lundi 29 septembre 2008

RETOUR DU MOSQUITO ?

Vous vous souvenez sans doute du "mosquito", cet appareil qui produit des sons désagréables uniquement captables par des oreilles de moins de 25 ans (question fréquence des sons) et qui a pour but d'empêcher les rassemblements de jeunes à des endroits indésirables pour des raisons commerciales ou de simple humeur d'adultes ronchons.
Il avait provoqué une saine mobilisation d'indignations si bien qu'il semble que son utilisation avait reculé.
J'en avais parlé, moi aussi, en son temps :
http://jusquacetempleenruinesmais.blogspot.com/2008/04/mosquito.html

Il semble bien qu'il n'est pas exclu qu'il nous revienne - mais de manière insidieuse - sur base d'un principe qui est bien dans l'air du temps : Arrêtez d'imposer des entraves à la population. Arrangez-vous pour qu'elle les choisisse d'elle-même.

C'est ainsi qu'une chaîne de télévision branchée (et soigneusement débranchée en mon domicile) se fait le relais d'une publicité bien dans le coup.
On propose aux jeunes de moins de 25 ans de télécharger des sonneries pour les portables qui seraient uniquement audibles par eux (sur base, je suppose, des principes de mécanique du mosquito mais émettant des sons, je suppose cette fois, acceptables pour leurs jeunes oreilles).

J'ai songé à prolonger ce mot par une mise en parallèle du fichage imposé, consenti (edvige, my space) mais je suis un peu fatigué de tout cela.
Et je suppose, chers amis, que si vous avez lu jusqu'ici, vous m'avez compris...

samedi 27 septembre 2008

DIX CLEFS POUR COMPRENDRE LA CRISE.


NOUVEL OBSERVATEUR. 25 septembre 2008.
À la Une <>Subprimes, titrisation, panique boursiere, faillite en chaine...10 clés pour comprendre la crise.


Un ménage du Minnesota ne peut plus rembourser son crédit et c'est la planète entière qui s'affole ! Le système financier est aujourd'hui tellement complexe que même les banquiers semblent y avoir perdu leur latin. Aveuglement des autorités, irresponsabilité des investisseurs, recherche du profit à court terme, fuite en avant des établissements de crédits... Comment les spéculateurs ont-ils mis en danger l'économie réelle ? Pourquoi les organismes de contrôle n'ont-ils rien vu venir ? Et qui va en payer le prix aujourd'hui ?


Décryptage du krach le plus grave depuis 1929 avec l'économiste Michel Aglietta.



1) Le laisser-faire en procès.
Ou comment le krach accuse les excès du capitalisme. Cette crise marque la faillite d'une croyance selon laquelle le système financier peut s'autoréguler. C'est donc l'échec d'une idéologie qui s'est développée il y a trente ans sous Ronald Reagan et Margaret Thatcher puis a atteint son paroxysme avec George Bush et Alan Greenspan (ex-patron de la Réserve fédérale). Elle a permis non seulement à l'ingénierie financière de se développer mais aussi d'être exploitée de manière perverse.La prise en charge du système financier par l'Etat (comme on le voit aujourd'hui aux Etats-Unis) clôt une époque d'une trentaine d'années, celle de tous les excès, du crédit mais aussi de l'élargissement inadmissible des inégalités dû à l'emballement sans contrôle de la finance de marché. L'énormité du déficit public américain à venir et le retour des réglementations indispensables dans les banques et les marchés de capitaux vont durablement accroître les coûts du crédit et limiter les leviers d'endettement. La croissance débridée à crédit de l'Occident, alors que la grande majorité des revenus réels stagne, est parvenue à son terme. A l'avenir, l'activité économique devra être financée davantage par des fonds propres consacrés à des investissements à long terme.La Chine développe un modèle alternatif de capitalisme maîtrisé par l'Etat et fondé sur la puissance de l'épargne. L'essor de la finance asiatique qui va progressivement organiser ses marchés financiers et développer ses investisseurs institutionnels permet d'envisager un système financier selon de nouveaux schémas. L'épargne occidentale s'investira dans les pays émergents. Et les fonds souverains gérés par les Etats et les entreprises des pays émergents viendront acquérir des actifs en Occident.

2) La folie des hypothèques.
Ou comment la crise financière a éclaté.
Un mécanisme diabolique s'est mis en place aux Etats-Unis. Il puise son origine dans la débauche des crédits hypothécaires dans l'immobilier. Le processus est le suivant : un ménage emprunte de l'argent pour acheter une maison. Cette maison est la garantie de l'emprunt. Au départ, elle vaut 100. Le ménage emprunte donc 100. Et puis le prix de l'immobilier augmente; la maison vaut 150. Le ménage peut donc accroître son emprunt de 50 et en profiter pour acheter d'autres biens, une voiture par exemple. Une maison peut ainsi garantir plusieurs prêts. Cette démarche a été encouragée par les banques. Mais aujourd'hui on en paie les effets pervers. En effet, lorsque le marché de l'immobilier baisse, ce qui est le cas depuis deux ans, la maison vaut moins cher que le crédit contracté pour l'acheter - moins de 100 dans notre exemple. Et le ménage ne peut plus honorer ses dettes. Aujourd'hui des milliers d'Américains engagés dans ces crédits hypothécaires n'ont d'autres solutions que d'abandonner leurs biens aux banques pour rembourser leurs prêts. La méthode est brutale : les établissements prêteurs leur demandent de renvoyer la clé de la maison par la poste. Ces ménages sont libérés de leur dette mais ils se retrouvent alors sans toit. La banque, elle, récupère un bien dont la valeur ne fait que baisser. Dès la fin de l'année 2005, les prix de l'immobilier ont marqué le pas et la baisse a commencé à l'automne 2006. Et pourtant, preuve de l'incroyable irresponsabilité des banques et des agences de notation chargées d'évaluer la qualité des crédits subprimes : leur distribution, et leur transformation en titres financiers, s'est accélérée !

