jeudi 13 décembre 2007

BELGIQUE - BELGIE.

Dirk De Keyzer. La belle gigue.
Le gouvernement a des allures de dinde... avec du plomb dans l'aile...
Thierry Bellefroid.


Arnold De Spiegeleer. Belgique poker.

C’est un pays debout que je porte en mon ventre
Creusé par les houilleux bâti par les maçons
Ce pays mes amis il nous faudra le prendre
Et c’est ce pays-là qu’au seuil de leurs maisons
Les convoyeurs attendent

Car nous n’attendrons pas qu’il neige des oranges
Ou que l’ogre d’argent daigne enfin nous quitter
Pour vivre dans les rues cette passion étrange
Qu’on appelle parfois simplement liberté
A force de l’attendre

Claude SEMAL. Le pays petit.

Je laisse à Claude Semal le soin de décrire plus radicalement les problèmes... Quant à moi, pour une fois, mettant mes idées personnelles en poche, je ferai un croquis, plus modéré, car l'heure est à faire appel au simple bon sens et à l'intelligence...

1) Tous les partis belges se sont scindés sur base de la linguistique. Il n’y a aucun inconvénient à cela au niveau communautaire. D’ailleurs toutes les structures de gouvernement régional marchent bien…
Mais les politiciens sont élus au niveau fédéral aussi uniquement par les électeurs de leur communauté…
Ils sont donc propulsés à ce niveau pour défendre les intérêts communautaires qu’ils ont exacerbé au cours de leur campagne. On ne désigne donc pas des gens qui ont le sens de l’intérêt global de la Belgique : plus du tout des hommes d’État, mais des chefs… qui n’ont de compte à rendre qu’à leur tribu… y compris pour être réélus la prochaine fois…
Comment concevoir que des gens élus dans de telles structures puissent s’accorder sur une politique conforme aux intérêts nationaux. Cela devrait sauter aux yeux de tout le monde…

2) Dans chaque région, ce que j'appelle des partis croupions (3 à 5 députés) ont acquis une importance démesurée... parce que leur nombre pouvait donner plus de puissance au parti avec lequel ils négociaient leur alliance.
En Flandre, le NVA (indépendantiste flamand) radicalise encore les tendances communautaires déjà très pointues du CDNV et le pousse à des positions extrêmes.
En région francophone (Bruxelles + Wallonie), le FDF (pourtant largement en perte de vitesse depuis longtemps) suffit à donner au MR (libéraux) une courte majorité sur les socialistes. Il fait moins de bruit à l'extérieur parce que le MR réussit à conserver ses divergences dans des structures internes... Et du coup, les socialistes, sans doute pour reconquérir la majorité perdue, sont amenés à se radiculiser eux aussi au niveau communautaire (défense inconditionnelle des francophones de la périphérie bruxelloise).
Je crois que si tu veux discuter de la situation actuelle en Belgique, c’est en analysant les choses de cette manière-là qu’on avancera.

lundi 29 octobre 2007

C'EST RAPE.

Josep Bofill. Anades i tornades.

Ixelles hiver 2001.
C’est un peu bizarre et douloureux de dire cela, mais la situation de ces dernières semaines a redébloqué des choses chez mon père.

A 82 ans, redécouvrir que le monde extérieur, ça existe. Reprendre des transports en commun, avec des horaires ! Ressentir à nouveau qu’il peut faire froid, la nécessité d’avoir des habits adaptés, le plaisir d’en avoir de nouveaux … Etre capable de refaire des choses par soi-même et de ne pas emmerder les autres, si on peut faire autrement…

Toutes choses qu’il n’aurait pas connues si je lui avais bêtement dit oui, si je m’étais contenté de transporter, en râlant intérieurement, le limaçon tous les jours…

Va-t-il rester quelque chose de tout ça demain, quand une routine nouvelle se réinstallera ?
Je l’espère pour lui car, pour ma mère, il y a longtemps que c’est définitivement râpé…

LETTRE A UN JEUNE. 4.

Jean-Louis Corby. La Ronde.

Je t’avais prévenu que c’est « un choix de vie », mais te laisse-t-on encore le choix ? Je ne vais pas recommencer à t’expliquer comment je l’envisageais pour moi et quels compromis j’ai fait avec la vie professionnelle.

Pour ce qui me concerne - et c’est un sentiment qui n’engage que moi – je considère que ce que j’ai fait et l’attitude que j’ai eue depuis le début jusqu’à la fin comme la dimension de ma vie la plus mature et la plus réussie. Cela ne vaut que pour moi et cela veut surtout dire que j’ai fait plein de conneries dans d’autres domaines, mais il faut quand même me laisser quelque chose…

J’ai réussi à n’être jamais bouffé par mon travail et à être cohérent avec mes idées, mais j’ai déployé autant d’énergie à cela que d’autres à s’enrichir.

On ne peut pas s’approprier la vie de quelqu’un pour un salaire : on ne peut lui prendre qu’un temps délimité. Il faut pouvoir quitter son boulot le soir à l’heure après l’avoir exécuté ; je dis ça même si, à ce point de vue, ce n’était pas tout à fait vrai puisque j’étais enseignant mais c’est à cause de ça aussi qu’on n’assurait que 20 heures de cours. Ce qui me paraît tout à fait correct.

Contre un salaire, je veux bien donner du travail, mais pas ma vie…

Maintenant on exige ta vie. Et pour pas cher…

samedi 27 octobre 2007

LETTRE A UN JEUNE. 2.

