samedi 30 août 2008

ENGIS. CATASTROPHE DE 1930.

SOCIETE CHIMIQUE PRAYON RUPEL A ENGIS.
Cette usine est classée entreprise SEVESO suite au stockage et au transvasement de produits chimiques dangereux :
Ammoniac : NH3
Dioxyde de soufre : SO2



Du 1er au 5 décembre 1930, alors que le brouillard recouvre une grande partie de la Belgique, une inversion de température à 70-80 m se produit dans la vallée de la Meuse, entre Huy et Jemeppe-sur-Meuse. Cette section du val mosan, au milieu de laquelle se trouve Engis, constitue un bassin industriel fort important et abrite de nombreuses usines utilisant la combustion du charbon.

La vallée connaît alors des conditions
anticycloniques, une température de 1 à 2°C, un très faible vent (1 à 3 km/h), une accumulation de gaz et de particules de suie. Le brouillard persistant maintient au niveau du biotope humain les particules fines en suspension dans l'air et les particules de dioxyde de soufre (SO2) produites par les industries ; hommes et animaux ne peuvent que les respirer.

Les dégâts sont quasiment immédiats : dès le troisième jour, des milliers de personnes sont atteintes de troubles respiratoires (irritation de la gorge, douleurs dans la poitrine, quintes de toux, respiration difficile, augmentation de l'
adrénaline, nausées, vomissements). Soixante personnes, âgées ou souffrant d'affections cardiaques ou pulmonaires, décèdent en deux jours[1] soit une augmentation de 10,5 % par rapport à la mortalité habituelle.

Ce drame suscite immédiatement une violente émotion au niveau local, national et international ; les journaux parlent de « mort noire »
[2], de « Vallée de la Mort »[3], de « brouillard homicide »[4].

Dès le 6 décembre, une enquête judiciaire est ouverte et un comité d'experts nommé pour déterminer les mécanismes des accidents.
[5]. Les dix autopsies pratiquées révèlent la présence de mucosités dans la trachée et les bronches, des œdèmes pulmonaires et des hémorragies mais pas de signe d'empoisonnement systémique. Les résultats de l’expertise sont publiées en 1931 dans le Bulletin de l’Académie Royale de Médecine de Belgique.

Ce rapport constitue un point de repère dans l'histoire de la
pollution de l'air car c'est la première fois qu'est établie scientifiquement la démonstration de la mortalité et des maladies engendrées par la pollution de l'air. Il identifie les mécanismes du brouillard hivernal, l'inversion de température, les résultats de la combustion du charbon, les sujets à risques et il prédit de futurs désastres… « Si les mêmes conditions se trouvent réunies, les mêmes accidents se reproduiront. (…) Si un désastre survenait à Londres dans des conditions analogues on aurait à déplorer 3 179 morts immédiates » ; ces prédictions vont malheureusement être confirmées par les faits : en 1952, Londres va subir un épais brouillard du 5 au 9 décembre ; en trois mois, on va compter 12 000 décès supplémentaires à la mortalité normale.

Ce drame a eu une forte répercussion dans la littérature scientifique. Au plan local, Engis est devenue l'une des communes les plus surveillées quant à la pollution, mais les évènements de 1930 sont peu à peu tombés dans l'oubli. La commune d'Engis a cependant célébré le 70e anniversaire du drame, en décembre 2000, par l'installation devant la maison communale d'une sculpture de l'Engissois Paul Vandersleyen.

dimanche 24 août 2008

POUR UNE TELE-VISION DE LA TELEVISION.

Pour une télé-vision de la télévision, par Christophe Girard.
LE MONDE.• Mis à jour le 24.08.08 17h50.

Ce n'est pas parce qu'on regarde beaucoup la télévision qu'on la voit bien. L'évolution principale de la télévision ces trente dernières années est un changement d'ordre technique dont les effets et les conséquences dépassent largement le domaine de la technique audiovisuelle, mais engagent des bouleversements dans la réception, l'interprétation et l'utilisation des images. Il s'agit de la réduction de la durée de chaque plan, qui excède désormais rarement dix secondes.

Le nombre de plans par minute (NPM) a en effet augmenté de façon vertigineuse, du fait de la multiplication des caméras utilisées simultanément, au point que l'unité de mesure d'un plan télévisuel est désormais la seconde. Et alors, dira-t-on ?

Le principal effet d'une telle accélération du flux d'images est d'une part d'interdire tout développement d'une même image ou idée en l'atomisant en une multiplicité d'images ou d'idées plus ou moins disparates, et d'autre part de placer l'esprit du téléspectateur sous tutelle, dans un état de fascination télévisuelle. Cette vitesse des images et ce raccourcissement de chaque plan répondent au besoin économique de l'industrie télévisuelle de tenir le spectateur captif, lequel besoin relève directement ou indirectement, via le critère de l'Audimat, de l'ordre économique de la rentabilité.
La télévision ne se conçoit elle-même qu'en termes de parts de marché.
Par conséquent, la soumission de la télévision au diktat économique de la concurrence se trahit déjà au niveau du traitement technique des images télévisées. Le montage télévisuel des images ressortit à ce titre à l'univers de la publicité. L'acteur principal n'est donc ni le présentateur ni aucun des acteurs que l'on voit à l'écran, mais le réalisateur à la table de montage qui agit hors champ. Dans la mesure où le travail de ce monteur-réalisateur se limite à ce qu'on appelle au cinéma le montage "cut", qui ne se soucie pas des transitions entre les images, on devrait plutôt l'appeler "coupeur" que monteur. A la télévision, couper l'image est un moyen très efficace de couper la parole, voire de détruire la pensée ou de noyer le poisson... Ce saucissonnage des plans rend difficile la production d'une pensée qui ait un peu de continuité. Chaque intervention ne dure pas plus d'une ou deux minutes et se voit elle-même découpée en tranches de cinq secondes !

Si le zapping désigne le fait de sauter d'une chaîne à une autre au gré de son ennui, il manque un terme pour nommer le saut incessant d'une image à une autre à l'intérieur de chaque programme que subissent et les téléspectateurs et les acteurs selon l'humeur du "monteur-coupeur". Nous proposons d'appeler "zipping" ce montage "cut" interne aux programmes qui sous-tend la logique commerciale de la télévision et qui transforme tout programme en un spectacle atomisé et tout téléspectateur en plaque cérébrale disponible.
Comment veut-on, par exemple, qu'une émission culturelle digne de ce nom soit possible lorsque les imaginaires, les perceptions et les pensées doivent se soumettre à une durée de plan inférieure à dix secondes ? Si des "philosophes" ou autres "intellectuels" s'y affichent convaincus de transmettre leur pensée au rythme de sept plans disparates par minute (le penseur qui parle, un autre invité qui boit un coup, le présentateur qui tripote ses lunettes...), c'est assez révélateur de l'idée qu'ils se font de ce que c'est que penser. Même si certains ont su y résister et continuer d'inventer aux marges.

Un autre changement révélateur du fonctionnement économique de la télévision et de son objectif principalement mercantile est l'inclusion du public dans le champ de la télévision. Le public est en effet le nouveau personnage télévisuel de ces trente dernières années (il y a bien sûr eu des précurseurs : "L'école des fans" présentée par Jacques Martin, "Champs-Elysées" animé par Michel Drucker et avant lui Guy Lux et "Intervilles", qui attestent que le service public n'a pas seulement suivi le privé mais a aussi su le devancer).
Il est amusant de remarquer que ce personnage du téléspectateur est d'abord apparu dans les émissions de divertissement pour ensuite se généraliser aux émissions culturelles ou politiques. En montrant à l'écran des gens du public, la télévision a créé chez le téléspectateur anonyme le sentiment fantasmatique de faire lui-même partie, sinon de fait du moins en droit, de la télévision, en d'autres termes d'en être lui aussi. Cela revient pour la télévision à se donner elle-même comme le suprême objet du désir : le rêve de chacun est d'"y passer", telle une étoile, un animateur ou un figurant cathodique d'un soir. Désir d'autant plus fantasmatique que dans la réalité le point d'Audimat (500 000 téléspectateurs) ne connaît pas l'individu mais seulement la masse.

Alors que le téléspectateur d'antan occupait une place clairement extérieure à la télévision, le nouveau téléspectateur ne se vit justement plus comme un télé-spectateur mais se rêve en authentique spectateur. On comprend bien l'intérêt d'un tel procédé qui, en abolissant la distance à l'écran, neutralise tout recul vis-à-vis de la télévision et favorise par là même l'assimilation du (télé-) spectateur aux valeurs et aux attentes de la (télé-) vision devenue spectacle vivant.

De même que le véritable zapping n'est pas tant entre les chaînes qu'entre les plans d'un même programme (le zipping), de même la publicité n'est pas tant entre les programmes qu'à l'intérieur de chaque programme. Je ne parle pas seulement des publicités insérées dans les émissions de jeux ou autres par exemple sous forme de cadeaux, mais des émissions de divertissement ou culturelles qui, sous couvert de "promotion", ne font pas autre chose qu'assurer la publicité des nouveaux produits mis en vente sur le marché : films, spectacles, DVD, CD, livres. Toutes ces émissions sont les têtes de gondoles du supermarché télévisuel : beaucoup de vogue mais guère de vagues, aurait dit Gilles Châtelet.

Si la télévision doit être aussi un service public et pas seulement une activité économique, il faut donc qu'elle se dote d'un observatoire critique télévisé de la télévision qui démonte jour après jour sous les yeux du télé-spectateur les montages vus la veille à la télé pour que l'analyse des causes neutralise la fascination des effets. Cet observatoire aurait pu, par exemple, revenir sur les obsèques d'Aimé Césaire (journal de "Soir 3"), qui, par un montage frauduleux, montrait le stade Pierre-Aliker, où celles-ci se sont déroulées, puis une déclaration de Nicolas Sarkozy enregistrée avant à l'aéroport, puis à nouveau le stade. En donnant ainsi l'impression aux téléspectateurs français que cette déclaration faisait partie des obsèques alors que, sur place, les Martiniquais, eux, avaient vu un président sinon persona non grata du moins simple figurant, la famille du poète n'ayant pas désiré qu'il prenne la parole. Véritable cas d'école de l'utilisation ordinaire du montage fait à l'insu du téléspectateur au nom de l'information !

En outre, la télévision publique doit comporter dans ses statuts un laboratoire d'analyse critique télévisé de la télévision qui, au-delà du démontage critique des programmes vus, expose la technique et la logique économico-télévisuelle (principes, procédés, mécanismes, finalités). Un tel laboratoire est tout autre chose qu'un CSA, qui reste en dehors de l'espace télévisuel et coince de l'extérieur tant bien que mal ses conseils dans un angle de l'écran à la façon d'un logo supplémentaire qui rivalise symboliquement avec ceux de la chaîne consentante. Faute de ces deux instruments, et de la diminution drastique du nombre de plans par minute, la qualité n'est pas autre chose que l'alibi de la rentabilité.
Adjoint au maire de Paris chargé de la culture.
Christophe Girard.
Article paru dans l'édition du 24.08.08.

mardi 19 août 2008

INTERSUBJECTIVITE.

Je ou tu (cela dépend de qui amorce) : ... il dépose le résultat de son investigation créative ... ce qui déclenche une nouvelle démarche qui n'aurait sans doute pas pu s'amorcer, du moins de la même manière, sans l'apport initial de l'autre ... Evidemment, depuis le temps, on se connaît bien.
Mais je suis sûr, pour l'avoir expérimenté, que - usant de ce procédé - on peut aussi s'enfoncer dans les méandres d'une personnalité totalement inconnue.
Peut-on dans ces circonstances jouer la comédie de la sincérité ?
Bien sûr, comme dans la vie, mais qu'importe ?

jeudi 7 août 2008

EDVIGE, FICHE-NOUS LA PAIX.