3) Les crédits subprimes.
Ou comment les ménages américains se sont surendettés.
Les crédits subprimes sont des crédits qui ont été distribués à des ménages sans aucun plancher de ressources. En clair, sans vérifier qu'ils n'étaient pas trop élevés pour leurs revenus. Ces crédits d'une durée de trente ans ont été construits de la façon sui vante : deux ou trois années de taux d intérêt très bas, puis une renégociation à des taux plus élevés et variables. Ainsi la charge de paiements mensuels sur les ménages a-t-elle pu s'accroître brusquement de 25% à 40% au-dessus de son niveau initial. Il faut savoir qu'aux Etats-Unis les crédits peuvent aussi être accordés par des courtiers spécialisés hors de toute supervision. Ceux-ci ne les conservent pas, mais les transfèrent à des banques d'affaires qui les regroupent pour les vendre à des investisseurs sous forme de titres financiers. Ces courtiers sont rémunérés par une commission et cherchent donc à faire le plus de volume, sans se soucier de la capacité du ménage à rembourser. Le système reposait donc sur une incitation perverse. C'est ce type de crédit distribué à des ménages qui a augmenté à une vitesse vertigineuse.

4) La titrisation.
Ou comment le mal s'est propagé.
Ces crédits se sont disséminés à cause de la titrisation. La titrisation est une technique qui consiste à loger dans une société ad hoc toute une série de crédits consentis à des ménages par exemple, puis à vendre les titres de cette société à des investisseurs pour qui cela constitue un placement. Ils ont en quelque sorte acheté à la banque ses créances. Ces produits élaborés par des banques d'investissement ont été placés, hors de leurs bilans, comme si les banques n'avaient été que des intermédiaires. Celles-ci revendaient les produits de la titrisation à des investisseurs, pouvant se trouver aussi bien à Wall Street, que Tokyo ou Paris. Ces établissements financiers se disaient : j'achète un millier de prêts et, pour réduire le risque, je mélange avec des crédits émis dans des régions très différentes - Floride, Californie, Texas... Le problème, c'est que ni les banques ni les agences de notation n'avaient envisagé une chute de l'immobilier sur tout le territoire. Or la baisse des prix et le montant des crédits non remboursés se sont renforcés réciproquement. Les banques ont saisi les biens des ménages insolvables et se sont efforcées de les revendre. Le gonflement des pertes a provoqué la défiance des investisseurs. Plus personne ne savait quelle était la valeur des titres. Et les transactions ont été gelées.


5) L'irresponsabilité des agences de notation.
Ou comment les investisseurs se sont laissé aveugler.
Ils ont fait confiance aux agences de notation. Aujourd'hui, trois sociétésa méricaines (Moody's, Fitch et Standard and Poor's) évaluent la qualité d'un titre ou la solidité d'un émetteur. Puis elles leur donnent une note. Comme les prêts regroupés dans les pools de crédits puis «titrisés» paraissaient bien diversifiés, les agences de notation estimaient le risque global peu élevé et elles ont accordé de bonnes notes aux titres émis. Ainsi les investisseurs, les caisses de retraite, les fonds de pension, les compagnies d'assurance-vie se sont laissé séduire par ces titres qu'on leur présentait comme des produits pas plus risqués que les emprunts d'Etat mais rapportant 0,5% à 1% de plus. Ils y ont vu une manière de doper leur rendement.
La mécanique s'est enrayée au printemps 2007. Les agences de notation se sont soudain réveillées. Elles ont abaissé la note de nombreux titres qu'elles avaient auparavant évalués AAA, la meilleure appréciation possible. Cette réestimation a tari la vente de ces titres, qui sont devenus impossibles à négocier. Comme les établissements qui portaient ces produits finançaient leurs opérations par de l'argent emprunté à court terme, ils ont alors rencontré les pires difficultés à trouver des capitaux. Voilà pourquoi les banques centrales ont dû désamorcer ces crises de liquidité récurrentes en alimentant en urgence les marchés.

6) Les «swaps», autres bombes à retardement.
Ou comment la facture pourrait encore s'alourdir.
Les estimations du montant des pertes augmentent sans cesse. On les évalue dans une fourchette très large : entre 1 000 et 2 000 milliards de dollars. Les banques auraient déjà perdu environ 500 mil liards de dollars, soit 360 milliards d'euros. Mais il y a d'autres bombes à retardement : notamment des pertes générées par les crédits à la consommation (achat de voitures...), que les Américains ne pourront pas rembourser - aux Etats-Unis, le taux d'épargne des ménages est nul, contre 15% environ en France. Leur ampleur exacte dépendra de la gravité de la crise et de la récession que connaîtront les Etats-Unis. Cette crise financière provoque un ralentissement économique très fort, le développement du chômage et la contraction de la consommation. Il va s'ensuivre une forte baisse des profits des entreprises. Or de nombreuses sociétés se sont endettées dans les années d'euphorie, soit pour racheter leurs actions, soit pour financer des acquisitions.D'autre part, les crédits aux entreprises servent de support à un marché complexe de transfert des risques qui pèse 62 000 milliards de dollars, soit 20 fois le produit intérieur brut de la France : c'est celui des crédit default swaps (CDS). Ces instruments sont des assurances qu'un prêteur achète auprès d'une banque ou d'une compagnie d'assurances pour se prémunir contre le risque de défaillance d'un emprunteur. Autrement dit, si je considère que je suis trop exposé sur tel ou tel risque (un pays, un secteur économique...), je vais échanger une part de ces risques avec ceux d'un autre prêteur exposé lui sur d'autres secteurs ou d'autres pays. Ces produits disséminent les risques entre opérateurs. L'assureur AIG était devenu un acteur très important sur ce marché. En s'effondrant, il risquait d'entraîner dans sa chute beaucoup de monde. C'est pour cette raison que le gouvernement américain a nationalisé cette société.


7) La nationalisation des pertes.
Ou comment Washington redécouvre les vertus de l'étatisme.
Les Etats-Unis ont recouru deux fois à des actions extraordinaires de ce type au XXe siècle. En 1933, la Reconstruction Finance Corporation a été créée pour recapitaliser les banques encore debout après les vagues de faillites des années précédentes. En 1989, lors de la précédente crise immobilière, la Resolution Trust Corporation a été conçue pour racheter les créances douteuses des caisses d'épargne. Dans tous les cas, les contribuables ont été appelés à éponger les conséquences de l'imprudence et de la cupidité des banquiers. L'Etat est en quelque sorte l'otage de son imprévoyance antérieure. En prétendant que les marchés pouvaient s'autodiscipliner et donc en démantelant les régulations, les dirigeants politiques ont délibérément favorisé l'instabilité financière. Washington a d'abord joué les pompiers en sauvant une à une les institutions financières. Mais aujourd'hui il semble avoir compris que cela coûte moins cher de concevoir un plan de sauvetage global.Pour financer son plan, dont on est encore loin de connaître les caractéristiques précises, l'Etat américain va devoir s'endetter pour des montants colossaux qui s'ajoutent à ceux résultant des prises en charge d'organismes financiers tels que Fannie Mae, Freddie Mac et AIG. Certes les pertes définitives au bout de nombreuses années pourraient se révéler limitées par la revente des créances. En réalité, tout dépendra du prix auquel l'Etat va racheter les créances et de sa volonté de les geler ou de les revendre le plus rapidement possible. Les autorités américaines vont sélectionner dans les crédits ceux qu'elles prennent et ceux qu'elles laissent aux établissements financiers. Quoi qu'il en soit, le déficit public de la somme de ces interventions pourrait atteindre de 5% à 10% du PIB de 2008.

8) Le modèle de la «banque universelle».
Comment les établissements français pourraient passer entre les gouttes.
Toutes les banques européennes, mais aussi les compagnies d'assurances sont impliquées. Elles ont participé au processus, notamment à travers leurs filiales américaines. Elles ont acheté ces produits financiers «titrisés». Certains, comme le suisse UBS, ont perdu des dizaines de milliards de dollars. Cependant les banques françaises, comme la plupart de leurs consoeurs européennes, sont universelles. Elles marchent sur plusieurs pieds : à la fois banques d'investissement, mais aussi banques de détail, qui collectent des dépôts et distribuent des crédits, elles font également de l'assurance, etc. Ainsi lorsque leur activité d'investissement est en danger, la banque dans sa totalité va courir à son secours. C'est ce qui s'est produit au Crédit agricole, où les caisses régionales ont secouru la caisse nationale à la suite des énormes pertes de sa banque d'investissement Calyon. Cela dit, ce modèle de la banque universelle n'est pas totalement prémuni contre le problème d'insolvabilité. Il a le défaut de mettre les déposants en péril à la suite des risques excessifs pris dans les marchés de capitaux par le département de la banque d'investissement. Au bout du compte, s'il y a des déficits énormes, on l'a vu avec l'assureur AIG, les pertes du département investissement peuvent lessiver le capital de l'ensemble de l'établissement.

9) La purge des systèmes financiers.
Ou comment la croissance va encore ralentir.
Le premier effet sera la raréfaction du crédit (lire encadré). Les banques ayant toutes accumulé des pertes, leur priorité va être d'améliorer leur solidité financière. Soit elles émettent des actions pour augmenter leur capital - mais la période n'est pas idéale -, soit elles reconstituent leurs marges en devenant plus restrictives sur le crédit. C'est déjà ce qui se passe. Il est de plus en plus coûteux pour les ménages et les entreprises d'emprunter. Pour les crédits risqués, l'offre se raréfie. Même si, à l'exception du Royaume-Uni, les mécanismes de financement y ont été différents de ceux des Etats-Unis, la crise immobilière touche aussi l'Europe. De nombreux ménages ne vont pas pouvoir rembourser leurs emprunts. Et la chute du marché immobilier diminue la richesse des ménages qui se sont endettés lourdement sur la valeur d'un bien déprécié. La consommation, qui avait déjà pâti de la hausse du prix des matières premières, chutera encore. Et pour les entreprises, l'euro fort des mois antérieurs - très pénalisant pour les exportations européennes - va continuer à peser pendant un certain temps.La France est déjà entrée dans un processus de récession. Au moins ce semestre. Avec des conséquences en termes de chômage et de pouvoir d'achat (lire encadrés). Pour l'an prochain, on verra. Tout dépendra de la rapidité avec laquelle les mesures prises par les Américains feront sentir leurs effets. Mais il faut savoir que lorsqu'une crise touche les banques, elle est toujours assez longue car il leur faut du temps pour redresser leur situation financière. De plus, ce processus de remise en ordre provoque un cercle vicieux lorsqu'il est poursuivi par tous les agents économiques privés. Chacun a intérêt à réduire ses dépenses pour pouvoir diminuer ses dettes : ménages, entreprises, banques. Tout le monde le faisant en même temps, la demande privée diminue. Il y a donc moins de revenus, moins de profits et donc une grande difficulté à se rétablir. C'est pourquoi la crise japonaise s'est éternisée dans les années 1990.

10) L'absence de politique commune.
Ou comment l'Europe risque de souffrir longtemps.
Les Etats-Unis montrent la voie. Dans une crise d'une telle ampleur, lorsque l'économie privée ne dépense plus assez, l'Etat doit intervenir. Or la politique économique de l'Europe est paralysée par le carcan du pacte de stabilité qui limite les déficits publics et n'est absolument plus adapté à notre époque. Les gouvernements européens sont incapables de promouvoir une action collective budgétaire. On l'a vu au dernier sommet européen Ecofin. Et il ne faut pas compter sur la Banque centrale européenne pour qu'elle abaisse le taux d'intérêt de manière préventive. Si on regarde les cycles économiques depuis 1980, c'est toujours aux Etats-Unis que les crises éclatent et c'est toujours l'Europe qui subit un ralentissement économique plus long. Les répercussions du retournement américain nous arrivent environ un an après. Mais faute de réponses adéquates, on met tellement de temps à s'en remettre qu'à peine sorti de la crise une autre arrive. Dernier exemple : les Etats-Unis sont repartis en 2003; nous en 2005 et, en 2008, ça recommence. Nous n'avons pas le temps de reconstituer une dynamique durable, et cela a pour conséquence l'affaiblissement de la croissance de long terme.

Michel Aglietta.
Michel Aglietta, professeur de sciences économiques à Paris-X, spécialiste d'économie monétaire internationale, est l'auteur de travaux sur le fonctionnement et les failles du système financier. Il a publié en 2004, avec Antoine Rebérioux, «Dérives du capitalisme financier» (Albin Michel).
Jean-Gabriel Fredet, Nicole Pénicaut, Sophie Fay, Thierry Ph.
Le Nouvel Observateur.

mercredi 24 septembre 2008

LE LHC NE REDEMARRERA PAS AVANT LE PRINTEMPS.

ACCELERATEUR DE PARTICULES.
Le LHC ne redémarrera pas avant le printemps.
NOUVELOBS.COM 24.09.2008 12:00.


Lancé en fanfare, le plus puissant accélérateur de particules au monde a été victime de deux pannes successives et n'aura finalement fonctionné que pendant trois ou quatre jours.
Le plus puissant accélérateur de particules au monde, victime de deux pannes successives, ne sera pas opérationnel pour son inauguration officielle, prévue pour le 21 octobre prochain (AFP).
Le LHC, le plus puissant accélérateur de particules du monde ne pourra pas redémarrer avant le printemps prochain à la suite d'une panne, a annoncé mardi 23 septembre à Genève, l'Organisation européenne de recherche nucléaire (Cern)."Le temps nécessaire pour l'enquête (sur la panne) et les réparations exclut un redémarrage avant l'arrêt obligatoire pour la maintenance durant la période hivernale, repoussant le rédémarrage de l'accélérateur au début du printemps 2009", a indiqué le Cern dans un communiqué.

