mardi 29 avril 2008

COURS MOINS VITE CAMARADE, LA FIN DU MONDE EST DEVANT TOI.


Blog : La France de tout en bas.
Chronique de Thierry Pelletier. Saisonnier de la galère.
29/04/2008.


Honoré est toujours le premier à venir chercher ses médicaments, à 6h30 tapantes. La Bible à la main, un crucifix en bois autour du cou, gros pull, lunettes et coupe au bol, on dirait Francis Heaulme en plus joufflu. Grand schizophrène d'ordinaire peu loquace, il est pour une fois en veine de conversation :
— Salut Honoré, ça va, bien dormi ?
— Fort bien, j'ai prié avec ferveur ce matin, mon esprit est tout entier tourné vers le Seigneur.
— Super ! Ça c'est une journée qui commence bien !
Il décortique avec application tous ces merveilleux cachetons qui rendent la vie un peu plus vivable en la vivant moins, les gobe, puis reprend :
— Vous avez vu Sarkozy à la télé, l'autre soir ?
— Non Honoré, vous savez, je n'ai pas la télé.
— Vous n'aimez pas la télé ?
— Pas trop, je trouve que c'est une perte de temps.
— Pour ma part je dirais même que c'est de la corruption mentale, une perversion de l'esprit.
Et il part tranquillement déjeuner après m'avoir conseillé l'oracle de la destruction de Babylone d'Esaïe.

