trois qui n'auraient pas touché aux produits dangereux.
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- Où va se produire la prochaine crise?
- Si la prochaine crise est l'explosion d'un certain nombre de pays émergents, ce que je crois, ça n'affectera pas les banques. La bourse indienne, chinoise, c'est plus impressionnant que la bulle immobilière, sauf que personne n'en parle! Ensuite, je crois qu'on refera une bulle sur les actions des grands pays de l'OCDE. Ou alors, on va tomber dans une situation déflationniste à la japonaise: la banque centrale a fabriqué des tonnes de liquidités dont personne n'a voulu se servir et qui ne sont plus utilisées à rien. Ce sera ça, ou une énorme bulle bien pire que celle des «subprime».
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- Les Etats, les instances de régulation peuvent-ils empêcher ça?
- Le G7, le FMI, etc., essaient, mais ils vont réguler la crise d'avant. Ils veulent pénaliser la titrisation, pour empêcher la crise des «subprime»... comme après Enron ou Parmalat, on a fait Sarbanes-Oxley pour se débarrasser des problèmes de comptes truqués des entreprises. La régulation n'est jamais parvenue à empêcher la prochaine crise de se produire. La seule solution, c'est de maîtriser l'excès de liquidité.
Premier scénario: les Etats-Unis réduisent leur déficit extérieur - mais à chaque fois que leur économie ralentit, ils stimulent la croissance et empêchent le déficit de se réduire. En 2007, avec une croissance faible, leur déficit est aussi important qu'en 2006, année de boom!
Le deuxième scénario, c'est que le reste du monde laisse le dollar s'effondrer.
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- Ça pourrait se passer comment? Et quand?
- Un matin, on apprendra que l'Arabie saoudite, Hongkong, le Qatar ont décidé de laisser flotter leur monnaie vis-à-vis du dollar - les Emirats arabes unis sont déjà en train d'y réfléchir sérieusement. Et le dollar perdra 15% d'un coup. Ça peut se produire dans six mois, dans un an, personne n'en sait rien... A moins que Ben Bernanke, le patron de la Réserve fédérale, se révèle un gars sérieux. Mais ce n'est pas ce qu'on a vu puisque, dès qu'il y a eu un problème, il a ramené les taux d'intérêt à 2%.
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- Et les pays occidentaux ne peuvent rien faire? Ils savent pourtant que le problème existe...
- Avant le dernier sommet du G7, les officiels français nous ont dit: «Tout le monde sait que le problème, c'est le déficit extérieur des Etats-Unis. Mais le sujet ne sera même pas évoqué autour de la table!» C'est absolument impossible pour le G7 d'avoir une position là-dessus, car le déficit ne peut se réduire que par une récession que la politique américaine fait tout pour empêcher. Aujourd'hui, les ménages européens épargnent 14 à 15% de leurs revenus. Les Américains, 0,5%. Leur taux d'épargne n'a pas cessé de dégringoler depuis les années 1980. Or, ils ne peuvent pas financer indéfiniment leur croissance avec un taux d'épargne proche de 0%. Il leur faut un programme conduisant à une politique monétaire plus restrictive, sur la durée, pour augmenter le taux d'épargne. Le ménage américain, qui consomme essentiellement des produits importés, doit cesser de consommer.
Une autre possibilité, c'est le retour au protectionnisme... En ce moment, la seule vraie rupture, c'est l'augmentation du prix des matières premières. Mais les salaires n'augmentent pas, les prix des biens manufacturés n'augmentent pas, à cause de l'énorme réserve de travail dans les pays émergents, dont il faudra vingt ans pour venir à bout. C'est une situation longue et durable à laquelle on ne peut rien. Ou alors, on va revenir au protectionnisme, ce qui entraînerait un appauvrissement épouvantable de la planète. Quand vous lisez Barack Obama dans le texte, il y a de ça. Mais je pense que ce n'est pas très crédible. Aujourd'hui, ce ne sont pas les entreprises chinoises qui nous mangent, mais nos propres entreprises, qui font fabriquer leurs produits en Chine. On n'imagine pas les gouvernements se retourner contre leurs entreprises.

vendredi 18 juillet 2008

LE CREPUSCULE DES BELGES. 2.

Philippe Moreau-Defarges, chercheur à l'IFRI.
Belgique : "L'intégration européenne a un effet désintégrateur sur les Etats"
LEMONDE.FR 18.07.08 20h01 • Mis à jour le 18.07.08 20h41.
Pour Philippe Moreau-Defarges, spécialiste des questions européennes à l'Institut français des relations internationales (IFRI), la crise identitaire que traverse la Belgique illustre l'affaiblissement des Etats dans un environnement démocratique prônant le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes. Selon lui, l'intégration européenne accélère naturellement cette désintégration des Etats.

