samedi 24 octobre 2009

INTERNET : APRES LA MUSIQUE, LE TEXTE...

Nº2346. NOUVEL OBSERVATEUR. SEMAINE DU JEUDI 22 Octobre 2009.
Aux Etats-Unis, où les lecteurs numériques commencent à devenir grand public, les éditeurs voient avec effroi se multiplier les sites illégaux de téléchargement
De notre correspondant aux Etats-Unis.

Quand il s'est mis en quête d'une copie électronique pirate du dernier Dan Brown, Randall Stross, un journaliste de la Silicon Valley, n'imaginait sans doute pas une pêche aussi miraculeuse : Attributor, une société qui aide les éditeurs à combattre le piratage, lui en a déniché 106 exemplaires, disponibles sur 11 sites différents ! Mais le plus étonnant est le commentaire que lui a servi une porte-parole de Rapidshare, un site d'échange de fichiers électroniques : si vous êtes un auteur mécontent de voir vos livres piratés, faites comme le groupe de rock Nine Inch Nails, assurez votre promotion «en distribuant l'essentiel de votre contenu gratuitement».
Sortir du ghetto.
On verra peut-être un jour Frédéric Beigbeder gagner sa vie d'écrivain en organisant des lectures publiques au Zénith, les tickets se revendant à prix d'or au marché noir. En attendant, l'édition américaine se retrouve entre le marteau et l'enclume, dans une situation radicalement nouvelle qui pourrait présager l'avenir de l'édition mondiale. Le marteau ? Une guerre des prix sans merci sur le terrain des livres électroniques. Wal-Mart, le géant des hypermarchés, est lancé dans un mano a mano avec Amazon, les deux sites offrant des best-sellers en version électronique à 9 dollars (6 euros), soit, si l'on prend par exemple le prochain thriller de Michael Crichton, une réduction de 78% sur le prix public conseillé. Le rabais n'a rien de temporaire : de la même façon que les Américains se sont habitués à ne pas payer leur journal sur internet, dépenser moins de 10 dollars pour le dernier best-seller risque de devenir rapidement la norme.
Le livre électronique, en 2009, est vraiment sorti de son ghetto. Il ne représente encore que 1,6% des ventes de livres, mais le premier semestre affiche une progression de 174% sur la même période de 2008. Surtout, les supports électroniques se bousculent au portillon : au Kindle d'Amazon (45% de part de marché) et au Reader de Sony (30%) vont s'ajouter un lecteur de Best Buy, le géant des magasins d'électronique grand public et - dernier-né - le lecteur de Barnes & Noble, la plus grande chaîne de librairies d'Amérique, qui offre déjà 700 000 titres d'ouvrages en ligne. Certes, selon l'analyste Forrester Research, Amazon ou Sony devraient abaisser le prix de leurs lecteurs à 50 dollars pour qu'ils deviennent un produit de masse.Mais en attendant, Google Editions, une librairie virtuelle de 500 000 titres qui devrait voir le jour l'an prochain, a de quoi inquiéter les éditeurs. L'enclume ? C'est le piratage. Les lecteurs électroniques acceptent un nombre croissant de formats, dont le PDF, lisible par exemple sur un Kindle DX. Le piratage devient donc de plus en plus facile, en recourant à des sites d'échange de fichiers comme Rapidshare, domicilié en Suisse, Megaupload, Hotfile ou encore MediaFire. Le phénomène est encore à des années-lumière du téléchargement de fichiers musicaux, qui a décimé l'industrie du disque, mais il est suffisamment préoccupant pour qu'un éditeur américain, John Wiley & Sons, ait affecté trois personnes à temps plein pour traquer les copies illégales téléchargées sur internet.
Et déjà le débat fait rage dans le petit monde des éditeurs, qui ne parlaient que de cela à la Foire de Francfort : faut-il s'arc-bou- ter et résister, comme l'avait fait - avec l'insuccès que l'on connaît - le monde de la musique face à Napster, ou au contraire rechercher un nouvel équilibre économique peuplé de best-sellers à 10 dollars ? Aucune réponse définitive, mais une évidence : un livre, comme une chanson, un film ou un article de journal, est un produit qui peut être codé en milliers de 0 et de 1, puis envoyé par un simple clic d'ordinateur. S'il connaît la même «napstérisation» que ses homologues du son ou de l'image, c'est toute l'édition mondiale qui devra repenser son avenir.
Philippe Boulet-Gercourt.Le Nouvel Observateur.
http://hebdo.nouvelobs.com/hebdo/parution/p2346/articles/a411318-.html
 

vendredi 23 octobre 2009

PREVENIR LE SUICIDE EN BANDE DESSINEE.

Prévenir le suicide en bande dessinée.
Le quotidien jurassien 23 octobre 2009.
Dessinée par Fabio Mantovani et scénarisée par Jean-Louis Fonteneau avec Michel Debout, "Tout doit disparaître, travail et souffrances psychologiques" (Editions Narratives)
Dr Michel Debout est l'un des pionniers de la prévention du suicide en France. Déjà auteur de plusieurs livres et études sur le sujet, il publie ces prochains jours une bande dessinée intitulée "Tout doit disparaître".
La BD raconte l'histoire d'une usine qui ferme et des gens qui vivent la crise, le désespoir et le suicide.Dans cet interview, il explique les liens entre la crise économique et la crise humaine et les tragédies personnelles qui en naissent.
(Cet interview fait écho au Point fort paru dans l'édition du 9 septembre 2009.)
Le quatrième de couverture de "Tout doit disparaître".

 
A l’occasion des plans sociaux, les salariés expriment entre eux une solidarité très forte, et plus dure est la chute lorsque le couperet du licenciement tombe !
Ce que ressentent alors les licenciés c’est que le système économique est plus fort que les hommes ; malgré l’histoire de l’entreprise et la qualité de la production, le souffle du profit maximum et du moins disant social balaie tout, laissant chacun démuni et parfois désespéré.
L’histoire du mouvement ouvrier est empreinte de luttes pour améliorer les conditions de travail, contribuer à ce qu’elles soient les plus dignes possibles, respectueuses du droit et de la santé des travailleurs.
Les salariés ont droit à la préservation de leur santé qui constitue la contrepartie légitime, avec les salaires et la retraite, aux efforts consentis et aux contraintes acceptées dans le cadre du travail. Durant des siècles, l’effort physique a dominé puis s’est ajouté, sous des modalités qui ont évolué, l’effort mental, intellectuel. L’industrialisation et les machines ont contraint le travailleur à devenir très attentif à ce qu’il fait. Les maîtres mots du travail sont devenus compétences, savoirs, performance…
Ce que l’on appelle aujourd’hui « les risques psychosociaux au travail » : stress, agressions, addictions, harcèlements, suicides ont été trop longtemps considérés comme relevant exclusivement de la personnalité du salarié (de son état psychique, de son histoire...) mais plus personne ne conteste le lien possible entre les conditions et relations de travail, le management et la souffrance psychique ressentie.La santé psychique est ainsi devenue un enjeu majeur de l’organisation du travail au point même que l’on évoque le « bien être au travail » qui en est le synonyme, si l’on se réfère à la définition de l’O.M.S. (Organisation Mondiale de la Santé), la santé étant « un état total de bien être physique, mental et social ». Tout salarié stressé, agressé, consommateur de produits psychotropes… doit pouvoir bénéficier d’un accompagnement psychologique et social adapté. Cette intervention doit être précédée d’un véritable protocole de prévention du risque psychosocial en entreprise: c’est la vraie réponse.
La définition d’un tel protocole nécessite la mobilisation des instances statutaires (médecins du travail, services de santé et sociaux, direction, organisations syndicales…) et l’intervention, d’experts extérieurs à l’entreprise (psychologues, psychosociologues…). C’est par le développement de cette dynamique dans toute la sphère productive, dans tous les services publics et privés, que le salarié ne sera plus abandonné à son sort voire à sa maladie mais respecté comme une femme ou un homme au travail.
Pr Michel Debout
http://www.lqj.ch/content/index.php?option=com_content&task=view&id=10481
 

jeudi 22 octobre 2009

LA CRISE N'EXISTE PAS.

Le Monde. Chronique d'abonnés.
La crise n'existe pas
par thierry c., ouvrier
21.10.09

Voyons, cela fait plusieurs mois que nous parlons de crise et que nous tremblons à l'idée de nous retrouver demain, plus pauvres qu'aujourd'hui. Je compte même parmi mes collègues de nombreuses personnes qui ne cessent de se plaindre en pleurant sur l'évolution des prix et de leur pouvoir d'achat. Et sans doute s'attendent-ils à ce que j'en fasse autant.
Or, à leur grande surprise je ne partage pas, mais alors pas du tout leur désarroi. Moi qui pleurait il y a encore quelques semaines sur l'évolution des cours boursiers, j'avoue aujourd'hui n'avoir jamais fait d'aussi bonnes affaires. Je suis presque plus riche qu'avant la crise, c'est dire !
Les banques, que l'on disait encore à l'agonie, sont en passe de rembourser leurs dettes auprès de l'Etat, elles n'ont plus besoin de leurs perfusion qu'elles jettent maintenant au panier, et je dirai même pour étayer mes propos que les particuliers, tout au moins ceux qui n'ont pas perdu leur emploi, bénéficient à plein et dans de nombreux secteurs des baisses de prix ! En fait de crise, tout ceux qui vivent à l'abris n'ont jamais été aussi riches ! Non seulement leurs salaires, sauf exception n'ont pas baissé, mais en plus la sagesse des prix leur a redonné du pouvoir d'achat !
Eh, la crise ? Mon oeil...
Enfin, quand même, je ne voudrais qu'on se méprenne sur mes propos, je sais qu'il y en a qui souffrent et qui souffrent vraiment. Je sais que nombre de mes concitoyens perdent ou vont perdre leur emploi. Et je les plains, sincérement.
Ils sont sans doute les vraies victimes de ces soubresauts de l'économie. Certains d'entre eux, et il faut le dire, ne retrouveront jamais d'emploi et d'autres devront nécessairement se reconvertir, se reformer. Quand on sait ce qu'il en coûte de retourner à l'école quand on l'a quittée à seize ans, je comprend que cela sera difficile, voir impossible pour certains.
La crise, la vraie crise, et pas celle du pouvoir d'achat, ces gens là vont la vivre ou la vivent déjà. Or, personne n'en parle. Personne ne s'interroge vraiment pour savoir s'il n'est pas surhumain d'envisager de se reconvertir à trente voir à quarante ans passés quand on a quitté l'école avant dix huit ans ! Personne ne s'insurge pour remettre en cause un système d'indemnisation du chômage qui enfonce les plus fragiles dans la déchéance. Personne ne s'inquiète en fait des conséquences, bien réelles de cette crise qui fait et qui va faire encore en sorte que de nombreuses personnes vont voir leur vie basculer dans l'inconnu, le doute et parfois, le pire...
Non, en fait, cette crise là n'existe pas non plus. On ne peut pas passer son temps à geindre sur ces quelques employés qui perdent pied ou ces ex salariés qui n'arrivent pas à remonter la pente. Aux yeux de l'opinion publique, ces gens là sont sans intérêt, ils pleurent et celà ne va pas dans le sens de ce qu'ils veulent entendre. Non, et là je parle au nom de l'opinion publique : la crise n'existe pas, ou tout au moins on veut pas qu'elle existe !
Non, ne vous trompez pas, nous sommes tous pareils, nous détournons la tête quand le spectacle nous gène ou pire qu'il remet en cause nos idées trop bien assises.
Et oui, si nous avions le courage de regarder le désastre de ces gens là. si nous avions un peu d'humanité pour tous ces pauvres types qui perdent pied les uns après les autres et s'inquiètent pour eux et pour leur famille, nous changerions de système social. Nous changerions nos modes de répartition des revenus. Nous modifierions cette règle absurde et injuste qui fait que pour avoir une indemnisation honnête au chômage, il faut avoir eu un travail et ne pas être resté sans emploi trop longtemps. Nous nous éleverions contre cette injustice criante qui fait que moins on a de chance d'avoir un emploi, moins on est protégé contre les affres du chômage et de la pauvreté !
Mais, allez, il ne faut pas que je me mette en colère, ça ne sert à rien. De toute façon, on le sait bien, la seule solution au chômage, c'est, du moins on continue à vouloir le croire, de retourner vers le plein emploi. Ca fait trente ans qu'on nous raconte la même chose ! Ca fait trente ans qu'on nous affirme que la crise est passagère et qu'un jour, nous reviendrons au taux de chômage des années 1960. Ca fait trente ans qu'on nous fait croire que demain. Ca fait trente ans que j'attend et réclame une révolution dans le domaine de l'indemnisation du Chômage. Mais ça fait trente ans qu'on fait comme si la crise, la crise de l'emploi, n'existait pas !
Allez, excusez moi messieurs dames, ça fait peut être trente ans que des gens vivent entre le chômage et les petits boulots. Mais qui s'en préoccupe ? La crise n'existe pas.
Et d'ailleurs nous avons toujours, "le meilleur système de protection sociale au monde".
Alors, pourquoi s'inquiéter ?
http://www.lemonde.fr/opinions/chronique/2009/10/21/la-crise-n-existe-pas_1256570_3232.html

