NEUROSCIENCES. Du 12 au 16 juillet, 5300 spécialistes du cerveau se réunissent à Genève pour le plus grand congrès européen du genre.
Comment fonctionne ce kilo et demi de «gélatine» logé dans nos boîtes crâniennes qu'est le cerveau? Vaste question que débattront 5300 spécialistes issus des milieux académiques et professionnels entre le 12 et le 16 juillet à Genève. La Fédération européenne des sociétés de neurosciences (FENS) y tient son congrès, le plus important du genre sur le continent. La manifestation est organisée par la Société suisse de neurosciences (SSN).
Le Temps: Les neurosciences suscitent de plus en plus d'intérêt. A quoi cet engouement est-il dû?
Stéphanie Clarke: L'imagerie cérébrale a fait d'énormes progrès, les instruments sont devenus de plus en plus puissants et fins. Certains combinent par exemple les aspects électrophysiologiques et visuels (images), ce qui permet des recoupe- ments d'informations inédits. Depuis peu, des outils d'imagerie confocale à deux photons permettent aussi de voir se modifier les synapses, ces connexions entre neurones. Avec le Centre d'imagerie biomédicale (CIBM), les hautes écoles de l'Arc lémanique disposent d'ailleurs depuis un an d'équipements de pointe. Ces avancées ont clairement accru l'intérêt du public. Auparavant, les gens s'intéressaient aux recherches sur le cerveau surtout lorsqu'eux-mêmes ou leurs proches souffraient d'une maladie neurodégénérative. Aujourd'hui, le public est aussi mû par un intérêt intrinsèque. Mardi, au Festival de jazz de Montreux, je suis intervenue dans un colloque sur les sciences et la musique. J'ai été surprise par le nombre de participants intéressés par le thème de l'audition dans le cerveau. Nous y avons détaillé les changements physiologiques dans les aires auditives et motrices chez les musiciens - l'hémisphère gauche, impliqué dans la dextérité, est par exemple plus développé chez les violonistes -, discuté de ce qui différencie les improvisateurs des musiciens qui lisent une partition, ou encore évoqué les moyens de soigner par le chant des patients aphasiques, qui ont perdu l'usage de la parole. Le chant fait en effet appel à d'autres aires cérébrales que le langage, des zones impliquées dans les aspects parfois rythmés et automatisés de la musique. Ces aspects ont passionné le public.
- Quelles sont les récentes avancées majeures en neurosciences?
- Outre notre comportement, notre cerveau influence directement nos interactions sociales. Il y a peu, ont été mis au jour les mécanismes neuronaux et moléculaires qui permettent de comprendre pourquoi certaines personnes font plus confiance que d'autres, ou prennent plus de risques que d'autres. Les modèles animaux ont permis d'affiner ces schémas, et même de déterminer ce qui tendrait à être propre à l'homme, comme le libre arbitre. Le tableau qui en ressort est complexe, mais il apparaît que si certaines régions du cerveau ne fonctionnent pas, la liberté de choix n'est plus possible. Désormais, l'on ne peut plus considérer le libre arbitre comme un concept abstrait et indépendant du cerveau lui-même. Une autre découverte importante est celle qui relie l'activation des gènes situés dans les neurones et l'interaction des neurones entre eux, ou avec leur environnement biologique. Ces études sont cruciales car certaines affections neurologiques, psychiatriques par exemple, sont déterminées génétiquement. Or nous commençons à comprendre ces variations génétiques, avec en parallèle la quête de moyens thérapeutiques pour les contrer. Enfin, troisième domaine très actuel, la plasticité et la régénération du système nerveux. Une équipe de l'Université de Zurich a découvert il y a quelques années une molécule permettant de faire «repousser» les connexions nerveuses chez les personnes paralysées dont la moelle épinière a été sectionnée lors d'un accident. Les premiers essais sur l'homme sont très prometteurs.
- Comment qualifier la recherche suisse dans la constellation des efforts en neurosciences?
- Elle est dynamique. Et les neuroscientifiques suisses sont très performants au plan mondial. La SSN, pour un petit pays comme la Suisse, compte d'ailleurs plus de 1000 membres. Et les programmes de recherche et d'enseignement dans nos hautes écoles (avec cinq écoles doctorales) sont à la pointe. Concernant leur financement, il est largement assuré par le Fonds national suisse. Néanmoins des travaux de qualité restent en rade, qui pourraient davantage être financés par des fonds privés.
- Qu'attendez-vous de ce congrès?
- Nous souhaitons que des échanges aient lieu entre les spécialistes des neurosciences fondamentales et des recherches cliniques. Car des collaborations plus étroites ne pourront qu'influencer positivement les prises en charges cliniques. Par ailleurs, si la connaissance des diverses aires du cerveau et de leur fonction est déjà bonne à ce jour, les neurosciences doivent encore mieux tirer profit du dialogue avec les sciences humaines, et des questionnements sociaux ou philosophiques qui les guident. C'est cela qui a permis les avancées citées plus haut. Cette démarche est importante pour la compréhension fondamentale du cerveau, mais aussi sur un plan éthique. Car, selon l'adage vérifié même en neurosciences, «l'homme n'est pas que son cerveau».
Notre série: Le cerveau dans tous ses états. Olivier Dessibourg .Voir les 5 articles sur : Le Temps. ch (quotidien suisse).
http://www.letemps.ch/template/opinions.asp?page=6&article=235967
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