Le roi Albert II a refusé la démission du premier ministre belge, Yves Leterme, qui aura pour mdialogue ?

Philippe Moreau-Defarges : Le roi fait ce qu'il peut pour sauver l'unité de la Belgique, avec des pouvoirs extrêmement limités. Il a certainement le sentiment d'avoir affaire à une classe politique qui, dans sa majorité, se résigne sinon à l'éclatement de la Belgique, du moins à une formule confédérale très souple. Le diable est dans les détails : on voit bien que la crise se focalise de plus en plus sur des questions de partage de circonscriptions, sur des détails. Le pacte social et le lien Wallons-Flamands est tellement abîmé qu'on essaie de le rebricoler sans cesse, mais à force de le rebricoler, le résultat est de plus en plus précaire, compliqué et fragile.

La Belgique va-t-elle s'orienter vers un système confédéral ?
Il y a trois hypothèses. La première, c'est le statu quo ; au vu de la profondeur de la crise, il est exclu. La deuxième, c'est la confédération, c'est-à-dire une Belgique qui n'aura plus qu'un seul lien, le roi, et de très faibles éléments communs dont la politique étrangère et, sans doute, un statut particulier pour Bruxelles. C'est probablement la solution vers laquelle s'orientent les esprits les plus raisonnables. L'idée étant une séparation totale des dépenses sociales entre Wallons et Flamands.
La troisième hypothèse, c'est l'éclatement pur et simple de la Belgique. Rien n'est impossible en histoire, mais une éventuelle partition devra passer par un référendum. Or la Belgique ne peut pas prendre aujourd'hui le risque d'organiser un référendum qui déchaînerait les passions. Les indépendantistes demanderont un référendum chez les Flamands et un chez les Wallons ; les Wallons un référendum entre tous les Belges. D'un côté, cette question insoluble du référendum constitue une grande chance pour l'unité de la Belgique.En février, le Kosovo a proclamé son indépendance, reconnue par de nombreux pays européens. Des revendications indépendantistes existent aussi en Ecosse, au Pays basque, en Corse, en Belgique...
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S'agit-il d'une tendance de fond ?
Il y a en effet une tension croissante entre la stabilité des Etats et le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes. La première cause, c'est la paix, qui favorise la fragmentation des Etats et la remise en cause des acquis. Mais la question de fond, c'est la transformation radicale du pacte étatique, qui est devenu un instrument entre des groupes aux intérêts divergents. Si un jour les Flamands, les Ecossais, les Bretons, les Catalans ou les Québéquois disent démocratiquement par un vote qu'ils ne veulent plus faire partie de tel Etat, au nom de quoi peut-on les en empêcher ?
Lorsque certains Etats reconnaissent l'indépendance du Kosovo, ils reconnaissent le droit d'un peuple à se séparer d'un Etat parce qu'il ne s'y sent plus à l'aise. Les indépendantistes flamands ne demandent pas autre chose. Il y a un véritable problème lié à la démocratisation très profonde du pacte étatique et au fait que les acteurs de ce pacte disent : "Moi, je ne fais partie de ce pacte que dans la mesure où il me convient. Si ce pacte ne me convient pas, j'ai le droit de m'en aller." La démocratie est beaucoup plus qu'un régime politique, c'est une grande idée selon laquelle chacun a le droit d'être lui-même, à l'égal de l'autre. Ce qui implique que chaque peuple a droit à son propre Etat. On peut faire un parallèle extrêmement intéressant entre le divorce entre les individus et le divorce entre les peuples. La grande question est : qu'est-ce qu'un peuple ? Il y a donc un vrai problème entre la stabilité territoriale des Etats, dont le monde a besoin, et cette dynamique très forte de fragmentation.

L'intégration européenne accélère-t-elle cette désintégration des Etats que vous évoquez ?
Oui. L'intégration européenne a un effet désintégrateur sur les Etats membres. Les Etats perdent beaucoup de compétences qui sont transférées vers l'UE, et certains groupes estiment qu'ils n'ont plus besoin des Etats existants puisqu'il y a l'Europe. La construction européenne, qui reste en principe contrôlée par les Etats, doit donner la voix aux peuples, faire exister ces peuples, et contribuer par là même à la légitimation de ces mouvements.
L'UE n'a-t-elle pas au contraire intérêt à empêcher l'éclatement de la Belgique pour refermer cette boîte de Pandore ?C'est tout à fait vrai, mais en histoire, la raison ne l'emporte pas toujours, et même rarement. Les Etats de l'UE ont tout intérêt à empêcher l'éclatement de la Belgique, qui est au cœur de l'UE. Mais comment des Etats démocratiques pourront-ils s'opposer à une Flandre demandant démocratiquement à constituer son propre Etat ?

Quel pourrait être l'attitude de l'UE vis-à-vis de ces nouveaux Etats ?
C'est l'un des grands débats à venir. Si la Flandre devient indépendante, comme l'Ecosse peut-être un jour, sera-t-elle membre de droit de l'UE ou devra-t-elle poser sa candidature ? Supposons que demain, la Flandre devienne indépendante, pose sa candidature d'adhésion à l'UE, et que la Wallonie soit considérée comme l'Etat belge. Que va faire la Belgique wallonne ? Evidemment, elle dira non à l'entrée de la Flandre dans l'UE. On est au début de bras de fer extrêmement difficile entre les Etats tels qu'ils existent, la construction européenne et certains mouvements qui vont jouer la carte de l'indépendance.
Propos reccueillis par Soren Seelow

jeudi 17 juillet 2008

AUTOFICTION 2.

Sur http://etlonseditquilestbientard.blogspot.com/, je fais de l'autofiction.
Il est probable que l'article de presse extrait du Temps (quotidien suisse) de ce jour, vous donnera un bon éclairage de cette activité.

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Mémoire, tous tes souvenirs sont faux!
Avez-vous vu Bugs Bunny à Disneyland? Impossible! Mais on peut vous en persuader: il est si facile de façonner la mémoire... Un phénomène qui pourrait permettre d'apprivoiser les mauvais souvenirs.
Hervé Morin. Jeudi 17 juillet 2008.
De son effrayant voyage mental dans des contrées inexplorées de la mémoire, Beth Rutherford tire cette leçon: «Le pouvoir de suggestion est sous-estimé.»
A l'âge de 19 ans, cette Américaine, stressée par son travail d'infirmière, décide de consulter une psychothérapeute. Elle ne se doute pas alors qu'un passé enfoui va surgir et transformer sa vie. Au fil des séances de thérapie de «mémoire retrouvée», elle découvre qu'elle a été violée moult fois par son père entre 7 et 14 ans. Qu'il lui a fait subir un avortement. Accusé par sa fille, celui-ci perd son emploi et risque la prison.
«Je me souvenais qu'il avait introduit en moi des ciseaux et une fourchette, et d'autres horreurs», dit-elle dans un témoignage publié par la Fondation sur le syndrome des faux souvenirs. Car c'est bien de cela qu'il s'agit: rien de ce qu'elle croyait avoir enduré n'était arrivé. Comme devaient le montrer des examens médicaux, Beth était encore vierge, et son père avait subi une vasectomie bien avant les événements incriminés. Aux Etats-Unis, Beth est devenue un emblème du syndrome du faux souvenir. Depuis les années 1980, on compte des centaines de procès mettant aux prises des adultes accusant leurs parents d'abus sexuel ou de pratiques sataniques, puis se retournant contre le psychothérapeute ayant introduit ces «souvenirs» dans leur mémoire. En Europe, ces cas sont moins fréquents. La théorie psychanalytique y a-t-elle été mieux digérée? Freud a vite réalisé que les trop nombreux témoignages d'abus sexuels que faisait naître sa cure étaient le fruit de celle-ci. Ce qui l'a conduit à les ranger dans la catégorie des fantasmes. Paul Bensussan, psychiatre et expert auprès des tribunaux, a cependant eu l'occasion de poser à maintes reprises un diagnostic de «souvenir retrouvé» erroné. Selon lui, le monde judiciaire ne semble pas conscient de cette problématique: «En qualifiant d'emblée le ou la plaignant(e) de «victime» on a tendance à confondre crédibilité, sincérité et véracité. On est alors très loin de se demander s'il y a eu induction par un thérapeute et de s'interroger sur le rôle de celui-ci dans le dévoilement.» La question demeure: comment la mémoire humaine peut-elle à ce point être remodelée? La réponse est peut-être que, par essence, tous nos souvenirs sont faux ou, du moins, falsifiables. La psychologue américaine Elizabeth Loftus est une pionnière du sujet. Elle a d'abord pris conscience de la malléabilité des témoignages à travers des expériences sur le langage. L'une d'elles consistait à présenter un film montrant un accident de voiture et à demander à des sujets d'évaluer la vitesse des véhicules quand ils «s'écrasaient l'un contre l'autre». Elle a constaté que les estimations étaient moins élevées lorsqu'elle employait le verbe «percuter», plus neutre. Mais le plus surprenant, c'est qu'avec la première formulation, les «témoins» disaient avoir vu du verre brisé sur la chaussée alors que ce n'était pas le cas. Ces observations ont conduit Elizabeth Loftus à imaginer des stratagèmes pour induire des faux souvenirs. Certains sont plus réceptifs à ces remodelages de la mémoire - notamment ceux qui croient avoir vécu des expériences de vies antérieures. Les techniques de transformation des souvenirs sont innombrables: insérer des personnages dans un album photo, introduire une histoire familiale fictive au milieu de témoignages véridiques... Un quart des participants à ce type d'expérience ont été persuadés qu'enfants, ils s'étaient perdus dans un centre commercial. Nombre ont assuré avoir vu à Disneyland Bugs Bunny, le lapin de dessins animés appartenant à la société concurrente, Warner Bros. D'autres ont cru avoir été intoxiqués par des aliments, refusant de les inclure dans un menu fictif. «Quand vous changez un souvenir, cela vous change», dit Elizabeth Loftus. Trente-cinq ans de recherches sur les distorsions de la mémoire l'ont convaincue que «les souvenirs ne sont pas la somme de ce qu'une personne a fait, mais bien plus la somme de ce qu'elle a pensé, de ce qu'on lui