mercredi 23 juillet 2008

DROITE. GAUCHE. RICHES.


Nº2280. SEMAINE DU JEUDI 17 Juillet 2008. Le Nouvel Observateur. Des riches et du pouvoir. La chronique de Jacques Julliard.

Au moment où tous les journaux * titrent sur la richesse, voici une petite suite politique et un salutaire sursaut
Il y a en France trois partis : la droite, la gauche et les riches.

Les gens de droite qui ne sont pas riches sont essentiellement des gens de droite. Les gens de gauche qui ne sont pas riches sont essentiellement des gens de gauche. Mais les gens de droite qui sont riches ne sont pas essentiellement des gens de droite : ce sont des riches. Et les gens de gauche qui sont riches ne sont pas essentiellement des gens de gauche : ce sont des riches.
Partager la richesse avec des gens de l'autre bord n'est pas en effet chose anodine. Elle implique une véritable identité de condition sociale et de genre de vie : la résidence dans les mêmes quartiers, le départ vers les mêmes lieux de vacances, la fréquentation des mêmes fournisseurs, le goût pour les mêmes plaisirs, la participation aux même fêtes, la circulation et l'échange des mêmes femmes, l'occupation des mêmes centres de pouvoir, la pratique des mêmes tics de langage, l'attachement aux mêmes idées, aux mêmes valeurs, y compris financières.
Quant au milieu de la politique, il est celui des riches et non celui des pauvres. On y croise plus de banquiers que de tourneurs sur métaux, plus de hauts fonctionnaires que d'instituteurs, plus de diplomates que d'aides-soignantes, plus d'intellectuels ralliés que d'épiciers maghrébins, plus de directeurs de journaux que d'ouvriers du Livre.

Or l'Etat français, héritier de la monarchie d'Ancien Régime, assure à ses ministres, à ses grands commis et à ses petits parasites un genre de vie assez proche de celui que la richesse procure à ses détenteurs. Les ors de la République, le cérémonial du pouvoir, le luxe et la majesté des palais, la multiplicité des domestiques, le ballet des voitures à cocarde ou à sirène, l'opulence des dîners et des vins, les charmes des voyages officiels abolissent dans le vécu l'inégalité financière qui peut subsister encore entre les Riches et les Puissants. Il en résulte entre la richesse et la politique un lien de consanguinité demeuré longtemps dans la discrétion, mais que le pouvoir actuel affiche avec ostentation.
Bouygues, Bolloré, Arnault, Lagardère sont des amis personnels du président de la République, et avec eux tout le gratin du CAC 40.
On a insisté de façon trop exclusive, à la suite de Pierre Bourdieu, sur l'origine sociale des privilégiés. C'est le thème de la Reproduction. Mais pas assez sur un autre pan, essentiel, de sa sociologie, à savoir la capacité du capital financier d'attirer à lui, de s'attacher et de s'inféoder les détenteurs du capital culturel. Un énarque pauvre peut faire dans la deuxième partie de sa vie, un paquet de stock-options plus tard, un riche très présentable. D'où le problème actuel du Parti socialiste. Nombre de ses dirigeants sont riches. Tant mieux pour eux. Beaucoup d'autres sont de condition seulement aisée ou même modeste, mais psychologiquement, culturellement et même spirituellement, ils sont rattachés au parti de la richesse. Ils ne sont rien d'autre que l'aile sociale de la ploutocratie. Voilà pourquoi les petites gens se reconnaissent plus volontiers dans Olivier Besancenot, Ségolène Royal ou François Bayrou. Le programme Besancenot, c'est la lune + 10%. Celui du PS, c'est Bouygues - 10%. De plus en plus nombreux, les pauvres, voyez-vous ça, préfèrent le premier. Salauds de pauvres.


* "Tout sur les riches» («le Point), «La France des héritiers» («Nouvel Obs»), «L'argent maître» («Médium», la revue de Régis Debray), «Cette société qui tourne autour d'un seul soleil ... l'argent". ("Marianne").

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