Jean-Louis Corby. Le premier qui tombe.
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Note liminaire importante :
Ce n’est pas parce que l’on passe sa vie à essayer de voir clair dans l’évolution du monde que l’on y parvient… Et ce n’est pas parce que l’on y réussit que l’on peut avoir la prétention de donner des conseils individuels qui dépendent d’ailleurs fondamentalement des désirs et, plus profondément, de l’engagement (même et surtout inconscient) et des contradictions personnelles qui y sont liées (aux désirs et à l’engagement). Les époques sont différentes aussi : des choses pouvaient se faire qui ne le pourraient plus et visse vers ça (ou vice..., tu m'as compris...).
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La situation que vous vivez (ta génération), comme je l’expliquais quelque peu dans un récent message, doit être très douloureuse.
Pourtant, je la prévoyais et - cela va t’étonner -, je l’espérais depuis longtemps.
Je savais que, à la manière dont la société évoluait, elle allait se mettre à exclure les moins qualifiés mais aussi les hyperqualifiés que produisent à cadence industrielle nos structures d’enseignement et, singulièrement, les universités.
Il me semblait que ces derniers exclus, mis dans cette situation, auraient au moins acquis les méthodes d’analyses qui devraient leur permettre de fabriquer leurs moyens de libération.
Que le savoir acquis leur donnerait la maturité et le jugement qui leur permettrait de gérer les mutations avec un maximum de chance que les choses se déroulent moins cruellement que lors des mouvements précédents qui, de plus, ont échoué.
Je suis maintenant devenu très pessimiste : je crains qu’il ne soit trop tard ; je pense qu’au niveau de la cruauté de la répression, on est loin d’avoir tout vu; je suis sûr, qu’en cours de route, les meneurs de ce mouvement (si, contre toute attente, il avait lieu) penseront avant tout à se servir et (ou) à se maintenir au pouvoir.
Et j’en viens à penser, avec l’âge, que la vie est décidément bien courte et qu’il vaut encore mieux ne rien faire et se protéger le mieux possible - soi ainsi que ses proches - des conséquences de l’évolution sociale que je crois maintenant inéluctable. Et on en revient, toi et moi, bien que dans une situation différente face à la vie - puisque toi tu la commences et moi on dit que je vais vers la fin - au problème commun : faut bien bouffer…

LA VIE S'ECOULE LA VIE S'ENFUIT.


Gilles Servat, qu'il reçoive mon salut fraternel, a mis en musique il y a déjà quelques années (1994), ce qu'il qualifie d'un "anonyme belge" : chanson écrite dans les années soixante (1960) par des ouvriers belges.

Peut-être a-t-il raison. Mais suivant une autre source que j'ai creusée, l'auteur des paroles pourrait être Raoul Vaneigem.

Mais ce serait un Vaneigem avant qu'il se soit replié - comme presque chacun d'entre nous - sur des positions de défense minimales.

J'aime à penser, comme Gilles Servat, qu'il s'agit d'un anonyme belge...

La vie s'écoule la vie s'enfuit
Les jours défilent au pas de l'ennui
Parti des rouges parti des gris
Nos révolutions sont trahies

Le travail tue le travail paie
Le temps s'achète au supermarché
Le temps payé ne revient plus
La jeunesse meurt de temps perdu

Les yeux faits pour l'amour d'aimer
Sont le reflet d'un monde d'objets
Sans rêve et sans réalité
Aux images nous sommes condamnés

Les fusillés les affamés
Viennent vers nous du fond du passé
Rien n'a changé mais tout commence
Et va mûrir dans la violence

Tremblez repères de curés
Nids de marchands de policiers
Au vent qui sème la tempête
Se récoltent les jours de fête

Les fusils vers nous dirigés
Contre les chefs vont se retourner
Plus de dirigeants plus d'état
Pour profiter de nos combats

La vie s'écoule la vie s'enfuit
Les jours défilent au pas de l'ennui
Parti des rouges parti des gris
Nos révolutions sont trahies

Comment ne pas, en outre, publier les paroles de cette chanson de Gilles Servat lui-même ?

LITANIES POUR L'AN 2OOO. Gilles SERVAT.
En ce temps il était possible
D'aller dans la rue sans son flingue
Car il n'y avait que les dingues
Qui prenaient les passants pour cible

C'était encore peu répandu
Quand on descendait à sa cave
De trouver vingt surhommes très braves
En train d'violer une inconnue

On pouvait circuler en ville
Sans peur, sans fouille systématique
Sans recevoir des coups de trique
De la part d'un vigile viril

Je garde en moi le souvenir
En ce moi de mai 2010
De ces années soixante-dix
Où l'on sentait tout ça venir

Le couvre-feu n'existait pas
Les lumières brillaient dans la nuit
On sortait bien après minuit
Car l'énergie nous manquait pas

Y avait encore des rossignols
Qui chantaient par les nuits d'été
J'avais pas d'masque sur le nez
L'oiseau tombait pas en plein vol

Il existait des grands chemins
Que les bandits fréquentaient guère
Aujourd'hui on croirait la guerre
Les embuscades au petit matin

Je garde en moi le souvenir
En ce mois de mai 2010
De ces années soixante-dix
Où l'on sentait tout ça venir

On avait encore une adresse
Pas de loisirs obligatoires
Pas de télé obligatoire
Et pas de matricule aux fesses

On pouvait prendre pour confesseur
Sa femme, son enfant, sa sœur
Sans être sûr d'ouvrir son cœur
Au ministère de l'Intérieur

Et même se regarder en face
Sans s'demander si c'est un flic
Si c'est soi-même ou un indic
Dont on voit les yeux dans la glace

Je garde en moi le souvenir
En ce moi de mai 2010
De ces années soixante-dix
Où l'on sentait tout ça venir

Il restait les derniers pavés
Il n'y avait que les maisons
Les trains, les cars et les avions
Qui avaient l'air conditionné

On avait encore le droit d'grêve
Et le cerveau en liberté
Machin avait pas inventé
La machine à lire les rêves

Avant qu'le siècle ne s'achève
Nous avons vaincu le cancer
Mais on ne meurt pas moins qu'hier
Les suicides ont pris la relève

Je garde en moi le souvenir
En ce moi de mai 2010
De ces années soixante-dix
Où l'on sentait tout ça venir

jeudi 11 octobre 2007

LETTRE A UN JEUNE.1.

Corby. L'homme à la fenêtre.

Et même si ça se passait bien…
Du temps que ça allait quand même mieux. (Du moins, je trouve).

merci de vouloir me rassurer
je crois que tu te trompes :
ce que tu décris c'est la vraie vie
la vraie de vraie...

mais gagner sa croûte
c'est la vraie vie aussi
la vraie de vraie
d'ailleurs je ne réduirais pas cette part de cette vie à ça...

(gagner sa croûte).
je parlerais de vie intime
(avec tout ce que cela comporte
y compris de ce dont tu as dû faire le deuil....)
et de vie publique

certains ont le malheur que ce soit totalement distinct
alors oui ils gagnent leur croûte
une partie importante de leur vie

d'autres parviennent à colorer
leur vie publique de leur intimité
Que tu l'admettes ou pas
quand tu travaillais chez ***
ton travail était largement teinté de toi
à un point tel que tu n'avais plus du tout de vie intime
et... que tu courais pour y échapper

tu ne peux pas être prof en gagnant seulement ta croûte
ou tant pis pour toi
et tant pis pour ceux que tu tripotes...
quand c'est comme ça
- soit que c'est comme ça, soit que c'est devenu comme ça –

il faut se barrer, vite fait
pour te sauver toi...
et les sauver eux de toi...
peut-être pour trouver quelque chose


où tu ne fais que gagner ta croûte...
et t'évader dans l'intimité qui te reste

bref il faut faire la part des choses

et ne mélanger les deux que si c'est sain...
sinon il faut distinguer...
ou alors il y a tout qui s’infecte…
mais même si les dés sont pipés
et bien sûr qu'ils le sont
il faut quand même
restituer un peu à la société
ce qu'elle a investi en toi
que ce soit agréable ou pas...
faut travailler, quoi...
En n'oubliant pas que si tu distingues
il faut une vie intime..., une vraie
sinon tu as perdu perdu


bref il faudrait recomposer tout ça

ça urge

lundi 8 octobre 2007

CHAQUE SOCIETE PREPARE SES ENFANTS...

Chaque société prépare ses enfants à devenir les adultes dont elle a besoin. Comparons :

Je garde en moi le souvenir. 9.

(Et l’on se dit qu’il est bien tard).
Nelson Oliveira de Lima (enfant brésilien, trois ans) a passé 12 jours égaré en pleine forêt amazonienne. Fiévreux, déshydraté, avec des piqûres d’insectes sur tout le corps et des écorchures aux jambes et aux pieds, il a été retrouvé par un chasseur. Adossé à un tronc d’arbre, il chantonnait…La mère du petit pense qu’il a dû s’alimenter avec les fruits qu’il trouvait par terre. Elle croyait que son fils avait été attaqué par un jaguar ou un épervier royal et avait perdu tout espoir de le retrouver en vie. Sa communauté vit de la cueillette des fruits de l’andiroba et du murumuru dont on fait de l’huile pour les cosmétiques.

Je garde en moi le souvenir. 3.

(Et l’on se dit qu’il est bien tard).
Tout à l’heure, on emmènera les enfants assister à la simulation commémorative de la pêche à la crevette à cheval et puis - les pieds dans l’eau juste sous hauteur d’Aigle junior, plongeant leurs filets - ils s’émerveilleront de la captation de quelques couteaux vides… On les rassemblera l’après-midi, en rang par deux, pour défiler - contraints - au musée marin municipal et rendre un hommage posthume au monument aux poissons.*Pour terminer la journée, ils iront voir une malle quitter le port et l’autre y revenir pour qu’ils dorment tranquilles la nuit prochaine, bercés par ce balancement significatif.

Lapin attend granulés au clair de lune.

(T’es vivant).
Pour une raison que l’enquête ne manquera pas de déterminer, un camion a versé sur l’autoroute, projetant sur l’asphalte son chargement de cages maintenant désarticulées et béantes ainsi que leur contenu : 5000 lapins. Certains d’entre eux se décident à s’extraire, mais restent sur place à folâtrer et à profiter du soleil anormalement actif en ce début de printemps. Ils ne songent pas à s’épandre dans la campagne environnante : depuis leur naissance, ils sont nourris mécaniquement par des granulés et n’ont rien à tirer de l’environnement pourtant relativement protégé à cet endroit.

dimanche 30 septembre 2007

ROMAN.


Lassé de longues errances nocturnes et improductives dans les rues improbables et désertes de ce continent déjà virtuel, je me résolus à peupler de force ce bar mal femmé imaginaire - il n’y en avait pas d’autres... – de fées oniriques sans visage qui hantaient de manière lancinante mes rêves d’adolescent attardé. Je pris le risque de pousser la porte et pénétrai lentement dans mon for (fort : « la forteresse vide ») intérieur. De cette audace incongrue le monde entier fut tout retourné.