CONTRE-JOURNAL. LIBERATION. 07/08/2008. Edvige, fiche-nous la paix.
CONTRIBUTION - Etienne Tête, adjoint Vert au maire de Lyon, avait déposé fin juillet devant le conseil d'Etat le premier recours contre Edvige, ensemble de fichiers inter-connectés permettant de ficher les mineurs dès 13 ans et de réunir de nombreuses informations intimes sur élus et syndicalistes.

"De petits renoncements en petits renoncements, le citoyen s’installe dans une douce torpeur qui nécessite trop d’efforts pour en sortir.
Quand la situation devient intolérable, les capacités de révolte sont assoupies. Au XVIe siècle, dans son Discours de la servitude volontaire, Etienne de La Boétie retraçait des hypothèses comparables. Devant des injustices similaires, chacun mesure l’effort «relatif» entre la soumission à l’autorité et les risques de souffrance dans la résistance ; puis le monde se sépare en complice et rebelle. Qui ferait la révolution pour un mot, au demeurant exact, sur une carte d’identité ou un soulèvement pour un insigne cousu sur son vêtement…

La création des fichiers Edvige (pour exploitation documentaire et valorisation de l’information générale) et Cristina par le gouvernement invite à la comparaison. L’étude strictement littéraire de l’ancien décret officialisant les fichiers des renseignements généraux et datant de 1991, avec le nouveau publié début juillet 2008, montre une évolution liberticide, sans que le pas vers l’enfer soit considérable.
La protection de la vie privée ne manque pas de défenseurs : la Déclaration universelle des droits de l’homme (art. 12), la Convention européenne des droits de l’homme (art. 8), le Pacte international relatif aux droits civils et politiques de 1966, l’accord du 15 avril 1994 établissant l’Organisation mondiale du commerce (art. XIV), ou encore la charte de Nice… Cependant les louables intentions sont souvent mises en veilleuse par l’affirmation d’une profusion de droits fondamentaux qui s’entrechoquent les uns les autres. Où s’arrête la vie privée au nom de la sécurité publique.

Grâce à la possibilité offerte par la saisine de la Cour européenne des droits de l’homme, l’article 8 de la Convention peut avoir des effets directs sur la législation française. Le Conseil d’Etat est tenu d’écarter les législations qui y sont contraires.
Les règles de fonctionnement du nouveau fichier, composé de trois fichiers associés, sont impressionnantes. En principe, peuvent être mises en fiches, toutes les «personnes physiques ou morales ayant sollicité, exercé ou exerçant un mandat politique, syndical ou économique ou qui jouent un rôle institutionnel, économique, social ou religieux significatif». Les informations envisageables sur une fiche sont presque illimitées, la pensée politique, les inclinaisons religieuses, les orientations sexuelles, la fortune, le domicile, les voitures, les rencontres… Jeune fille charmante pour homme de pouvoir trop pressé, fuyez ! Vous êtes en fiche ! Entre le nombre d’élus, notamment les conseillers municipaux (400 000 environ), entre les candidats malheureux, entre le chiffre moyen de partenaires issu de la dernière enquête sur la sexualité en France (Inserm-Ined 2008). C’est probablement 10 millions de personnes pouvant être signalées nommément dans une fiche. Ce ne sont pas les garanties «de style» qui peuvent rassurer, tel le mot «exceptionnel».
A côté de l’émotion politique, le débat juridique peut présenter une résonance certaine en raison d’un arrêt récent de la Cour européenne. Il s’agit d’une décision de condamnation… Et la sentence porte sur un pays dont les qualités générales de démocratie sont rarement décriées : la Suède. L’arrêt du 6 juin 2006 éclaire de manière subtile les pratiques irrégulières de la France.