vendredi 16 octobre 2009

DIDIER ERIBON : "MON LIVRE PRÔNE LA REVOLTE CONTRE LA VIOLENCE SOCIALE.


TCHAT LIBERATION 13/10/2009.
Après la mort de son père, le sociologue Didier Eribon retrouve son milieu d'origine et se plonge dans son passé. Son livre, «Retour à Reims» (Fayard) évoque le monde ouvrier de son enfance, restitue son parcours d'ascension sociale, et une réflexion sur les classes, le système scolaire, la fabrication des identités. Il a répondu à vos questions.

 
Natacha. A quel moment avez-vous ressenti la nécessité d'écrire ce livre?

Didier Eribon. Je n'ai pas assisté aux obsèques de mon père. Je suis allé voir ma mère au lendemain de ses obsèques, et je me suis posé cette question: pourquoi, moi, qui ai tellement écrit sur la domination, sur la honte dans le domaine de la sexualité, n'avais-je jamais écrit sur la domination sociale, et sur la honte de classe?
J'ai commencé à écrire presque aussitôt. Ça m'a semblé si difficile, que j'ai arrêté ce livre au bout de quelques dizaines de feuillets. Je l'ai repris deux ans plus tard, à l'occasion d'une conférence que j'ai faite aux Etats-Unis où j'abordai ces questions, puis j'ai repris le projet du livre.

Françoise. Pensez-vous que le fait de retrouver votre mère vous aide dans votre approche sociologique? Quelle réflexion nouvelle peut-elle apporter que vous n'ayez déjà constatée ? Peux-t-on imaginer que ce retour est une impossibilité à se séparer ou un lien nécessaire ?

Retrouver ma mère m'apporte beaucoup de choses, à la fois personnellement, mais aussi, bien sûr, sociologiquement, puisque elle m'a beaucoup parlé, et notamment, elle a bien voulu répondre à toutes les questions que je lui posais, sur son passé, et son histoire. Mon livre est très attentif à la parole que les individus tiennent sur eux-mêmes.

TheArtofYello. Ce «Retour à Reims» est-il votre «Esquisse pour une auto-analyse» ?

Bien sûr, le livre de Pierre Bourdieu qui porte ce titre «Esquisse pour une auto-analyse», hante ma propre démarche, et on peut voir dans mon livre la trace de cette influence. Mais le livre de Bourdieu, que je trouve magnifique, m'a aussi toujours semblé très schématique, elliptique, et j'ai osé faire, ce qu'il pas n'avait osé faire - c'est lui-même qui m'a dit qu'il n'avait pas osé le faire -, c'est-à-dire aller le plus loin possible dans l'exploration de mon passé, de ma famille, et de mon rapport à ce passé et à ma famille. Je peux vous assurer que cela n'a pas été facile.

Thierryf. J'avais deux questions à poser sur votre livre: d'une part, vous dites, dans la présentation, qu'il porte sur «la démocratie, le vote, etc...». C'est-à-dire? D'autre part, apparemment, vous insistez beaucoup sur le «déterminisme social» alors que vous décrivez votre trajectoire d'ascension sociale, votre sortie de votre classe d'origine, c'est pas un peu contradictoire?

Sur le premier point: dans mon enfance, dans ma famille, dans mon millieu social, on votait communiste. Puis, beaucoup se sont mis à voter pour le front national. Je crois que cela s'explique par le fait que les classes populaires sont dépossédées de la parole publique, ou insultées dès qu'elle la prenne. Par exemple, lors de grandes grèves. J'ai voulu comprendre qu'elle était l'importance du vote dans les classes populaires pour exister en tant que groupe, et affirmer son existence et sa dignité, d'où la réflexion sur la démocratie.

Pour le deuxième point: je crois que le déterminisme social est très fort, nous sommes tous marqués par des verdicts sociaux à la naissance, et peut-être même avant la naissance, c'est-à-dire par le lieu, le moment, la classe où nous naissons. Je me réfère par exemple aux textes de James Baldwin, qui décrit tout ceci à merveille. Cela n'empêche pas que certaines personnes, et c'est le cas par exemple pour Baldwin ou pour moi-même, réussissent à échapper au destin fixé à l'avance. Mais cela n'empêche pas les déterminismes d'exister. Encore aujourd'hui, je suis le produit de mon passé social. Mon livre essaye d'expliquer pourquoi et comment.

Lorène. En vous plongeant dans la vie de vos parents, de vos grands-parents, est-ce qu'il y a des aspects de leur vie dont vous êtes nostalgique?

Non, pas du tout, j'ai voulu réhabiliter et rendre hommage à des gens qui sont effacés de la visibilité publique, mais je n'ai aucune nostalgie. Je ne partage pas du tout cette nostalgie que certains sociologues, qui écrivent sur les classes populaires, mettent volontier dans leurs livres. Ils célèbrent les valeurs populaires, alors que, dès leur adolescence, ils ont tout fait pour en sortir. C'est un livre de réhabilitation mais ce n'est pas un livre de mythologie.

Patrick00. Par opposition au livre de Bourdieu, d'après ce que j'ai compris, votre livre vise d'une certaine manière moins à vous comprendre vous-même que, à partir de votre expérience, comprendre le monde social et son fonctionnement dans son ensemble, non? C'est très différent?

Vous avez raison, Bourdieu écrit son auto-analyse en disant que cela permettra de comprendre la genèse de son oeuvre. C'est donc un livre sur lui-même. Pour ce qui me concerne, je pars de moi-même, de mon rapport à ma famille, à mon passé, pour explorer ce qu'ont été les conditions de vie, de mes parents, de mes grands-parents, du milieu dans lequel j'ai grandi. C'est un livre sur les quartiers populaires, sur le système scolaire, et la violence qu'il exerce à l'égard des enfants des classes populaires, sur les rapports entre les hommes et les femmes, sur la vie à l'usine, sur le harcèlement sexuel dont ma mère faisait l'objet de la part de ses patrons, dans sa jeunesse, quant elle était femme de ménage. Ce n'est pas un livre sur moi, c'est un livre sur eux.

Rostov. Un parcours doublement affranchi comme le vôtre serait-il aussi difficile ou plus difficile aujourd'hui?

Mon livre vient de sortir, mais si j'en crois les réactions qui m'ont déjà été communiquées par un certain nombre de mes lecteurs, je crois que les permanences sont plus fortes que les différences. Un enfant des classes populaires aujourd'hui a toutes les chances d'être éliminés du système scolaire, comme c'était le cas hier. Un jeune gay ou une jeune lesbienne a toutes les chances à avoir beaucoup de difficultés à assumer son homosexualité. Ces deux parcours d'affranchissement que j'ai accomplis ont été difficiles, je crois qu'ils le sont encore aujourd'hui. C'est pour cela que je crois que mon livre est un livre de révoltes et qui prône la révolte contre la violence sociale qui s'exerce sur les individus dans tous les domaines.

Thomas. Vous avez beaucoup écrit sur la question gay, les identités sexuelles: pourquoi vous intéressez-vous maintenant sur la classe ouvrière, la question sociale ? Comment cela s'articule?

Je me suis toujours intéressé à la classe ouvrière et à la question sociale, d'un point de vue politique, mais je n'ai jamais écrit sur ces questions. J'essaye aujourd'hui de penser comment chacun de nous est construit à l'intersection de plusieurs identités. Une femme noire ouvrière vit à la croisée de plusieurs identités. Je crois qu'il est important d'essayer de penser la complexité des identités, non pas pour les opposer, les unes aux autres, mais pour essayer de voir comment chacun de nous peut être le sujet de plusieurs politiques à la fois: sociale, sexuelle, raciale etc...

Livitchz. Considérez-vous l'ascenceur social comme bloqué aujourd'hui ?

D'une certaine manière, oui. Mais je ne suis pas certain qu'il ait très bien fonctionné auparavant. J'écris dans mon livre que la démocratisation scolaire est en grande partie un leurre. Je pense que la reproduction sociale, pour reprendre le mot célèbre de Bourdieu, est aussi rigide aujourd'hui qu'hier, et que le système scolaire est un des rouages de cette reproduction. Ne me demandez pas si j'ai des solutions: je n'en ai pas.

Livitchz. Il fonctionne à l'étranger (Obama)? pourquoi est-ce si dur en France?

Pour autant que je sache Obama n'est pas un enfant des classes populaires. Et, de toute façon, le fait qu'un certain nombre de gens échappe aux lois statistiques de la reproduction, ne signifie pas que l'immense majorité n'y échappe pas. Je connais bien les Etats-Unis, puisque j'y ai enseigné. Puisque vous parlez d'Obama, je crois que la ségrégation raciale dont les Noirs sont victimes reste aussi forte qu'elle l'était il y a dix ou vingt ans. Pour ce qui est de la ségrégation sociale et de la reproduction des élites, je crois que les Etats-Unis, ne sont pas en reste. Je ne suis pas certain que ce soit un modèle à suivre, même si je me suis réjoui, bien sûr, avec enthousiasme de l'élection d'Obama.

Lorène. Le discours de Nicolas Sarkozy sur la réforme de l'éducation, l'avez-vous suivi? qu'en avez-vous pensé?

Non, je ne l'ai pas suivi, et donc je ne peux pas vous répondre. A priori, je me méfie des discours de Nicolas Sarkozy et des réformes qu'ils annoncent. Mais c'est aux lycéens et aux enseignants du secondaire d'apporter une réponse à ce que le gouvernement va proposer.

