mercredi 30 avril 2008

ANDRE GORZ. LE TRAVAIL DANS LA SORTIE DU CAPITALISME.

André Gorz.
.

La question de la sortie du capitalisme n’a jamais été plus actuelle. Elle se pose en des termes et avec une urgence d’une radicale nouveauté. Par son développement même, le capitalisme a atteint une limite tant interne qu’externe qu’il est incapable de dépasser et qui en fait un système qui survit par des subterfuges à la crise de ses catégories fondamentales : le travail, la valeur, le capital.
André Gorz, le 17/09/2007.

.
La crise du système se manifeste au niveau macro-économique aussi bien qu’au niveau micro-économique. Elle s’explique principalement par un bouleversement technoscientifique qui introduit une rupture dans le développement du capitalisme et ruine, par ses répercussions la base de son pouvoir et sa capacité de se reproduire. J’essaierai d’analyser cette crise d’abord sous l’angle macro-économique [1], ensuite dans ses effets sur le fonctionnement et la gestion des entreprises [2].
.
[1] L’informatisation et la robotisation ont permis de produire des quantités croissantes de marchandises avec des quantités décroissantes de travail. Le coût du travail par unité de produit ne cesse de diminuer et le prix des produits tend à baisser. Or plus la quantité de travail pour une production donnée diminue, plus le valeur produite par travailleur - sa productivité - doit augmenter pour que la masse de profit réalisable ne diminue pas. On a donc cet apparent paradoxe que plus la productivité augmente, plus il faut qu’elle augmente encore pour éviter que le volume de profit ne diminue.
.
La course à la productivité tend ainsi à s’accélérer, les effectifs employés à être réduits, la pression sur les personnels à se durcir, le niveau et la masse des salaires à diminuer.
.
Le système évolue vers une limite interne où la production et l’investissement dans la production cessent d’être assez rentables. Les chiffres attestent que cette limite est atteinte. L’accumulation productive du capital productif ne cesse de régresser.
.
Aux États-Unis, les 500 firmes de l’indice Standard & Poor’s disposent de 631 milliards de réserves liquides ; la moitié des bénéfices des entreprises américaines provient d’opérations sur les marchés financiers.
.
En France, l’investissement productif des entreprises du CAC 40 n’augmente pas même quand leurs bénéfices explosent. La production n’étant plus capable de valoriser l’ensemble des capitaux accumulés, une partie croissante de ceux-ci conserve la forme de capital financier.
.
Une industrie financière se constitue qui ne cesse d’affiner l’art de faire de l’argent en n’achetant et ne vendant rien d’autre que diverses formes d’argent. L’argent lui-même est la seule marchandise que l’industrie financière produit par des opérations de plus en plus hasardeuses et de moins en moins maîtrisables sur les marchés financiers. La masse de capital que l’industrie financière draine et gère dépasse de loin la masse de capital que valorise l’économie réelle (le total des actifs financiers représente 160 000 milliards de dollars, soit trois à quatre fois le PIB mondial).
.
La "valeur" de ce capital est purement fictive : elle repose en grande partie sur l’endettement et le "good will", c’est-à-dire sur des anticipations : la Bourse capitalise la croissance future, les profits futurs des entreprises, la hausse future des prix de l’immobilier, les gains que pourront dégager les restructurations, fusions, concentrations, etc. Les cours de Bourse se gonflent de capitaux et de leurs plus-values futurs et les ménages se trouvent incités par les banques à acheter (entre autres) des actions et des certificats d’investissement immobilier, à accélérer ainsi la hausse des cours, à emprunter à leur banque des sommes croissantes à mesure qu’augmente leur capital fictif boursier.
.
La capitalisation des anticipations de profit et de croissance entretien l’endettement croissant, alimente l’économie en liquidités dues au recyclage bancaire de plus-value fictives, et permet aux États-Unis une "croissance économique" qui, fondée sur l’endettement intérieur et extérieur, est de loin le moteur principal de la croissance mondiale (y compris de la croissance chinoise).
.
L’économie réelle devient un appendice des bulles spéculatives entretenues par l’industrie financière. Jusqu’au moment, inévitable, où les bulles éclatent, entraînent les banques dans des faillites en chaîne, menaçant le système mondial de crédit d’effondrement, l’économie réelle d’une dépression sévère et prolongée (la dépression japonaise dure depuis bientôt quinze ans) . On a beau accuser la spéculation, les paradis fiscaux, l’opacité et le manque de contrôle de l’industrie financière (en particulier des hedge funds), la menace de dépression, voire d’effondrement qui pèse sur l’économie mondiale n’est pas due au manque de contrôle ; elle est due à l’incapacité du capitalisme de se reproduire.
.
Il ne se perpétue et ne fonctionne que sur des bases fictives de plus en plus précaires.
.
Prétendre redistribuer par voie d’imposition les plus-values fictives des bulles précipiterait cela même que l’industrie financière cherche à éviter : la dévalorisation de masses gigantesque d’actifs financiers et la faillite du système bancaire.
.
La "restructuration écologique" ne peut qu’aggraver la crise du système.
.
Il est impossible d’éviter une catastrophe climatique sans rompre radicalement avec les méthodes et la logique économique qui y mènent depuis 150 ans.
.
Si on prolonge la tendance actuelle, le PIB mondial sera multiplié par un facteur 3 ou 4 d’ici à l’an 2050. Or selon le rapport du Conseil sur le climat de l’ONU, les émissions de CO2 devront diminuer de 85% jusqu’à cette date pour limiter le réchauffement climatique à 2°C au maximum. Au-delà de 2°, les conséquences seront irréversibles et non maîtrisables.
.
La décroissance est donc un impératif de survie.
.
Mais elle suppose une autre économie, un autre style de vie, une autre civilisation, d’autres rapports sociaux. En leur absence, l’effondrement ne pourrait être évité qu’à force de restrictions, rationnements, allocations autoritaires de ressources caractéristiques d’une économie de guerre.
.
La sortie du capitalisme aura donc lieu d’une façon ou d’une autre, civilisée ou barbare. La question porte seulement sur la forme que cette sortie prendra et sur la cadence à laquelle elle va s’opérer.
La forme barbare nous est déjà familière.
.
Elle prévaut dans plusieurs régions d’Afrique, dominées par des chefs de guerre, par le pillage des ruines de la modernité, les massacres et trafics d’êtres humains, sur fond de famine.
.
Les trois Mad Max étaient des récits d’anticipation.
.
Une forme civilisée de la sortie du capitalisme, en revanche, n’est que très rarement envisagée. L’évocation de la catastrophe climatique qui menace conduit généralement à envisager un nécessaire "changement de mentalité", mais la nature de ce changement, ses conditions de possibilité, les obstacles à écarter semblent défier l’imagination.
.
Envisager une autre économie, d’autres rapports sociaux, d’autres modes et moyens de production et modes de vie passe pour "irréaliste", comme si la société de la marchandise, du salariat et de l’argent était indépassable.
.
En réalité une foule d’indices convergents suggèrent que ce dépassement est déjà amorcé et que les chances d’une sortie civilisée du capitalisme dépendent avant tout de notre capacité à distinguer les tendances et les pratiques qui en annoncent la possibilité.