Non je n'ai pas assisté au récital du président, mais je me suis rencardé, j'ai lu les commentaires de la presse, pas mourir idiot ! Si j'ai bien tout compris, il aurait reconnu avoir un tout petit peu loosé, sur la question du pouvoir d'achat notamment, mais c'est pas de sa faute, c'est à cause de la conjoncture internationale, les subprimes, tout ça... Il a hardiment vilipendé ce «capitalisme financier qui marche sur la tête» et entend même le moraliser. C'est courageux mais ça va pas être fastoche, sa ratification du traité de Lisbonne, au plus parfait mépris du résultat du référendum, entérine la libre circulation des capitaux. Je pensais que, fidèle à son esprit d'ouverture, il allait charger de mission Denis Robert, qui en connaît un bout sur le sujet, pour l'épauler dans cette tâche ardue, mais non, il a choisi une voie bien plus audacieuse, ne rien changer, accélérer les réformes.
C'est bien simple l'ultra libéralisme, sympa, raisonnable et indispensable nous sauvera de l'ultra libéralisme fou. Sempiternel procédé mafieux qui consiste à offrir la protection de sa force comme seul recours aux victimes de sa propre violence. Mobilisation générale sur le front de la croissance, celle qui fait fondre de plaisir ces fichus glaciers, produisons plus, consommons plus, brûlons plus de gas-oil, tous au travail qui rend libre de ne pas voir le cauchemar ou nous emmènent ces hallucinés.
Tant pis si l'ère du pétrole est achevée, tant pis si la place prise par les bio-carburants condamne tant de populations à la famine, les mêmes «experts», les mêmes pourceaux stipendiés continueront à traiter les rares scientifiques qui nous préviennent depuis si longtemps de talibans écolos, et puis nous avons bien assez de flics pour refouler les impudents crevards qui auraient l'audace de venir chercher de quoi bouffer chez nous. Tant pis si on délocalise, si on licencie à tour de bras, les mêmes «experts» continueront à affirmer que le chômage est en baisse.
De ces questions, l'unanimité des médias se contrefout, obsédée par les sondages, la performance d'acteur, la stratégie employée, reconnaissant ainsi implicitement que la recherche de la vérité ou du bien-être général n'ont plus rien à faire ici. Après avoir klaxonné «bling bling» à qui mieux mieux, les journalistes les plus subversifs cancanent aujourd'hui «couac couac» à la queue leu leu.
Je ne vois moi aucun couac mais au contraire une profonde cohérence, une logique parfaite guidant l'action de notre président et de ses employeurs, pardon de ses amis.
La misère et l'ignorance sont des armes politiques. On supprime 10 000 postes de profs mais on propose d'encabaner les minots de moins de treize ans. «Les enfants du bagne» chers à Marie Rouanet sont de retour, quelle régression. Là encore personne dans les médias pour se pencher sur les mécanismes qui transforment toujours plus de loupiots en gremlins déjantés.
Un peuple instruit, bénéficiant d'une relative aisance matérielle, d'acquis sociaux, de services publics gratuits et performants, c'est chiant, ça en veut toujours plus, ça connaît ses droits, ça revendique, ça se syndique, ça veut pas faire n'importe quel boulot pourri pour se payer ses surimis…
En revanche, la paupérisation accélérée de pans entiers de la population, l'écroulement des classes moyennes, l'éducation et la formation dispensée selon les moyens des parents, permettent de pérenniser le pouvoir de l'oligarchie et des castes qui la soutiennent.
Et si d'aventure, tout en bas, ça branle un peu trop dans le manche, la déculturation généralisée permet de détourner la colère sociale vers un bouc-émissaire consensuel, le musulman aujourd'hui, comme le juif avant-hier, les prétoriens n'auront pas trop à se fouler le tonfa.
A l'allure où va le monde, le «Talon de fer» de London sera bientôt notre quotidien, New York 1997 nous semblera une utopie néo-fourieriste, Spinrad un auteur de contes pour enfants, et encore si on a du bol, si ça tourne pas Mad Max et Malevil réunis.
Face aux timbrés du profit, en France la résistance s'organise. Au PS, on propose d'en causer un de ces quatre, une commission est chargée de débattre d'une date où pourraient commencer les débats, quant au facteur sympa, il a promis de créer un parti anticapitaliste super chanmé dès la rentrée, à son retour de la plage. Le Pen n'ayant pu s'empêcher, de dépit de s'être fait chouraver tous ses gimmicks, de refaire un peu de négationnisme sous lui, les antifascistes vont se défouler un brin, ça fera des vacances aux joyeux turlupins républicains de l'UMP qui ont bien du travail pour finir d'annihiler l'intégralité des acquis hérités du Conseil National de la Résistance.
Et moi je continue à me taper une heure de route pour distribuer depuis dix ans, les mêmes «remèdes» aux toxicos, aux SDF et aux handicapés, afin que tous ces ininsérables ne nous cassent pas trop les pieds, tout en me demandant comment je vais expliquer la situation à mes mômes d'ici quelques années.
Le spectacle du chef de l'Etat s'empêtrant dans ses contradictions, affirmant tout et son contraire avec le même aplomb, négatif exact du karcherisable racaillou paniqué, pris la main dans le sac à la dame, a quelque chose de terrifiant. Il nous oblige à comprendre une fois pour toutes qu'il n'y a pas de grandes personnes, d'homme providentiel. Il nous faut sortir du curieux rêve du citoyen confiant, du contribuable tranquille, il faut se réveiller. L'abbattement est profond.
A ce monde qui «n'irait pas si vite s'il n'était pas constamment menacé par la proximité de son effondrement» (L'insurrection qui vient, Comité invisible, La Fabrique éditions), il va nous falloir opposer notre lenteur, notre inertie, notre mauvaise volonté, la désobéissance, la désertion, tous les moyens qui permettent d'éviter le choc frontal, parce que «combattre l'Empire revient à être contaminé par sa déraison. Paradoxe : quiconque défait un fragment de l'Empire devient l'Empire ; l'Empire se propage comme un virus, il imprime sa forme sur ses ennemis».(Siva, Philippe K.Dick).
Finalement le passage que m'avait conseillé Honoré ne m'a pas emballé. En revanche, j'ai trouvé, en feuilletant la Bible au pif, ces extraits qui pourraient inspirer le chanoine de Latran :
«Celui qui aime l'argent n'est pas rassasié par l'argent et celui qui aime la richesse ne l'est pas par le revenu. Cela aussi est vanité... Le rassasiement du riche ne le laisse pas dormir.»(Ecclésiaste 5,10,12)
«Que ferez-vous au jour de la destruction ? Vers qui fuirez-vous pour avoir du secours et où laisserez-vous votre gloire ?»(Esaïe 10,3)

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