Patrick00. Votre livre s'appuie sur la littérature, d'après ce que j'ai compris? Quels auteurs? Qu'y avez-vous trouvé?

Je me suis appuyé sur des écrivains, bien sûr, dans la mesure où dans leurs oeuvres on trouve beaucoup d'analyses extraordinaires du monde social. Je cite beaucoup Annie Ernaux, pour qui j'ai une très grande admiration, James Baldwin, que j'ai déjà mentionné, Paul Nizan, John Edgar Wideman, Raymond Williams qui n'est pas seulement un grand théoricien mais un grand romancier, et quelques autres.

Rostov. Ce thème de la complexité des identités que vous évoquez à travers l'exemple de la femme noire ouvrière pourrait-il faire l'objet d'un prochain livre?

Dans la mesure où mes livres sont appuyés sur ma propre expérience, peut-être pas de manière directe, car je ne suis pas une femme noire ouvrière, comme ça ne vous a pas échappé. Des travaux ont été publiés aux Etats-Unis qui réfléchissent sur ce que certains théoriciens et certaines théoriciennes appellent l'intersectionnalité. J'espère que des travaux de ce genre verront le jour en France, et si mon livre peut servir de point de départ à des travaux qui porteront sur d'autres identités, et d'autres questions, je ne peux que m'en féliciter.
http://www.liberation.fr/livres/1201200-livres-retour-a-reims
 

vendredi 18 septembre 2009

SI L'ON NE REPENSE PAS LE TRAVAIL, IL FAUT S'ATTENDRE A PIRE QUE DES SUICIDES.

Christophe Dejours, psychanalyste
"Si on ne repense pas le travail, il faut s'attendre à pire que des suicides"
LEMONDE.FR 16.09.09 19h49 • Mis à jour le 16.09.09 20h35
Auteur de "Suicide et travail : que faire ?" (PUF, 2009),
Christophe Dejours, psychanalyste, appelle à repenser le travail pour sortir des logiques gestionnaires qui détruisent le tissu socio-professionnel tout en faisant croire qu'elles traitent les problèmes des salariés.
Les faits Suicides à France Télécom : "contrôler le phénomène de contagion" Pourquoi parle-t-on plus aujourd'hui du suicide au travail ?
Christophe Dejours :
Parce que les suicides sur les lieux de travail n'existaient pas avant. Ils sont apparus il y a une douzaine d'années, sans avoir été relayés. Le tournant s'est opéré en 2007, avec les cas de suicides chez Renault et Peugeot.
Les premiers suicides dont j'ai entendu parler constituaient pour moi une forme de décompensation psycho-pathologique parmi d'autres. C'est la répétition des choses qui est devenue hallucinante. Non seulement, il y avait un suicide sur les lieux de travail mais généralement il ne se passait rien après. Ces suicides au travail marquent incontestablement une sorte de bascule qui frappe le monde du travail.
Pour un suicide lié au travail combien de tentatives de suicide et de personnes internées en raison du travail ?
On ne peut pas le chiffrer car on n'a pas fait d'enquêtes épidémiologiques. Le ministère du travail fait la sourde oreille à mes demandes. Grâce à la commission mise en place par le gouvernement et dirigée par David Le Breton et dont je suis membre, nous avons réussi à obtenir que dans les statistiques sur les conditions de travail, il y ait désormais un item lié au suicide-travail. D'après une étude réalisée en 2005 en Basse-Normandie, on arrive à un taux de suicide, quand on l'extrapole à l'ensemble de la France, de 300-400 suicides par an. Mais le chiffre ne change rien.
Dans votre ouvrage, vous invalidez la défaillance individuelle comme seule raison du suicide...
Il y a des cas de suicides que l'on ne peut imputer à des difficultés dans l'espace privé : troubles névrotiques, psychotiques, dépressifs, des symptômes précurseurs, ni à un terrain de vulnérabilité particulière. C'est même là aussi une bascule pour la psychopathologie générale.
Ce qui est surprenant c'est que nous avons des personnes qui vont très bien et qui se suicident. On ne peut les expliquer avec les références habituelles de la psychiatrie. Il y a une bascule dans l'ordre social, dans le fonctionnement de la société, c'est aussi le signe d'une rupture dans la culture et la civilisation : les gens se tuent pour le travail. Cela oblige à repenser les catégories habituelles de notre discipline et à revoir ce que les sociologues du suicide disent, en particulier
Emile Durkheim dans son livre Le Suicide qui contestait les positions des psychopathologues. Du coup, on est obligé de revenir à ce qui se dit sur la solitude. On avait donc un peu raison.
Vous écrivez qu'il y a trente ans, il n'y avait pas de suicide au travail pour deux raisons : la résistance à l'effort et des solidarités plus fortes...
Oui, il y avait les autres, un collectif de travail, des stratégies de défense. On ne laissait pas un type s'enfoncer. J'ai vu des ouvriers alcooliques qui ne pouvaient pas monter sur les toits pour travailler. Les copains lui demandaient de rester en bas. Ils faisaient le boulot à sa place. Vous vous rendez compte de ce que cela veut dire en termes de prévention de l'accident, de prévention du suicide, de prévention des troubles psychopathologiques ? C'est impensable aujourd'hui ! On apprend aujourd'hui le pire alors qu'on apprenait le meilleur hier : la solidarité. C'est parce qu'on a adopté de nouvelles méthodes au travail que l'on a aujourd'hui un désert au sens arendtien du terme : la solitude totale.
C'est ce que vous appelez le passage du critère "travail" au critère "gestion du travail"...
A partir des années 1980, les gestionnaires se sont imposés dans le paysage, en introduisant l'idée que l'on pouvait faire de l'argent non pas avec le travail mais en faisant des économies sur les stocks, les ratés, les retouches, les effectifs. Tout ce qui est à la marge peut être l'objet d'économies. Partout, on vous apprend que la source de la richesse c'est la gestion des stocks et des ressources humaines, ce n'est plus le travail. Nous le payons maintenant ! Cette approche gestionnaire croit mesurer le travail, mais c'est conceptuellement et théoriquement faux ! Il n'y a pas de proportionnalité entre le résultat du travail et le travail. C'est très grave, car cela signifie que la comptabilité est fausse. D'où la contestation.
C'est donc le décalage entre la réalité du travail et la vision gestionnaire qui augmente le stress des salariés ?
Les gestionnaires qui ne regardent que le résultat ne veulent pas savoir comment vous les obtenez : c'est un contrat d'objectif, disent-ils. C'est comme ça que les salariés deviennent fous, parce qu'ils n'y arrivent pas. Les objectifs qu'on leur assigne sont incompatibles avec le temps dont ils disposent.
Cette logique gestionnaire se rapproche-t-elle de la logique totalitaire selon la conception d'
Hannah Arendt, que vous citez dans votre bibliographie ?
C'est assez difficile d'être affirmatif mais la question est posée, car les gens sont amenés à faire des tâches qu'ils réprouvent et il y a une machinerie très puissante qui est mise en œuvre et qui a avec le totalitarisme ce point commun qu'on traite l'humain comme quelque chose d'inutile, d'interchangeable. On lance des slogans pour faire croire qu'on fait des ressources humaines mais dans la réalité, c'est la gestion kleenex : on prend les gens, on les casse, on les vire. L'être humain au fond est une variable d'ajustement, ce qui compte, c'est l'argent, la gestion, les actionnaires, le conseil d'administration.
Ce qui pose forcément la question de la responsablité...
A l'évidence, ce sont les dirigeants d'entreprise, des politiques d'entreprise, le Medef, la refondation sociale mais aussi l'Etat, qui sont responsables. Il joue toujours un rôle de régulateur et là il s'est aligné sur le Medef. La responsabilité est aussi partagée par nous tous dans notre rapport au système qui ne marche pas sans notre collaboration, notre intelligence, notre zèle. Toute organisation du travail est aussi une organisation politique et une certaine conception de la domination.
Qu'entendez-vous par "repenser le travail" comme solution à la dégradation de la santé mentale au travail ?
Il faut rompre avec les modèles d'évaluation dont je vous ai parlé et repenser le travail à partir du travail collectif : c'est la question de la coopération et des instruments d'analyse du travail collectif. Puis, il ne faut plus mesurer le travail mais entrer dans la matérialité du travail. Enfin, c'est possible, puisque je l'ai fait dans un certain nombre d'entreprises. Quand on fait ce changement de cap, ce n'est pas qu'une catégorie particulière qui souffre, c'est tout le monde. Car c'est un réel changement de posture. Mais une fois que le mouvement est lancé, les gens vont beaucoup mieux.
Votre modèle casse la logique du Medef ?
Effectivement, mais il y aussi des patrons qui viennent me voir pour me demander de changer les instruments d'évaluation. N'oublions pas que l'évaluation du coût de la santé mentale au travail représente 3 à 6 % du PIB aujourd'hui dans tous nos pays. Donc les gens ont tout à gagner à faire ce travail de réévaluation.
Votre méthode a-t-elle rencontré des échecs ?
Oui, des démarches s'arrêtent en cours de route. L'idéologie de
France Télécom, c'est de casser les gens, les faire plier. Les gens ne comprennent plus. D'un côté, on demande aux cadres de virer des gens, de l'autre, on leur dit, vous êtes responsables de dépister les gens qui ne vont pas bien. La responsabilité incombe à ces managers tiraillés entre recevoir l'ordre de casser les gens et d'en assumer la responsabilité. Ils tombent malades. Mais il y a aussi le suicide, l'infarctus, l'hémorragie cérébrale. Pour en sortir, il faut un accord négocié sur la démarche et sur la cohérence par rapport à la politique de l'entreprise.
Sinon vous prenez le risque d'être associé à un alibi ?
Oui. Mais nous ne voulons pas passer pour un alibi, car à ce moment-là, nous échouons. Les alibis, ce sont les autres, ceux qui font de la gestion individuelle du stress, qui vendent de la relaxation. Les coachs, eux sont la vitrine et l'effet slogan. Ils font croire qu'ils font quelque chose. Et quand cela ne marche pas, ils disent aux salariés : "Vous ne savez pas gérer votre stress".
Une personne peut en cas de détresse se suicider mais aussi retourner son arme contre ses collègues, sa hiérarchie ou saboter gravement l'entreprise ? Est-ce déjà arrivé ?
Des tentatives de meurtres ont déjà été enregistrées. J'ai vu un gars armé tenir en joue tout l'état-major de l'entreprise pendant une matinée. J'ai vu aussi des sabotages extrêmement graves, notamment dans des centrales nucléaires.
Ces cas sont-ils récents ?
On a arrêté des sabotages au dernier moment. Mais je ne peux pas vous en dire plus, je suis sous le sceau du secret. Souvenez-vous de ce cas connu à la centrale nucléaire de Paluel (Seine-Maritine), où une personne a cassé la 1re tranche, puis la 2e tranche, puis la 3e tranche en une heure et demie. Il a failli détruire tout le centre de production nucléaire, alors qu'il y a des maîtres-chiens, des contrôles. Comment a-t-il fait ? Si ce n'est au moins avec la passivité des copains. Dans une autre centrale, le gars voulait découpler la centrale du réseau. S'il y était parvenu, la centrale aurait sauté. Ce sont des membres de la CGT qui lui ont "cassé la gueule" pour l'arrêter.
Propos recueillis par Gaïdz Minassian

mercredi 16 septembre 2009

UNE ARMEE SANS FUSILS.