.
[2] Le capitalisme doit son expansion et sa domination au pouvoir qu’il a pris en l’espace d’un siècle sur la production et la consommation à la fois.
.
En dépossédant d’abord les ouvriers de leurs moyens de travail et de leurs produits, il s’est assuré progressivement le monopole des moyens de production et la possibilité de subsumer le travail. En spécialisant, divisant et mécanisant le travail dans de grandes installations, il a fait des travailleurs les appendices des mégamachines du capital.
.
Toute appropriation des moyens de production par les producteurs en devenait impossible.
.
En éliminant le pouvoir de ceux-ci sur la nature et la destination des produits, il a assuré au capital le quasi-monopole de l’offre, donc le pouvoir de privilégier dans tous les domaines les productions et les consommations les plus rentables, ainsi que le pouvoir de façonner les goûts et désirs des consommateurs, la manière dont ils allaient satisfaire leurs besoins. C’est ce pouvoir que la révolution informationnelle commence de fissurer. [...]
.
EcoRev N° 28.
Suite de ce texte dans le numéro 28. Bientôt disponible en librairie via notre nouveau diffuseur Difpop, il est d’ores et déjà possible de le commander en ligne ici ou par courrier en envoyant un chèque de 9,5 euros (8 euros + frais de port) à : écoRev’, 22 villa des sizerins, 75019 Paris.

mardi 29 avril 2008

COURS MOINS VITE CAMARADE, LA FIN DU MONDE EST DEVANT TOI.


Blog : La France de tout en bas.
Chronique de Thierry Pelletier. Saisonnier de la galère.
29/04/2008.


Honoré est toujours le premier à venir chercher ses médicaments, à 6h30 tapantes. La Bible à la main, un crucifix en bois autour du cou, gros pull, lunettes et coupe au bol, on dirait Francis Heaulme en plus joufflu. Grand schizophrène d'ordinaire peu loquace, il est pour une fois en veine de conversation :
— Salut Honoré, ça va, bien dormi ?
— Fort bien, j'ai prié avec ferveur ce matin, mon esprit est tout entier tourné vers le Seigneur.
— Super ! Ça c'est une journée qui commence bien !
Il décortique avec application tous ces merveilleux cachetons qui rendent la vie un peu plus vivable en la vivant moins, les gobe, puis reprend :
— Vous avez vu Sarkozy à la télé, l'autre soir ?
— Non Honoré, vous savez, je n'ai pas la télé.
— Vous n'aimez pas la télé ?
— Pas trop, je trouve que c'est une perte de temps.
— Pour ma part je dirais même que c'est de la corruption mentale, une perversion de l'esprit.
Et il part tranquillement déjeuner après m'avoir conseillé l'oracle de la destruction de Babylone d'Esaïe.

Non je n'ai pas assisté au récital du président, mais je me suis rencardé, j'ai lu les commentaires de la presse, pas mourir idiot ! Si j'ai bien tout compris, il aurait reconnu avoir un tout petit peu loosé, sur la question du pouvoir d'achat notamment, mais c'est pas de sa faute, c'est à cause de la conjoncture internationale, les subprimes, tout ça... Il a hardiment vilipendé ce «capitalisme financier qui marche sur la tête» et entend même le moraliser. C'est courageux mais ça va pas être fastoche, sa ratification du traité de Lisbonne, au plus parfait mépris du résultat du référendum, entérine la libre circulation des capitaux. Je pensais que, fidèle à son esprit d'ouverture, il allait charger de mission Denis Robert, qui en connaît un bout sur le sujet, pour l'épauler dans cette tâche ardue, mais non, il a choisi une voie bien plus audacieuse, ne rien changer, accélérer les réformes.
C'est bien simple l'ultra libéralisme, sympa, raisonnable et indispensable nous sauvera de l'ultra libéralisme fou. Sempiternel procédé mafieux qui consiste à offrir la protection de sa force comme seul recours aux victimes de sa propre violence. Mobilisation générale sur le front de la croissance, celle qui fait fondre de plaisir ces fichus glaciers, produisons plus, consommons plus, brûlons plus de gas-oil, tous au travail qui rend libre de ne pas voir le cauchemar ou nous emmènent ces hallucinés.
Tant pis si l'ère du pétrole est achevée, tant pis si la place prise par les bio-carburants condamne tant de populations à la famine, les mêmes «experts», les mêmes pourceaux stipendiés continueront à traiter les rares scientifiques qui nous préviennent depuis si longtemps de talibans écolos, et puis nous avons bien assez de flics pour refouler les impudents crevards qui auraient l'audace de venir chercher de quoi bouffer chez nous. Tant pis si on délocalise, si on licencie à tour de bras, les mêmes «experts» continueront à affirmer que le chômage est en baisse.
De ces questions, l'unanimité des médias se contrefout, obsédée par les sondages, la performance d'acteur, la stratégie employée, reconnaissant ainsi implicitement que la recherche de la vérité ou du bien-être général n'ont plus rien à faire ici. Après avoir klaxonné «bling bling» à qui mieux mieux, les journalistes les plus subversifs cancanent aujourd'hui «couac couac» à la queue leu leu.
Je ne vois moi aucun couac mais au contraire une profonde cohérence, une logique parfaite guidant l'action de notre président et de ses employeurs, pardon de ses amis.
La misère et l'ignorance sont des armes politiques. On supprime 10 000 postes de profs mais on propose d'encabaner les minots de moins de treize ans. «Les enfants du bagne» chers à Marie Rouanet sont de retour, quelle régression. Là encore personne dans les médias pour se pencher sur les mécanismes qui transforment toujours plus de loupiots en gremlins déjantés.
Un peuple instruit, bénéficiant d'une relative aisance matérielle, d'acquis sociaux, de services publics gratuits et performants, c'est chiant, ça en veut toujours plus, ça connaît ses droits, ça revendique, ça se syndique, ça veut pas faire n'importe quel boulot pourri pour se payer ses surimis…
En revanche, la paupérisation accélérée de pans entiers de la population, l'écroulement des classes moyennes, l'éducation et la formation dispensée selon les moyens des parents, permettent de pérenniser le pouvoir de l'oligarchie et des castes qui la soutiennent.
Et si d'aventure, tout en bas, ça branle un peu trop dans le manche, la déculturation généralisée permet de détourner la colère sociale vers un bouc-émissaire consensuel, le musulman aujourd'hui, comme le juif avant-hier, les prétoriens n'auront pas trop à se fouler le tonfa.
A l'allure où va le monde, le «Talon de fer» de London sera bientôt notre quotidien, New York 1997 nous semblera une utopie néo-fourieriste, Spinrad un auteur de contes pour enfants, et encore si on a du bol, si ça tourne pas Mad Max et Malevil réunis.
Face aux timbrés du profit, en France la résistance s'organise. Au PS, on propose d'en causer un de ces quatre, une commission est chargée de débattre d'une date où pourraient commencer les débats, quant au facteur sympa, il a promis de créer un parti anticapitaliste super chanmé dès la rentrée, à son retour de la plage. Le Pen n'ayant pu s'empêcher, de dépit de s'être fait chouraver tous ses gimmicks, de refaire un peu de négationnisme sous lui, les antifascistes vont se défouler un brin, ça fera des vacances aux joyeux turlupins républicains de l'UMP qui ont bien du travail pour finir d'annihiler l'intégralité des acquis hérités du Conseil National de la Résistance.
Et moi je continue à me taper une heure de route pour distribuer depuis dix ans, les mêmes «remèdes» aux toxicos, aux SDF et aux handicapés, afin que tous ces ininsérables ne nous cassent pas trop les pieds, tout en me demandant comment je vais expliquer la situation à mes mômes d'ici quelques années.
Le spectacle du chef de l'Etat s'empêtrant dans ses contradictions, affirmant tout et son contraire avec le même aplomb, négatif exact du karcherisable racaillou paniqué, pris la main dans le sac à la dame, a quelque chose de terrifiant. Il nous oblige à comprendre une fois pour toutes qu'il n'y a pas de grandes personnes, d'homme providentiel. Il nous faut sortir du curieux rêve du citoyen confiant, du contribuable tranquille, il faut se réveiller. L'abbattement est profond.
A ce monde qui «n'irait pas si vite s'il n'était pas constamment menacé par la proximité de son effondrement» (L'insurrection qui vient, Comité invisible, La Fabrique éditions), il va nous falloir opposer notre lenteur, notre inertie, notre mauvaise volonté, la désobéissance, la désertion, tous les moyens qui permettent d'éviter le choc frontal, parce que «combattre l'Empire revient à être contaminé par sa déraison. Paradoxe : quiconque défait un fragment de l'Empire devient l'Empire ; l'Empire se propage comme un virus, il imprime sa forme sur ses ennemis».(Siva, Philippe K.Dick).
Finalement le passage que m'avait conseillé Honoré ne m'a pas emballé. En revanche, j'ai trouvé, en feuilletant la Bible au pif, ces extraits qui pourraient inspirer le chanoine de Latran :
«Celui qui aime l'argent n'est pas rassasié par l'argent et celui qui aime la richesse ne l'est pas par le revenu. Cela aussi est vanité... Le rassasiement du riche ne le laisse pas dormir.»(Ecclésiaste 5,10,12)
«Que ferez-vous au jour de la destruction ? Vers qui fuirez-vous pour avoir du secours et où laisserez-vous votre gloire ?»(Esaïe 10,3)

dimanche 27 avril 2008

CESAR DE PAEPE. POURQUOI LE SAUVER DE L'OUBLI...

César De Paepe
.

Bien sûr, les écrits de César De Paepe n'ont pas l'importance théorique ni le souffle polémique qui caractérise les oeuvres des grands théoriciens du mouvement ouvrier.
Je voudrais donner ici deux raisons pour lesquelles il me paraît essentiel de le sauver de l'oubli.

1. Il tenta, de toutes ses forces, de favoriser la conciliation dans la querelle entre Marx et Bakounine qui aboutit finalement à la scission de la Ière Internationale. Cet événement, pour moi regrettable, a pesé de tout son poids sur l'histoire du XXème siècle marquée par tant de guerres et d'atrocités.

2. Ses écrits en général - et singulièrement sa brochure "De l'organisation des services publics dans la société future" (dont je publie plus haut de larges extraits) - bien que marqués par le poids du temps, sont des exemples trop rares du souci de description de la transition d'une fonction essentielle de l'économie vers un avenir différent et, pour moi, désirable.

Il est - tout compte fait - si facile de lancer des slogans à l'emporte-pièce tels que : "Le communisme, c'est l'électrification et le pouvoir des soviets" (Lénine).
Et ... vogue la galère, on verra bien ...
On a vu.

vendredi 25 avril 2008

CESAR DE PAEPE. DE L'ORGANISATION DES SERVICES PUBLICS DANS LA SOCIETE FUTURE.

César De Paepe.
De l'organisation des services publics dans la société future. Rapport présenté au congrès de Bruxelles (1874) de l'Internationale (dite "antiautoritaire).
.
INTRODUCTION.

Nous prenons pour point de départ l'état des choses actuel, les services publics actuellement existants; puis, nous éliminons de ces services publics ceux qu'une nouvelle organisation sociale paraît devoir rendre inutiles; nous cherchons quels sont les services publics que les nécessités nouvelles réclameront, et ceux qui, dès à présent, se font déjà sentir comme un besoin évident; nous nous demandons ensuite à qui l'exécution de ces divers services publics incombe naturellement, rationnellement; arrivé à ce point, nous sommes amenés à jeter un coup d'oeil sur l'ensemble de l'évolution économique, et à nous demander si les transformations profondes que cette évolution fait ou fera subir à certaines industries, ne font ou ne feront pas de ces industries de véritables services publics : enfin, nous terminons par la question de savoir comment, de quelle manière, les services publics, en général, devraient être exécutés dans l'avenir.

CESAR DE PAEPE (1842-1890). BIOGRAPHIE.

César De Paepe.
.

.
En Belgique, quand on parle de César De Paepe, on pense tout de suite aux cliniques socialistes. Qui sait encore quel a été le rôle de ce militant dans la Ière Internationale ?
Voici, dans une première livraison, sa biographie.
.
César De Paepe par Miklös Molnàr. (Extrait de : Le déclin de la première internationale. 1963).
Le personnage le plus en vue parmi les délégués belges à la Ière Internationale fut, sans doute, César De Paepe.
Né en 1842, mort en 1890, De Paepe vécut la grandeur et la décadence, puis le nouvel essor du mouvement ouvrier belge.
Fils d'un fonctionnaire de l'Etat belge, De Paepe se préparait à la carrière d'avocat, mais la mort soudaine de son père l'obligea à abandonner ses études.
Il devint typographe chez Désiré Brismée et bientôt son camarade dans le mouvement des libres penseurs. Il entra dans la Société des Solidaires, puis, avec ses nouveaux amis, dont Voglet et Steens, il fonda, en 1861, la société Le Peuple, association de la démocratie militante d'où sortit, quatre ans après, la section belge de l'Association internationale des travailleurs.
Dès lors, De Paepe, qui avait repris entre-temps ses études était devenu médecin, se trouva jusqu'à la fin de sa vie aux premiers rangs du mouvement ouvrier belge.
Nous ne pouvons pas retracer ici toutes les étapes de sa vie mouvementée. Notons seulement qu'il fut délégué presque à chaque Congrès de l'Internationale où ses discours et ses interventions étaient parmi les plus remarquables.
Définir son idéologie et sa position politique serait plus malaisé que de décrire sa vie.
Libre penseur, fédéraliste, proudhonien, collectiviste, communiste, anarchiste, social-démocrate ? Qu'était-il en réalité ?
Mais que fut le mouvement ouvrier belge à son époque, ce "socialisme mixte, à la fois mutuelliste et marxiste, qu'on appelle collectivisme" -selon la formule heureuse mais forcément incomplète d'Elie Halévy.
Il nous semble que les deux questions ne font qu'une et que l'on ne saurait y répondre en partant uniquement des catégories du "marxisme", du mutuellisme proudhonien ou de l'anarchisme au sens bakouninien.
Car la pensée de De Paepe et de ses camarades était, en même temps qu'influencée par les grands courants d'origine allemande et française, empreinte de théories des penseurs belges, tels que de Potter et Colins, et des traditions ouvrières remontant à l'époque des compagnonnages. De Paepe, certes, eut des périodes proudhoniennes et anarchisantes et subit également l'influence de la pensée de Marx.
Mais en lisant ses écrits et ses discours on a l'impression qu'en penchant tantôt vers l'une, tantôt vers l'autre tendance dans le mouvement internationaliste, De Paepe ne s'est jamais éloigné beaucoup de ce collectivisme belge qui voulait réconcilier l'idée de la propriété collective et celle de la propriété individuelle.
A la recherche d'un système fondé sur la justice sociale et la liberté politique, De Paepe - nous le croyons du moins - ne fit jamais un choix définitif en ce qui concerne les moyens propres à atteindre ce but.
Les partisans de la centralisation critiquaient souvent son fédéralisme tandis que les anarchistes lui reprochaient certains traits "étatistes" de son système.

lundi 21 avril 2008

MOSQUITO.

Appareil à ultra-sons anti-jeunes.

LIBERATION. 21/04/2008 :
Quimper interdit les appareils anti-jeunes.
SOCIETE . La mairie de Quimper a pris vendredi un arrêté interdisant dans les rues, sur les quais, les places et autres lieux publics de la ville la mise en place de boîtiers à ultra-sons destinés à éloigner les jeunes.
Alors qu’il n’existait encore aucun de ces appareils dans la capitale de Cornouailles, le maire de Quimper, Bernard Poignant, a expliqué avoir pris cette décision pour des raisons de santé publique et de dignité humaine.
L’émission d’ultra-sons à hautes fréquences pouvant être seulement perçus par des personnes de moins de 25 ans, pourrait en effet présenter un risque pour la santé des jeunes enfants et des bébés qui y seraient exposés. Bernard Poignant estime également que l’utilisation d’appareils qui servaient à l’origine à chasser les rats et les chiens, pour chasser des êtres humains est "scandaleux" et constitue une atteinte à la dignité humaine.
"J'ai pris cet arrêté par anticipation car ce genre de choses peut se développer insidieusement et revenir à tout instant, souligne le maire de Quimper. Ce sont des installations qui sont mises en place sans prévenir.
J'ai voulu marquer le coup et montrer qu'à Quimper, il y a des limites".
L’arrêté quimpérois, renouvelable, est valable un an. Il vient d’être promulgué alors que sera jugé jeudi à Saint-Brieuc un différend entre une association de riverains de Pléneuf-Val-André et un habitant qui avait placé un de ces "boîtiers anti-jeunes" sur sa résidence secondaire.
L’association espère que le jugement servira de jurisprudence pour rendre illégal ce type d’appareil dans l’espace public.
P.H.A.

dimanche 20 avril 2008

DAVID GOODIS. SANS ESPOIR DE RETOUR.