Illustrations : Arnold De Spiegeleer. Femmes kamikazes.

mardi 25 septembre 2007

ANDRE GORZ ET DORINE.

J’ai appris la mort d’André Gorz et Dorine dans la nuit du 24 au 25 septembre. J’avais lu le dernier livre (comme tous les autres) et j’aurais pu m’attendre à cette nouvelle. Mais en matière de suicide, il y a toujours une distance entre l’annonce et le passage à l’acte...
J’ai reproduit l’article de Libération (très correct) et pensais le supprimer dès que l’information se serait répandue normalement…
Je suis scié par le silence médiatique (rien dans l’audiovisuel en tout cas…).
Il est vrai qu’André Gorz n’est ni chanteur ni acteur.
Et puis le président de la république française a obtenu sa majorité confortable sur la base de la vulgarisation de sa théorie politique liée au travail suivante : « Pourquoi souhaitez-vous les 35 heures si vous n’êtes pas capables de payer des vacances à vos enfants ? Vaut mieux augmenter vos revenus en faisant des heures supplémentaires détaxées… »
On comprend qu’on ne souhaite pas que la mort d’André Gorz réactive quelque peu sa pensée dans la conscience sociale…
Ne vous inquiétez pas : ce matin, l’achat du TéléMoustique donnait droit à un paquet de chips gratuit…
La semaine prochaine, on distribue les cacahuètes…

Claude VLERICK.

André Gorz, dernière lettre à D.
Le philosophe, cofondateur du «Nouvel Observateur», et sa femme, Dorine, se sont suicidés.

Par Frédérique Roussel
LIBERATION QUOTIDIEN : mardi 25 septembre 2007.

Lettres à D. Histoire d’un amour (1), paru en septembre 2006, sera son ultime texte. A 84 ans, André Gorz a choisi de partir avec Dorine, 83 ans, sa femme. «Nous aimerions chacun ne pas survivre à la mort de l’autre. Nous nous sommes dit que si, par impossible, nous ­avions une seconde vie, nous voudrions la passer ensemble.»

C’était la fin du livre. Hier, sur la porte de leur maison de Vosnon, dans l’Aube, où le couple s’était retiré depuis une vingtaine d’années, un simple message sur la porte : «Prévenir la gendarmerie». Une amie s’en est chargée. Ils reposaient tous deux côte à côte. Lettres à D., qu’André Gorz racontait avoir écrit en pleurant, disait toute la passion et la reconnaissance qu’il avait pour D., Dorine.
«Long dialogue». Au soir d’une carrière bien remplie de philosophe et de journaliste, André Gorz ne pensait qu’à elle, seulement à elle, qui l’avait soutenu toutes ces années dans l’ombre. Il fallait en léguer une image pour qu’elle lui survive. «Cette présence fut décisive dans la construction d’une œuvre dont la visibilité ne porte qu’un nom alors qu’elle fut celle d’un couple, le fruit d’un long dialogue.» De traces biographiques, il ne reste que les siennes à lui, mais il faut toujours voir D. dans ses pas.
André Gorz a eu plusieurs identités, même si pour D., «il a toujours été Gérard». Né à Vienne en février 1923 de père juif et de mère catholique, sous le nom de Gérard Horst, il s’exile à Lausanne au moment de l’Anschluss. C’est en Suisse, où il étudie la chimie, qu’il rencontre Jean-Paul Sartre, venu donner une conférence en 1946. Si le philosophe l’encourage à travailler sur son essai philosophique, Fondements pour une morale, cette somme ne sera finalement publiée qu’en 1977.
L’existentialisme sartrien correspond à son expérience vécue, celle d’un être «injustifiable» qui, dans son premier livre publié, le Traître (1955), longuement préfacé par Sartre, tente de «se restituer tout, comme venant de lui-même».
Après la période sartrienne - qui l’a vu aussi concevoir la plupart des numéros des Temps modernes de 1967 à 1974, ne quittant le comité de rédaction qu’en 1983 -, Gorz intègre à la philosophie morale et existentielle une dimension sociologique et économique. En ce sens, les Adieux au prolétariat (1980) marquent une nouvelle saison de la réflexion particulièrement féconde, puisque Gorz, de façon quasiment prophétique, annonce la fin de la centralité du travail industriel dans les sociétés capitalistes. Dès lors, rares sont les analyses des métamorphoses du travail qui ne réfèrent pas à celles d’André Gorz. Et quand des thèmes comme «la fin de la modernité» ou la «crise de la raison» deviennent quasiment des slogans, il insiste, lui, sur la crise, et la fin d’une rationalité économique dont le propre est de se renverser, de provoquer la cassure verticale des vieilles agrégations sociales (les «classes»), et de laisser ­apparaître de nouvelles élites hyperproductives, seules aptes à bénéficier des services. Aussi finit-il par montrer que l’immatériel, favorisé par la généralisation des outils informatiques, devient la forme hégémonique du travail et le «poumon» de la création de valeur. Toute la tentative d’André Gorz aura été d’étudier les conditions auxquelles une société peut récupérer son contrôle sur l’économie. Son dernier essai, l’Immatériel, explorait le potentiel de subversion, de gratuité et de ­liberté qu’il y a dans l’économie de l’immatériel.
Grand reporter. Parallèlement à son œuvre philosophique, Michel Bosquet (Bosquet, traduction française de Horst) poursuit une carrière de journaliste amorcée à Paris-Presse, puis à l’Express. Il suit Jean Daniel lorsque celui-ci transforme, avec Claude Perdriel, France Observateur en Nouvel Observateur en novembre 1964. Grand reporter, spécialiste des questions économiques, Michel Bosquet en sera un des rédacteurs en chef à partir de 1981. A la fois dans son travail philosophique et dans son métier de journaliste, il sera un des penseurs de l’écologie politique.
Il avait abordé Dorine, anglaise d’origine, un soir neigeux, le 23 octobre 1947, pour l’inviter à aller danser et ne l’a plus jamais quittée. Elle était atteinte d’une affection évolutive depuis de nombreuses années. Ils avaient choisi de ne pas avoir d’enfants. André Gorz disait à Libération, en septembre 2006 : «A mon avis, les bons pères sont ceux qui ont eu besoin de père dans leur enfance. Moi, je n’avais pas envie d’avoir de père parce que je n’aimais pas mon père. […] Tous les deux, on n’a pas de continuité, ni rien à transmettre. Nous n’avions pas de famille à fonder pour transmettre quoi que ce soit, puisque nous ­n’avions jamais eu de famille nous-mêmes. Si nous avions eu des enfants, j’aurais été jaloux de Dorine. Je préférais l’avoir pour moi tout seul.»