LIBERATION. 16/09/2009 à 00h00. Une armée sans fusils.
Par LAURENT JOFFRIN.

Les anciens cultes, souvent, reposaient sur le sacrifice. Les dieux avaient soif, il leur fallait leur content de souffrance. Ainsi en va-t-il d’un culte beaucoup plus contemporain : celui de la performance. Pratiqué dans les entreprises les plus compétitives comme dans les studios clinquants de la téléréalité, il produit lui aussi son contingent de sacrifiés. La société de concurrence, par nature, implique l’élimination, hors du Loft, pour le symbole, mais aussi hors de l’économie réelle, cet autre cercle enchanté des vainqueurs. Hier dans Libération, Joseph Stiglitz expliquait que les chiffres de croissance et de la production ne sauraient donner une image juste du bien-être d’une société. A revenu égal, selon qu’on est ou non intégré dans un réseau de relations, reconnu ou non par son entourage, protégé ou stigmatisé par les organisations, on est heureux ou malheureux. Ancienne administration garantissant l’emploi, disposant d’honnêtes avantages sociaux, France Télécom n’est pas, comme on dit couramment, «une mauvaise boîte», loin de là. C’est une culture globale qui est en cause, puisqu’on sait depuis Emile Durkheim que le suicide, tragédie intime, est aussi un phénomène social. Une culture créée par les forts, qui assimile l’économie à une forme de guerre, requérant la mobilisation générale, le patriotisme fervent et la sanction régulière des défaillances. Quand le management devient martial et l’entreprise une armée sans fusils, la métaphore se prolonge jusqu’au drame: chacun sait qu’à la guerre, il y a des morts.
http://www.liberation.fr/economie/0101591256-une-armee-sans-fusils

vendredi 21 août 2009

LA MENACE DU SANS TRAVAIL.

Chronique d'abonnés . LE MONDE.
La menace du sans travail par thierry c.
18.08.09
Il ne fait pas de doute que nous ne sommes plus dans une société du travail.
Si les trente-cinq heures et les congés payés ont pu faire scandale au moment ou ils ont été adoptés, il est bien peu de personnes pour les remettre en cause aujourd'hui. Mieux, plus personne ne parle aujourd'hui de renvoyer les enfants à l'usine ou au champs comme c'était la genéralité il y a seulement cent cinquante ans.
Dans une certaine mesure nous avons donc pris acte du fait que le travail humain tendait à disparaître et que la productivité des salariés occupés étaient aujourd'hui, dans notre pays, une des plus élevée au monde. Nous n'avons plus besoin de travailler aussi longtemps pour produire autant de biens et dans bien des cas la main d'oeuvre disponible n'est plus vraiment nécessaire. Autrement dit, nous sommes passés d'une société de travail et d'efforts à une société de loisir et de temps libre.
Or ce qui me surprend, c'est de voir que dans l'imaginaire collectif, le travail garde une place prépondérante dans l'organisation des rapports sociaux. Nous continuons, comme nous le faisions encore dans les années 1960, à nous définir par le travail et nos fonctions à l'intérieure de la société., comme si il n'y avait que le travail.
Qu'importe qu'en cent cinquante ans le travail se soit raréfié, voir définitivement anémié, nous refusons obstinément d'en tirer les conséquences en matière de rémunération et de partages des richesses. Nous continuons de prétendre et de manière mensongère, que seul le travail justifie le revenu et la position sociale. Nous affirmons encore avec force que les travailleurs constituent la seule force à opposer au capital, et pire encore, même si nous avons lutté pour obtenir une protection sociale, celle ci s'adosse, encore et toujours, sur un prétendu monde du travail qui n'existe plus.
Une telle erreur est à mon sens historique, dans la mesure ou nous refusons obstinément de voir qu'entre le monde du travail et celui du capital, une troisième force est en train d'émerger, un Tiers Etat, qui ne participe ni du travail ni du capital. Celui-ci, qui rassemble de vraies forces politiques et sociales n'est pourtant écouté par personne malgré ses soubressauts récurrents. Les jeunes, qui le composent pour l'esssentiel, n'y sont jamais pris en compte, jamais considérés.
Pourquoi ?
Entre le début du XX° siècle où il n'était pas rare de travailler à quinze ans et aujourd'hui, ou il est rarrissime de travailler à vingt, nos jeunes ont perdu un peu plus leurs repères et ce n'est sans doute pas un hasard s'ils revendiquent de manière récurrente. Naguère exploités ; peut-être, mais socialement intégrés, on les dénie aujourd'hui dans leur personnalité et dans leur droit à être autre chose que des faire-valoir pour émissions télévisées.
Face à un tel désastre, la prison et les places que nous promettent nos gouvernants n'auront que peu d'effet, si dans le même temps nous ne rompons pas avec notre modèle social et notre bonne vieille opposition entre travail et capital. Si nous ne comprenons pas, avant lui, que ce Tiers Etat qui n'est rien, aspire à devenir quelque chose. Nous aurons de plus en plus de mal à contenir nos banlieues, malgré les renforts de nos CRS, et nous battrons encore des records de suicides et pas seulement en prison.
Ne nous trompons pas de combat, ce n'est pas les retraites qu'il faut sauver: ce sont nos enfants, et la place sociale qui leur est due ! Si nous laissons partir nos usines qui fuient nos charges sociales, nous ne pourrons leur offrir d'avenir, et de surcroît nous mourrons de faim ! Si nous continuons à brimer ce que nous appelons nos jeunes en leur fermant la porte de l'intégration sociale nous ne compterons plus les débordements de fureurs, ou pire encore les actes de désespoirs.
Il faut à tout prix en finir avec le chômage, et en particulier avec le chômage des jeunes. Il faut leur donner un avenir, un rôle et une reconnaissance dans la société. Ou à défaut un salaire, un vrai, qu'ils puissent avoir un toit à eux et y fonder, pourquoi pas, une famille ! Il n'y a pas de raisons pour qu'en France deux mondes du "sans travail" s'opposent aussi violemment : celui des retraités aisés d'une part, et celui des jeunes pauvres et désoeuvrés d'autre part ! Les uns et les autres, au même titre et au même rang devraient avoir les mêmes droits, à la culture, aux transports et aux revenus, aux LOGEMENTS ! "Naissent et demeurent (art 1)...
Nous ne sommes plus dans une société du travail, nous devons en prendre acte, non pas en décrétant le chômage illégal, mais en le supprimant tout simplement. Les gens qui sont sans emploi mettront sans doute des années avant de sortir de là et qu'il n'y a aucune raison pour les punir d'une situation dont ils ne sont pas responsables. Il n'y a aucune raison pour opposer aussi violemment des ayant droits à vie et des "ayant devoirs" perpétuels. Supprimons le chômage et "donnons à chacun selon ses besoins".
En bref : sauvons nos jeunes !
http://www.lemonde.fr/opinions/chronique/2009/08/19/la-menace-du-sans-travail_1229755_3232.html

mercredi 12 août 2009

THIERRY JONQUET, FIGURE EMBLEMATIQUE DU NEO-POLAR FRANCAIS.

Thierry Jonquet, figure emblématique du "néo-polar" français
LE MONDE 12.08.09 15h34 • Mis à jour le 12.08.09 15h34

Thierry Jonquet, ancien militant révolutionnaire et figure emblématique du "néo-polar" français, est mort, dimanche 9 août, à l'hôpital de La Salpêtrière (Paris), d'un arrêt cardiaque. Il avait 55 ans. Avant d'être écrivain, Jonquet était un authentique révolté. Un homme à la sensibilité extrême. Un enthousiaste, dont le regard disait la douceur teigneuse, l'impitoyable générosité.
Adolescent, Thierry Jonquet s'était engagé sur la voie d'une politique radicale. Il y avait rencontré les deux questions qui balisent l'histoire de la gauche : celle d'une espérance potentiellement émancipatrice, et celle d'une violence supposément libératrice. Des années durant, il avait arpenté ce périlleux sentier. Au bout du chemin, un constat s'était imposé à lui : à l'horizon, le soleil rouge de l'espérance avait disparu ; seule demeurait une violence noire. Regarder la violence en face, lui tenir tête, la prendre en charge, même, afin de la domestiquer : telle est la tâche que Thierry Jonquet allait fixer au polar.
Mais ne brûlons pas les étapes. A l'origine de cet itinéraire, il y a l'espoir. Né en 1954 dans une famille de tradition communiste, le jeune Jonquet s'éveille très tôt à la conscience politique. Dans la bibliothèque du 11e arrondissement, d'abord, où il dévore tout ce qui lui tombe sous la main. Au cinéma, ensuite, où l'emmènent souvent ses parents : "C'est là qu'ont émergé mes interrogations sur le monde, confiait-il en 2002. J'étais bluffé par les grands films hollywoodiens de l'époque, Le Jour le plus long ou La Grande Evasion."Dans les colonies de vacances de la CGT, enfin, où l'envoie son père, mécano à la RATP : "Vous êtes les enfants de la classe ouvrière !", y martèlent les gentils organisateurs du syndicat.
Ainsi, à la fin des années 1960, l'élève du lycée Charlemagne avait toutes les prédispositions pour devenir "un parfait petit stalinien", selon une formule que Thierry Jonquet prononçait avec un sourire narquois. C'est là qu'intervient la première grande déception : dans le mouvement contre la guerre du Vietnam comme dans le soulèvement de Mai 68, le lycéen trouve le Parti communiste français trop prudent. Il observe, perplexe, l'attitude des jeunes communistes : "Ils passaient leur temps dans la cour à expliquer qu'il fallait rentrer chez soi, se souvenait-il, au micro de France Culture, en 2002. Dans la foulée, il y a eu l'intervention soviétique à Prague. Alors là, dans ma petite tête, je me suis dit : bon, ces gens-là sont des traîtres."
GRIMACES DOCTRINALES
Disponible, impatient, le fils du peuple part à la recherche d'une autre forme d'engagement. Il discute avec des militants de diverses tendances, jusqu'au jour où l'un de ses amis, membre de Lutte ouvrière (LO), lui met l'autobiographie de Trotski, Ma Vie, entre les mains. C'est la révélation : "Un livre fondamental, une histoire du siècle implacable, qui m'apportaient des réponses cohérentes, témoignait-il encore. Et voilà comment, en 1968-1969, je me suis retrouvé à LO, lisant les bouquins de Marx et des dizaines de romans. Devenir trotskiste à 14-15 ans, à l'époque, ça n'avait rien de farfelu..."
Commence alors une période de mobilisation permanente, que Thierry Jonquet évoquera plus tard dans son seul roman d'amour, Rouge c'est la vie. Il y retrace le parcours initiatique de Victor, petit bonhomme de 14 ans, et sa rencontre avec une jolie blonde qui devient bientôt la camarade d'une vie : Léa, militante de l'extrême gauche sioniste.
Dans ce livre indispensable, l'écrivain noue les deux grands engagements de son existence : l'aventure révolutionnaire et le compagnonnage avec sa femme. De ces deux passions, seule la seconde n'a jamais faibli. La première, elle, s'est dénouée lorsque Thierry Jonquet n'a plus supporté la discipline physique et les grimaces doctrinales imposées par les chefs de son organisation, autant de simagrées dépeintes sur le mode burlesque dans Rouge c'est la vie.
C'est l'heure du grand tournant. Dans un premier temps, certes, le militant quitte LO pour rejoindre la Ligue communiste révolutionnaire (LCR). Mais le coeur n'y est plus vraiment. Après des années d'activisme, l'étudiant fait un retour sur lui-même. En 1976, à 22 ans, il obtient un diplôme d'ergothérapeute et entre comme stagiaire à l'Institut national de rééducation. Le premier jour, un enfant atteint d'une malformation le regarde droit dans les yeux et lui demande : "Je suis jeune je n'ai pas encore de bras. Tu penses qu'un jour ça va pousser ?"
Le choc est décisif. Pendant les années rouges, Jonquet avait voulu sauver l'Humanité majuscule. Désormais, il voudrait soulager, un à un, chaque corps ordinaire. La révolte demeure intacte, le désir de la manifester aussi. Simplement, elle exige désormais une autre forme d'expression. Ce sera la littérature. Et là encore, c'est un ami qui montre la voie, quand il fait découvrir à Jonquet les territoires du roman policier, à commencer par les auteurs de la fameuse "Série noire", chez Gallimard : Peter Loughran, Jim Thompson, Chester Himes, Joseph Bialot, Jean Amila et bien sûr Jean-Patrick Manchette.
Dans le sillage de ce dernier, Thierry Jonquet prend à son tour la plume, s'inscrivant dans un courant qu'on allait bientôt nommer le "néo-polar". Souvent issus du gauchisme soixante-huitard, les auteurs de cette tendance réinvestissent dans l'écriture leur sens critique et leur propre expérience de la violence : "Le militantisme, ça donne un regard acéré sur la société, confiait Jonquet en 2006. On avait tous beaucoup réfléchi à cette question fon damentale aussi bien pour ma génération que pour le roman noir en général : celle de la violence."
A la manière dont ses camarades révolutionnaires avaient enquêté sur le terrain, dans les champs ou à l'usine, pour trouver la matière de leurs articles de presse, Jonquet nourrit ses textes en conjuguant son vécu intime et un fervent travail de documentation, découpant coupures de presse et petites annonces, interrogeant tel médecin ou tel juge d'instruction... Pour son premier roman, Le Bal des débris (publié seulement en 1984, au Fleuve noir), il s'inspire, par exemple, de sa pratique thérapeutique dans un service de gériatrie.
Mutilation, détresse, fureur : telles sont les coordonnées de l'univers propre à Thierry Jonquet, depuis Mémoire en cage, son premier texte publié dans la prestigieuse collection "Sanguine" (Albin Michel), jusqu'à Ad vitam aeternam (Seuil, 2002), où amateurs de piercing et cambrioleurs sadiques côtoient des survivants de Tchernobyl.
PROSE SUFFOCANTE
Livre après livre, cet insoumis a redéployé sa colère dans une prose suffocante, clivée entre rage et dégoût. Depuis sa cité de Belleville, à Paris, il a fait imploser les codes du roman policier, puisant volontiers dans le registre du fantastique. Surtout, il a mis au point un art d'orchestrer la spirale des vengeances meurtrières, le ballet des postures ignobles : corps violés, otages suppliciés...
Thierry Jonquet n'en finissait plus d'endurer le poids de ses désillusions. Comme si cette amertume avait pris le dessus, ses derniers textes fustigent l'hypocrisie de la gauche progressiste, exhibant ses points aveugles, ses non-dits : Ils sont votre épouvante et vous êtes leur crainte (Seuil), son ultime roman, mobilise l'actualité la plus sordide (de l'affaire Dieudonné à l'assassinat d'Ilan Halimi), pour bâtir une méditation apocalyptique sur notre société.
Certains l'ont accusé d'avoir tourné "néo-réac". D'autres ont salué le courage d'un homme en rupture avec l'"angélisme" antiraciste. Au coeur de ce livre, on trouve une fois de plus un corps abîmé, celui d'un jeune à la main paralysée, un personnage d'handicapé et de bourreau. Une figure de méchant, oui, mais un frère de malheur aussi : à l'instar de son anti-héros, le dernier Jonquet se vivait comme un estropié de l'espérance.

1954
Naissance à Paris
1968
Rencontre les trotskistes de Lutte ouvrière
1976
Obtient son diplôme d'ergothérapeute
1982
Parution de son premier roman, "Mémoire en cage" (Albin Michel)
1985
Parution de "La Bête et la Belle", qui porte le numéro 2000 de la "Série noire" (Gallimard)
1998
Parution de "Rouge c'est la vie" (Seuil)
2006
Parution de son dernier roman, "Ils sont votre épouvante et vous êtes leur crainte" (Seuil)
9 août 2009
Mort à Paris

http://www.lemonde.fr/carnet/article/2009/08/12/thierry-jonquet-figure-emblematique-du-neo-polar-francais_1227929_3382.html#ens_id=1227398

mardi 11 août 2009

LE PREVISIBLE DECLIN DU SALARIAT.

Le prévisible déclin du salariat par camille sée
LE MONDE 09.08.09

La crise qui traverse la planète (et évidemment notre pays) cette crise durable, structurelle, mondiale et systémique aura non seulement des conséquences importantes sur le niveau de vie des populations mais plus généralement elle va entraîner des remises en cause radicales au-delà du déclin de certains secteurs ou des risques de banqueroute de notre modèle social.
Le salariat était l'enfant de l'industrialisation et du XIX ème siècle, il a pris son essor au XXème siècle avec un double objet :
- il permettait aux entreprises (usines puis secteur tertiaire) de fidéliser une main d'oeuvre qualifiée (pour l'époque).
- il offrait à la majorité des travailleurs un cadre sûr, règlementé et promouvant (l'ascenseur social).
Mais rien ne dure et cette crise pourrait bien sonner le glas du statut massif et généralisé du travailleur salarié.
Pourquoi une telle évolution ?
- le travail change : d'un modèle prévisible, normé et quantifié on passe à un travail de moins en moins prescrit (on ne peut imaginer l'infinie variété des situations de travail), le travail devient de moins en moins quantifiable, planifiable (les consommateurs, mais aussi les entreprises commandent "last minute" et personne ou presque ne sait de quoi l'activité économique sera faite (ou défaite))
- les entreprises changent : le modèle de la très grande entreprise a vécu. Au-delà de 100 ou 200 personnes, faire travailler ensemble de tels groupes humains devient mission impossible. La structure finit par absorber toute l'énergie et le travail se dilue. L'avenir est désormais aux petites unités de 100 personnes maximum qui travailleront en réseau sur des missions ponctuelles
- les salariés changent. Le modèle dominant dans la grande entreprise reste l'armée avec sa hiérarchie, sa centralisation, ses normes, ses codes et ses pesanteurs. Les travailleurs ne supportent plus ce modèle qui les empêche de s'exprimer , de mettre en oeuvre leurs compétences, leurs envies, leurs capacités à comprendre le monde économique et à s'y développer.
Dans nombre d'organisations, que nous qualifierons de toxiques, les arrêts de travail se multiplient, le stress est partout mais aussi le ressentiment et la frustration. Le contrat de travail qui est basé sur le lien de subordination, ce contrat n'est plus qu'un morceau de papier dont les entreprises comme les salariés se détournent.
Le code du travail a été une longue et patiente construction de plus d'un siècle. Il est aujourd'hui semblable à ces musées où l'on collectionne et empile les règles sans se préoccuper de la pertinence de l'ensemble. Il est devenu lourd, confus, illisible au commun des mortels et entraîne les entreprises comme les salariés dans une insécurité croissante.
Le travail change donc, les entreprises sont en train de s'y adapter et elles pourraient bien au cours des 10 ans se séparer de la majeure partie de leurs salariés. L'avenir n'est plus aux grandes unités de bidasses mais aux petits commandos d'experts.
Une entreprise dans 10 ans sera une hyper spécialiste, rapide, réactive qui agrégera des compétences et des expertises le temps d'une mission. Les travailleurs du savoir (nous sommes tous amenés à en devenir) seront employés sur ces missions qu'ils réaliseront en un temps donné (le temps d'un travail, plus le temps de travail). A la fin de ce travail l'équipe se dispersera en quête de nouveaux challenges.
La durée et le temps sont devenus des inconnues fondamentales dans le travail. Vouloir quantifier la durée du travail dans la société du savoir est contre productif (les neurones ne se mettent pas en marche au coup de sifflet) et notre modèle de progrès social pourrait ne plus qu'accompagner les déclassements. Au temps de l'Internet le temps ne joue pas pour les prudents et les nostalgiques.
Les déclins comme les naissances deviennent ultra rapides, le cycle de vie des produits et des services s'accélère. Une carrière d'un travailleur dure 40 ans (plus à l'avenir). Les entreprises n'ont plus de visibilité sur le long terme, elles ne peuvent plus assurer l'emploi à vie car leur situation évolue de mois en mois (d'heure en heure dans certains métiers de services). Nous connaissons tous les récits de ces chutes d'anciens leaders comme GM, IBM, Bull, Thomson, Lehman brothers... Ces chutes en appelleront d'autres (la gravité de la situation économique est encore occultée par les Etats qui tentent de ralentir le déclin à coup d'endettement) et la sécurité professionnelle passe par la formation, la capacité à changer et à s'adapter.
Les entreprises auront souvent une faible espérance de vie; comme ces coléoptères qui vivent le temps d'une journée elles pourraient ne plus vivre que le temps d'un contrat.
Plus que jamais les organisations et les humains qui sauront, voudront et pourront s'adapter ont un avenir économique et social. Les tenants de l'immobilisme pourraient perdre tout employabilité.
Au final ce déclin du salariat pourrait ravir les marxistes qui l'appelaient jadis de leur voeux.
http://www.lemonde.fr/opinions/chronique/2009/08/09/le-previsible-declin-du-salariat_1227052_3232.html

lundi 3 août 2009

FRANCIS JEANSON.

CARNET
Le philosophe de la guerre d'Algérie Francis Jeanson est mort

NOUVELOBS.COM 03.08.2009 07:45

Le fondateur d'un réseau de soutien au FLN pendant la guerre d'Algérie, et auteur de nombreux ouvrages sur Jean-Paul Sartre, s'est éteint à 87 ans.
Francis Jeanson (Sipa) Le philosophe Francis Jeanson, fondateur d'un réseau de soutien au FLN pendant la guerre d'Algérie (réseau dit des "porteurs de valise"), est mort à 87 ans, samedi soir près de Bordeaux, a-t-on appris lundi 3 août.
Auteur de nombreux ouvrages notamment sur Jean-Paul Sartre dont il était très proche, collaborateur de la revue Les Temps modernes, Francis Jeanson est mort à la Clinique d'Arès, à 45 km de Bordeaux, a précisé son fils Olivier.
La guerre d'Algérie
Francis Jeanson qui se voulait le défenseur des causes justes, s'était engagé aux côtés des combattants algériens après le déclenchement de la guerre d'Algérie, créant un réseau permettant de collecter et transporter fonds et faux-papiers pour les militants du FLN opérant en France.Dans "Notre guerre", un livre paru en 1960 et immédiatement saisi, il s'était expliqué sur son combat, répondant à ceux qui lui reprochaient de soutenir les ennemis de son pays, qu'il défendait les valeurs de la France qu'elle même trahissait.
Jugé par contumace, condamné en octobre 1960 à dix ans de prison ferme au terme du procès de son réseau, il est amnistié en 1966. Il se tourne alors vers l'action culturelle, puis l'action sociale en milieu psychiatrique.
Les Temps modernes
Né le 7 juillet 1922 à Bordeaux (Gironde), licencié de lettres et diplômé d'études supérieures de philosophie, Francis Jeanson rejoint en 1943 les Forces françaises d'Afrique du Nord. Devenu reporter à Alger républicain en 1945, il rencontre Camus et Sartre. Ce dernier lui confie la gérance de la revue Les Temps modernes (1951-1956). Parallèlement, Jeanson crée et dirige aux éditions du Seuil la collection "Ecrivains de toujours".
Le FLN
En 1955, il publie "L'Algérie hors la loi", qui dénonce l'échec du système d'intégration des masses algériennes et affirme la légitimité des hors-la-loi du FLN, avec lequel il prendra contact. Du militantisme de la pensée, il passe à l'action et crée deux ans plus tard le "réseau Jeanson" qui sera démantelé en 1960. Il entre alors dans la clandestinité, quittant la France pendant quelques années.Après son amnistie, il est chargé par André Malraux de diriger la Maison de la culture de Châlon-sur-Saône (Saône-et-Loire) de 1967 à 1971.
La politique
Jeanson participe ensuite à des expériences de psychiatrie ouverte et des réseaux de réflexion pour faire sortir la maladie mentale des murs de l'hôpital.Engagé jusqu'au bout, il est président de l'Association Sarajevo en 1992 et candidat sur la liste "L'Europe commence à Sarajevo" du professeur Léon Schwartzenberg pour les élections européennes de 1994.
Son œuvre
Francis Jeanson est l'auteur d'une vingtaine d'ouvrages, dont plusieurs consacrés à Jean-Paul Sartre, notamment "Sartre par lui même" (1955) et "Le problème moral et la pensée de Sartre" (1965)... mais aussi à des philosophes comme Montaigne.On lui doit également "La Foi d'un incroyant" (1976), "Eloge de la psychiatrie" (1979), "Algéries" (1991), "Conversations privées 1974-1999" (2000).

vendredi 31 juillet 2009

QUI A DIT QU'IL N'Y AVAIT RIEN A ESPERER DE LA JEUNESSE ?

À 7 ans, il s’enfuit en voiture pour ne pas aller à la messe
BELGA
vendredi 31 juillet 2009, 08:48
Un garçonnet de sept ans a été poursuivi par la police alors qu’il filait au volant de la voiture de son père dans l’Utah parce qu’il ne voulait pas aller à l’église.
Deux policiers, avertis qu’un conducteur venait de brûler un stop, ont pris en chasse dimanche un automobiliste lancé à vive allure, sans pouvoir l’arrêter, a déclaré le porte-parole du shérif du comté de Weber, Klint Anderson, sur la chaîne Fox News.
La caméra de la voiture de police a enregistré la course-poursuite, où le fugitif roule à 65 km/h, coupant largement les virages, avant de s’arrêter dans la cour d’une maison.
Les policiers ont alors eu la surprise de voir un petit garçon sortir du véhicule et s’enfuir en courant. « Pour un enfant de sept ans, il se débrouillait bien », a commenté le capitaine Anderson en expliquant que le garçon, trop petit pour atteindre les pédales, « se baissait pour appuyer sur l’accélérateur et se relevait pour voir où il allait ».
« C’est pour cela qu’il n’utilisait pas tellement les freins dans les virages », a-t-il ajouté.
Tancé par son père, l’enfant qui a appris à conduire avec les jeux vidéo, a expliqué qu’il s’était enfui parce qu’il ne voulait pas aller à la messe.

lundi 27 juillet 2009

LES BEAUX DIMANCHES.


Les beaux dimanches
La généralisation de l’ouverture des commerces le dimanche ne saurait être étudiée sous l’angle unique de l’intérêt bien compris des marchands les plus offensifs. Elle s’inscrit dans un contexte de plus en plus « oppressant » dans lequel le consommateur renonce, sans en avoir une conscience pleine et entière, à l’autonomie de ses choix, de ses comportements, de l’organisation de son temps. Ce contexte que nous avons déjà nommé « consommationnisme » (1) devrait être analysé dans ses multiples dimensions – notamment anthropologique et symbolique – afin de replacer les arguments bassement pratiques de l’affaire à leur juste place, celle des alibis commodes usurpant le rôle de légitimation indiscutable du problème posé. On découvrirait alors que la question n’est finalement rien d’autre qu’une trivialité de plus sur la route d’une communauté humaine incapable d’imagination croyant faire encore société par la convergence moutonnière vers les temples élevés à la gloire de la divine consommation.
Rien de nouveau sous le soleil du consommationnisme
Le consommationnisme, véritable idéologie totalisante, poursuit son œuvre inlassable vers un horizon au sens social indéfini car indéfinissable autrement que par le triomphe vulgaire de la marchandise. Les marchands ont compris depuis longtemps que la réussite de leur « mission bienfaitrice » passait par la suscitation des désirs par essence illimités et non par la stricte réponse aux besoins par définition limités. Depuis cette découverte décisive de Barnays dans les années 1920 aux Etats-Unis le capitalisme n’a pas cessé de faire vivre le miraculeux principe à l’aide de pratiques et d’un discours outrancièrement caricaturaux perçus pourtant comme naturels par l’homo consumerens. La massification des techniques du marketing et des moyens de communication a puissamment servi ce dessein mercantile. Baignant dans un bain publicitaire permanent le consommateur de la société de marché est porté – quand il n’est pas bercé – par le flot unificateur et individualisant de la consommation sans faim véritable mais infinie.
Le consommationnisme, que la mondialisation néolibérale se propose d’étendre à tous les recoins de la planète, est le moteur essentiel de la Croissance avérée potentiellement insupportable bien avant la révélation médiatisée et « marketisée » de la crise écologique. La globalisation financière soumettant l’économie réelle à l’implacable loi d’airain du profit contre le salaire, le moteur de la croissance est partout alimenté par l’accélération de l’endettement du consommateur. L’impasse que constitue à terme la dérive de la vie à crédit est alimentée par le raccourcissement du « cycle de vie du produit », par l’incorporation dans le prix de la marchandise d’une dose croissante de valeur symbolique fabriquée par le discours publicitaire des firmes, par la substitution de la consommation privatisée et individualisée à la consommation collective et aux services publics.
C’est dans ce contexte de fuite en avant mortifère puisque destructrice du discernement quant à la valeur d’usage des choses et du lien social que s’inscrit la marche vers l’ouverture permanente des espaces commerciaux. Toutes les dimensions de la fuite en avant mercantile sont gouvernées désormais par le même funeste penchant : une frénésie écervelée au service d’une machine à bout de souffle.
À quoi et à qui s’adresse-t-on ?
Comme le dévoilement d’une telle trivialité ne serait pas de bon aloi il convient d’user de plus nobles arguments pour vendre le produit « magasin ouvert même le dimanche ».. Nobles arguments et, comble de la grandiloquence, nobles valeurs telle la liberté. Ainsi, l’interdiction d’ouverture des commerces le dimanche serait devenue une atteinte intolérable à la liberté d’exercice d’une activité indispensable à la vie de notre société. Liberté du commerçant de commercer plus longtemps, liberté du consommateur de pouvoir répondre en permanence aux pulsions qui le pousseraient désormais quotidiennement vers l’acte d’accomplissement de soi par la dépense, acte devenu alors un loisir comme un autre. Nous sommes fortement incités à croire, contre notre bon sens, que, malgré la réduction régulière du temps de travail, le consommateur moyen n’a pas assez de latitude pour faire ses emplettes la semaine et que la salutaire ouverture le dimanche de ses habituels lieux d’achat lui apportera un surcroît de confort très appréciable. Ne prête-t-on pas là au consommateur moyen des réflexes et des sentiments issus d’analyses plus qu’approximatives des comportements et désirs de nos congénères ? N’a-t-il pas, contre l’attente fébrile des « faiseurs d’opinion mise en marché », une idée plus haute de sa liberté ?
Posons d’autres questions encore. Dans quel mouvement social identifiable les demandes explicites des consommateurs en faveur de l’ouverture le dimanche sont-elles inscrites ? Gageons que, dans notre société éclatée par l’inexorable montée de l’individualisme durant le dernier quart de siècle, les sociologues vont chercher cela longtemps, pour peu du reste que le sujet les intéresse un tantinet. Quels sont les commerces encore fermés le jour du repos dominical que l’on veut enfin ouvrir à la supposée convoitise du chaland qui passe ? Ceux des grandes enseignes en tout premier lieu bien sûr. Parions que les petits commerçants du centre des villes ne sont pas si prompts à réclamer l’ouverture salvatrice. Ils savent qu’au jeu de l’ouverture tous azimuts ils ne disposeront pas des armes leur permettant de lutter contre les mastodontes de la périphérie urbaine.
Un terrible paradoxe
Il est temps de rompre avec la posture consistant à cantonner cette affaire dans sa seule dimension économique. Ses dimensions culturelle, sociale et politique sont autrement plus riches d’enseignements que la stricte considération des intérêts commerciaux en jeu, intérêts restant d’ailleurs à démontrer. Qui fréquente les espaces commerciaux déjà ouverts le dimanche et qui fréquentera ceux qui ouvriront demain ? La question est en apparence anodine et pourtant embarrassante. Les commerces des centres-villes déclarés « zone touristique » afin de permettre l’ouverture le dimanche sont presque exclusivement fréquentés par des gens de passage. Les commerces situés à la périphérie des villes sont visités quant à eux, par une clientèle certes habituelle mais qui ne fait rien d’autre que déplacer le moment de son approvisionnement courant. Les « grandes surfaces » et autres galeries marchandes dont on veut multiplier les ouvertures dominicales ont probablement une autre fonction que leur simple fonction utilitaire initiale. S’y rendre le dimanche, en famille, c’est en faire un lieu de promenade, un but en soi utilisé comme moyen d’occuper son temps. Là, on n’achète pas, on déambule, on flâne, on glane éventuellement quelque idée d’aménagement de son intérieur…
Et voilà le terrible paradoxe, terrible et probablement honteux. Ces lieux dont la destination première est commerciale sont détournés par une foule désoeuvrée au pouvoir d’achat insuffisant pour honorer à sa juste valeur le service qui lui est pourtant si gracieusement offert. Des cités grises d’ennui, des quartiers laminés par le chômage et la précarité, combien sont-ils à venir chercher en ces lieux saturés de lumière et du vacarme des slogans publicitaires familiers de minuscules exutoires ? Oserons-nous aller jusqu’à nous demander si le politique ne se sert pas de cette fonction socio-culturelle inattendue des centres commerciaux banlieusards en lieu et place des ambitions auxquelles il a depuis longtemps renoncé en ce même domaine ? L’apaisement social par le droit à contempler la vitrine rutilante. Le mauvais goût du marketing en remplacement de la culture que l’on n’apprend plus à ressentir. Et tout cela à sa porte, pour éviter d’aller voir ailleurs !
Cette affaire, somme toute d’une grande banalité à peine rompue par l’excessif battage commis par des journalistes en mal de « sujets de société », révèle tant de carences politiques que leur énoncé serait fastidieux. Au lieu de défendre l’extension de la liberté du commerce déjà si grande, au lieu de prêter aux consommateurs des souhaits qu’ils n’ont jamais clairement exprimés, la classe politique pourrait s’inquiéter du défaut cruel d’autres libertés. Le droit au travail, le droit à un revenu décent, le droit à une alimentation de qualité, le droit à un environnement sain, autant d’occasions manquées de parler de liberté. Décidément, l’ouverture du dimanche, sous tous ses aspects, n’est rien d’autre qu’un cache-misère !
Revendiquons le dimanche libre
Existe-t-il une fatalité de l’extension de la sphère économique au détriment des aspects non lucratifs de la vie des hommes ? Le credo néolibéral tente de nous en persuader : hors du marché, point de salut. Nous devons résister à ce truisme, montrer qu’au-delà d’un certain seuil – sans doute difficile à déterminer – l’emprise de l’économique compromet gravement la capacité des individus à faire société. Il est ici un autre paradoxe : trois grands économistes aux doctrines fort distinctes, Adam Smith, Karl Marx et John Maynard Keynes, ont porté le même jugement, chacun à son époque, quant au périmètre qu’il convient d’attribuer aux contingences économiques. La portion la plus congrue qui soit grâce à l’amélioration du fonctionnement des systèmes productifs et d’échanges car ces choses-là sont de peu d’intérêt pour l’épanouissement humain. Les hommes ont en effet tellement d’autres penchants à cultiver tels l’amour, l’amitié l’art, l’enrichissement intellectuel, le dialogue singulier avec soi-même, etc. Nos sociétés « modernes » frénétiques auraient de quoi effrayer ces penseurs d’autrefois, à commencer par le premier d’entre eux dont se réclament pourtant à l’envi les économistes néolibéraux d’aujourd’hui, si le désir les prenait de revenir nous visiter.
Soyons nombreux dès maintenant à partager et faire vivre l’idée que l’économie doit être ramenée dans son lit afin de laisser libres les vastes contrées à fertiliser par d’autres valeurs que celles du lucre et du bazar généralisé. Sur le chemin de la réappropriation de l’espace et du temps par chacun et pour tous, gage de renouveau du « faire ensemble » et du « faire soi-même » contre le prêt à consommer d’une société hyper sécuritaire, pourquoi ne pas commencer par la récupération du dimanche ? Reconnaissons que le fait de décréter le dimanche jour de « non économie marchande » n’est qu’un mince caprice. Il en faudra bien d’autres avant que de pouvoir entrer de plein droit dans l’ère de la consommation mesurée et conviviale. Ce champ-là est cependant potentiellement plus vaste qu’il n’y paraît.
Les « résistants du dimanche » sont déjà nombreux. Nous nommons ainsi tous ceux qui, dans des structures aux contours extrêmement variés, (ré)inventent leur quotidien et leurs trajectoires en marge des sentiers battus par le pas cadencé de la troupe du général Audimat. Tous ceux qui fuient la Grandedistrib’, qui fondent des Amap, des Systèmes d’échanges locaux, des Réseaux d’échanges de savoirs, les recycleurs et ressourceurs, les « déboulonneurs », les « faucheurs volontaires », etc. Ça fait du monde… Et ça pourrait faire le monde demain. Car c’est dans les marges des sociétés en bout de course que naît le ferment qui réenchantera le monde. Lyrisme et utopie que tout cela ? Certes ! Mais comment imaginer autrement les beaux dimanches ?
Yann Fiévet Professeur de Sciences Économiques Et Sociales Président d’Action Consommation
1 – « Le consommationnisme est un système (…) pourvu de principes de fonctionnement particuliers, de valeurs mobilisatrices propres à nourrir sa croissance, d’un discours spécifique célébrant en permanence le culte de l’autosatisfaction et dissimulant tout à la fois les vrais buts et la nature réelle de son existence. Le but premier de ce système est de fournir au mode de production dominant (le capitalisme mondialisé) l’assise lui permettant de se perpétuer et d’étendre son emprise sectorielle et géographique. » Yann Fiévet, Les tares du consommationnisme, in Repolitiser l’écologie, ouvrage dirigé par Paul Ariès, Parangon, 2007.
Texte à paraître chez Golias dans un ouvrage collectif condamnant l’ouverture des magasins le dimanche.

LA GRIPPE A : GRIPPE DE L'AGRO-INDUSTRIEL.

La grippe A : la grippe de l’agro-industrie !
Texte d’analyse commun Attac France - Confédération paysanne

http://www.france.attac.org/spip.php?article9914
Le modèle agro-industriel mis en en cause.
La bataille qui s’engage sur le nom de la grippe A-H1N1 permet d’occulter, dans le déferlement médiatique, les réelles causes de l’apparition et de la propagation de ce virus. Pourtant, de plus en plus d’ONG, de chercheurs, de journalistes nord-américains et de témoignages des populations mexicaines mettent en cause le modèle agro-industriel, piloté par les multinationales et engendré par la mondialisation néolibérale.
Il n’existe aucune certitude sur l’origine précise du virus, mêlant des souches humaine, aviaire et porcine. Mais tout laisse à penser que sa transmission est fortement liée à l’agro-industrie. Cela fait des années que de nombreux scientifiques avertissent que l’industrialisation des élevages et la très forte concentration des animaux favorisent la transmission et la recombinaison virales (1) .
Une piste sérieuse concerne la plus grande multinationale de viande porcine, Smithfield Foods, qui s’est implantée, sous le nom de Granjas Carroll, dans la communauté mexicaine de la Gloria. Depuis des mois, les habitants se plaignent de maladies respiratoires et de morts étranges, qu’ils ont très rapidement liées aux conditions d’hygiène scandaleuses de la multinationale (par exemple, des charognes de porc qui pourrissent à l’air libre) (2). C’est ici que le premier cas de grippe porcine a été diagnostiqué dans le pays. Les autorités mexicaines se sont visiblement efforcées d’étouffer l’affaire. Smithfield Foods a pourtant déjà été dénoncée par les populations victimes de ses pratiques d’élevage, qui mettent en danger la santé publique. Mais, comme pour d’autres multinationales agroalimentaires, l’impuissance ou le laxisme des autorités ont permis à la loi du libre investissement de s’imposer.
Un autre foyer potentiel a pu être identifié par des chercheurs américains en Caroline du Nord, où l’agriculture porcine est la plus concentrée et la plus industrialisée du pays (3) . D’autres foyers pourront être identifiés. L’important est de bien voir les énormes risques sanitaires engendrés par une industralisation à outrance de l’élevage par quelques multinationales, cela malgré les avertissements de très nombreux chercheurs et institutions. Depuis quarante ans, on est passé de cinquante à mille porcs par ferme en moyenne aux États-Unis. Les élevages de Smithfield Foods concentrent chacun plusieurs dizaines ou centaines de milliers de porcs confinés dans d’immenses hangars, dans des mares d’excréments, avec de très importantes déjections polluantes et des antibiotiques qui multiplient les résistances. On est à dix mille lieues de l’élevage paysan et familial.
Les causes profondes : libre-échange et mainmise des multinationales
Le fait que cette grippe ait d’abord été localisée au Mexique et en Amérique du Nord n’est certainement pas un hasard. Depuis 1994 a été créée une zone de libre-échange, l’ALENA, entre les États-Unis, le Canada et le Mexique, consacrant le libre marché au mépris notamment du principe de précaution. Sans possibilité de protection, l’agriculture mexicaine a été décimée par une importation massive de produits agricoles à très bas prix. Les multinationales agroalimentaires des États-Unis ont pu investir et s’implanter massivement au Mexique pour échapper aux réglementations contraignantes imposées dans leur pays. Sans oublier que le Mexique a été soumis à des programmes d’ajustement structurel du FMI et de la Banque mondiale à partir des années 1980. Ces programmes ont notamment poussé l’agriculture à s’orienter vers les exportations, au détriment des productions vivrières et paysannes. Les conditions étaient réunies pour une dérive vers une agriculture industrialisée, polluante et sans règles environnementales, sociales et sanitaires.
La propagation de cette grippe révèle également l’échec des systèmes de prévention, notamment de l’Organisation mondiale de la santé, et des systèmes de santé publique en Amérique du Nord, privatisés, avec trop peu de moyens et incapables d’une réaction rapide et coordonnée. De plus, l’industrie pharmaceutique a tout fait pour combattre les initiatives des pays du Sud visant à produire, de façon publique et générique, des antiviraux aussi cruciaux que le Tamiflu des laboratoires Roche (4) .
Comme pour la grippe aviaire, une cause profonde se trouve du côté du libre-échange et de la mainmise des multinationales. Il est urgent que soit mise en place une évaluation indépendante de l’origine du virus, des impacts de l’industrialisation des élevages, notamment en Amérique du Nord, et du délabrement du système de santé publique. Ce ne sera pas chose facile : de même que pour la grippe aviaire, il est probable que l’industrie porcine fasse tout pour obstruer les enquêtes. À plus long terme, le modèle agricole industriel, ainsi que les accords de libre-échange et la libéralisation des marchés qui l’ont engendré, doivent être remis en cause. Les échanges mondiaux doivent devenir solidaires et coopératifs, dans le respect du droit à la souveraineté alimentaire et de celui de chaque peuple à protéger son agriculture, en particulier contre les multinationales (5). Sinon, il faut s’attendre à des catastrophes sanitaires d’une ampleur toujours plus grande.
Notes :
(1). Voir le site de l’ONG Grain (http://www.grain.org/articles/ ?id=50) ; Bernice Wuethrich, "Chasing the Fickle Swine Flu", Science, Vol. 299, 2003 ; voir aussi l’article “Expert Panel Highlights Serious Public Health Threats from Industrial Animal Agriculture”, qui relate les avertissements d’un panel d’experts devant le Congrès, en novembre 2008, sur les grands risques sanitaires liés à la concentration des élevages de porcs, http://www.pewtrusts.org/news_room_detail.aspx ?id=37968.
(2). Selon notamment le quotidien régional La Jornada. Dans cette région existent également de nombreux élevages intensifs et industriels de volailles et une grippe aviaire y a sévi récemment, source potentielle d’une recombinaison virale.
(3). Article de Michael Greger, directeur de la santé publique et de l’élevage pour “The Humane Society of the United States”, http://sheepdrove.wordpress.com/2009/04/30/h1n1-flu-virus-link-to-usa-pig-industry/. Le “Bulletin de l’Académie vétérinaire de France” écrivait également en 2004 : “Depuis le début des années 2000, la grippe du porc en France concerne avant tout les élevages de Bretagne, où la densité porcine est la plus élevée. Elle a un impact économique considérable dans les élevages de cette région. L’activité grippale est le fait de virus A/H1 d’origine aviaire (A/H1N1) ou de réassortants (A/H1N2). L’instabilité des virus grippaux suppose d’adapter régulièrement les outils de détection afin de permettre une épidémiosurveillance efficace.”
(4). http://www.guardian.co.uk/commentisfree/2009/apr/27/swine-flu-mexico-health.
(5). Sur ce sujet paraît bientôt un livre d’Attac Europe-Via campesina Europe, Souveraineté alimentaire : que fait l’Europe ?, Paris, Syllepse, 2009.
Attac France, Confédération Paysanne,
le 6 mai 2009

samedi 25 juillet 2009

DU REGNE DE LA BETISE A LA POLITIQUE DE LA TERREUR.