Quatre raisons : la première, les seules justifications de l’existence d’un fichier comportant des éléments de vie privée, s’avèrent la sécurité nationale, la sûreté publique, le bien-être économique du pays, la défense de l’ordre et la prévention des infractions pénales, la protection de la santé ou de la morale, ou la protection des droits et libertés d’autrui. Or, le fichier principal sur les trois du décret Edvige est justifié par le besoin d’informations du gouvernement ou de ses représentants «pour l’exercice de leurs responsabilités.»

La deuxième : il ne suffit pas que la finalité du fichier soit appropriée, il faut encore que chaque information contenue dans la fiche nominative soit conforme à l’objectif de sécurité publique. Ainsi, la Suède n’est pas condamnée pour ses règles générales qui sont meilleures qu’en France, de fonctionnement de son fichier mais pour l’inscription de la participation à une manifestation publique, de personnes particulières. La participation à une «manifestation» n’est pas synonyme de risque d’atteinte à la sécurité dans des agissements ultérieurs.

La troisième : pour la Cour européenne, la protection de la vie privée, s’applique même à des informations rendues publiques par un tiers ou par la personne fichée elle-même. Plus clairement, contrairement à la législation française, ce n’est pas parce qu’un maire d’une commune aurait indiqué dans une déclaration, son choix d’avoir un vécu affectif différent, que l’Etat est autorisé à mettre en fiche cette information. Il n’y a aucune raison de penser que telles ou telles inclinaisons sexuelles peuvent porter atteinte à la sécurité du territoire.

La quatrième raison : la compatibilité avec la Convention d’un fichier s’analyse également avec la facilité pour chacun d’accéder à sa fiche et de la corriger. Le fichier litigieux ouvre la possibilité de mettre en fiche les mineurs de plus de 13 ans alors que ces derniers, dépourvus de la capacité légale, ne pourront entreprendre les requêtes juridiques nécessaires.

Avant une condamnation relativement évidente de la France par les instances de Strasbourg, c’est à la section du contentieux du Conseil d’Etat d’apporter sa contribution au débat, invité à le faire par un citoyen. Il ne reste plus qu’à observer si la haute juridiction va réveiller le gouvernement ou au contraire inviter le monde politique à s’enfoncer un peu plus dans une léthargie. Freud devrait expliquer pourquoi le gouvernement a besoin d’utiliser des prénoms de femmes, qui évoquent charme et tendresse, pour mettre en place des horreurs. Ceux qui baptisent ouragans et tornades sont atteints de cette même pathologie."
Etienne Tête. Conseiller régional, adjoint au maire de Lyon.

mercredi 6 août 2008

BIB BROTHER VEILLE SUR LES J.O.

LE TEMPS.ch. 6 août 2008. (extrait-citation).

Pour Pékin 2008, le budget alloué à la sécurité s'élève à 6,5 milliards de dollars.

A titre de comparaison, les Grecs, qui organisaient en 2004 les premiers Jeux d'été depuis les attentats du 11 septembre, avaient dépensé 1,5 milliard. Ce qui était déjà un record puisque cinq fois plus que Sydney en 2000.


Les villes des JO du troisième millénaire prennent donc le visage de cités assiégées avec des dispositifs jamais vus pour une manifestation civile en temps de paix, censée symboliser l'union fraternelle entre les peuples. Pour éviter qu'un drame ne vienne ternir l'événement, les autorités chinoises ont déployé 100000 agents des forces de l'ordre - dont 34000 soldats -, 121 avions et hélicoptères et 33 navires.