a dit, et de ce qu'elle croit». Cette conviction a conduit, dès 1997, le Royal College of Psychiatry britannique à enjoindre aux psychiatres anglais d'«éviter de recourir à toute technique de réactivation des souvenirs basée sur l'hypothèse de violences sexuelles anciennes dont le patient a perdu le souvenir». D'autres chercheurs tentent d'améliorer le système judiciaire en proposant des procédures d'interrogatoire le plus neutres possibles. Pour «figer» les détails d'une scène criminelle dans la mémoire des témoins, Lorraine Hope, de l'Université de Portsmouth, a mis au point avec la police un questionnaire «autoadministré», afin d'éviter les biais de suggestion. Ceux qui le remplissent donnent des indications bien plus précises que ceux à qui on demande simplement de se souvenir «du maximum de détails». Les psychologues ne sont pas les seuls à se passionner pour les faux souvenirs. Depuis une dizaine d'années, les processus cérébraux soupçonnés de faciliter leur formation sont au cœur d'une petite révolution en neurobiologie. «Nous cherchions tout autre chose», se souvient Susan Sara (Collège de France). En 1997, elle testait des molécules pour mesurer leur impact sur les performances d'orientation de rats placés dans un labyrinthe. «Le lendemain des injections, ils se comportaient comme s'ils étaient amnésiques, vis-à-vis d'un parcours qu'ils connaissaient par cœur.» Cette observation l'a conduite à proposer un nouvel étage dans les processus de mémorisation, la reconsolidation. Nombre d'expériences avaient déjà montré que les apprentissages deviennent plus robustes avec le temps, à mesure que les réseaux neuronaux qui en portent la trace se renforcent. C'est la consolidation - dans laquelle le sommeil joue un rôle fondamental. Par la suite, lorsqu'un indice réveille un souvenir (pour le rat, une lumière associée à un apprentissage), le réseau neuronal correspondant redevient labile, malléable, en général pour être renforcé. Mais ce mécanisme dynamique ouvre la voie à des transformations plus radicales, notamment si on fait intervenir artificiellement des molécules impliquées dans la cascade de réactions physico-chimiques qui commandent la vie des neurones et de leurs contacts synaptiques. C'est ce qui a entraîné l'amnésie des rats de Susan Sara. Ce phénomène de réactivation ouvre, selon la neurobiologiste Pascale Gisquet (Université Paris Sud), des perspectives thérapeutiques. Notamment vis-à-vis de pathologies psychiatriques «qui pourraient en fait résulter d'un hyperfonctionnement des processus de la mémoire». Elle évoque ainsi l'exemple de l'état de stress post-traumatique (ESPT), qui amène 17% des personnes soumises à des événements dramatiques à les revivre en boucle... Des premiers résultats encourageants montrent qu'une molécule, le propanolol, administrée à des personnes souffrant d'ESPT au moment où on leur demande de raconter l'événement traumatisant, conduit à une réduction significative de ces réponses physiologiques. «C'est la première fois que l'on cible la mémoire sur le mode thérapeutique», se félicite Karim Nader (Université McGill, Montréal), l'un des auteurs de cette étude. «Chez les drogués, ajoute Pascale Gisquet, la rechute est souvent provoquée par des souvenirs de prise de drogues provoqués par des indices qu'ils rencontrent dans leur environnement» - la vue d'une petite cuillère ou d'une cage d'escalier sombre peut ainsi faire renaître un besoin incoercible de drogue. Serait-il possible d'affaiblir ce circuit fatal en jouant sur la réactivation induite par de tels indices? A nouveau, le propanolol a été mis à contribution, sur des rats qui avaient été conditionnés à s'autoadministrer de la cocaïne ou du sucre en présence de certains stimuli. L'injection de propanolol a permis de dégrader ce conditionnement, comme si les rats avaient oublié que ces stimuli étaient le signal qu'ils allaient pouvoir (devoir?) assouvir leur addiction. «Chez l'homme, pour cibler et affaiblir les indices pertinents susceptibles d'induire une rechute, il faudrait probablement passer par des questionnaires, estime Jonathon Lee (Université de Cambridge), coauteur de l'étude. Et s'assurer que l'injection n'entraîne pas de pertes de mémoire étendues.» «La reconsolidation est un phénomène très intéressant. Mais il est encore trop tôt pour savoir ce qui en sortira», tempère le Nobel de médecine Erik Kandel. Lui aussi a acquis la conviction que la mémoire est en quelque sorte une œuvre de fiction: «Quand je vous regarde, mon cerveau ne vous photographie pas, mais construit à partir des contours de votre visage une image de vous, qui sera différente de celle construite par une autre personne.» Quand il se souviendra de cette discussion, assure-t-il, ce processus mental se répétera. «La mémoire est une reconstruction d'une reconstruction, qui change en permanence. Pour chaque souvenir, il y a une chance de distorsion», dit Erik Kandel. Auteur d'une passionnante autobiographie*, il avoue s'être posé la question de la véracité de certains détails qu'il y relate...
«Le souvenir est création», résume le neuropsychologue Francis Eustache, que la relativité de la mémoire rend philosophe: «Lisez Bergson, dans Matière et mémoire: pour évoquer le passé [...], il faut savoir rêver.»
Le Monde * «A la recherche de la mémoire», Eric Kandel, Odile Jacob, 512 p.