Du règne de la bêtise à la politique de la terreur / Bernard Stiegler
Publié 21 novembre 2008 dans Flux

Dans les formes les plus avancées de l’époque hyperindustrielle des sociétés de contrôle, la surmoïsation est liquidée, tout comme la figure du père, et avec elle, l’autorité de tout principe. Ces liquidations déchaînent littéralement le ressentiment - ainsi de certaines réactions caricaturales ces derniers mois en France (déclarations pathétiques de Finkielkraut dans la presse à la suite des émeutes urbaines) - ce qui, par un paradoxe qui n’est qu’apparent, et face aux passages à l’acte sans vergogne, c’est-à-dire face aux régressions vers le pire, toujours plus nombreuses, et toujours pires, tend à aggraver les processus de culpabilisation tout en généralisant le défaut de vergogne.
La censure devient alors à la fois :
- autocensure et organisation sociale de l’inhibition par la désindividuation psychique aussi bien que sociale ;
- liquidation des barrières à la circulation et à la consommation des marchandises que sont les singularités, ainsi censurées ;
- destruction conséquente du narcissisme primordial du je comme du nous ;
- croissance grégaire du on - croissance de ce "désert" qu’est l’immonde.
J’ai soutenu dans Mécréance et Discrédit I comment ce que j’ai appelé la "prolétarisation généralisée" engendre la désindividuation psychique par la particularisation des singularités. Je tente ici de montrer que ce processus conduit au problème du surmoi, et non seulement du narcissisme, à un processus de désindividuation collective, c’est-à-dire à la liquidation du social comme tel : à la barbarie.
La désindividuation comme particularisation des singularités par le calcul devient inévitablement l’organisation fonctionnelle de la libération des pulsions au service de la consommation : l’exploitation de l’énergie libidinale ayant ruiné celle-ci, il n’y a plus à proprement parler de désir, ni donc de surmoi. Et comme il faut cependant continuer à écouler les objets de la production industrielle sur laquelle ne peut plus se fixer une énergie libidinale épuisée, le système fonctionnel qui organise l’écoulement des flux de marchandises, de consciences et d’humeurs en tout genres, à savoir le système des industries culturelles, excite ce qu’il reste lorsqu’il n’y a plus de désir, à savoir : les pulsions.
Le désir n’est rien d’autre que la liaison des pulsions, et lorsqu’il est liquidé, elles règnent. Dans le règne des pulsions, le désir ne peut plus accomplir ce qui est son essence, à savoir la sublimation où s’élèvent les corps psychiques et sociaux comme la transindividuation des individuations (comme le processus où l’individuation psychique se concrétise comme individuation collective, ce qui engendre notamment ces rétentions secondaires collectives par lesquelles se constituent des symboles, des significations, des supports synchroniques avec lesquels compose la diachronisation en quoi consiste l’individuation, ce qui confère aux significations leur sens, c’est-à-dire leur motif : leur raison).
C’est pourquoi le règne des pulsions est aussi et nécessairement celui de la bêtise - le pire de tous les maux, nous dit Sophocle.
Le pire de tous les maux, c’est-à-dire le plus intime. La bêtise inspire la honte : faire l’épreuve de la bêtise comme bêtise, se trouver confronté aux formes innombrables de la bêtise, c’est éprouver cette honte d’être un homme - que les Grecs appellent aidôs -, c’est-à-dire un mortel. Le risque est alors de traiter la bêtise soit comme une erreur, soit comme la culpabilité de vivre cette honte comme une honte devant une culpabilité : le risque est de transformer sa propre honte en culpabilité. Cette honte qui affecte celui qui est confronté à la bêtise, c’est l’expérience de ce que la bêtise est ce qui menace le plus intimement celui qu’elle affecte comme possibilité de sa propre bêtise. Et c’est cette structure d’auto-affectation qui tend alors à se transformer en culpabilité, c’est-à-dire en ressentiment et en dénégation. C’est pourquoi Dork Zabunyan peut écrire que "d’un point de vue transcendantal, la bêtise doit ainsi s’entendre comme étant ma propre bêtise, dans la mesure où ma pensée se découvre comme faculté véritablement engendrée, c’est-à-dire, dans la terminologie deleuzienne, comme faculté supérieure, à travers cet "impouvoir" naturel que la bêtise lui révèle en droit".
Ethique et morale
Si la liquidation du désir, à quoi conduit la destruction de l’économie libidinale à l’époque hyperindustrielle des sociétés de contrôle, est nécessairement aussi la liquidation de la justice et du droit, c’est-à-dire du surmoi, c’est également celle de l’éthique, dont l’aidôs est le savoir (comme succulence - saveur - de ce qui fait défaut(s), c’est-à-dire singularités). Et ce savoir, comme savoir de ce qui fait défaut, est nécessairement aussi un non-savoir : un savoir qui reste toujours à venir, et vers lequel il faut s’élever en tant que ce qui consiste sans exister.
C’est pourquoi l’éthique n’est pas la morale : elle est ce qui, comme vergogne, assigne leur place (leur ethos) aux justiciables, précisément en tant qu’ils sont sujets à la différence entre l’existence et la consistance, c’est-à-dire aussi à l’épreuve de la honte, à l’intimité de la bêtise : en tant qu’ils ne sont ni des dieux, qui consistent purement et simplement (dikè est d’abord Dikè, une déesse - celle à laquelle Hésiode s’adresse dans les Travaux et les Jours), ni des bêtes, qui ne peuvent que subsister. L’éthique, comme la justice, est ce qui doit être interprété, et qui ne peut donc en aucun cas être codifié. C’est la raison pour laquelle c’est Hermès, dieu de l’hermeneia en même temps que de l’écriture (des hypomnémata), qui porte aux mortels ces deux sentiments.
L’éthique devient la morale lorsque, comme le droit se posant en principe immuable, et non en processus et en objet d’individuation, c’est-à-dire de désir, elle se fige en un corps de règles d’usages se définissant comme normes de vie, fondées sur la culpabilité, et niant, par là même, la singularité des existences dans leurs expériences propres de la différence irréductible entre ce qui existe et ce qui consiste - c’est-à-dire, aussi bien, niant la singularité des interprétations éthiques que sont les individuations concrétisées. Mais l’éthique commune, c’est aussi ce que concrétisent les moeurs (la Sittlichkeit).
A l’âge moral et culpabilisateur, le défaut d’existence de ce qui consiste est vécu comme la faute de celui qui existe.
Mais cette négation de la singularité des existences par la morale n’est pas encore la désindividuation qu’organise le règne des pulsions dans les sociétés de contrôle. Elle est au contraire ce qui constitue une tendance à la répression avec laquelle le désir compose, et dont il se nourrit, tout comme le principe de réalité est la condition, en tous les sens du terme, du principe de plaisir (c’est ce que Jacques Derrida a appelé leur stricture).
Composition et décomposition (ptôsis : déclin, débandade) de l’économie libidinale : le règne du cynismeL’économie libidinale est une économie de tendances, et la tentation hypostasiante est toujours d’affirmer soit le primat d’une tendance, soit le primat de la tendance contraire. Le mouvement du désir, comme processus d’individuation, est ce qui ne cesse de composer avec ces deux tendances. En revanche, la désindividuation en quoi consiste la prolétarisation généralisée (la perte des savoir-faire et des savoir-vivre des producteurs et des consommateurs, qui, les privant de leurs possibilités d’ex-ister, les prive tout aussi bien des savoirs élémentaires que sont diké et aidôs, et qui constituent l’éthique et la justice du narcissisme primordial), qui est induite par l’hypersynchronisation des temps de conscience (des "temps de cerveaux disponibles") et des mouvements des corps (des comportements - de production ou de consommation), induit la décomposition de ces tendances. C’est dans une telle décomposition (ptôsis) que la mécréance et le discrédit règnent avec les pulsions : le pulsionnel pur est purement cynique.
Il est admis que la grande secousse qu’aura été, dans de si nombreux pays, le printemps de 1968, fut largement induite par une critique de la morale et du droit bourgeois. On a soutenu avec raison que Herbert Marcuse avait inspiré la jeunesse du monde entier, et en particulier la jeunesse américaine, dans ce mouvement de "contestation" (qui fut cependant aussi provoqué par le cynisme de la politique américaine, dans sa guerre au Vietnam), car c’est ainsi que fut qualifiée, comme "contestation", cette critique qui, du coup, perdit rapidement tout esprit critique.
Il ne fait pas de doute que l’idéologie de la libération des structures sociales issues du passé (et en effet figées, et qu’il fallait en effet critiquer), qui se répandit après 1968 dans toutes les couches de la société, et dans tous les pays du monde industriel, conduisit à la lente mais inéluctable liquidation des structures d’Etat, et, au-delà, à la fois au renoncement à une politique publique inspirée par une croyance politique, et à la flexibilisation de toutes les structures sociales à quoi devaient finalement conduire ces sociétés de modulation que sont les sociétés de contrôle, toute existence et toute consistance étant réduites par l’impératif de produire et faire circuler des subsistances. Autrement dit, la réaction contre le cynisme d’Etat, dont la guerre du Vietnam fut un symbole mondial, cynisme issu de la raison, de la morale et du droit "bourgeois", cette réaction contre le cynisme qu’aura été la "contestation" aura préparé l’avènement du cynisme sans précédent qui caractérise la décadence des démocraties industrielles comme la plaie de notre temps (Luc Boltanski et Eve Chiapello ont soutenu une thèse proche de la mienne sur ce point dans le Nouvel esprit du capitalisme. J’y reviens dans le tome 3, en soutenant toutefois qu’il s’agit moins là d’un nouvel esprit du capitalisme que d’une perte de l’esprit et de la raison, perte très nouvelle en effet, mais qui est la ruine de ce capitalisme, et non son renouveau).
Tout ceci aboutit de nos jours à un immense processus de désublimation, c’est-à-dire, tout aussi bien, à la liquidation de l’éthique et de la justice - dont on se revendique d’autant plus. Et c’est au moment où elles sont liquidées qu’est plus fortement claironné un "retour" aux "valeurs" que sont la morale et le droit. Mais de telles valeurs, sans éthique et sans justice, sont sans valeur. Elles ne permettent aucune individuation, et elles deviennent purement répressives et profondément régressives : elles ne transindividuent rien.Et c’est ce que savent les citoyens, qui n’y croient pas. Mais n’y croyant pas, ils deviennent mécréants, c’est-à-dire cyniques. Et c’est ainsi que se forme le cercle vicieux qui conduira, si rien ne change, à une politique généralisée de la terreur.
Bernard Stiegler.Mécréance et Discrédit, 2 : les sociétés incontrôlables d’individus désaffectés / 2006.
http://lesilencequiparle.unblog.fr/2008/11/21/du-regne-de-la-betise-a-la-politique-de-la-terreur-bernard-stiegler/