Cette panne "survenant immédiatement après le grand succès du démarrage du Grand collisionneur de hadrons (LHC) le 10 septembre, est sans nul doute un coup psychologique", a commenté le directeur général du Cern Robert Aymar.Deux pannes successivesLancé en fanfare, le plus puissant accélérateur de particules au monde a été victime de deux pannes successives et n'aura finalement fonctionné que pendant trois ou quatre jours. Son inauguration officielle a été annoncée pour le 21 octobre prochain.

Vendredi dernier une importante fuite d'hélium a été détectée sur l'installation. Le gaz est utilisé pour refroidir à -271°C le circuit de 27 km enfoui à 100 mètres sous terre afin de permettre le fonctionnement des aimants supraconducteurs servant à guider les protons lancés à une vitesse proche de la lumière.

"La cause la plus probable de l'incident est la défaillance d'une connexion électrique entre deux aimants de l'accélérateur", a indiqué le Cern mardi soir. "Il est cependant nécessaire de ramener le secteur du circuit affecté par la panne à température ambiante pour une compréhension complète de l'incident (...). Cela prendra entre trois et quatre semaines", a précisé l'organisation scientifique.

"Instrument très complexe""

Le LHC est un instrument très complexe, d'une taille énorme et à la pointe extrême de la technologie à bien des égards", a souligné Peter Limon qui a été responsable du Tevatron de Chicago, le premier grand accélérateur utilisant la technologie supraconductrice. "Des incidents se produisent de temps en temps qui arrêtent les opérations pour des périodes plus ou moins longues, surtout dans la phase de démarrage", a-t-il souligné.

La construction du LHC a pris plus de douze ans, pour un montant de 3,76 milliards d'euros, mobilisant des milliers de physiciens et d'ingénieurs du monde entier.

L'engin doit faire percuter des protons pour notamment recréer, durant une fraction de microseconde, les conditions qui prévalaient dans l'univers juste après le Big Bang, avant que les particules élémentaires ne s'associent pour former les noyaux d'atomes.

lundi 22 septembre 2008

mercredi 17 septembre 2008

LA CRISE FINANCIERE DE A A Z.


La crise financière de A à Z. (Reuters).
LIBERATION 17 septembre. Libération.fr avec AFP. : Quand les experts décryptent la crise financière, des mots abscons débarquent dans les articles des journaux : titrisation, hedge funds ou banque d’investissement. Pour y comprendre quelque chose, voici un petit lexique, très utile.

Les «subprimes loans» (dit aussi crédit subprime ou prêt hypothécaire à risque).
Prêts hypothécaires accordés aux foyers à la situation financière instable: ils ont permis à de nombreux Américains d'accéder à la propriété. Tant que le marché se portait bien, un ménage en difficulté avait la possibilité de revendre son logement pour rembourser ses dettes. Mais lorsque le marché s'est retourné, cela n'a plus été le cas. De plus, les prêts «subprime» étaient souvent à taux d'intérêt bas et fixes pendant les deux premières années avant de s'ajuster aux taux du marché sur le reste de la période d'emprunt, provoquant ainsi des difficultés de remboursement pour les emprunteurs à faibles revenus. La crise s'est propagée au secteur financier par l'intermédiaire d'instruments financiers créés pour couvrir les risques des organismes de crédit «subprime». Ces derniers ont ainsi «revendu» leurs crédits sous forme de titres émis sur les marchés financiers. Lorsque les ménages ont été dans l'incapacité de rembourser leurs prêts, ces titres, très prisés des spéculateurs, se sont écroulés.

Banque d'affaires (ou banque d'investissement ou en anglais, investment bank)
Après la crise de 1929 aux Etats-Unis, une loi a imposé de séparer les banques de détail (particuliers et PME) et les banques d'investissement. Cette séparation est aujourd'hui à l'origine des graves difficultés de firmes américaines comme Lehman Brothers ou Merrill Lynch. En effet, elles dépendent exclusivement pour se refinancer du marché bancaire où elles empruntent aux autres établissements du même type, tandis que les banques de détail peuvent aussi transformer les dépôts des particuliers en crédits. La FED (Réserve fédérale américaine ou banque centrale)

La banque centrale
A pour mission de mettre en place la politique monétaire américaine. Tout comme la BCE (la banque centrale européenne), la FED est indépendante du pouvoir politique. Elle veille à la stabilité des prix, au plein emploi et doit faciliter la croissance américaine. Elle doit aussi réguler l’activité bancaire américaine et être préteur en dernier ressort pour les banques commerciales.La FED est composée de 12 Federal Reserve Bank situées dans les villes les plus importantes des Etats-Unis. Son directeur est Ben Bernanke.

Taux directeur
C'est le principal outil des banques centrales pour la régulation de l'activité économique. Actuellement, le taux directeur de la Banque centrale européenne (BCE) est à 4,25%, celui de la Réserve fédérale (Fed) à 2%, celui de la Banque centrale du Japon est à 0,50%.

Les «hedge funds» (ou fonds de gestion alternative)
Ce sont des fonds très spéculatifs. Leur spécialité: faire des profits rapides avec des paris très risqués sur les marchés. Les hedge funds ne jouent pas avec leur propre argent. Ils l'empruntent aux banques ou effectuent des placements pour des clients alléchés par la promesse de rendements élevés. La crise a commencé avec la fonte de deux d'entre eux, gérés par la banque Bear Stearns.

Les fonds souverains
Ces fonds d’investissement sont détenus ou contrôlés par des Etats. Ils sont devenus aujourd’hui une nouvelle catégorie d’acteurs de la globalisation financière à côté des fonds de pension, des fonds de capital investissement (« private equity funds ») ou des fonds de gestion alternative (« hedge funds »).

Le marché interbancaire ou monétaire
Il permet aux banques de se prêter de l'argent entre elles. Il est régi par plusieurs taux, notamment le "libor", à Londres, les Fed Funds aux Etats-Unis et l'Euribor dans la zone euro. Si les taux grimpent brusquement, c'est le signe d'une contraction du crédit et les banques centrales interviennent alors pour apporter des liquidités aux banques.

