jeudi 22 octobre 2009

LA CRISE N'EXISTE PAS.

Le Monde. Chronique d'abonnés.
La crise n'existe pas
par thierry c., ouvrier
21.10.09

Voyons, cela fait plusieurs mois que nous parlons de crise et que nous tremblons à l'idée de nous retrouver demain, plus pauvres qu'aujourd'hui. Je compte même parmi mes collègues de nombreuses personnes qui ne cessent de se plaindre en pleurant sur l'évolution des prix et de leur pouvoir d'achat. Et sans doute s'attendent-ils à ce que j'en fasse autant.
Or, à leur grande surprise je ne partage pas, mais alors pas du tout leur désarroi. Moi qui pleurait il y a encore quelques semaines sur l'évolution des cours boursiers, j'avoue aujourd'hui n'avoir jamais fait d'aussi bonnes affaires. Je suis presque plus riche qu'avant la crise, c'est dire !
Les banques, que l'on disait encore à l'agonie, sont en passe de rembourser leurs dettes auprès de l'Etat, elles n'ont plus besoin de leurs perfusion qu'elles jettent maintenant au panier, et je dirai même pour étayer mes propos que les particuliers, tout au moins ceux qui n'ont pas perdu leur emploi, bénéficient à plein et dans de nombreux secteurs des baisses de prix ! En fait de crise, tout ceux qui vivent à l'abris n'ont jamais été aussi riches ! Non seulement leurs salaires, sauf exception n'ont pas baissé, mais en plus la sagesse des prix leur a redonné du pouvoir d'achat !
Eh, la crise ? Mon oeil...
Enfin, quand même, je ne voudrais qu'on se méprenne sur mes propos, je sais qu'il y en a qui souffrent et qui souffrent vraiment. Je sais que nombre de mes concitoyens perdent ou vont perdre leur emploi. Et je les plains, sincérement.
Ils sont sans doute les vraies victimes de ces soubresauts de l'économie. Certains d'entre eux, et il faut le dire, ne retrouveront jamais d'emploi et d'autres devront nécessairement se reconvertir, se reformer. Quand on sait ce qu'il en coûte de retourner à l'école quand on l'a quittée à seize ans, je comprend que cela sera difficile, voir impossible pour certains.
La crise, la vraie crise, et pas celle du pouvoir d'achat, ces gens là vont la vivre ou la vivent déjà. Or, personne n'en parle. Personne ne s'interroge vraiment pour savoir s'il n'est pas surhumain d'envisager de se reconvertir à trente voir à quarante ans passés quand on a quitté l'école avant dix huit ans ! Personne ne s'insurge pour remettre en cause un système d'indemnisation du chômage qui enfonce les plus fragiles dans la déchéance. Personne ne s'inquiète en fait des conséquences, bien réelles de cette crise qui fait et qui va faire encore en sorte que de nombreuses personnes vont voir leur vie basculer dans l'inconnu, le doute et parfois, le pire...
Non, en fait, cette crise là n'existe pas non plus. On ne peut pas passer son temps à geindre sur ces quelques employés qui perdent pied ou ces ex salariés qui n'arrivent pas à remonter la pente. Aux yeux de l'opinion publique, ces gens là sont sans intérêt, ils pleurent et celà ne va pas dans le sens de ce qu'ils veulent entendre. Non, et là je parle au nom de l'opinion publique : la crise n'existe pas, ou tout au moins on veut pas qu'elle existe !
Non, ne vous trompez pas, nous sommes tous pareils, nous détournons la tête quand le spectacle nous gène ou pire qu'il remet en cause nos idées trop bien assises.
Et oui, si nous avions le courage de regarder le désastre de ces gens là. si nous avions un peu d'humanité pour tous ces pauvres types qui perdent pied les uns après les autres et s'inquiètent pour eux et pour leur famille, nous changerions de système social. Nous changerions nos modes de répartition des revenus. Nous modifierions cette règle absurde et injuste qui fait que pour avoir une indemnisation honnête au chômage, il faut avoir eu un travail et ne pas être resté sans emploi trop longtemps. Nous nous éleverions contre cette injustice criante qui fait que moins on a de chance d'avoir un emploi, moins on est protégé contre les affres du chômage et de la pauvreté !
Mais, allez, il ne faut pas que je me mette en colère, ça ne sert à rien. De toute façon, on le sait bien, la seule solution au chômage, c'est, du moins on continue à vouloir le croire, de retourner vers le plein emploi. Ca fait trente ans qu'on nous raconte la même chose ! Ca fait trente ans qu'on nous affirme que la crise est passagère et qu'un jour, nous reviendrons au taux de chômage des années 1960. Ca fait trente ans qu'on nous fait croire que demain. Ca fait trente ans que j'attend et réclame une révolution dans le domaine de l'indemnisation du Chômage. Mais ça fait trente ans qu'on fait comme si la crise, la crise de l'emploi, n'existait pas !
Allez, excusez moi messieurs dames, ça fait peut être trente ans que des gens vivent entre le chômage et les petits boulots. Mais qui s'en préoccupe ? La crise n'existe pas.
Et d'ailleurs nous avons toujours, "le meilleur système de protection sociale au monde".
Alors, pourquoi s'inquiéter ?
http://www.lemonde.fr/opinions/chronique/2009/10/21/la-crise-n-existe-pas_1256570_3232.html

Aucun commentaire: