mardi 1 juillet 2008

L'ENFANCE, INVENTION D'UN AGE TENDRE.


Les parents ont toujours aimé leurs enfants, mais comment? Et quels enfants? Du Moyen Age à nos jours, beaucoup de caractéristiques attribuées aux petits ont changé.
LE TEMPS. Sylvie Arsever. Mardi 1 juillet 2008.


«On m'a volé mon enfance!»
En 1995, Louisette Buchard-Molteni a 62 ans. Elle se bat pour faire reconnaître une réalité oubliée et pourtant récente: le malheur d'être orphelin ou enfant placé dans la Suisse des années 1930 à 1970.
Des dizaines d'adultes se retrouvent dans les témoignages alors rendus publics: discipline rigide, voire perverse, des établissements; arbitraire des décisions d'internement ou de placement; dureté des travaux imposés à des enfants pour lesquels les études n'entraient pas en ligne de compte; châtiments corporels; sévices sexuels. L'émotion est à la hauteur des dérives institutionnelles graves que ces histoires révèlent. Mais elle dit aussi autre chose: l'enfance est un dû - puisqu'on peut la voler. Chaque être humain a droit, ou devrait avoir droit, à un premier âge marqué par l'insouciance, la protection, le jeu et une éducation dont le but est de favoriser son épanouissement.
L'enfance, une invention?
C'est évident? Historiquement, la question se pose. Dans un livre publié pour la première fois en 1960, Philippe Ariès situe l'apparition du «sentiment de l'enfance» autour du XVIIe siècle. Jusque-là, soutient-il en gros, l'enfant est mêlé à la vie des adultes, volontiers séparé de sa famille à un âge encore tendre, longtemps représenté d'ailleurs comme un adulte en miniature. L'essor de l'école à partir du XVIe siècle isole les enfants de la société, leur assigne des rôles étroitement liés à l'âge et modifie le regard des parents. Parallèlement, la famille change de fonction - moins économique, plus sentimentale. Elle se replie sur un enfant plus valorisé et plus rare, dont on suit de près l'éducation. Cette thèse a suscité une abondante controverse et de nombreuses études portant, notamment, sur l'enfance au Moyen Age. Ceux qui les ont menées ont souvent eu à cœur de démontrer que, contrairement à ce qu'ils avaient cru lire chez Philippe Ariès, les parents médiévaux aimaient leurs enfants. Ils ont mis en évidence la présence de jouets, y compris dans certaines tombes mérovingiennes, des témoignages, dans les miracles et les fabliaux, de forts sentiments parentaux. Ils ont aussi affiné le tableau brossé par Ariès d'une vie médiévale où adultes et enfants partagent le même espace, les mêmes travaux et les mêmes jeux.
Espérance et joie.
«Je l'aime plus que tout, il n'y a rien de plus beau que lui, tant que je le vois, il ne peut y avoir ni colère, ni ennui. Il est mon espérance, ma joie, mes joyaux et mes plaisirs.» Celle qui parle ainsi de son fils dans un roman du XIIIesiècle est un personnage de fiction. Mais elle témoigne d'un attachement maternel réel, que les moralistes et les clercs tendent d'ailleurs à trouver excessif. L'un d'eux, au XIVe siècle, prodigue ces conseils aux parents trop attendris: «Habituez-les aux durs travaux et fortifiez leur corps afin que, si le besoin s'en fait sentir, ils se contentent de peu. [...] En bref, traitez-les comme des enfants de manants.» Cela pour les garçons, privilégiés. Pour la fille, «peu importe comment vous la nourrissez pourvu qu'elle reste en vie»...
Enfances dangereuses.