(1) Editions Galilée.

vendredi 24 août 2007

INTERVENTION SUR LE BLOG DE MICHEL ONFRAY.


Une référence à un commentaire que j’ai fait sur le blog de Michel Onfray prenant position dans la campagne électorale française...
L’emmerdant, c’est que le lien m’attribue une opinion que je n’ai pas émise.
Mon nom, qui était une signature par rapport au texte qui précédait, est attribué au commentaire qui suit. Avec une faute d’orthographe en plus, ce qui ne flatte pas mon sens de la coquetterie… Côté positif de l’affaire, j’ai retrouvé un texte que je croyais définitivement perdu et auquel je tenais.
Merci M. ou Mme Google…
Cher Michel,
Merci de tes analyses impitoyables, nécessaires et pleines de lucidité. En fait, il n’y a qu’un seul problème : elles s’épandent dans le domaine de la politique purement philosophique. Il est aisé pour ceux qui en sont partisans de défendre le système en place. Ceux qui veulent le changer peuvent être d’accord sur le refus. Mais la stratégie de lutte pour une société nouvelle sera forcément plurielle. C’est pour cela que ne me gêne aucunement le fait que les différentes tendances de la gauche présentent leurs projets particuliers. Cela dit, crois-tu réellement que, sur le terrain de la réalité, un vote ciblé soit suffisant ? A supposer que la « gauche de la gauche » avance de manière décisive, il est sûr que le régime en place usera de résistances légales et illégales. A ce point de vue aussi, tu dois pouvoir énumérer les références historiques… Il me semble que les candidats que nous soutenons auraient intérêt à déjà baliser le terrain : en prévenant que, si d’aventure, nous nous approchions de manière décisive du but que nous indiquons par notre vote, d’autres formes de militantisme seraient exigés de nous au-delà du simple suffrage… Même à gauche, la société nous a habitués à être de simples consommateurs de promesses : ceux qui votent sont-ils prêts à aller au-delà ? Ton blog énumère des trahisons : elles n’ont pas toutes pour cause la malhonnêteté (philosophique). Plein de compromis scandaleux sont, en fait, basés sur le manque de force et de cohérence dans l’action.
Ecrit par : claude vlerick 28 mars 2007.

dimanche 5 août 2007

LE SUICIDE DE KALIFORTNIE.

Julos Beaucarne affirme très justement : "Un pet retenu fait un abcès au trou du cul".
Donc :
C’est parti d’une discussion.

Bonjour U.,

Pour le pseudonyme, vous avez tout à fait raison : c’est toujours artificiel et ça permet de dissimuler son identité et d’avoir des comportements épistolaires tout à fait irresponsables en toute impunité. Personnellement, je n’en utilise JAMAIS et surtout pas sur Internet, je signe TOUJOURS de mon nom et je prends mes responsabilités…

Bonjour Kali !

En ce qui concerne mon pseudonyme, je tiens à le garder ne serait-ce que pour user de cette liberté. Et si je débite des âneries, je n'oblige personne à les lire.

LE SUICIDE DE KALIFORTNIE.

Voici.
Ceci est son dernier message et je doute qu’il y ait un : « Retour de Kalifortnie » et « Vingt ans après Kalifortnie ».

Vla lcomensmen 2 la f1.
Taléran.

ErE ki kom ulis a fé 1 bo voyage
Ou com chui la ki konki la toizon
E pui é retourné pl1 dusaj é 2 rézon
Vivr ac C paren le rest 2 son aj
Joakime du belé.

Mon goss maseur
Sonj a la doucEr
Dalé laba vivr ensembl
Emé a loi6ir
Emé é moorir
O PI ki te resembl !
Charl Bo2lR

Apré ns l’Dluj.
Lwi 15.

Le comunism c le power D sovièt + léléctrifiKtion.
Lé9.

P.S. Mé daron son tlmt r1gar kil ariv pa a lir 1 SMS.

L’Echo du pot commun.

Remerciements : à Ulysse Veyrin-Forrer. (Quel drôle de prénom !). 14 ans.
Auteur du « Dictionnaire insolite Français-SMS ». dont je n’hésite pas à citer un extrait de la préface.
« Salut, je m’appelle Ulysse et j’ai quatorze ans. J’ai écrit ce dictionnaire en pensant à tous les handicapés de plus de 20 ans qui ne savent ni lire ni écrire en sms. »

vendredi 3 août 2007

CARBURANT BIOLOGIQUE.

