jeudi 17 juillet 2008

AUTOFICTION 2.

Sur http://etlonseditquilestbientard.blogspot.com/, je fais de l'autofiction.
Il est probable que l'article de presse extrait du Temps (quotidien suisse) de ce jour, vous donnera un bon éclairage de cette activité.

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Mémoire, tous tes souvenirs sont faux!
Avez-vous vu Bugs Bunny à Disneyland? Impossible! Mais on peut vous en persuader: il est si facile de façonner la mémoire... Un phénomène qui pourrait permettre d'apprivoiser les mauvais souvenirs.
Hervé Morin. Jeudi 17 juillet 2008.
De son effrayant voyage mental dans des contrées inexplorées de la mémoire, Beth Rutherford tire cette leçon: «Le pouvoir de suggestion est sous-estimé.»
A l'âge de 19 ans, cette Américaine, stressée par son travail d'infirmière, décide de consulter une psychothérapeute. Elle ne se doute pas alors qu'un passé enfoui va surgir et transformer sa vie. Au fil des séances de thérapie de «mémoire retrouvée», elle découvre qu'elle a été violée moult fois par son père entre 7 et 14 ans. Qu'il lui a fait subir un avortement. Accusé par sa fille, celui-ci perd son emploi et risque la prison.
«Je me souvenais qu'il avait introduit en moi des ciseaux et une fourchette, et d'autres horreurs», dit-elle dans un témoignage publié par la Fondation sur le syndrome des faux souvenirs. Car c'est bien de cela qu'il s'agit: rien de ce qu'elle croyait avoir enduré n'était arrivé. Comme devaient le montrer des examens médicaux, Beth était encore vierge, et son père avait subi une vasectomie bien avant les événements incriminés. Aux Etats-Unis, Beth est devenue un emblème du syndrome du faux souvenir. Depuis les années 1980, on compte des centaines de procès mettant aux prises des adultes accusant leurs parents d'abus sexuel ou de pratiques sataniques, puis se retournant contre le psychothérapeute ayant introduit ces «souvenirs» dans leur mémoire. En Europe, ces cas sont moins fréquents. La théorie psychanalytique y a-t-elle été mieux digérée? Freud a vite réalisé que les trop nombreux témoignages d'abus sexuels que faisait naître sa cure étaient le fruit de celle-ci. Ce qui l'a conduit à les ranger dans la catégorie des fantasmes. Paul Bensussan, psychiatre et expert auprès des tribunaux, a cependant eu l'occasion de poser à maintes reprises un diagnostic de «souvenir retrouvé» erroné. Selon lui, le monde judiciaire ne semble pas conscient de cette problématique: «En qualifiant d'emblée le ou la plaignant(e) de «victime» on a tendance à confondre crédibilité, sincérité et véracité. On est alors très loin de se demander s'il y a eu induction par un thérapeute et de s'interroger sur le rôle de celui-ci dans le dévoilement.» La question demeure: comment la mémoire humaine peut-elle à ce point être remodelée? La réponse est peut-être que, par essence, tous nos souvenirs sont faux ou, du moins, falsifiables. La psychologue américaine Elizabeth Loftus est une pionnière du sujet. Elle a d'abord pris conscience de la malléabilité des témoignages à travers des expériences sur le langage. L'une d'elles consistait à présenter un film montrant un accident de voiture et à demander à des sujets d'évaluer la vitesse des véhicules quand ils «s'écrasaient l'un contre l'autre». Elle a constaté que les estimations étaient moins élevées lorsqu'elle employait le verbe «percuter», plus neutre. Mais le plus surprenant, c'est qu'avec la première formulation, les «témoins» disaient avoir vu du verre brisé sur la chaussée alors que ce n'était pas le cas. Ces observations ont conduit Elizabeth Loftus à imaginer des stratagèmes pour induire des faux souvenirs. Certains sont plus réceptifs à ces remodelages de la mémoire - notamment ceux qui croient avoir vécu des expériences de vies antérieures. Les techniques de transformation des souvenirs sont innombrables: insérer des personnages dans un album photo, introduire une histoire familiale fictive au milieu de témoignages véridiques... Un quart des participants à ce type d'expérience ont été persuadés qu'enfants, ils s'étaient perdus dans un centre commercial. Nombre ont assuré avoir vu à Disneyland Bugs Bunny, le lapin de dessins animés appartenant à la société concurrente, Warner Bros. D'autres ont cru avoir été intoxiqués par des aliments, refusant de les inclure dans un menu fictif. «Quand vous changez un souvenir, cela vous change», dit Elizabeth Loftus. Trente-cinq ans de recherches sur les distorsions de la mémoire l'ont convaincue que «les souvenirs ne sont pas la somme de ce qu'une personne a fait, mais bien plus la somme de ce qu'elle a pensé, de ce qu'on lui a dit, et de ce qu'elle croit». Cette conviction a conduit, dès 1997, le Royal College of Psychiatry britannique à enjoindre aux psychiatres anglais d'«éviter de recourir à toute technique de réactivation des souvenirs basée sur l'hypothèse de violences sexuelles anciennes dont le patient a perdu le souvenir». D'autres chercheurs tentent d'améliorer le système