Et surtout des milliers de citoyens, membres des fameux «comités de quartier», retraités ou fonctionnaires, réquisitionnés pour surveiller les rues ainsi que les allées et venues à l'entrée des résidences. En ville, on les voit quasiment à chaque carrefour, assis sur des tabourets, reconnaissables à leur brassard rouge et à leur T-shirt avec le logo des volontaires, soit deux cœurs rouges entrelacés. «Ces personnes sont mobilisées à chaque occasion. Elles font partie de l'organisation de surveillance du régime politique», explique un correspondant de l'AFP dans la capitale chinoise. C'est cette surveillance humaine qui fait la différence avec les précédents Jeux olympiques, davantage que les fils barbelés autour du parc olympique, les batteries de missiles pointés vers le ciel autour du stade ou la présence de forces de l'ordre sur chaque trottoir et à chaque coin de rue.

Ce sont aussi toutes ces caméras, invisibles à ceux qui n'y prêtent pas attention, qui rappellent que Pékin est une ville sous très haute surveillance. Un million au total (contre 14000 à Athènes). Disséminées un peu partout. Sur chaque lampadaire, le long des artères et sur tous les sites olympiques. 30 millions de dollars ont été consacrés à ces yeux indiscrets, bijoux de technologie, capables d'envoyer des images en temps réel sur les PC des centres de contrôle. Certaines possèdent un zoom si performant qu'elles permettent de voir jusqu'à la sueur perler sur le front des athlètes passant dans une rue du village olympique. Haute technologie aussi dans les postes de contrôle des endroits sensibles dont l'accès nécessite une accréditation. Un système électronique de contrôle biométrique permet de vérifier que la personne est bien la détentrice officielle du sésame qu'elle porte autour du cou. Dans les petites rues du centre-ville, loin des portiques magnétiques, l'on parvient quelque peu à oublier cette paranoïa sécuritaire. A l'inverse de la place Tiananmen, érigée en autel de la vigilance. Avec une concentration accentuée de policiers et des contrôles de sécurité aux quatre coins. Les sacs de chaque visiteur sont passés aux rayons X. Ne foule pas qui veut la place Tiananmen.

Ce qui fait dire aux groupes de défense des droits de l'homme que la politique ultra-sécuritaire de ces JO sert autant à traquer les terroristes que d'éventuels manifestants et autres fauteurs de troubles.

lundi 4 août 2008

INTERNET ET LA POLITIQUE.


«Trop d’interactivité risque d’accentuer l’agitation politique»
Dominique Wolton, chercheur au CNRS, critique l’emballement des gouvernants pour le Web :
Recueilli par NATHALIE RAULIN.
LIBERATION QUOTIDIEN : lundi 4 août 2008.

Directeur de l’Institut des sciences de la communication du CNRS, Dominique Wolton explique les raisons pour lesquelles les hommes et femmes politiques cherchent à établir un lien direct avec les électeurs et les limites de cette stratégie.

Que pensez-vous de l’engouement des dirigeants politiques pour les réseaux communautaires, les forums ou les blogs Internet ?
Il faut relativiser historiquement. Un tuyau supplémentaire, quelle que soit sa puissance ou son interactivité, ne suffit pas à changer les rapports sociaux, culturels et politiques. Ce phénomène de nouveaux systèmes de communication a déjà existé. On s’aperçoit au bout d’un moment qu’il n’a pas forcément les vertus qu’on lui prêtait au départ. Le tuyau est le même, mais les sociétés et les cultures sont différentes. Quand les radios libres et les chaînes de télé communautaires sont apparues, tout le monde a célébré une nouvelle critique de la politique, des modes de vies. Finalement, ces chaînes communautaires ont disparu, et les radios libres sont intégrées dans des groupes de communication.