Hémisphère culturel «Total Recall», une vie recréée de toutes pièces. Elsa Duperray.
Un implant.
Rien de tel qu'un implant dans le cerveau pour induire de faux souvenirs. Voici un stratagème que n'aurait jamais pu imaginer Elizabeth Loftus, la psychologue citée ci-dessus. Sauf si elle a un jour regardé Total Recall. En français: se souvenir de tout. Se souvenir surtout de qui on est. Telle est l'irrépressible quête identitaire que mène Douglas Quaid, sous les traits d'Arnold Schwarzenegger, dans le film de Paul Verhoeven, tourné en 1990. Toutes les nuits, Douglas fait le même rêve à propos de Mars. Tout est si net qu'il pense y être déjà allé et souhaite y retourner, ce dont l'en dissuade Lori (Sharon Stone), sa femme. Un «voyage» virtuel et mental sur Mars va alors réveiller certains souvenirs et lui révéler que toute sa vie - celle qu'il croit être la sienne- n'est que pure invention. Douglas a en réalité été reconditionné mentalement: un implant, placé dans son cerveau à son insu, a effacé sa mémoire et lui suggère à la place de nouveaux (faux) souvenirs, créés de toutes pièces. Inventés, ses huit années de mariage avec Lori (qu'il ne connaît en fait que depuis six semaines) ses collègues, son travail, ses amis. Tout est irréel. Perdu entre illusion et vérité, Schwarzenegger tente de se reconstruire en retrouvant ses propres souvenirs. Pour lui, la mémoire définit l'individu. Erreur, nous explique Verhoeven. «Pourquoi veux-tu retrouver ta mémoire?» fait-il dire à l'un de ses protagonistes. «Pour être moi-même», répond Schwarzy. «Tu es ce que tu fais, reprend le premier. Un homme se définit par ses actes et non par sa mémoire.» Pour preuve: quand Douglas retrouve enfin la mémoire, il apprend qu'il faisait partie des «méchants»... Une terrible vérité oubliée au profit d'une nouvelle identité.