Le Leverage
Le «levier d'endettement» consiste à emprunter de grandes sommes d'argent pour augmenter les gains attendus des placements. S'il permet de multiplier les gains, il peut aussi multiplier les pertes si la tendance se retourne.

Titrisation
Cette technique financière est utilisée par les banques. Elles transforment les créances en produit de marché (obligations, par exemple).
Née aux Etats-Unis dans les années 70, cette technique a d’abord été utilisée par les banques pour consentir davantage de crédits. Plus tard, elle a permis aux banques de se débarrasser partiellement des mauvais risques.Mais, la crise des subprimes a mis en lumière les dérives de la titrisation qui ne permet pas toujours d’avoir une vision claire de la situation des débiteurs (eux-mêmes mal identifiés) et des risques réellement pris.

Les CDS (credit default swap)
Très risqués, les CDS sont des instruments financiers assurant les investisseurs contre les défauts de paiement d’un émetteur d’obligation.
Très exposé à ces CDS, l'AIG, le n°1 américain de l'assurance est au bord de la faillite.

Les agences de notation financière
Elles émettent des opinions régulières sur la capacité d’un emprunteur à faire face aux remboursements des dettes qu’il a contactées. Elles notent aussi bien les entreprises que les villes emprunteuses, les régions ou les Etats et donnent une information précieuse pour les actionnaires comme pour les investisseurs potentiels.Il s’agit d’une activité très concentrée. Il n’y a que trois grandes agences de notation financière dans le monde : Standard and Poor’s, Moody’s et Fitch.

lundi 15 septembre 2008

BOLIVIE. ON A DES GUETTEURS, DES LANCE-PIERRES.

Evo Moralès.
Bolivie: «On tiendra, on a des guetteurs, des lance-pierres» disent les indiens.
«La révision de la réforme agraire et la nationalisation des hydrocarbures, ça ne pardonne pas. Et le racisme anti-Indien est une corde qui vibre très vite», explique l'écrivain Hervé Hamon, sur des barrages de la route de Tarabuco, à Sucre, en Bolivie. «Nous n’avions jamais pensé revoir nos terres, nous n’avions jamais cru à la démocratie», expliquent des membres de la fédération paysanne.
Hervé Hamon. «Ici, en Bolivie, la presse et les médias ont quasiment oublié l’existence du monde extérieur – autant que l’opinion européenne néglige la Bolivie. Car, chaque jour, la tension est plus forte et les nouvelles plus amères. Le premier président indien de l’histoire, Evo Morales, ancien syndicaliste paysan, se retrouve dos au mur et encaisse provocations sur provocations. C’est peu dire qu’il a été démocratiquement élu : il vient même de remettre son mandat en jeu à mi-parcours, et a remporté les deux tiers des voix. Mais ce sont les voix des pauvres dont la force n’est qu’arithmétique.
Il a commis deux erreurs, Evo Morales. La première est de n’avoir pu ou su rallier la couche moyenne des métis urbains. La seconde est d’avoir, plus démocrate que de raison, décidé que les préfets – équivalents des présidents de région français – seraient désormais élus localement et non désignés par l’État. Dans un pays où le pouvoir central est traditionnellement faible et suspect, c’était téméraire. Résultat : les secteurs les plus riches du pays se sont transformés en bastions hostiles et entament une guerre de sécession. La révision de la réforme agraire et la nationalisation des hydrocarbures, ça ne pardonne pas. Et le racisme anti-Indien est une corde qui vibre très vite.

A Santa Cruz, quartier général de la rébellion, le préfet Costas – auquel l’ambassadeur des États-Unis finalement expulsé s’était offert le culot de rendre une visite ostentatoire – défie par tous les moyens les gouvernants de La Paz. Ses partisans ont bastonné les agents et cadres de la police nationale qui avaient consigne, comme les militaires, de ne point répliquer. Le “comité civique” sur lequel il s’appuie est dirigé par Branko Marinkovic, digne héritier, selon l’entourage présidentiel, d’immigrants croates oustachis dont les attaches fascistes étaient patentes. Des bandes de jeunes “étudiants” masqués et armés, la juventud cruceñista, s’attaquent en complète impunité à ce qui pourrait évoquer un service public : hôtel des impôts, télévision nationale, télécommunications, tout est saccagé, tout flambe. Sans oublier l’institut en charge de la réforme agraire, lequel vient opportunément de révéler que 180 000 km2 de forêt amazonienne ont été, moyennant corruption, squattés par une poignée d’“investisseurs” sans scrupule.Les accès à La Paz sont fréquemment bloqués par les camionneurs (souvenir du Chili d’Allende). Les frontières de l’Argentine, du Brésil, du Paraguay le sont aussi. Les vannes des pipelines de gaz naturel à destination du Brésil sont coupées voire sabotées (il en coûte à l’économie nationale 8 millions de dollars par jour). Les gros producteurs de viande stockent leur marchandise afin de semer la panique. Partout, les “comités civiques”, encouragés par une presse qui leur appartient, adoptent la même stratégie : pousser Evo à la faute, convaincre les Boliviens que le pays va s’effondrer. Le gouvernement, lui, se refuse à décréter l’état de siège, écarte toute réplique policière ou militaire, se déclare ouvert au dialogue, annonce un aggiornamento constitutionnel pour janvier – ce dont l’opposition ne veut à aucun prix.Tout le monde est à bout. Et d’abord les paysans, les Indiens, dont les récoltes, cette année, ont été compromises par l’excès de pluie et qui vivent avec quelques Euros par jour. Comme Evo dont le nom est célébré sur les murs de terre du moindre hameau, ils serrent les dents, ils endurent, quelle que soit la rage. A Sucre, où je me trouve, lors d’un paisible rassemblement (le président devait remettre aux communautés indiennes quelques ambulances mais son avion fut empêché d’atterrir), leurs porte-parole ont été déshabillés, contraints de s’agenouiller en place publique. Œuvre de quelques excités, d’un Ku Klux Klan sorti de l’ombre ? Pas du tout. Les victimes incriminent le recteur de l’université, la mairesse, la future préfète, et bien sûr le “comité civique”.Ils ont fini par répliquer comme ils pouvaient, les Indiens, barrant les routes autour de la cité. Je suis allé à leur rencontre sur la route de Tarabuco. Des pierres sur la chaussée, des épineux. Des hommes et des femmes calmes, ce qui ne veut pas dire tranquilles. Il fait froid, la nuit, voilà six jours qu’ils ont laissé leurs maisons, confié les enfants aux aînés. Au fil de trois barrages, ce sont les mêmes mots qui sortent, les mêmes thèmes. Nous voulons élire nous-mêmes nos représentants locaux, nos sous-préfets. Nous voulons que les racistes soient sanctionnés. Nous voulons aider notre président, c’est la première fois qu’un président nous rencontre, est des nôtres, c’est la première fois que nos anciens perçoivent une renta dignidad, un minimum vieillesse. Nous voulons que les universités, où nous commençons à avoir des enfants, n’enseignent pas la discrimination. Nous voulons qu’il n’y ait pas de différence entre ceux qui parlent castillan et ceux qui parlent quechua. Les hommes, dans leur discours, sont plus solennels. “Est-ce que tu connais un endroit où des hommes s’agenouillent devant un homme, pas devant un Dieu ?” “J’ai émigré pendant plus de quinze ans, crie un autre. Et nous, les émigrés, nous avons été oubliés par ceux qui nous humilient maintenant. Mais nous sommes rentrés au pays, nous n’avions jamais pensé revoir nos terres, nous n’avions jamais cru à la démocratie, pourtant nous sommes revenus avec des idées fortes.” Mais ce sont les femmes qui disent la douleur. Avec une sorte de timidité souriante. “Dans le bus, en ville, celles qui ont la robe, pas la jupe comme nous, celles qui sont des dames et qui n’ont pas des sandales aux pieds nous regardent de telle manière que nous nous taisons. On pleure quand on les entend dire que nous puons. On pleure mais on pense que leurs mères, à elles, portaient peut-être bien, elles aussi, notre jupe. Même si c’est une autre qui est humiliée et pas moi, je pleure, c’est pareil que ça soit une autre.” Je les ai quittés au soir. Ils se tenaient en rond sur la route nue. L’un d’entre eux brandissait très haut le wiphala, le drapeau bariolé du mouvement indien que les civicos avaient brûlé peu auparavant. Je leur ai demandé comment ils voyaient l’avenir. “On tiendra, a dit l’une, on a des guetteurs, des lance-pierres.” “On ne sait pas, ont dit les autres. On tiendra mais on ne sait pas.”»
LIBERATION. Contre Journal.12/09/2008 à 16:10

mercredi 3 septembre 2008

COMMENT REINVENTER LA DEMOCRATIE ? (Débat).



L'historien et fondateur de la République des Idées a été le premier à affirmer que la légitimité démocratique est trop souvent réduite à sa définition électorale. Il explore dans un essai de nouvelles pistes politiques qui vont nourrir le débat à gauche.
Pierre Rosanvallon : Comment réinventer la démocratie ?
Nouvel Observateur 4 septembre 2008. 2287.

Le Nouvel Observateur. - «La Légitimité démocratique» est le deuxième volet de votre réflexion historique sur la démocratie. Quel en est l'axe directeur?
Pierre Rosanvallon. - L'enquête sur les mutations de la démocratie au XXIe siècle dans laquelle je me suis lancé il y a deux ans avec «la Contre-démocratie» part d'un constat central : l'élargissement de la vie démocratique a d'autres registres que celui de l'élection. On peut parler d'un phénomène historique de «décentrement des démocraties». Les citoyens ne se contentent d'abord plus d'être de simples électeurs. On voit se multiplier les pratiques de surveillance, d'empêchement et de jugement au travers desquelles se redéfinit l'activité citoyenne. Mais c'est aussi la conception de ce qui constitue le caractère démocratique d'une institution qui est en train de changer. On se rend de plus en plus compte que le verdict des urnes ne peut plus être le seul étalon de la légitimité. L'élection, en effet, ne garantit pas qu'un pouvoir soit au service de l'intérêt général, ni qu'il y reste. Une appréhension élargie de la notion de volonté générale est ainsi en train d'émerger. Un pouvoir n'est désormais considéré comme pleinement démocratique que s'il est soumis à des épreuves de contrôle et de validation à la fois concurrentes et complémentaires de l'expression majoritaire. C'est à cela que correspond notamment la montée en puissance, partout dans le monde, d'institutions comme les autorités indépendantes ou les cours constitutionnelles. Mon but, dans ce nouveau livre, est d'explorer ce continent en formation, d'en dévoiler les ressorts et les problèmes; bref, d'en faire à la fois l'histoire et la théorie.
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N. O.- A quoi cela renvoie-t-il pratiquement ?
P. Rosanvallon. - Il suffit de prendre l'exemple des conditions de nomination du président de France Télévisions pour mesurer la nature du problème. Pour simplifier, la position de Sarkozy était de dire : une télévision financée par l'Etat est de la responsabilité du pouvoir démocratiquement élu, il revient donc à ce dernier de nommer sa direction. Tout le monde a bien senti que c'était un retour en arrière, même si le CSA est loin d'être constitué de façon satisfaisante. Il y a des types de services publics que l'on ne peut assimiler à des administrations soumises au pouvoir gouvernemental. Mais en même temps tout s'est passé comme si l'on était embarrassé pour argumenter clairement. Le but de mon travail est de réexaminer ce qui est constitutif du caractère démocratique des institutions (et perçu comme tel).
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N. O. - Vous écrivez que le moment électoral a fini d'être la fête religieuse de la citoyenneté et que la notion de majorité s'est fragilisée et a perdu de sa consistance. Comment ? Quelles en sont les conséquences actuelles ?
P. Rosanvallon. - Le suffrage universel a constitué une extraordinaire conquête dans l'histoire des sociétés humaines. D'où le caractère enthousiaste et fraternel des premières expériences électorales en 1848. On avait alors le sentiment que «le peuple» ou «la nation», enfin majeurs, formeraient un tout unifié. Si la règle majoritaire s'est imposée comme procédure pratique de nomination, c'est au fond une certaine vision de l'unanimité qui n'a cessé de constituer le principe de justification dans les démocraties.
Le problème est que cette distinction entre pouvoir majoritaire et volonté générale ou intérêt général n'a jamais été vraiment réfléchie. On a fait comme si le plus grand nombre valait pour la totalité. Première assimilation doublée d'une seconde : l'identification de la nature d'un régime à ses conditions d'établissement. La partie valant pour le tout, et le moment électoral valant pour la durée du mandat : tels ont été les deux présupposés sur lesquels a été historiquement assise la légitimité d'un régime démocratique.Cette double fiction fondatrice est progressivement apparue comme l'expression d'une insupportable contrevérité. C'est d'autant plus sensible aujourd'hui que la notion de majorité elle-même a perdu de sa consistance première. Si elle reste parfaitement définie en termes juridiques ou parlementaires, elle l'est en effet beaucoup moins en termes sociologiques. L'intérêt du plus grand nombre ne peut plus être simplement assimilé à celui d'une majorité. Le «peuple» ne s'appréhende plus comme un bloc, il s'éprouve plutôt comme une addition de situations spécifiques. Les sociétés contemporaines se comprennent ainsi de plus en plus à partir de la notion de minorité. «Peuple» est désormais aussi le pluriel de «minorité». Les conditions d'une bonne représentation s'en trouvent donc bouleversées.
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N. O. - Cet ouvrage est à la fois un livre d'histoire politique et un essai de prospective. La démocratie est-elle aujourd'hui à réinventer ?
P. Rosanvallon. - Absolument. Cette réinvention doit suivre deux voies distinctes. Il s'agit d'abord d'améliorer la démocratie «électorale-représentative». Il y a beaucoup à faire pour que les citoyens puissent mieux se l'approprier. C'est à quoi correspondent les différents projets concernant la question des primaires, la place du référendum, la mise en oeuvre de nouvelles formes d'expression ou de délibération (comme les jurys citoyens, les sondages délibératifs, les forums hybrides...). C'est de cela que l'on parle le plus souvent. Mais il y a un autre volet : celui de la conception même des institutions de l'intérêt général. C'est le point, laissé dans l'ombre, sur lequel j'ai concentré mon attention. Au XIXe siècle, de grandes voix républicaines, Léon Duguit et Emile Durkheim, s'étaient déjà saisies de la question en proposant une nouvelle théorie du service public. C'est dans le prolongement de cette perspective que je me situe aujourd'hui pour enrichir notre conception de la généralité démocratique. Il y a là en germe une mutation qui va s'avérer aussi fondamentale que sur la démocratie participative qui a été largement reprise par Ségolène Royal et par Bertrand Delanoë. En font-ils un bon usage elle constituée autrefois par l'avènement du suffrage universel.