David Goodis

est né en 1917 à Philadelphie (Etats-Unis). L'année même où il termine ses études de journalisme à la Temple University, en 1938, il achève son premier roman : "Retreat from Oblivion". L'accueil fait au livre par les critiques le décide à quitter le poste qu'il vient de prendre dans une agence de publicité et à s'installer à New York pour continuer à écrire. Trois ans plus tard, il est engagé par la Warner Brothers comme scénariste à Hollywood. En même temps que de nombreux scénarios, dont "The Burglar" (Le Casse) en 1956, David Goodis a écrit dix-sept romans dont le plus célèbre, "Dark Passage" (Cauchemar), en 1946, sera porté à l'écran. De même, "Down There" sera tourné en 1962 par le cinéaste François Truffaut sous le titre "Tirez sur le pianiste" (Shoot the Piano Player). Citons encore "Nightfall" (La Nuit tombe, 1947), "Behold this Woman" (1947), "Of Missing Persons" (La Police est accusée, 1950), "Fire in the Flesh" (L'Allumette facile, 1957), "Night Squad" (Les Pieds dans les nuages, 1960). David Goodis est mort en 1967 à Philadelphie.


Sans espoir de retour. Gallimard.

"Ils étaient, tous les trois, assis sur le trottoir, adossés au mur de l'asile de nuit, serrés les uns contre les autres, pour se protéger du froid mordant de la nuit de novembre. Venue du fleuve, la bise humide qui balayait la rue leur lacérait la figure et les pénétrait jusqu'à la moelle, mais ils ne semblaient pas s'en soucier. Ils débattaient un problème sans aucun rapport avec la température. C'était une question sérieuse et, dans la discussion, leurs regards se faisaient graves et calculateurs. Ils se creusaient la cervelle pour trouver un moyen de se procurer de l'alcool (...)"


Whithey

vit à Skid Row, juste à côté du quartier de l'Enfer, balayé ces dernières semaines par de nombreuses émeutes raciales.
Alors qu'il traine dans la rue avec deux copains pour trouver un moyen d'étancher sa soif, il aperçoit soudain une silhouette surgie de son passé. Whitey décide de lui emboîter le pas et s'engage alors dans l'Enfer, sans aucun espoir de retour...
Un roman d'une noirceur impressionnante que ce soit par son contexte - le racisme, les discriminations et la corruption des forces de l'ordre - que par ses descriptions de bagarres comme par exemple dans le commissariat du 37è district où Whitey est amené et menacé de correction par Kinnard. Surtout c'est avec le personnage de Whitey que Goodis accentue cette ambiance. Le personnage principal est en effet l'homme type rattrapé par son passé, sans aucun moyen de lui échapper. S'attachant à montrer ici comment on peut littéralement sombrer dans la misère et l'alcool. Sans aucun espoir de retour à sa vie passée.
Ce sont des hommes pauvres, vivant dans un état de dénuemement matériel et moral extrême que Goodis décrit ici, à l'image des Portoricains victimes des attaques raciales des "Américains pure souche".
C'est Whitey victime de la plus terrible punition pour avoir oser s'approcher de la protégée de Sharkey.
C'est un chef de police dépassé par les événements et ne sachant que faire à part castagner les deux bandes rivales, sans aucun succès.
Une des plus belles références de la littérature noire américaine.

vendredi 18 avril 2008

1968-2008 : MEME(S) COMBAT (S) POUR LA JEUNESSE ?

Libération 18 avril 2008. Mehdi Ouraoui.
Pour la première fois dans notre Histoire en période de paix, une génération vit moins bien que celles de ses aînés. Mal-logement, chômage, ségrégation scolaire, ghettos urbains, surendendettement : tout indique que notre société ne se soucie plus de sa jeunesse.

Le « jeune » (désigné sous un vocable unique) est devenu, dans les représentations sociales, un danger : il est dénoncé comme individualiste, allergique à l’effort et parfois violent, à tel point qu’on en vient à l’éloigner comme un nuisible au moyen d’ultrasons…

Peu importe que les jeunes s’investissent massivement dans la vie associative, affrontent courageusement la galère quotidienne et travaillent plus pour gagner moins que les générations précédentes ! Ils sont oubliés les mots de Mitterrand : « Si la jeunesse n'a pas toujours raison, la société qui la méconnaît et qui la frappe a toujours tort. »
En sacrifiant ses jeunes, la France sacrifie son modèle social et, pire encore, son propre avenir.

Evidemment, comme le soulignait Bourdieu dans Questions de sociologie, la « Jeunesse » n’est pas un groupe social homogène : il n'y a rien de commun entre un jeune chômeur coincé dans une cage d'escalier du 9-3 et un jeune polytechnicien des beaux quartiers parisiens. Rien de commun entre ceux dont rien n’éclaire et ceux dont rien n’obscurcit l'avenir. Mais force est de constater que si la colère des jeunes explose régulièrement, des manifs lycéennes aux émeutes de banlieues, c'est que l'immense majorité craint cet avenir sombre que la société lui réserve. Xavier Darcos n’a pas compris ce malaise et reprend à son compte le vieux « Sois jeune et tais toi ! ». Pourtant, voir des lycéens manifester non pas contre une abstraite « autorité » mais contre des suppressions de postes d'enseignants et la dégradation de leurs conditions d'études : quel exemple de responsabilité et de maturité !

En cela, les jeunes dans les rues ces jours-ci sont les dignes héritiers de Mai 68, mais du Mai 68 ouvrier et social, pas du mythe réécrit par les rebelles autoproclamés, sans autre cause que leur propre avenir. Pour la gauche, puisqu'il est question de cela sur ce blog, la mission est claire : entendre ces jeunes et leur faire toute la place qu'ils méritent.

A eux la tâche difficile de reprendre le flambeau politique en surmontant leur défiance à l'égard des partis. Qu'ils sachent qu'il y a cent ans, un jeune professeur du Sud-Ouest, autrement plus important que moi, écrivait déjà :
« Nous n'avons pas besoin d'être des émeutiers, en un temps et en un pays où la légalité même bien maniée est révolutionnaire et où le régime parlementaire peut être un formidable engin de dislocation et de rénovation».


Il s'appelait Jean Jaurès.

... ET FIGNOLE MA MUSCULATURE. (2)

En cette époque de totale confusion des valeurs, je voudrais indiquer que toute activité - y compris apparemment la plus futile - peut se pratiquer, avec dans la tête, des intentions diamétralement opposées. On peut ainsi distinguer un culturisme de droite et un culturisme de gauche, y compris au plus haut niveau. En généralisant, ce diagnostic pourrait être similaire pour tous les sports, y compris singulièrement les sports de combat. C'est clair que j'y reviendrai.
.
Marcel Rouet. Toute la culture physique. Amphora.
Le sujet qui pratique la culture physique de force et qui possède un poids musculaire supérieur à celui fixé par les barèmes courants a un sentiment "d'inexpugnabilité" qui lui confère une assurance et une confiance en soi inébranlables. C'est le même processus psychologique qui donne, sur le plan collectif, le sentiment aux masses de posséder une force invincible.
Le sentiment de puissance se développe également sous l'effet d'une sensation qui appartient en propre au sens musculaire.
.