judiciaire en proposant des procédures d'interrogatoire le plus neutres possibles. Pour «figer» les détails d'une scène criminelle dans la mémoire des témoins, Lorraine Hope, de l'Université de Portsmouth, a mis au point avec la police un questionnaire «autoadministré», afin d'éviter les biais de suggestion. Ceux qui le remplissent donnent des indications bien plus précises que ceux à qui on demande simplement de se souvenir «du maximum de détails». Les psychologues ne sont pas les seuls à se passionner pour les faux souvenirs. Depuis une dizaine d'années, les processus cérébraux soupçonnés de faciliter leur formation sont au cœur d'une petite révolution en neurobiologie. «Nous cherchions tout autre chose», se souvient Susan Sara (Collège de France). En 1997, elle testait des molécules pour mesurer leur impact sur les performances d'orientation de rats placés dans un labyrinthe. «Le lendemain des injections, ils se comportaient comme s'ils étaient amnésiques, vis-à-vis d'un parcours qu'ils connaissaient par cœur.» Cette observation l'a conduite à proposer un nouvel étage dans les processus de mémorisation, la reconsolidation. Nombre d'expériences avaient déjà montré que les apprentissages deviennent plus robustes avec le temps, à mesure que les réseaux neuronaux qui en portent la trace se renforcent. C'est la consolidation - dans laquelle le sommeil joue un rôle fondamental. Par la suite, lorsqu'un indice réveille un souvenir (pour le rat, une lumière associée à un apprentissage), le réseau neuronal correspondant redevient labile, malléable, en général pour être renforcé. Mais ce mécanisme dynamique ouvre la voie à des transformations plus radicales, notamment si on fait intervenir artificiellement des molécules impliquées dans la cascade de réactions physico-chimiques qui commandent la vie des neurones et de leurs contacts synaptiques. C'est ce qui a entraîné l'amnésie des rats de Susan Sara. Ce phénomène de réactivation ouvre, selon la neurobiologiste Pascale Gisquet (Université Paris Sud), des perspectives thérapeutiques. Notamment vis-à-vis de pathologies psychiatriques «qui pourraient en fait résulter d'un hyperfonctionnement des processus de la mémoire». Elle évoque ainsi l'exemple de l'état de stress post-traumatique (ESPT), qui amène 17% des personnes soumises à des événements dramatiques à les revivre en boucle... Des premiers résultats encourageants montrent qu'une molécule, le propanolol, administrée à des personnes souffrant d'ESPT au moment où on leur demande de raconter l'événement traumatisant, conduit à une réduction significative de ces réponses physiologiques. «C'est la première fois que l'on cible la mémoire sur le mode thérapeutique», se félicite Karim Nader (Université McGill, Montréal), l'un des auteurs de cette étude. «Chez les drogués, ajoute Pascale Gisquet, la rechute est souvent provoquée par des souvenirs de prise de drogues provoqués par des indices qu'ils rencontrent dans leur environnement» - la vue d'une petite cuillère ou d'une cage d'escalier sombre peut ainsi faire renaître un besoin incoercible de drogue. Serait-il possible d'affaiblir ce circuit fatal en jouant sur la réactivation induite par de tels indices? A nouveau, le propanolol a été mis à contribution, sur des rats qui avaient été conditionnés à s'autoadministrer de la cocaïne ou du sucre en présence de certains stimuli. L'injection de propanolol a permis de dégrader ce conditionnement, comme si les rats avaient oublié que ces stimuli étaient le signal qu'ils allaient pouvoir (devoir?) assouvir leur addiction. «Chez l'homme, pour cibler et affaiblir les indices pertinents susceptibles d'induire une rechute, il faudrait probablement passer par des questionnaires, estime Jonathon Lee (Université de Cambridge), coauteur de l'étude. Et s'assurer que l'injection n'entraîne pas de pertes de mémoire étendues.» «La reconsolidation est un phénomène très intéressant. Mais il est encore trop tôt pour savoir ce qui en sortira», tempère le Nobel de médecine Erik Kandel. Lui aussi a acquis la conviction que la mémoire est en quelque sorte une œuvre de fiction: «Quand je vous regarde, mon cerveau ne vous photographie pas, mais construit à partir des contours de votre visage une image de vous, qui sera différente de celle construite par une autre personne.» Quand il se souviendra de cette discussion, assure-t-il, ce processus mental se répétera. «La mémoire est une reconstruction d'une reconstruction, qui change en permanence. Pour chaque souvenir, il y a une chance de distorsion», dit Erik Kandel. Auteur d'une passionnante autobiographie*, il avoue s'être posé la question de la véracité de certains détails qu'il y relate...
«Le souvenir est création», résume le neuropsychologue Francis Eustache, que la relativité de la mémoire rend philosophe: «Lisez Bergson, dans Matière et mémoire: pour évoquer le passé [...], il faut savoir rêver.»
Le Monde * «A la recherche de la mémoire», Eric Kandel, Odile Jacob, 512 p.