Vous ne pensez pas qu’Internet révolutionne les rapports entre politiques et les citoyens ?
C’est vrai qu’Internet constitue un contre-pouvoir. La presse écrite et audiovisuelle a tendance à s’institutionnaliser, et donc à limiter l’expression des citoyens. En réaction, ces derniers, ceux de 15 à 45 ans car tout le monde ne passe pas sa vie sur Internet, se sont mis à utiliser le Web pour contourner les médias officiels. En outre, tout le monde a désormais accès à énormément d’informations, ce qui représente un progrès inouï. L’émergence de ces nouveaux réseaux permet de s’exprimer, de faire passer de nouveaux messages et parfois de mener des luttes politiques, ce qu’ont bien compris les ONG. C’est le côté positif de ces systèmes d’information, qui ne sont pas forcément toujours un média.

Il y a donc un revers de la médaille ?
Evidemment. Les hommes politiques, qui sont déjà sous pression, s’imaginent qu’avec ces nouveaux moyens de communication ils vont échapper à la tyrannie journalistique et instaurer un lien direct avec le public. D’où l’explosion des blogs et forums. L’ennui, c’est que ce type d’activité est chronophage et ne remplace ni les médias traditionnels, ni surtout les contacts humains et sociaux, et encore moins l’action. Cela oblige donc l’homme politique à gérer encore plus de flux d’informations et d’interactions. Au risque d’une saturation du message politique.
D’autre part, il y a une illusion de la transparence. L’action politique, c’est autre chose que savoir en permanence ce que dit l’homme politique. Ce dernier a besoin de silence, de durée. Il ne peut être constamment dans une relation interactive. Plutôt que d’améliorer la démocratie, trop d’interactivité risque d’accentuer l’agitation politico-médiatico-démocratique. Le public rentre dans une sorte de voyeurisme vis-à-vis des hommes politiques : il veut en savoir toujours plus tout en n’étant jamais rassuré. Avec un risque de poujadisme : si on sait autant de choses, c’est qu’on nous en cache encore plus. La politique, c’est compliqué et lent. Il ne faut pas céder à l’idéologie technique.

Sur le fond, Internet ne révolutionnera donc pas la manière de faire de la politique ?
Il faut sortir du fantasme de la toute-puissance du tuyau pour transformer la politique. Comme il faut sortir de l’illusion de croire que, si on contrôle un média, on contrôle les consciences. Ce n’est pas parce que l’on tient des groupes de communication que l’on tient le pays. On ne tient pas les peuples (sauf en cas de dictature, et encore) par la concentration des médias. Le silence du récepteur ne veut pas dire adhésion aux messages qu’il reçoit, surtout s’ils vont tous dans le même sens. La communication politique est un jeu compliqué à trois acteurs - hommes politiques, médias et opinion publique. Attention au déséquilibre, dont aucun ne sera finalement bénéficiaire.

Qu’est-ce qui change alors ?
L’accélération de la production et de la transmission des informations modifie le style de communication. On va davantage vers du direct. On a longtemps rêvé d’une information en temps réel au prétexte qu’elle allait permettre de mieux comprendre le monde. Nous sommes dans cet idéal de la vérité instantanée du direct. On s’aperçoit aujourd’hui de ses limites. Le direct ne vaut pas grand-chose sans son contexte, sans mise en perspective, sans connaissances.
La question aujourd’hui est que le temps de la politique ne peut pas être le temps du média ou du direct. La compréhension, l’action, requièrent du temps. La société ne change pas au rythme des médias et de leurs interactions. Il faut compenser cette vitesse par la conscience aiguë que les sociétés sont lentes et complexes, surtout à l’heure de l’ouverture des unes sur les autres et du charivari provoqué par la mondialisation. Le fait de parler d’un problème ne suffit pas à le résoudre.

Comment les choses vont-elles évoluer selon vous ?
Dans moins de cinq ans, l’engouement actuel pour les nouveaux modes de communication interactif va se relativiser. Les hommes politiques auront une utilisation plus sélective d’Internet. Ils vont réaliser que leur crédibilité ne dépend pas de l’usage des technologies mais de leur capacité d’action et de conviction. Les citoyens n’accordent finalement leur confiance à un homme politique qu’en fonction des choix qu’ils ont fait et de ce qui a été accompli.