Jean Texier. Visa pour le muscle. Jibena.
Il est vrai que l'activité culturiste est une activité absolument libre, gratuite, qui coûte beaucoup, mais qui donne la joie de se fatiguer pour rien, de s'exténuer de travail futile, d'arracher sa force productive à la production servile du capital. Je pense à un camarade qui venait de faire une série de flexions de jambes, sept répétitions avec 235 kilogs, et qui s'exclama, provoquant l'hilarité générale : "Encore une que les patrons n'auront pas !".

lundi 14 avril 2008

UNE HECATOMBE ANNONCEE. INTERVIEW DE JEAN ZIEGLER.

La production massive d'agrocarburants provoque une envolée des prix alimentaires mondiaux, catastrophique pour les pays du Sud, explique Jean Ziegler, conseiller à l’ONU sur l’alimentation.
Recueilli par C.Lo. LIBERATION : lundi 14 avril 2008.

Jean Ziegler est rapporteur spécial des Nations unies pour le droit à l’alimentation. Ce sociologue suisse est l’auteur de L’empire de la honte (Livre de poche, 2008).

Les « émeutes de la faim » sont-elles un facteur d’instabilité planétaire?
Oui, parce qu’elles ne sont pas conjoncturelles, mais structurelles. Elles ne sont pas directement liées à des phénomènes climatiques (sécheresse en Australie) ou de développement (nouvelles classes consommatrices en Inde ou en Chine). Quand le prix du riz flambe de 52% en deux mois, celui des céréales de 84% en quatre mois, et quand le prix du fret explose avec celui du pétrole, on précipite 2 milliards de personnes sous le seuil de pauvreté.


Quelles peuvent être les conséquences?
On en voit les prémices aujourd’hui, avec les champs de riz gardés par l’armée en Thaïlande, la bataille pour le pain en Egypte, les morts par balles à Haïti. On va vers une très longue période d’émeutes, de conflits, des vagues de déstabilisation régionale incontrôlable, marquée au fer rouge du désespoir des populations les plus vulnérables. Avant la flambée des prix déjà, un enfant de moins de 10 ans mourait toutes les 5 secondes, 854 millions de personnes étaient gravement sous-alimentées ! C’est une hécatombe annoncée. Les ménages consacrent de 10 à 20% de leur budget dans l’alimentation en Occident, et de 60 à 90 % dans les pays les plus pauvres : c’est une question de survie.


Où sont les responsabilités?
Principalement dans l’indifférence des maîtres du monde, pays riches ou grands émergents. Les opinions publiques s’offusquent-elles de la famine dans le nord de l’Inde, comme il y a deux ans, ou des populations du Darfour ? Quand on lance, aux Etats-Unis, grâce à 6 milliards de subventions, une politique de biocarburant qui draine 138 millions de tonnes de maïs hors du marché alimentaire, on jette les bases d’un crime contre l’humanité pour sa propre soif de carburant… On peut comprendre le souhait du gouvernement Bush de se libérer de l’emprise des énergies fossiles importées, mais c’est déstabilisant pour le reste du monde. Et quand l’Union européenne décide de faire passer la part des biocarburants à 10 % en 2020, elle reporte le fardeau sur les petites paysanneries africaines…


Les biocarburants ne sont pas seuls responsables…
Les pays les plus pauvres paient leur quittance au FMI. Malgré les allégements de dette, 122 pays avaient une ardoise de 2 100 milliards de dollars de dettes cumulées en 2007. Les plans d’ajustement structurels du FMI imposent toujours des plantations d’exportation qui doivent servir à produire des devises et permettre aux pays du Sud de payer les intérêts de la dette aux banques du Nord. Ajoutez à cela les subventions agricoles à l’exportation qui laminent les marchés agricoles locaux, et vous arrivez à une situation explosive….

EMEUTES DE LA FAIM : LES RAISONS DE LA COLERE.

Queue devant un magasin pour l'achat de riz au Bangladesh (Reuters).
.
De Haïti à la Thaïlande, les tensions liées à la hausse des prix des produits alimentaires préfigurent une crise d'ampleur planétaire.
Christian LOSSON. LIBERATION: lundi 14 avril 2008.

Week-end d’une planète en proie à l’insécurité alimentaire: manifestations au Bangladesh, où le sac de riz coûte la moitié du revenu quotidien; Premier ministre démis à Haïti, où un policier de l’ONU est mort; tensions au Burkina Faso à la veille d’une grève générale contre la hausse des prix… La crise va perdurer, martèle la FAO, l’organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture. Les céréales, qui ont augmenté de 37 % en 2007, devraient encore flamber en 2008, entraînant «la multiplication des émeutes de la faim». 37 pays sont touchés. Voici les racines de la crise.

La mode des biocarburants.
Le baril de pétrole au sommet (112 dollars) précipite la ruée vers l’or vert. L’Union européenne veut incorporer 10% de biocarburants dans la consommation totale d’essence et de gazole d’ici à 2020. George Bush, lui, rêve de voir 15% des voitures rouler aux biocarburants d’ici à 2017. Même les pays en déficit alimentaire, comme l’Indonésie ou le Sénégal, s’y mettent, sacrifiant des terres arables. Un emballement qui «a accru la demande de produits alimentaires», dit Bob Zoellick, président la Banque mondiale. «Entre 20 et 50% de la production mondiale de maïs ou de colza ont ainsi été détournés de leur usage initial», note le FMI. Et le cours du maïs, utilisé pour l’éthanol, a doublé en deux ans. «Si l’on veut substituer 5 % de biocarburants à l’essence et au gazole, il faudra y consacrer 15 % de la superficie des terres cultivables européennes», calcule l’Agence internationale de l’énergie. L’ère du pétrole cher provoque un autre dommage collatéral: l’explosion du coût du fret.

L’orgie de spéculation.
Confession, vendredi, d’un économiste à Washington: «C’est de la folie! Le blé vaut de l’or!» C’est un autre effet pervers de la crise des subprimes. Essorés par le marché des crédits, les fonds d’investissement placent leurs billes sur les matières alimentaires. Soja, blé, maïs, voilà les nouvelles valeurs refuge ! Le riz bondit de 31% le 27 mars, après l’annonce par quatre pays de la suspension de leurs exportations au moment où les Philippines réclamaient 500 000 tonnes. «Les fonds s’engouffrent, achètent, et stockent», dit un intermédiaire. Le sénateur démocrate américain Byron Dorgan flingue «l’orgie de spéculation». Qui booste jusqu’à 10% du prix des denrées alimentaires. Walt Lukken, président de La Commodities Futures Trading Commission (CFTC), le gendarme des marchés des matières premières, s’en est même ému. A quand une (réelle) régulation ?

Les effets de la libéralisation
«On nous impose, nous, poids plume, de boxer contre les poids lourds sur le ring commercial», nous confiait, il y a six mois, Jacques-Edouard Alexis, Premier ministre haïtien démis samedi de ses fonctions. «Les politiques de libéralisation à marche forcée, prônées pendant des décennies par le FMI et la Banque mondiale, ont contribué à rendre les pays pauvres encore plus vulnérables», dénonce Sébastien Fourmy, d’Oxfam. Et les petits fermiers du Sud se sont vus laminer par les produits subventionnés exportés par les pays riches (poulet, céréales, etc.). «Victimes aussi de leur propres gouvernements qui n’ont pas dédié (ou pas pu) une part de leur budget à la paysannerie», ajoute un expert de la FAO. Malgré les promesses, l’aide au développement des pays riches accuse une baisse de 8,4 % en 2007 (-15 % pour la France). «L’aide dédiée à l’agriculture est 50 % moins importante qu’en 1984», note Claire Meladed, de l’ONG Action Aid. La Banque mondiale veut doubler l’aide à l’agriculture en Afrique. Suffisant ?