Hémisphère culturel «Total Recall», une vie recréée de toutes pièces. Elsa Duperray.
Un implant.
Rien de tel qu'un implant dans le cerveau pour induire de faux souvenirs. Voici un stratagème que n'aurait jamais pu imaginer Elizabeth Loftus, la psychologue citée ci-dessus. Sauf si elle a un jour regardé Total Recall. En français: se souvenir de tout. Se souvenir surtout de qui on est. Telle est l'irrépressible quête identitaire que mène Douglas Quaid, sous les traits d'Arnold Schwarzenegger, dans le film de Paul Verhoeven, tourné en 1990. Toutes les nuits, Douglas fait le même rêve à propos de Mars. Tout est si net qu'il pense y être déjà allé et souhaite y retourner, ce dont l'en dissuade Lori (Sharon Stone), sa femme. Un «voyage» virtuel et mental sur Mars va alors réveiller certains souvenirs et lui révéler que toute sa vie - celle qu'il croit être la sienne- n'est que pure invention. Douglas a en réalité été reconditionné mentalement: un implant, placé dans son cerveau à son insu, a effacé sa mémoire et lui suggère à la place de nouveaux (faux) souvenirs, créés de toutes pièces. Inventés, ses huit années de mariage avec Lori (qu'il ne connaît en fait que depuis six semaines) ses collègues, son travail, ses amis. Tout est irréel. Perdu entre illusion et vérité, Schwarzenegger tente de se reconstruire en retrouvant ses propres souvenirs. Pour lui, la mémoire définit l'individu. Erreur, nous explique Verhoeven. «Pourquoi veux-tu retrouver ta mémoire?» fait-il dire à l'un de ses protagonistes. «Pour être moi-même», répond Schwarzy. «Tu es ce que tu fais, reprend le premier. Un homme se définit par ses actes et non par sa mémoire.» Pour preuve: quand Douglas retrouve enfin la mémoire, il apprend qu'il faisait partie des «méchants»... Une terrible vérité oubliée au profit d'une nouvelle identité.

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