Les enfants du peuple mènent une vie dangereuse: ils accompagnent les parents aux champs, où un coup de sabot est vite arrivé, ou sont placés sous la surveillance de très jeunes aînés qui ne parviennent pas toujours à les empêcher de tomber dans une mare ou de rouler sous un char. Ils apprennent sur le tas la profession de leurs parents, en les imitant avec des jouets - dînettes, moulins, métiers à tisser - puis, assez tôt, en mettant la main à la pâte. Dans les ateliers de menuiserie ou de poterie, ils ramassent les copeaux, nettoient les tours. Dans les champs, ils grimpent aux arbres pour cueillir les fruits ou sont placés en faction à leur côté pour effrayer les oiseaux. On n'hésite guère à exploiter leur petite taille pour des travaux plus durs: on les descend dans les puits pour les curer et on a trouvé des traces de pieds enfantins dans les galeries de vieilles mines. Les enfants nobles mènent une vie plus protégée mais organisée sur le même principe: équitation, chasse, voire pillage, ils apprennent par le jeu et sur le tas, dès un très jeune âge, les activités auxquelles ils sont destinés. La famille est précaire: un enfant sur trois n'est pas élevé par ses deux parents biologiques. La disparition du père ou le souci d'une meilleure formation professionnelle peuvent amener un enfant de 6 ou 7 ans - ou, plus souvent de 12 ou 13ans - dans une maisonnée étrangère où il sera soumis à un maître comme il l'était à son père. L'apprentissage donne souvent lieu à un contrat écrit. Au début du XVe siècle à Montpellier, on précise qu'un jeune apprenti tonnelier de 8 ans devra bénéficier d'une éducation générale «jusqu'à ce qu'il ait appris son ABC et sept psaumes». Un siècle plus tard, un apprenti potier d'Aix sait qu'il devra, s'il tombe malade, rembourser les frais encourus par son patron et rattraper le travail en retard. Le maître peut avoir recours au fouet et à la badine mais, plusieurs contrats le précisent, en évitant les coups à la tête. Neuf contrats sur dix concernent des garçons. Les filles sont souvent placées dans des emplois moins formels - domesticité, lingerie, aide à la ferme. Mais certaines acquièrent des formations plus nobles, notamment dans l'artisanat textile.
Un visage qui change.
Comment les adultes voient-ils ces marmots occupés à jouer au bord du champ ou dans un coin de l'atelier, ces travailleurs en herbe? Deux conceptions contradictoires semblent coexister. Le petit enfant baptisé, d'un côté, incarne la pureté. Le Ciel accueille ses prières avec une attention particulière, et il bénéficie parfois d'apparitions. Mais l'enfant est aussi un animal sauvage qu'il faut dresser. Un mauvais pli est vite pris, et les parents qui manquent à leur devoir de sévérité sont critiqués tant par les moralistes que par la sagesse populaire. L'image se précise à partir du XVIIe siècle. La peinture, la littérature, et, à partir de la fin du siècle, des traités éducatifs plus nombreux témoignent de sentiments vifs et d'un intérêt nouveau envers les enfants. Les putti, parfois anges parfois profanes, envahissent les palais et les églises. Les images pieuses de l'Enfant Jésus seul se multiplient. Vélasquez se taille un succès européen avec ses portraits des enfants de PhilippeIV. Au XVIIIe siècle, la peinture de genre multipliera ces portraits à l'infini, montrant l'enfant au centre du cercle familial, en train de jouer avec d'autres ou en tête à tête avec une mère ou une sœur aimantes.
Un roi au berceau.
Le médecin de Louis XIII, Jean Heroard, suit l'évolution de son patient dès sa naissance en 1601. Ses mémoires témoignent de l'attendrissement suscité par le petit enfant royal, dont toute une population de servantes, gouvernantes et dames de cour observe avec amusement les jeux, les balourdises et les espiègleries. Elles attestent d'une précocité fortement encouragée: à 2ans, le petit Louis joue du violon, à 3 il apprend à lire dans la Bible, à 5, il joue aux échecs et aux jeux de hasard. Son ascendance royale ne l'empêche pas d'être régulièrement fouetté. Heroard décrit une promiscuité sexuelle qui friserait aujourd'hui le code pénal. Le futur roi est très fier de sa «guilleri», que sa gouvernante flatte volontiers et qu'il montre à toutes les dames pour la faire baiser. Il est mis nu avec sa sœur dans le lit de ses parents, nus eux aussi, et constate, grâce à leurs jeux, que sa guilleri change: «Il n'y a point d'os papa», puis, comme il fut un peu tendu, «il y en a ast'heure, il y en a quelquefois.» Il guigne sous les jupes des servantes ou les fait relever pour mieux y voir, fait fouetter sa nourrice. Cette attitude décomplexée face à la sexualité enfantine n'a plus très longtemps à vivre. Jean de Gerson (1363-1429) a déjà consacré un traité préoccupé - et vite tombé dans l'oubli - à la masturbation infantile et adolescente. Son souci de conserver la pureté de l'enfant se répand au courant du XVIIe siècle. Il est particulièrement présent chez les religieux, dont l'autorité en matière d'éducation se renforce avec la généralisation des collèges. Ces derniers n'ont pas seulement pour vocation d'enseigner mais aussi d'isoler et de surveiller les écoliers qui, jusque-là, vivaient dans une promiscuité joyeuse et désordonnée avec les adultes.
