Le pardon, l’irréparable, l’impunité.
«Comment concilier l’idée de proposer un asile aux geôliers d’Ingrid Betancourt et faire la chasse aux ex-brigadistes italiens, trente ans après ?» s’interroge l’universitaire Carine Trevisan. Après la décision de Nicolas Sarkozy d’extrader Marina Petrella, aujourd’hui hospitalisée à Paris, vers l'Italie, la chercheuse établit un parallèle entre Ingrid Betancourt, Marina Petrella et Silvio Berlusconi.
Maitre de conférences à l'Université Paris Diderot-Paris 7, enseignante à la Maison d'Arrêt de la Santé, et à celle de Fresnes, sections Femmes, Carine Trevisan a travaillé sur les violences de guerre (Aurélien, d'Aragon : un "nouveau mal du siècle", 1996 ; Les Fables du deuil : la Grande Guerre, mort et écriture, 2001) et sur la littérature carcérale.
«Comment concilier l’idée de proposer un asile aux geôliers d’Ingrid Betancourt et faire la chasse aux ex-brigadistes italiens, trente ans après ?» s’interroge l’universitaire Carine Trevisan. Après la décision de Nicolas Sarkozy d’extrader Marina Petrella, aujourd’hui hospitalisée à Paris, vers l'Italie, la chercheuse établit un parallèle entre Ingrid Betancourt, Marina Petrella et Silvio Berlusconi.
Maitre de conférences à l'Université Paris Diderot-Paris 7, enseignante à la Maison d'Arrêt de la Santé, et à celle de Fresnes, sections Femmes, Carine Trevisan a travaillé sur les violences de guerre (Aurélien, d'Aragon : un "nouveau mal du siècle", 1996 ; Les Fables du deuil : la Grande Guerre, mort et écriture, 2001) et sur la littérature carcérale.
.
On a, lorsqu’on met en regard ce qui est dit ces dernières semaines d’Ingrid Betancourt, de Marina Petrella, de Silvio Berlusconi, un sentiment de malaise, de confusion, presque de chaos. Il peut paraitre incongru de comparer ces trois personnes. Une ex-brigadiste italienne emprisonnée en France, en voie d’être extradée vers l’Italie pour subir la peine à perpétuité, une franco-colombienne, ex-sénatrice tout juste libérée de sa condition d’otage, un premier ministre italien qui vient de bénéficier pour ses actes de l’impunité réservée aux grands de ce monde. Mais le rapprochement n’est pas aussi absurde que cela. Dans les trois cas, il s’agit d’une question de pardon, mais dosée différemment, selon les cas.
On a, lorsqu’on met en regard ce qui est dit ces dernières semaines d’Ingrid Betancourt, de Marina Petrella, de Silvio Berlusconi, un sentiment de malaise, de confusion, presque de chaos. Il peut paraitre incongru de comparer ces trois personnes. Une ex-brigadiste italienne emprisonnée en France, en voie d’être extradée vers l’Italie pour subir la peine à perpétuité, une franco-colombienne, ex-sénatrice tout juste libérée de sa condition d’otage, un premier ministre italien qui vient de bénéficier pour ses actes de l’impunité réservée aux grands de ce monde. Mais le rapprochement n’est pas aussi absurde que cela. Dans les trois cas, il s’agit d’une question de pardon, mais dosée différemment, selon les cas.
Ingrid Betancourt : française et sénatrice colombienne, elle a été otage de la guérilla colombienne de 2002 à 2008. Capturée parce qu’entre autre, elle représentait une grosse somme d’argent et avait un poids médiatique énorme. M. le président N. Sarkozy propose un asile aux FARC, qui ont fait subir des traitements inhumains à Ingrid Betancourt, et qui sont toujours en activité (plusieurs centaines d’otages entre leurs mains, dont ils font commerce, ainsi que de la cocaïne). La France est prête à pardonner. On ne sait quelle est la position d’Ingrid Betancourt par rapport à cette éventualité. Elle a eu un mouvement de compassion pour l’un de ses geôliers, enchaîné à son tour, dans l’hélicoptère conduit par l’armée colombienne, où elle apprend qu’elle est à présent libre. Un geôlier pourtant particulièrement cruel, selon son témoignage. Elle a même noté qu’il avait peur. Singulière attention, dans une telle circonstance, aux mouvements émotifs de celui qu’elle serait en droit de haïr. Mais a-t-elle « pardonné » aux FARC de l’avoir privé de plus de six années de sa vie ? Cette question ne lui a apparemment pas été posée, ni à aucun des autres otages des FARC.
Marina Petrella est une ex-brigadiste rouge italienne, qui a bénéficié d’un droit d’asile en France, instauré dans les années 80 par le Président François Mitterrand. On connaît les termes de l’accord : la France accueille les brigadistes, à condition qu’ils renoncent à la violence armée. Marina Petrella a déjà fait 8 ans de prison en Italie. Sa première fille est née en prison. Condamnée à la perpétuité en Italie (alors qu’elle n’a jamais été une "exécutante matérielle" des crimes dont on l’accuse), elle s’exile, se réfugie en France, sur la foi de la parole étatique donnée. Elle y travaille comme jardinière, puis comme travailleuse sociale. Elle a, en France, un deuxième enfant : une petite fille qui a aujourd’hui 11 ans.
Après presque 15 ans de vie absolument paisible et pacifique (et plus que cela : on sait combien les tâches des travailleurs sociaux aujourd’hui sont lourdes), elle se retrouve brutalement incarcérée à la Maison d’arrêt de Fresnes, et à présent que M. le Président N. Sarkozy a signé son mandat d’extradition en Italie, où elle risque l’emprisonnement à perpétuité, dans l’attente d’une grâce du Président de la République italienne.
On s’interroge sur la logique présidentielle : pourquoi, soudainement, la reprise de la parole donnée ? Comment concilier (cela a été dit et redit ces derniers jours) l’idée de proposer un asile et une forme d’impunité aux geôliers d’Ingrid Betancourt, les FARC, et faire la chasse aux ex-brigadistes italiens, trente ans après ?
L’un des mots les plus courants de l’administration pénitentiaire française, et qui guide les décisions des juges d’application des peines, lorsqu’ils doivent accorder ou non une libération conditionnelle à un détenu, est "réinsertion". Le criminel a-t-il, ou non, manifesté le désir de se « réinsérer » et fait ce qu’il fallait pour cela ? Le sens de ce terme reste large. Lorsqu’on n’est pas juriste mais qu’on a un peu d’expérience de l’univers pénitentiaire, on comprend que "se réinsérer" signifie un retour à une vie "normale", respectueuse de la loi, et que pour prouver cette volonté de réinsertion, on a, en prison, suivi, entre autres, des formations, des études, ou tout simplement renoué contact avec son premier métier. Cela arrive, et cela marche.
Marina Petrella s’est "réinsérée" bien avant qu’elle soit incarcérée. Cela fait plus de 15 ans qu’elle est réinsérée.
Que demander de plus à cette femme qui n’a commis aucun crime imprescriptible (aucun crime contre l’humanité) ? Le pardon des victimes ? Mais, il y a sans doute eu là de l’irréparable. Ingrid Betancourt aurait beau pardonner aux FARC que les séquelles psychiques de sa détention seraient toujours actives.
Dans le même temps, on apprend que Silvio Berlusconi, qui va décider, en partie du sort de Marina Petrella, bénéficie, lui, à présent, d’une impunité pour ses actes illégaux.
L’Italie, les institutions italiennes lui ont "pardonné". »
LIBERATION. Contre journal. 25 juillet 2008.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire