jeudi 24 juillet 2008

U.S.A. TOUT A CHANGE. RIEN N'A CHANGE.



Nº2281
SEMAINE DU JEUDI 24 Juillet 2008. Le Nouvel Observateur. Tout a changé, rien n'a changé ».

Les Noirs ont longtemps hésité avant de soutenir Obama. Joseph Lowery, qui fut un proche de Martin Luther King, explique ce scepticisme des débuts. Interview.

Comment Martin Luther King, s'il n'avait été assassiné, vivrait-il la candidature d'Obama ?
Peut-être comme ce pasteur de l'Alabama, qui lutta avec lui pour soutenir Rosa Parks et imposer le boycott des bus de Montgomery. Figure du mouvement pour les droits civiques (un boulevard d'Atlanta porte son nom), ce proche de King, 86 ans, est l'un des premiers aînés historiques à s'être rangé derrière Obama. Il s'est fait remarquer aux funérailles de Coretta King, la veuve de Martin, en déclarant devant quatre présidents américains, dont George W. Bush : «Nous savons maintenant qu'il n'y avait pas d'armes de destruction massive, là-bas. Mais Coretta l'a toujours su, et nous savons qu'il y a ici même des armes pointées sur les mauvais objectifs. Des millions de gens sans assurance santé. La pauvreté omniprésente. Des milliards de plus pour la guerre, mais rien de plus pour les pauvres !»
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Le Nouvel Observateur.- Auriez-vous pu imaginer dans les années 1950, que vous verriez un Noir ayant une chance d'être président ?
Joseph Lowery. - Non, évidemment. Je ne l'aurais pas imaginé dans les années 1970, il y a dix ans, ni même il y a cinq ans.
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N. O. - Que se passe-t-il, dans ce pays ?
J. Lowery. - (souriant) Je ne sais pas. (sérieux) Il y a une vraie soif de changement. Les gens en ont ras-le-bol de voir dans quelle direction leur pays va, ils en ont ras-le-bol de la guerre, de la pauvreté persistante au milieu de toute cette richesse, de ces hostilités basées sur la race ou la classe sociale. Barack Obama est arrivé juste au bon moment, avec le bon message et la bonne personnalité. Il est une idée dont l'heure est venue. Rien de plus frustrant qu'une idée en avance sur son temps, mais rien de plus puissant que quelqu'un ayant la bonne idée au bon moment.
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N. O. - Une bonne partie de la communauté noire était sceptique, au début...
J. Lowery. - Les campagnes symboliques, on a donné, merci. Cette fois, vu la situation économique désastreuse du pays, personne ne voulait soutenir une candidature de ce genre. C'est à la commémoration de la marche de Selma, en mars 2007, que j'ai commencé à être curieux d'Obama, j'ai voulu mieux le connaître. Je l'ai écouté, son message me plaisait. Je me suis ensuite demandé si pour les Blancs, les jeunes notamment, c'était du sérieux. Lors du Martin Luther King Day, en janvier, je les ai interrogés : «Qu'est-ce qui vous excite tant que cela chez lui ?» Barack Obama... Barack Obama... Peut-être que le nom faisait partie de la mystique, s'il s'était appelé Joe Blow il n'aurait pas été aussi attrayant ! Bref, j'avais encore des doutes. Alors je suis allé dans l'Iowa et j'ai fait campagne pour lui, je voulais voir comment un Etat blanc réagirait. Et j'ai vu ! C'est là que j'ai compris que sa campagne était réelle, pas symbolique.
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N. O.. - Certains leaders trouvent qu'il n'est pas assez «Noir»...
J. Lowery. - Ils sont à côté de la plaque. Dans ce pays, il suffit d'avoir un douzième de race noire pour être considéré comme Noir, et il l'est au moins à moitié. Il est Noir !
N. O. - King a toujours refusé que la lutte pour les droits civiques soit définie par la question raciale, préférant parler d'une lutte contre l'injustice. Retrouvez-vous chez Obama cette volonté de transcender la race ?J. Lowery. - Il est obligé de le faire, ou bien les Blancs ne l'éliront pas. C'est ce que certains dans la communauté noire ont du mal à comprendre. La campagne de Jesse Jackson était basée sur la race, c'était une campagne noire. On savait qu'il ne gagnerait pas, mais elle représentait le droit d'aspirer à la présidence. C'était en droite ligne de ce que Martin avait dit en 1957 : «Donnez-nous le bulletin de vote, et de cette nuit noire naîtra une aube nouvelle de justice.» La candidature d'Obama, dans cette filiation, est l'étape ultime. En termes bibliques, nous sommes la génération de Moïse, il est celle de Josué, perchée sur nos épaules.N. O. - Un demi-siècle après King, quels progrès ont été réalisés ?J. Lowery. - Paradoxe : tout a changé, rien n'a changé. Plus de 300 maires noirs, dans ce pays, mais des pauvres qui le sont toujours autant. Davantage de policiers, de chefs de la police noirs, et en même temps cette brutalité policière, ces délits de faciès...
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N. O. - On est quand même à des années-lumière des sixties...
J. Lowery. - Notre mouvement souffre de son succès. Nous avons abattu les barrières, mais on est loin du compte, le «filet de sécurité» pour les pauvres est une passoire. Good times, bad times. C'est le paradoxe de la nature humaine.

Le Nouvel Observateur.

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