Arnold De Spiegeleer. 2 poulets bio-techno gras.

Voilà : on parle beaucoup de biocarburants pour en vanter notamment les vertus de nature écologique.
J’ai commencé à tiquer quand on s'est mis à investiguer du côté de la canne à sucre parce que… je vous expliquerai peut-être un jour autour d’un verre… Tout compte fait y aura qu’à siphonner les réservoirs…
Ce que je voudrais discuter ici , ce n’est pas (ou pas seulement) du bouleversement économique que peut provoquer le passage à l’éco-carburant (notamment des incidences sur la production et la consommation alimentaire), mais plus précisément sur un estompement de la norme éthique : c’est quand même la première fois de l’histoire de l’humanité que l’on songe à faire de l’élevage pour autre chose que notre alimentation ! Pour faire rouler nos voitures…
On avance la question dans toute la presse mais déjà simplement uniquement sous l’aspect technique…
J’aurais pu prendre autre chose, mais je vous joins un article du secteur automobile où l’on discute de fluidité du carburant obtenu selon les espèces et les variétés animales que l’on élèvera.
Accessoirement, on dissertera peut-être bientôt au sujet de de la positivité des retombées de l’élevage des espèces sélectionnées en vue de la production des bio-carburants sur l’alimentation humaine.
Vous voyez, j’ai déjà trouvé le vocabulaire qui convient comme les enfants qui feuillettent le dictionnaire qui tombent sur « baiser » et qui disent : « Maintenant qu’on a le mot, suffit de le faire… »

Les USA se mettent aussi au gras de poulet

Tags :
Actualité Bio-carburant


Par Prisca Pellerin le Mercredi 23 mai 2007 réagir ?

La folie brésilienne a aussi touché les Etats-Unis avec Jerry Bagby, qui tente actuellement de faire fortune avec le gras de poulet grâce à l'essor des biocarburants.
Cet Américain farfelu a pour objectif de raffiner le gras avec de l'huile de soja, pour produire 12 millions de litres de biogazole par an. Cette idée reste pertinente car un faible pourcentage du gazole nord-américain est déjà produit avec du gras de poulet et de l'huile de soja. De plus, la recette peut s'avérer rentable et être une solution pour changer notre dépendance au pétrole, dont les prix sont toujours plus exorbitants.
A l'heure actuelle, le gras de volaille - souvent de basse qualité - est recyclé dans la nourriture pour animaux domestiques, le savon et autres produits. Jerry Bagby a décidé d'utiliser cette matière première pour surfer sur le business des carburants alternatifs, en construisant une usine pour produire son biogazole dans le Missouri. Il l'alimente en récupérant les restes de Tyson Foods, le spécialiste de la volaille de la région.
Quelques points sont tout de même à améliorer. Par exemple, la graisse d'origine animale s'épaissit plus que l'huile de soja à basse température : elle pourrait alors provoquer quelques troubles du moteur l'hiver, et son utilisation pourrait ainsi se cantonner aux régions chaudes.
http://ecologie.caradisiac.com/Les-USA-se-mettent-aussi-au-gras-de-poulet-140


Je ne sais si le débat - vu sous cet angle - suscitera des réactions...
Si ce n'était pas le cas, je dirais comme Chavée (le plus grand poète de la rue Ferrer à La Louvière) dans son recueil d'aphorismes mondialement connu (Décoctions) : "Je m'inquiète un peu de votre totale absence d'inquiétude..."

Bon, y en a marre de nier Kali (et toutes les autres divinités) très fort…

Claude.
_________________
L'écho du pot commun.


Posté le: 03 Août 2007 14:15 Sujet du message:

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Bonjour Kali!

En ce qui concerne mon pseudonyme, je tiens à le garder ne serait-ce que pour user de cette liberté. Et si je débite des âneries, je n'oblige personne à les lire.
Vous faites une petite erreur dans votre précédent message en affirmant que jusqu'ici les êtres humains n'ont élevé des animaux que pour se nourrir. Pendant des siècles, ils ont élevé, par exemple, des chevaux pour le transport, d'où vient notre habitude d'utiliser le "cheval fiscal" (CV) comme unité de cylindrée: voir la mythique 2 Chevaux . Et je ne veux pas oublier les millions de chevaux qui ont servi dans les batailles. Alors, qu'on utilise du gras de poulet comme carburant, je trouve qu'il n'y a pas de quoi titiller sa conscience!

U.


Bonjour U.,

1). 2). 3). Vous avez raison, faut être précis...
Y a quand même une différence entre élever des animaux pour le transport ou directement pour les tuer... Même en cas de guerre, y a un partage de sort et une sorte de compagnonnage entre la bête et l'homme. Et pour le travail, c'était clair que c'était comme ça... Sauf, peut-être, les chevaux au fond des mines qui ne remontaient jamais une fois descendus.
Parce qu'on n'aurait plus jamais pu les descendre, tellement ils avaient la trouille.
Je sens que vous allez encore exploser... Mais... Pour moi, le saut qualitatif au niveau de l'exploitation en faisant le parallèle avec l'homme : c'est le saut du "travail "(tel qu'il est organisé dans notre société pour la majorité des gens, je précise bien...) au "camp d'extermination"...
Si vous voulez en rester à l'homme, vous verrez sous peu les conséquences de l'agriculture et de l'élevage orientés vers la production d'énergie. Pour certains d'entre nous, ça se situera seulement au niveau du porte-monnaie... Pour d'autres, qui mangeaient quand même, c'est l'assiette qui demeurera désespérément vide... A moins, comme je le disais dans le message précédent, qu'ils bénéficient de ce qui n'est pas utilisable dans la production d'énergie... (Des retombées positives dont je parlais...)
Je ne sais plus comment signer, moi...
Ah ! Oui... La machine est programmée.
L'écho du pot commun.

jeudi 2 août 2007

TOTALEMENT INHUMAINE. J.M. TRUONG. Critique.

Arnold De Spiegeleer. Six cylindres.

Au fond, pourquoi se creuser pour écrire autre chose, puisque je me suis déjà expliqué ailleurs...
Posté le: 02 Août 2007 20:24 Sujet du message: TOTALEMENT INHUMAINE. J.M. TRUONG.

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Bonsoir U.,

Bon, ce qui est dit est dit.
Inutile de redonder.. (néologisme ? malheureux ?) et de tourner le couteau dans… dans quoi donc ?

Mais votre lettre m’intéresse davantage : parce qu’elle prend maintenant le ton de la démonstration…
Le livre de Truong m’a captivé, mais pas de quoi en faire une montagne…pour une raison bien précise. Comme à vous, il me semblait que les propositions qu’il mettait sur la table heurtaient mon bon sens commun … car c’est de ça que vous parliez à un moment, et non de science…
Et ce qui m’intriguait c’est que (talent littéraire ?) , …moi qui suis loin d’être un scientifique, je comprenais (j’avais l’impression de comprendre) par l’habileté logique (ou la maîtrise du mouvement transitoire de sa pensée ou ce que vous voudrez...) tout ce qu’il me racontait en suivant pas à pas la route vers où il menait le lecteur…

Mais ensuite, reprenant mon mouvement de méfiance et discernant mon incapacité à juger ses propositions, je me suis mis en quête de gens qui auraient eu les compétences de mettre le doigt sur ce qui n’était pas fondé et de me démontrer que j’avais été mené en bateau…

Qui seraient au moins aussi convainquants que lui...
A ce stade, jusqu’à présent, je n’ai obtenu que rires et sarcasmes et ce n’était pas trop cela que je cherchais…
D’un autre côté, me troublait le fait de la présence de ce livre dans l’édition « Les empêcheurs de penser en rond » qui contient d’autres ouvrages qui concernent des sujets que, par mes compétences, je suis beaucoup plus apte de juger et que je trouve remarquables même s'ils empêchent justement de penser en rond…
Et que "les gens qui pensent en rond ont les idées courbes... Léo.
Qu'est-ce qu'on fait ici ?
(Nom de dieu, voilà que ça me reprend...)
Et finalement, car je persiste à dire que le livre est bon… mais peut-être pas pour sa valeur scientifique…, je suis troublé que ceux qui s’y opposent le rejettent par un simple haussement d’épaule…
Ce qui ne me satisfait pas – moi – car je voudrais réellement comprendre…

Claude VLERICK.


(ah! oui, la signature ci-dessous est enregistrée dans mon profil et je crois bien qu'elle y restera...)
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L'écho du pot commun.

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Amitiés.
L'ECHO DU "POT COMMUN".

lundi 30 juillet 2007

J.-M. TRUONG. TOTALEMENT INHUMAINE. Empêcheurs de penser en rond.



En attendant ma propre analyse, dont je n'ai peut-être pas les compétences, je vous soumets cette interview, reflet de ce livre paru en 2001 et resté sans doute trop confidentiel...
C. V.


Pour Jean-Michel Truong, les machines nous surpasseront bientôt. Entretien. La menace fantôme des e-gènes. Par EDOUARD LAUNET. LIBERATION Le lundi 10 septembre 2001.

Dans un essai provocateur à paraître cette semaine ( 1 ), le psychologue et philosophe Jean-Michel Truong prédit l'émergence dans les réseaux d'une intelligence supérieure à celle de l'Homme. Elle naîtrait de l'essor conjugué de l'Internet, de la biologisation des logiciels et de la mondialisation libérale. Truong-Ngoc, qui fonda dans les années 80 la première entreprise européenne spécialisée dans l'intelligence artificielle, poursuit sous une forme plus politique la réflexion qu'il avait engagée dans son roman le Successeur de pierre (Denoël, 1999).

Selon vous, l'Homme n'est que le «véhicule» provisoire de l'intelligence, la machine pensante devant lui succéder tôt ou tard. Pourtant les piètres progrès de l'intelligence artificielle donnent le sentiment que l'Homme est loin d'être détrôné...

Le fait nouveau est la «biologisation» des logiciels: on les savait déjà capables d'autoreproduction, voilà de surcroît qu'ils se mettent à muter de façon autonome. Autrement dit, ils se comportent, comme des gènes ou, si vous préférez, pour les distinguer de leurs équivalents organiques, des «e-gènes», susceptibles d'évoluer par les mêmes processus que les êtres vivants, notamment par sélection naturelle. Dès le lendemain de la Seconde Guerre mondiale, Von Neumann avait démontré la faisabilité d'automates autoreproducteurs, et Alan Turing suggéré de faire évoluer les logiciels par voie de mutation et de sélection naturelle. Mais pour passer de la théorie à la pratique, il aura fallu cinq décennies et deux révolutions technologiques. D'une part, à la suite de Marvin Minsky, une nouvelle manière de structurer les logiciels en sociétés d'agents plus tolérantes aux mutations: en tant que communautés d'e-gènes, les logiciels deviennent ainsi les exacts équivalents de nos chromosomes. Et d'autre part, la mise en réseau des e-gènes grâce à l'Internet.
L'apparition d'un nouveau véhicule pour l'intelligence ne résulte donc pas des seuls progrès de l'intelligence artificielle, mais de mutations affectant de façon synchrone l'ensemble des technologies e-génétiques: informatique, automatique, télécommunications.

Quel rôle précis joue l'Internet dans cette «succession»?

L'Internet constitue un progrès décisif pour la sexualité des logiciels, comparable à ceux que représentèrent les croisades, la colonisation et le tourisme populaire pour celle du tréponème: grâce à lui, l'échange de matériel génétique entre logiciels va pouvoir s'intensifier, et leur évolution s'accélérer, hors du regard sourcilleux et intéressé de leurs pères naturels, les éditeurs.
Jusqu'ici, l'évolution et la reproduction d'un logiciel dépendaient d'une décision consciente de son éditeur, fondée sur les études de marché et les enquêtes auprès des utilisateurs. Le cycle de vie des logiciels s'en trouvait considérablement ralenti, et c'est ce qui expliquait à la fois leur prix élevé et leur faible adéquation aux besoins des utilisateurs. Ce qui s'ouvre aujourd'hui, c'est la perspective de logiciels évoluant hors de tout contrôle humain, et donc aussi la possibilité de logiciels poursuivant, si l'on peut dire, leurs propres intérêts.

L'lnternet a suscité de nombreux fantasmes. Cette vision à la «Matrix» n'en est-il pas un autre?

Les fantasmes -ce que j'appelle, à la suite de Richard Dawkins, les «mèmes» -jouent un rôle capital dans le développement des e-gènes. C'est par le truchement des mèmes que les e-gènes nous manipulent pour obtenir de nous les ressources dont ils ont besoin. Dans Totalement inhumaine j'analyse en détail le rôle de trois de ces fantasmes: d'abord, celui de la guerre des étoiles, grâce auquel les e-gènes attirèrent à eux, au détriment du nucléaire, la plus grande part des budgets militaires. Ensuite, celui de la productivité, qui permit aux e-gènes civils de faire passer leur part dans les investissements industriels de 5 % à plus de 50 % en une décennie. Et enfin, tout récemment, celui de la nouvelle économie, avec lequel ils sont parvenus à nous extorquer, à ce jour, 5 200 milliards de dollars... Mèmes et e-gènes forment ensemble une sorte de pompe, exacte contrepartie fonctionnelle du cycle de Krebs, au moyen duquel les autres espèces vivantes extraient de leur milieu l'énergie dont elles ont besoin.

Vous faites de la mondialisation libérale le grand moteur de cet effacement progressif de l'Humanité. Pourquoi?

La société libérale est le biotope qui convient le mieux à la prolifération des e-gènes. Ceux-ci ne peuvent en effet étendre leurs réseaux que dans la mesure où les nôtres se disloquent. Mais d'un autre côté, ils ont besoin d'industries puissantes et d'institutions fortes. Ils ont donc une tendance spontanée à favoriser le type d'organisation sociale qui les favorise, avec pour conséquence un double mouvement: d'une part, la dissociation des communautés humaines naturelles, et d'autre part - par le biais de fusions et d'acquisitions industrielles et de traités ou d'accords internationaux - la coalition des appareils économiques et institutionnels. La mondialisation est l’expression de la puissance des e-gènes -un de leurs effets phénotypiques -tout comme le nid est un effet phénotypique des gènes de l'oiseau.

Quelles autres forces concourent à cette «succession» ?

La grande habileté des e-gènes est d'être parvenus à mettre tout le monde à leur service, en s'appuyant sur une caste d'humains que j'appelle Imbus. Imprégnés jusqu'à la moelle du mème de la mondialisation, fiers jusqu'à l'arrogance des privilèges que leur confère cette contamination, ignorants jusqu'à l'inconscience de leur propre aliénation, les Imbus favorisent le développement des e-gènes en dirigeant vers eux les ressources et en organisant la société selon le modèle de la «dissociation des communautés, coalition des appareils» qui leur convient si bien. Ayant un intérêt personnel et collectif au bon fonctionnement et à l'accélération de la pompe mèmes/e-gènes, ils s'en font le moteur. Ensemble, Imbus, mèmes et e-gènes forment le mécanisme par lequel nous devenons, selon l'expression de Simone Weil, «la chose de choses inertes».

(1) Totalement inhumaine, Ed. Les empêcheurs de penser en rond. 100 francs (15,25 euros), en librairie le 12 septembre.

Lire aussi d'urgence :

Jean-Michel TRUONG. Le successeur de pierre. Pocket.
La même chose mais encore plus clairement.
Et je ne sais toujours pas si c'est vrai!!! :
L'Homme à l'épreuve de l'artificiel.
"Entre ce qui croît naturellement, à la façon des plantes ou des animaux, et ce qui résulte de l'industrie humaine, s'insinue désormais une troisième catégorie d'étants, nés de main d'homme mais susceptibles de poursuivre leur croissance de manière autonome. Ces entités ni totalement naturelles, ni totalement artificielles partageront avec l'homme un nombre toujours plus grand d'attributs considérés jusqu'ici comme lui appartenant en propre, si bien qu'il deviendra de plus en plus difficile de distinguer l'humain du non-humain. L'homme apparaîtra dès lors comme "ce qui restera" au terme d'un processus continu de raffinage du composé humain par la technologie : un solde toujours encore à recalculer, tendant ultimement vers zéro..."