Tous à l'école.
L'enseignement des rudiments - quelques psaumes en latin, un peu de lecture et de calcul - est répandu dès le Moyen Age. Les paroisses ont leur école, des privés en ouvrent d'autres, où les enfants passent quelques mois aux alentours de 6 ans. Pour poursuivre sa scolarité, il faut se déplacer vers les écoles cathédrales, dont le nombre va se multiplier au XVIesiècle, puis vers les universités. Les collèges sont d'abord des foyers d'étudiants, créés par des donateurs et réservés aux écoliers pauvres. Assez vite, les familles nanties voient l'avantage de confier leurs enfants au même encadrement, et au XVIe siècle les cours sont donnés à l'intérieur même des collèges. Les ordres religieux, jésuites en tête, prennent le relais à partir du XVIIe. Ils organisent la vie des collégiens comme celle des congrégations, au moyen d'un règlement de discipline où sont fixés les horaires des cours, les récréations, le contrôle des présences, la progression des études et le rythme des examens. La responsabilité des professeurs s'étend au salut des élèves, que les fragilités de l'âge mettent en grand danger de damnation. La manière d'enseigner fait l'objet de traités plus nombreux et au ton nouveau. «L'éducation des enfants est une des choses du monde de la plus grande importance», proclame un traité d'éducation en 1666. Les petits sont séparés des plus âgés. On dispute aussi de l'âge d'entrée dans l'enseignement. La précocité est désormais considérée avec méfiance. Les choses ne changent pas en un jour. Les enfants, confiés à des soins mercenaires, continuent longtemps à n'apparaître en famille que pour divertir un moment la compagnie avec leurs maladresses ou leur impertinence. Les premières années, ils sont d'ailleurs tout simplement absents: le recours à la nourrice est plus répandu que jamais dans la noblesse et la bourgeoisie. L'évolution, ensuite, touche avant tout les classes supérieures, une partie de la bourgeoisie et surtout les garçons. Les filles continuent le plus souvent à recevoir sur le tas une formation qui les orientera vers la vie domestique, la couture, le textile ou les métiers serviles. Seule leur moralité fait l'objet d'un intérêt aussi serré que celle des garçons. Quant aux enfants de paysans et de petits artisans, ils continuent à partager très tôt les travaux et la vie des adultes.
Et l'«Emile» arriva.
C'est un auteur bien paradoxal qui précipite, un siècle plus tard, le débat sur l'éducation dans une ère nouvelle: Jean-Jacques Rousseau qui a, on le sait, abandonné les cinq enfants que lui a donnés Thérèse Le Vasseur. Emile ou de l'éducation, qui paraît en 1762, déchaîne une tempête. Rousseau, pris de corps, doit fuir à Yverdon. Le livre est brûlé à Paris, interdit à Genève, aux Pays-Bas et à Berne. Les réfutations paraissent par dizaines. Le scandale vise surtout la «Profession de foi du vicaire savoyard», au livre IV de l'ouvrage. Jean-Jacques y vante la religion naturelle et y dénonce avec virulence les persécutions et le fanatisme engendrés par les religions établies. Le livre, d'ailleurs, n'est pas que pédagogique. Rousseau y défend aussi une conception philosophique et politique: l'homme naît bon, une société corrompue le corrompt. Il n'en pose pas moins des principes destinés à une carrière aussi longue que controversée: l'éducation doit viser avant tout à permettre à l'enfant de se développer à son rythme et à dégager les vérités abstraites par l'expérience et l'usage de ses facultés naturelles. Avant 12 ans, cet aspect doit dominer sur la connaissance livresque. La nouveauté n'est pas tant dans le concept d'une formation graduée, modulée sur l'évolution de l'enfant - on le considère déjà inapte aux grands apprentissages avant 7 ou 8 ans - mais dans la description de l'enfance comme un âge doté de ses propres fins et de ses propres règles, qui ne saurait se définir simplement par l'absence de certaines compétences ou leur apprentissage. Encadrement destiné à favoriser un développement harmonieusement programmé par la nature ou une forme de dressage visant à transformer des êtres imparfaits en humain instruits et respectueux des principes? Le débat ouvert par Rousseau traverse la littérature pédagogique qui se développe à son époque et prospère au XIXe siècle. Il se double, alors, d'un affrontement ouvert entre l'Eglise catholique et l'Etat pour la mainmise sur la formation des générations montantes. Il n'est pas clos, comme en témoigne la virulence du débat actuel sur les notes.
A la maternelle.
L'étude du développement enfantin est favorisée par une nouvelle extension de l'emprise de l'école. Au cours du XIXe siècle, la petite enfance cesse d'être le domaine réservé des mères. Asiles et écoles maternelles sont créés avant tout pour les petits de la classe ouvrière, dont les mères sont jugées soit incompétentes, soit trop occupées pour les prendre en charge. A cette occasion, on s'interroge sur les capacités du petit enfant avec une crainte de devancer son développement naturel qui aurait surpris Heroard. Un des disciples de Pestalozzi, Friedrich Fröbel, crée un concept destiné à un brillant avenir: le jardin d'enfants, destinés aux plus petits, où le jeu devient instrument pédagogique. Un siècle plus tard, Maria Montessori s'inscrit dans la même démarche, axée sur l'éveil des facultés spontanées des enfants. Ils contribuent à la reconnaissance toujours plus précise d'une spécificité enfantine que pédagogues et psychologues doivent avant tout respecter. Spécificité intellectuelle, détaillée par Jean Piaget dès les années 1930, spécificité affective que les parents sont désormais dûment instruits d'avoir à protéger avec soin.
Naissance du nourrisson.
Ces derniers ont aussi appris que leur nourrisson n'est pas, comme le jugeait Jean-Jacques Rousseau «rien de plus que ce qu'il était dans le sein de sa mère. Il n'a nul sentiment, nulle idée, à peine a-t-il des sensations». Le tout-petit est devenu lui aussi un sujet psychologique spécifique et complexe, doté de besoins affectifs et cognitifs variés. C'est, si l'on veut poursuivre la théorie de Philippe Ariès, la dernière «invention» de l'enfant. Elle est toute récente, et consécutive elle aussi à une phase de régulation autoritaire qui a vu les jeunes mères encouragées, jusqu'aux années 1950, à modeler leur comportement sur celui des pouponnières: horaires de tétées stricts, pesées régulières, stérilisation de tout le matériel et, surtout, le moins de contacts physiques possible avec le bébé. Encouragée aujourd'hui par le développement d'un marché florissant de l'enfance, cette évolution a été, comme toutes les autres, inégale. L'école, qui en est le moteur dans un premier temps, s'intéresse surtout aux garçons des milieux bourgeois. Les filles n'y accèdent que plus lentement et, dans les milieux populaires, l'entrée précoce sur le marché du travail reste longtemps la règle.
Le monstre hideux.
Le travail des enfants est le grand scandale du XIXe siècle. Dénoncé par Dickens, qui en avait tâté, et par Victor Hugo, qui décrit en 1838 «ces enfants dont pas un seul ne rit» qui vont «De l'aube au soir, faire éternellement/Dans la même prison le même mouvement/Accroupis sous les dents d'une machine sombre/Monstre hideux qui mâche on ne sait quoi dans l'ombre». Plus que l'âge - alors sans limite légale - des ouvriers, c'est la nature du monstre qui a changé. Les enfants des classes populaires n'ont pas cessé de travailler. Mais l'atelier industriel, la mine ou l'usine les soumettent à des conditions plus sévères que le champ ou l'échoppe paternels. Les horaires sont plus longs, les cadences plus soutenues et leur statut plus incertain. Souvent privés d'apprentissage, ils s'usent pour un salaire qui reste infime sans aucune garantie d'avenir. Il y a plus: aux yeux des bourgeois qui, en nombre croissant, dénoncent le traitement imposé aux petits ouvriers, un enfant est un être démuni, dont la vocation est d'être protégé et instruit. Cette sensibilité nouvelle reste longtemps plus faible que les intérêts économiques. Ces derniers ne cèdent que pouce par pouce: la Grande-Bretagne interdit de les employer dans l'industrie avant 9ans en 1819, la France ne légifère qu'en 1841 pour placer la limite à 8 ans, puis à 12 en 1877. Leur temps maximal de travail diminue. Il passe de 11heures par jour à une demi-journée en Grande-Bretagne entre 1833 et 1878. Au début du XXe siècle, l'âge légal au travail a atteint en Europe plus ou moins le niveau qu'on lui connaît aujourd'hui - 14 ou 15ans. Il a été lié à l'accomplissement d'une période de scolarité obligatoire qui dure sept ou huit ans. Mais là encore, tous ne sont pas concernés. Dans les campagnes, le travail familial reste la règle - les vacances scolaires sont fixées pour permettre aux enfants d'épauler leurs parents aux moments chauds des moissons ou des récoltes. C'est surtout à la campagne que sont placés jusqu'aux jeunes années de Louisette Buchard-Molteni les enfants de l'assistance. Pour eux, il n'est guère question d'études longues, et l'Etat est pressé de se débarrasser de la charge représentée par leur entretien. Ces déracinés, dont le nombre a explosé au XIXe siècle, suscitent en outre la méfiance. Aux yeux des adultes, ils incarnent la face sombre de l'enfance, celle du désordre, de la menace sociale et d'une précocité suspecte. Une image qui va se concentrer sur un autre âge, d'apparition plus récente: l'adolescence.