Les bouleversements du climat
Même l’Organisation mondiale de la santé (OMS) s’en alarme : les changements climatiques nuisent à la santé et à l’alimentation. «Sécheresse en Australie ou au Kazakhstan, inondations en Asie, ouragans en Amérique latine et un hiver record en Chine», égrène le Programme alimentaire mondial (PAM). Tendance lourde. D’autant que l’agriculture intensive joue contre l’environnement. Achim Steiner, patron du Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE), assure : «Dans les grands pays, on atteint des limites en termes de disponibilité de terres arables et d’eau, et de réduction de la fertilité des sols.» Mais il resterait une marge pour les petits paysans : «Si on fournit de bons engrais à 70 % de petites cultures, on peut doper la production de 20 %», note Gilles Hirzel, de la FAO. Sans céder au chantage des OGM…

L’évolution des modes de vie.
Nourrir 60 milliards d’animaux à viande chaque année revient à produire autant de céréales que pour 4 milliards d’habitants. Rajendra Pachauri, prix Nobel de la Paix 2007, nous confiait: «Mangeons moins de viande, c’est bon pour le climat.»L’arrivée de néoconsommateurs des grands pays émergents complique les choses : «Ces classes moyennes consomment de plus en plus de poulet et de porc, eux-mêmes transformateurs de céréales», dit Pascal Lamy, patron de l’OMC. «Si les Chinois mangeaient autant de viande que les Américains, ils absorberaient 50 % des céréales mondiales», ajoute l’écologiste Lester Brown.
Inutile, pourtant, de verser dans le néomalthusianisme. Les agronomes l’assurent : la planète peut doubler ses productions pour alimenter les 9 milliards de Terriens en 2050. «A condition d’investir, d’innover, de réguler, et réfléchir», souffle un diplomate africain. «Et c’est pas gagné»….

samedi 12 avril 2008

MAI 68. RAOUL VANEIGEM.

Le Nouvel Observateur 2266. «Qu'avez-vous fait de votre révolte ?»


SEMAINE DU JEUDI 10 Avril 2008.


L'auteur du "Traité de savoir-vivre à l'usage des jeunes générations", livre-phare de Mai-68, publie un nouvel essai et n'a rien perdu de sa radicalité.
Raoul VANEIGEM. L'insurrection de la vie.

Le Nouvel Observateur.
- Quarante ans après Mai-68, quelles leçons de vie donneriez-vous à un jeune de 20 ans aujourd'hui ?
Raoul Vaneigem. - Je ne suis ni maître à penser ni donneur de leçons. Je souhaite seulement que chacun apprenne à mener son existence selon ses désirs et en ce qu'elle a de plus riche : l'expérience de l'homme en voie d'humanisation s'affranchissant de ce qui le réduit à l'état de marchandise. Eriger sa vie en modèle, c'est la figer dans une forme où elle se vide de sa substance. Je me borne à témoigner de mes tentatives de vivre mieux dans un monde où je sais que le bonheur d'un seul est inséparable du bonheur de tous. Se fonder sur la pulsion de vie afin de l'affiner me paraît la meilleure et la plus agréable façon de construire sa destinée, à l'encontre des entraves d'une économie qui exploite l'homme et la terre. Celui qui conforme sa vie aux critères de réussite et d'échec a déjà renoncé à vivre.

N. O. - Vous écrivez qu'il «s'est produit en mai 1968 un séisme et une rupture avec le passé d'une magnitude jamais atteinte dans l'histoire». Qu'en reste-t-il ?
R. Vaneigem. - Même si les idéologies au rancart et les vieilles décrépitudes religieuses sont aujourd'hui rafistolées à la hâte et jetées en pâture à un désespoir dont l'affairisme au pouvoir tire profit, elles ne peuvent dissimuler longtemps la mutation de civilisation que Mai-68 a mise en lumière. La rupture avec les valeurs patriarcales est définitive. Nous nous acheminons vers la fin de l'exploitation de la nature, du travail, de l'échange, de la prédation, de la séparation d'avec soi, du sacrifice, de la culpabilité, du renoncement au bonheur, du fétichisme de l'argent, du pouvoir, de l'autorité hiérarchique, du mépris et de la peur de la femme, de la subornation de l'enfant, de l'ascendance intellectuelle, du despotisme militaire et policier, des religions, des idéologies, du refoulement et de ses défoulements mortifères. Ce n'est pas un constat, c'est une expérience en cours. Elle réclame seulement plus de vigilance, plus de conscience, plus de solidarité avec le vivant. Nous avons besoin de nous refonder pour rebâtir sur des assises humaines un monde ruiné par l'inhumanité que propage le culte de la marchandise.
N. O. - «Lorsque les situationnistes ont souligné le caractère invivable de la civilisation marchande, tout semblait s'agencer pour les démentir», écrivez-vous. En quoi la situation a-t-elle empiré ?
R. Vaneigem. - Dans les années 1960, l'économie était florissante, la consommation ouvrait au prolétariat les portes d'une démocratie de libre-service, prophétisant l'ère du bonheur avec les fanfares de l'euphorie mercantile. Les situationnistes furent seuls à pressentir la colère que susciterait tôt ou tard la vogue d'un hédonisme consommable exacerbant les frustrations. Cependant, leur hypothèse d'une révolte inévitable fut à l'époque jugée chimérique, voire ridicule. Maintenant que le libre-échange resserre son étreinte mortelle autour de la planète, c'est, au-delà de la consommation, la survie même qui est menacée par la destruction de la biosphère et par la paupérisation croissante. A la misère du consumérisme s'ajoute la peur de perdre les biens frelatés qu'il faut payer de plus en plus cher. Jamais nous n'avons été si proches de la vie et si éloignés d'oser la saisir. Pourtant, j'en fais le pari : sous l'obscurantisme, la servilité, la loi du plus fort et du plus rusé, une force de vie est à l'oeuvre, appelée à se recréer sans trêve. Rien n'empêchera la pensée radicale de progresser et de miner souterrainement le spectacle où l'indigence existentielle est érigée en vertu.
N. O. - Considérez-vous toujours que dans nos sociétés l'imposture suprême consiste à confondre la vie et la survie ?
R. Vaneigem. - J'avais écrit dans le «Traité» : «Survivre nous a jusqu'à présent empêchés de vivre.» Ce qui, en Mai-68, s'est exprimé avec la lucidité d'une brusque et brutale révélation n'est rien de moins que le refus de la survie au nom de la vie. La pandémie de servitude volontaire aujourd'hui attestée n'aura qu'un temps. Le déclin de l'économie d'exploitation implique une nouvelle alliance avec la nature où la vie retrouvera ses droits et dépassera la survie, qui en est la forme économisée.
N. O. - Dès la parution de «la Société du spectacle» et du «Traité de savoir-vivre à l'usage des jeunes générations», la récupération était à l'oeuvre. Peut-on échapper à ce piège infernal ?
R. Vaneigem. - A ce jour, rien de la part la plus radicale de l'Internationale situationniste n'a été récupéré. Que le situationnisme vende des livres, des chemises et des réputations est d'une importance nulle. La radicalité ne se marchande pas. Quelque image que le spectacle donne de moi, j'ai le plaisir de ne jamais collaborer à ses entreprises.Même si le fétichisme de l'argent dispose encore du pouvoir aberrant de tirer un profit immense, immédiat et éphémère de l'inutilité et d'une vie sans usage; même si le silence continue d'entourer le projet esquissé, il y a près de cinquante ans, d'une internationale du genre humain, je persiste à penser que la nuit des consciences n'a qu'un temps. Le garrot de l'argent, qui bride et dévoie l'essor des énergies naturelles, sera tranché par le couperet le plus salutaire qui soit, l'irrésistible primauté de la vie.
N. O. - Vous écrivez que «le travail, dont nous avons toujours prôné le refus, exerce aujourd'hui un double effet de nuisance par son absurdité et sa raréfaction». Existe-t-il une alternative ?
R. Vaneigem. - Ceux qui glorifient aujourd'hui le travail sont ceux-là mêmes qui ferment les entreprises pour les jouer en Bourse et les brader dans les spéculations boursières. Depuis que la tyrannie du travail s'est trouvée absorbée par la tyrannie de l'argent, un grand vide monnayable s'est emparé des têtes et des corps. Un puissant souffle de mort se propage partout. Le désespoir est désormais, avec la peur, la meilleure arme de l'oppression marchande. Elle rentabilise l'espoir en faisant de son déclin une vérité universelle qui proclame : accommode-toi d'un misérable aujourd'hui car demain sera pire. Il est donc temps de prendre conscience des chances offertes à l'autonomie individuelle et à la créativité de chacun. De l'avis même de ses promoteurs, le capitalisme financier est condamné à l'implosion à plus ou moins longue échéance. Cependant, sous cette forme sclérosée se profile un capitalisme redynamisé qui projette de rentabiliser les énergies renouvelables et de nous les faire payer alors qu'elles sont gratuites. On nous «offre» des biocarburants sous la condition d'accepter des cultures de colza transgénique, l'écotourisme va faciliter le pillage de la biosphère, des parcs d'éoliennes sont implantés sans avantages pour les consommateurs. C'est là qu'il nous est permis d'intervenir. Les ressources naturelles nous appartiennent, elles sont gratuites, elles doivent être mises au service de la gratuité de la vie. Il appartiendra aux collectivités d'assurer leur indépendance énergétique et alimentaire afin de s'affranchir de l'emprise des multinationales et des Etats partout vassalisés par elles. L'occasion nous est donnée de nous approprier les énergies naturelles en nous réappropriant notre propre existence. Là réside la créativité qui nous débarrassera du travail.
N. O. - Pourquoi vous sentez-vous plus solitaire que jamais ?
R. Vaneigem. - Ma solitude diffère de l'esseulement, elle est peuplée par un sentiment de solidarité. Les partisans de la volonté de vivre n'ont pas besoin de se connaître pour se reconnaître. Le combat d'un seul pour la vie est le combat de tous. Nous n'en sommes pas encore à faire primer le désir, la création, l'inventivité, la poésie sur la routine, l'ennui du travail, l'indignation larmoyante. Pourtant, si patiemment inculquée qu'elle soit, l'habitude de se courber n'a jamais empêché l'homme de se redresser. Sur les murs de la grisaille existentielle qu'élèvent autour de nous les larbins politiques de l'affairisme refleuriront quelque jour ces mots de Loustalot qui, datant de la Révolution française, n'ont rien perdu de leur insolente nouveauté : «Les grands ne nous paraissent grands que parce que nous sommes à genoux. Levons-nous !»
N. O. - Qu'est-ce qui vous révolte le plus aujourd'hui ?
R. Vaneigem. - La passivité, le fatalisme, la servitude volontaire, le fétichisme de l'argent, la prédation, l'enseignement concentrationnaire avec ses principes de concurrence, de compétition et d'obédience à l'économie, la stérilisation de la terre par la transformation du vivant en marchandise; et le manque de créativité de ceux qui prétendent combattre la barbarie avec les armes de la barbarie et non par la puissance de la vie.