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N. O. - Vous êtes l'initiateur de la réflexion ?
P. Rosanvallon. - Nous n'en sommes encore qu'à un changement de vocabulaire. Il faut que ces leaders socialistes aillent plus loin et mettent la question de la qualité démocratique au coeur de leur projet. C'est un des points sur lesquels la différence avec les pratiques et les conceptions de la droite peut être la plus significative. Les socialistes, à tous les niveaux, devraient donc se faire les champions de l'expérimentation démocratique. Ils restent hélas fort timides. Le problème est qu'ils sont encore prisonniers d'une conception étroitement électorale-représentative de la démocratie.
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N. O. - Le désenchantement démocratique actuel est-il un obstacle à une repolitisation de la politique ?
P. Rosanvallon. - Le désenchantement démocratique me semble dériver d un idéal de fusion entre gouvernés et gouvernants. Si l'identification à un candidat est un des ressorts naturels du choix électoral, c'est la distance qui caractérise en effet fonctionnellement la situation relative des gouvernés et des gouvernants. Faute de reconnaître cette distinction, la présupposition d'une identification permanente engendre nécessairement une frustration. D'où le caractère structurel de la déception des citoyens. Elle résulte mécaniquement du changement de perspective introduit par le passage du moment électoral à l'action gouvernementale. La clé d'une rhétorique de campagne est pour chaque candidat de faire corps avec ses électeurs, alors que la position des gouvernants est fonctionnellement distanciée. La dynamique d'identification fait aussi système dans le premier cas avec une exaltation du volontarisme, structurellement lié à la vision d'une société une et simple, alors que les gouvernants se voient ensuite obligés de justifier la difficulté d'agir dans un monde complexe et conflictuel.Une campagne électorale a une fonction démocratique spécifique. Le moment de l'élection est marqué par l'expression de projets et d'idées contradictoires permettant à chacun de clarifier les attirances et les répulsions qui détermineront son choix. Le mécanisme d'identification, même relative, à un candidat remplit pour cela une fonction essentielle. Il contribue au sentiment proprement politique de produire quelque chose de commun avec d'autres. Le temps de l'action gouvernementale est de son côté marqué par le fait que la société devient pratiquement un objet pour le pouvoir politique. La difficulté n'est pas seulement dans ce cas que des réalisations puissent être plus ou moins décalées par rapport à des promesses antérieures (même si cet élément compte évidemment). Elle tient au fait que la nature du lien avec les citoyens a changé, ces derniers étant devenus des gouvernés. D'où la nécessité de construire sur un mode spécifique ce rapport. Au lieu de chercher à prolonger entre gouvernés et gouvernants le lien électoral d'identification, il convient plutôt de donner une forme démocratique à une distance reconnue dans sa nécessité fonctionnelle.
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N. O. - La démocratie est selon vous un processus ininterrompu car il faut sans cesse refonder la légitimité des régimes démocratiques. Cette légitimité est multiple, écrivez-vous. Est-ce là le noeud du problème ?.
P. Rosanvallon. - Tocqueville estimait que la vie politique allait se simplifier dans les démocraties, tout se ramenant à une question d'arithmétique. C'est le contraire qui est en train de se passer. Elles se complexifient. Pour une raison simple : aucun parti ne peut prétendre incarner le peuple à lui seul. Il peut représenter la majorité du «peuple électeur», mais ce dernier ne se superpose ni au «peuple social», dont les manifestations expriment quotidiennement les problèmes et les aspirations, ni au «peuple principe» constitué par ce qui fait le ciment de la vie commune, l'existence de certains droits. Il n'y a donc pas de légitimité démocratique absolue, dont une seule instance pourrait être détentrice.
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N. O. - L'élection est pourtant la clé de voûte de la démocratie...
P. Rosanvallon. - La légitimité que confirme l'onction électorale est certes matériellement la clé de voûte de l'édifice, car personne ne peut discuter que 51 doive l'emporter sur 49; mais elle reste imparfaite. D'où l'accent qui est de plus en plus mis sur des impératifs complémentaires de mise à distance des positions partisanes et des intérêts particuliers (renvoyant à une légitimité d'impartialité), de prise en compte des expressions plurielles du bien commun (correspondant à une légitimité de réflexivité), et de reconnaissance de toutes les singularités (ou légitimité de proximité). Si la démocratie peut être définie comme le type de régime qui donne le pouvoir à la généralité sociale, force est en effet de constater que le fait majoritaire n'en est qu'une expression approchée. D'où l'importance prise par cette notion d'impartialité. Faute d'être capable de constituer un pouvoir réellement approprié par tous, on essaie d'en organiser certains éléments de telle sorte que nul ne puisse mettre la main dessus. C'est ce qui devrait définir la position d'institutions comme les autorités de surveillance ou de régulation.Faute de pouvoir construire une souveraineté populaire directement accomplie, on peut par ailleurs essayer d'en pluraliser les expressions. Le but est là de compliquer les sujets et les formes de la démocratie pour en réaliser les objectifs. On peut par exemple estimer qu'une cour constitutionnelle exprime un «peuple juridique» pour contrebalancer l'expression du peuple électoral majoritaire. Des «académies du futur» pourraient aussi être chargées dans cet esprit de représenter les générations à venir.