1 commentaire:

Unknown a dit…

Beau texte et belle analyse du concept d'enfance à travers les âges. Court, bien trop court. L'essentiel y est pourtant, et notamment l'opposition entre l'enfant volage voire démon et l'enfant innocent proche de l'ange.
Autre opposition que vous avez mise en avant, celle de l'enfance corrompue par la société versus l'enfance qui doit s'y fondre, voire s'y soumettre. Mais n'est-ce pas le prolongement de la première opposition ?
Aujourd'hui, on le qualifie de roi. Le roi me semble bien nu et objet de bien des méfiances, pas très loin de la guillotine qui trancha le sort à la royauté française. Car un roi sans royaume n'est qu'illusion enfantine, et le seul royaume qui lui reste est celui de son enfance que l'on gouverne à sa place dès 2 ans.
Entre le poupon aux mains de ses parents pris dans les méandres de la vie professionnelle, de l'être à encadrer pour qu'il intègre au plus tôt la société qu'il le rejettera devenu jeune adulte et l'enfant qui ne demande qu'à suivre et remodeler les modèles que lui offrent ses aînés, où se trouve-t-il, cet enfant ?
Et qu'est-ce que l'enfant ? La Convention internationale des droits de l'enfant confond dans le même concept le nouveau-né et le presque adulte au seuil de sa majorité. Cette majorité, elle, est bien souvent remise en question car pour être adulte, il convient de suivre à la lettre les préceptes de la société adulte, et surtout prouver qu'on les suit parfaitement.
Fi de la créativité enfantine, fi de l'imagination débordante propre à cet âge, fi des aspirations aux grandes espérances (ô Dickens, comme je t'admire, toi le peintre de l'enfance). J'aime la vitalité de l'enfance, son espièglerie, mais que puis-je lui offrir sinon un monde suspicieux ?
Aujourd'hui, l'être humain fait peur. Pas étonnant que notre monde soit en crise (je parle naturellement du monde occidental). On l'encadre, on le cloisonne, on l'emprisonne, et avec lui, sa créativité. Nul doute qu'il sera demain dépassé par le monde "émergeant". Si l'être humain fait peur, que dire de la peur qu'engendre son avenir ? Or, cet avenir, c'est l'enfant, qui ne demande qu'à naître.
Je possède, dans mes tiroirs, le récit d'un enfant de la Révolution, un ancêtre. Il décrit, dans son texte, son enfance. Un enfant au foyer, aimé et cajolé. Un écolier à son cours, qui vit et connut (une seule et unique fois) les châtiments cruels que l'on affligeait alors aux jeunes élèves. Il me semble que le travail d'Ariès mériterait d'être repris, revu, entre autre à l'aune de la réalité du passé, à savoir que trois enfants sur quatre ne passait pas le cap de l'enfance. Il était certainement difficile de s'attacher à un être à l'avenir plus qu'incertain. La psyché humaine est friande de contradictions et l'amour parental n'entre pas forcément en contradiction avec la précarité de la vie infantile.
Votre texte mérite une suite. Je l'attends avec impatience.
Merci.