Raoul Vaneigem.
Né en 1934 en Belgique, Raoul Vaneigem a participé de 1961 à 1969 aux activités de l'Internationale situationniste. En 1967, il publie le «Traité de savoir vivre à l'usage des jeunes générations». Il est l'auteur de nombreux essais. Son livre «Entre le deuil du monde et la joie de vivre. Les situationnistes et la mutation des comportements» paraît le 17 avril chez Verticales-Gallimard.

Gilles Anquetil, François Armanet. Le Nouvel Observateur.

MAI 68. D. COHN BENDIT.


Rencontre avec Daniel Cohn-Bendit.
«Qu'avez-vous fait de votre révolte ?»
L'héritage de Mai-68, la jeunesse dans un monde précaire, l'utilité de la révolte, le rapport à l'autorité...

Sophie. - J'aimerais que vous nous expliquiez comment on peut être révolté contre la société et les institutions à 20 ans et en plein dedans à 60 ans. Est-ce que vous vous êtes rangé, ou est-ce que vous avez fini votre révolte ?
Daniel Cohn-Bendit. - C'est plus compliqué que ça ! On peut toujours se révolter à 60 ans. On peut être dérangeant tout en étant dans les institutions, on peut aussi être rangé en restant en dehors... Alors est-ce que je suis rangé ? Je n'en sais rien, c'est aux autres de juger. J'estime aujourd'hui que ce que je fais en tant que député européen est important, j'y crois. Je crois en cette idée de l'Europe. Je dérange certains, j'en arrange d'autres. Une vie, c'est long. On évolue, on agit, on revient en arrière. Je ne suis pas resté figé. Prenons l'exemple d'Alain Krivine, il est resté comme il était il y a quarante ans. On aime ou pas. Je crois qu'il se trompe, mais je ne vais pas faire la leçon aux autres. Moi je considère que je suis dedans-dehors. A la fois à l'intérieur des institutions pour les faire bouger et à l'extérieur pour les critiquer si nécessaire. J'ai envie d'être atypique. La politique est pour moi quelque chose de très important, mais je ne voudrais pas m'y noyer.

Sophie. - Vous dites que vous êtes atypique, mais vous n'en avez pas marre de cette image d'ado rebelle qu'on vous colle depuis quarante ans ?
D. Cohn-Bendit. - C'est marrant, il y a cinq minutes de ça, vous me reprochiez le contraire... Il faudrait savoir : ou je suis rangé ou je suis rebelle ? Ecoutez, je vous le dis franchement, je suis comme je suis. Je ne réfléchis pas toutes les cinq minutes. Quand quelque chose me révolte, je m'exprime. Prenez les jeux Olympiques, j'ai la conviction qu'il faut foutre le bordel à Pékin ! Et je le répète sur les médias. Il y a toujours des moments où il faut interpeller les gens et s'interpeller soi-même. C'est une manière de vivre. A Pékin, les sportifs qui vont courir, sauter, nager peuvent aussi démontrer qu'ils ne sont pas d'accord, qu'ils défendent les droits de l'homme. Les journalistes citoyens, j'y crois aussi. Il y aura 8 000 à 10 000 journalistes. Ils pourront faire leur métier en Chine, pas simplement raconter les Jeux... Et puis il y aura des centaines de milliers de spectateurs. Si tout le monde se donne rendez-vous place Tian'anmen, je veux voir comment les autorités chinoises pourront en interdire l'accès. Que pourront-elles faire ? Envoyer des chars ?

Anne-Laure. - Ma mère était à Nanterre en 68. C'était le printemps, les étudiants étaient insouciants, ils connaissaient une société du plein emploi... Aujourd'hui, tout va bien pour eux. Ils sont installés. Est-ce que Mai-68, ce n'était pas que des grandes vacances qui n'ont rien donné ?

D. Cohn-Bendit. - C'était en mai. Il faisait très beau, c'est vrai. Nous ne connaissions pas le sida, ni la dégradation climatique, ni les épreuves de la mondialisation ou du chômage. Nous étions prométhéens. Tout semblait possible. L'avenir nous appartenait. Mais il faut aussi se remémorer ce qu'était la société des années 1960, l'autoritarisme de la France gaullienne, de l'Allemagne de l'époque... La génération d'après-guerre voulait juste prendre sa vie en main et s'affranchir des carcans d'une société très conservatrice. En ce sens, ce n'était pas que des grandes vacances ! Vous reprochez à notre génération de s'être «installée». Qu'est-ce que cela veut dire ? C'est vrai qu'au fil du temps on s'installe, surtout quand on a des enfants. J'avais 45 ans quand mon fils est né. Evidemment, ça change la vie. Tout d'un coup, on n'est plus le rebelle, on devient l'autorité. C'est un autre âge qui commence, une nouvelle responsabilité qu'on porte. Les gens de ma génération voulaient à tout prix être différents de leurs parents. Ils l'ont été, mais sans doute pas autant qu'ils le prétendaient... Aujourd'hui, j'observe que les jeunes n'ont plus le même souci de se différencier. Dans notre société qui ne leur fait pas de cadeau, ils veulent un boulot, un logement et une famille comme tout le monde. Je le comprends très bien. Le contexte et les enjeux ne sont plus les mêmes.