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N. O. - Vous considérez ainsi qu'un pouvoir peut être légitime même s'il n'a pas été élu ?
P. Rosanvallon. - Oui, mais à certaines conditions très strictes. Il faut que sa mise en place fasse l'objet d'un consensus, que ceux qui le composent aient été soumis à des épreuves de contrôle et de validation impliquant les différents partis, que l'indépendance de ses membres soit garantie, qu'il rende publiquement des comptes, etc. Il ne peut s'imposer que si ces différentes qualités sont socialement reconnues. La légitimité est dans ce cas de l'ordre d'une qualité et pas d'un statut. Cela souligne l'écart entre ce que devraient être des autorités indépendantes pour être pleinement intégrées à l'ordre démocratique et ce qu'elles sont actuellement. Mais cela indique aussi la ligne à suivre.
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N. O. - Vous expliquez le rejet de la politique par le fait qu'elle est considérée comme le lieu des manoeuvres partisanes et des calculs personnels. La gauche en France pèche-t-elle dans ce sens ?
P. Rosanvallon. - La démocratie doit faire vivre en même temps deux exigences : celle de l'organisation périodique d'un choix entre des personnes et des programmes fortement différenciés d'un côté, et celle de la mise en place d'institutions garantes de l'intérêt général situées au-dessus de ces différences de l'autre. La démocratie appelle ainsi le plein exercice de l'opposition entre partis. Mais elle repose aussi sur le développement d institutions réflexives ou impartiales. Le danger est de vouloir confondre les deux registres. C'est ainsi entraîner une confusion que de plaider pour le dépassement des partis et la réalisation d'une politique des «bonnes volontés». Mais c'est jeter une confusion symétrique que de vouloir transposer partout les conditions du choix partisan.La vie démocratique implique d'organiser une forme de dualisme entre les institutions appartenant au monde de la décision majoritaire et celles qui se rattachent à un impératif plus exigeant de justification. La gauche devrait partir de là pour faire d'une nouvelle conception du progrès démocratique un élément de son identité.
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N. O. - Les mots «participation» et «proximité» se sont largement diffusés. Les exigences citoyennes accrues sont-elles un atout ou un obstacle à la régénération de la politique ?
P. Rosanvallon. - Ces mots traduisent l'existence d'une nouvelle exigence citoyenne à l'égard des gouvernants. On s'est longtemps contenté de concevoir la démocratie comme un régime et de juger un pouvoir à l'aune des décisions qu'il prend. De nombreuses enquêtes montrent que les citoyens sont maintenant de plus en plus sensibles à la façon dont ils sont respectés, pris en considération. Se développe l'idée qu'il y a des «conduites démocratiques» à adopter. Les gouvernants en sont conscients. D'où, de leur côté, les tentatives de manipuler ces attentes. C'est dans cette perspective qu'il faut analyser tout ce qui ressort des mises en scène compassionnelles.
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N. O. - Vous écrivez qu'il est urgent de développer une démocratie d'interaction. Qu'entendez-vous par là ?
P. Rosanvallon. - L'urgence est de développer des formes de démocratie permanente et de ne pas se contenter d'une démocratie intermittente. Comment y arriver ? Ce ne peut être en votant sur tous les sujets et à tout bout de champ, comme l'impliquait il y a une vingtaine d'années l'utopie d'une «démocratie électronique». C'est plutôt la qualité du lien entre gouvernants et gouvernés qu'il s'agit de repenser. C'est en termes de contraintes de publicité, de formes d'exercice de la responsabilité, d'exigences de délibération que le problème se pose. C'est en fait tout cela qui se cache derrière le mot-valise de «participation». Ce qui amène d'ailleurs à souligner qu'il n'est plus entendu comme une alternative à la démocratie représentative. Il renvoie dorénavant à l'idée d'une interactivité régulière entre pouvoir et société.
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N. O. - Les démocraties deviennent-elles trop compliquées pour être vraiment vivantes ?
P. Rosanvallon. - Elles ne deviendront vivantes que si elles se compliquent ! Tout en reconnaissant l'importance des périodes de dramatisation et de simplification que constituent les élections. C'est en effet là que s'expriment le plus fortement la dimension proprement politique des démocraties, celle qui consiste à trancher entre deux points de vue.
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N. O. - La campagne américaine montre actuellement une repolitisation du peuple américain. Comment évaluez-vous ce réenchantement ?
P. Rosanvallon. - La campagne américaine illustre bien ce fait. Mais c'est un phénomène plus général. Quand des personnalités, des idées et des sensibilités s'opposent clairement, cela permet à chacun de déterminer son choix. Le rapport des candidats aux électeurs est alors simple, il est structurellement «enchanté» : il produit positivement de l'identité partisane et politise la société au sens fort du terme. Mais la vie démocratique ne peut éterniser ce moment. Quand vient le temps de gouverner, s'instaure fonctionnellement une distance entre le pouvoir et la société : les électeurs deviennent des gouvernés. C'est à partir de là que vient le temps des désillusions. Voyez le cas français. On a pu parler de repolitisation en 2007, alors qu'en 2008... C'est aussi lié au fait que les qualités qui font le bon candidat, et donc l'élu, ne sont pas celles qui font le bon gouvernant. Voyez Sarkozy ! Souhaitons donc qu'Obama ne soit pas seulement un formidable candidat.
Pierre Rosanvallon.

Historien, Pierre Rosanvallon est professeur au Collège de France. Il anime par ailleurs la République des Idées (laviedesidees.fr). «La Légitimité démocratique», qui paraît au Seuil cette semaine, constitue le deuxième volet d'un cycle de réflexions entamé avec «la Contre- démocratie» (Seuil, 2006).

François Armanet, Gilles Anquetil. Le Nouvel Observateur.