Jérémie. - Pour nous, il est surtout difficile de se projeter dans l'avenir, de s'imaginer dans dix ans. Parce qu'on se dit que tout est incertain, qu'on ne maîtrise pas l'emploi...
D. Cohn-Bendit. - Oui, il est beaucoup plus angoissant d'être jeune aujourd'hui qu'il y a quarante ans. Mais si on a envie de se révolter, on se révolte !

Jérémie. - Oui, mais contre qui ou contre quoi ?
D. Cohn-Bendit. - Ce n'est pas à moi de le dire. Mais quand les jeunes descendent dans la rue pour protester contre le contrat de première embauche (CPE), ils sont dix fois plus nombreux que les jeunes qui manifestaient en 68. La révolte est différente. Mais elle est authentique. En 1968, on se battait au nom de quelque chose. Pour les uns, c'était la Révolution culturelle chinoise, pour les autres, c'était Cuba, et pour nous, les anars, c'était la révolution espagnole de 1936, les conseils ouvriers de 1917... Tous les perdants de l'histoire étaient nos héros. Ils étaient plus sympas que les bourreaux. Bien sûr, du point de vue de la cohérence politique, ce n'était pas formidable. Se battre pour la liberté au nom de la Révolution culturelle chinoise, il y avait là une terrible contradiction. On s'en est aperçu ensuite... . Aujourd'hui, heureusement, ce genre de faux modèle, auquel je n'ai jamais cru personnellement, n'existe plus. On ne crie plus «vive Mao !», «vive Cuba !», «vive le Che !»... Les altermondialistes, par exemple, se contentent de dire qu'un autre monde est possible. Mais lequel ? Et comment y parvenir ? C'est difficile à déterminer. En tout cas, 68 ne doit pas être pris pour un modèle. Vous avez le droit d'oublier 68, ne vous en faites pas. Retenez simplement qu'il y a des moments historiques où quelque chose explose, une envie de faire avancer, de transformer la société, et que ça peut marcher.

Extraits du Nouvel Observateur. Avoir 20 ans en 2008. 2266. 10 au 16 avril 2008.

jeudi 10 avril 2008

BERNARD LAVILLIERS. RENCONTRE AVEC...


Excellente interview qui me vient en droite ligne de SUISSE.
SITE DU Lausanne-Cités.

RENCONTRE AVEC… - Bernard Lavilliers
Par PiMi, 10 avril 2008.
Lavilliers sera toujours Lavilliers et c'est tant mieux. On le retrouvera le 23 mai sur la scène de l'Arena de Genève. Pour mieux patienter, voici quelques extraits de l'interview qu'il m'a accordée à la sortie de son nouvel album intitulé «Samedi soir à Beyrouth».

- Tu rajeunis, c'est ta nouvelle coupe de cheveux?

- Je ne rajeunis pas et je blanchis. Jeune, je voulais toujours paraître plus vieux, maintenant c'est fait. Précédemment, avec les cheveux courts, on passait pour des fascistes, aujourd'hui, il n'y a plus de problèmes, de plus c'est vachement pratique, on peut se coiffer avec une serviette. J'ai aussi 61 ans et j'assume.

- Parle-moi de ton album.

- «Samedi soir à Beyrouth» c'est mon chef-d'œuvre, bien entendu pas au sens des «Compagnons du devoir». Mais il y a dans cet album, le meilleur son que j'ai pu avoir depuis longtemps. L'album est cohérent, pas trop arrangé tout en ayant de très bons musiciens. Je dois beaucoup à mes musiciens. Je dois aussi à mon père le calme que j'ai maintenant, je le copie car il est toujours vivant, je ne le renie pas, il m'a appris à dire calmement les choses que je disais violemment avant. J'écoute, avec attention, les remarques qu'il me fait de temps en temps, car il n'y a jamais rien à redire. Ma mère, elle, est une volcanique, sicilienne d'origine, très passionnelle, mes parents adorent la musique. Ce sont des gens qui ont 91 ans et sont ensemble depuis soixante-cinq ans, ils écoutent ma musique, ils lisent les nouveaux romans, ils s'intéressent à l'actualité, c'est hallucinant. Le pire pour moi, c'est quand l'un des deux va disparaître, car le survivant va avoir du mal avec l'ennui et toute notre famille va se retrouver très orpheline.Dans mon album, tous les gens que j'aime sont présents, les morts et les vivants, c'est cela «Samedi soir à Beyrouth».

- Ne crois-tu pas que si nos parents tiennent bien la route, c'est parce qu'ils ont des enfants magnifiques, des enfants qui ne cèdent jamais. Depuis que je te connais, tu es toujours le même tout en ayant changé?

- C'est vrai, nous sommes plusieurs en famille, avec des destinées différentes et comme nos parents, nous ne cédons pas, nous ne baissons jamais les bras. Mon père, quand il entend Sarkozy dire qu'il faut travailler plus pour gagner plus, se sent offensé, il s'offense calmement. Plus je vieillis, plus je deviens comme lui et je constate que je suis plus entendu que quand je dis les choses avec violence.

- En écoutant beaucoup ton disque, j'ai eu l'impression que c'était un peu comme un passage de témoin, c'était ton intention?

- Un jour, un Africain m'a dit: «Si on ne peut pas danser sur ta musique, personne ne l'entendra». Nous, les artistes, nous ne sommes pas là seulement pour noircir le tableau, nous sommes aussi là pour ensoleiller les imaginations, pour donner du rêve. Il faut embraser les désirs, donner de l'amour, provoquer des frissons, nous devons faire peur et puis rassurer, faire rire et pleurer et surtout ne jamais se prendre au sérieux. Une chanson ce n'est pas comme un tableau que l'on possède ou que l'on va voir dans un musée, une chanson appartient au public. Ce public c'est des milliers de personnes différentes qui s'approprient cette chanson, elle devient la leur, selon leur histoire, leur vécu. C'est peut-être cela le passage de témoin.

- Dans ton album Ferré m'a semblé omniprésent?

- C'est vrai, il y a des choses de Léo, mais aussi d'Aragon, de Caussimon, de Rimbaud «par délicatesse, j'ai perdu ma vie…», putain, que c'est beau, c'est dingue de dire des choses pareilles à 20 ans. C'est comme Brel qui a fait toute sa carrière en vingt ans. Tous des êtres exceptionnels et déchirés. C'est en étant déchirés que l'on est vivant, les gens qui veulent se mettre à l'abri sont comme dans un cercueil plombé, plus rien ne les touche, rien ne les fait changer d'avis, c'est les «Bourgeois» dont parlait Brel.
http://www.bernardlavilliers.net/Roubaixcolisee.htm
Toutes le dates de concerts :

ART ET LIBERTE.

Arnold De Spiegeleer.

N’eus nemet blas ar frankis gant ar gwerziou
Ne Zigoront ket doriou an toullbac’h
Gilles SERVAT.
(Les chants ont seulement le goût de la liberté
Ils n’ouvrent pas les portes des prisons.)

.

On nous présente l'expression artistique comme le sommet de la liberté.
Je ressens au plus profond de mon être que toute forme d’art provient de la frustration d’une limitation.
Simple enfermement dans la vie qui est déjà si « étroite ».
Restrictions supplémentaires de notre expansion par les répressions d’une société liberticide.
A fortiori…