samedi 24 octobre 2009

INTERNET : APRES LA MUSIQUE, LE TEXTE...

Nº2346. NOUVEL OBSERVATEUR. SEMAINE DU JEUDI 22 Octobre 2009.
Aux Etats-Unis, où les lecteurs numériques commencent à devenir grand public, les éditeurs voient avec effroi se multiplier les sites illégaux de téléchargement
De notre correspondant aux Etats-Unis.

Quand il s'est mis en quête d'une copie électronique pirate du dernier Dan Brown, Randall Stross, un journaliste de la Silicon Valley, n'imaginait sans doute pas une pêche aussi miraculeuse : Attributor, une société qui aide les éditeurs à combattre le piratage, lui en a déniché 106 exemplaires, disponibles sur 11 sites différents ! Mais le plus étonnant est le commentaire que lui a servi une porte-parole de Rapidshare, un site d'échange de fichiers électroniques : si vous êtes un auteur mécontent de voir vos livres piratés, faites comme le groupe de rock Nine Inch Nails, assurez votre promotion «en distribuant l'essentiel de votre contenu gratuitement».
Sortir du ghetto.
On verra peut-être un jour Frédéric Beigbeder gagner sa vie d'écrivain en organisant des lectures publiques au Zénith, les tickets se revendant à prix d'or au marché noir. En attendant, l'édition américaine se retrouve entre le marteau et l'enclume, dans une situation radicalement nouvelle qui pourrait présager l'avenir de l'édition mondiale. Le marteau ? Une guerre des prix sans merci sur le terrain des livres électroniques. Wal-Mart, le géant des hypermarchés, est lancé dans un mano a mano avec Amazon, les deux sites offrant des best-sellers en version électronique à 9 dollars (6 euros), soit, si l'on prend par exemple le prochain thriller de Michael Crichton, une réduction de 78% sur le prix public conseillé. Le rabais n'a rien de temporaire : de la même façon que les Américains se sont habitués à ne pas payer leur journal sur internet, dépenser moins de 10 dollars pour le dernier best-seller risque de devenir rapidement la norme.
Le livre électronique, en 2009, est vraiment sorti de son ghetto. Il ne représente encore que 1,6% des ventes de livres, mais le premier semestre affiche une progression de 174% sur la même période de 2008. Surtout, les supports électroniques se bousculent au portillon : au Kindle d'Amazon (45% de part de marché) et au Reader de Sony (30%) vont s'ajouter un lecteur de Best Buy, le géant des magasins d'électronique grand public et - dernier-né - le lecteur de Barnes & Noble, la plus grande chaîne de librairies d'Amérique, qui offre déjà 700 000 titres d'ouvrages en ligne. Certes, selon l'analyste Forrester Research, Amazon ou Sony devraient abaisser le prix de leurs lecteurs à 50 dollars pour qu'ils deviennent un produit de masse.Mais en attendant, Google Editions, une librairie virtuelle de 500 000 titres qui devrait voir le jour l'an prochain, a de quoi inquiéter les éditeurs. L'enclume ? C'est le piratage. Les lecteurs électroniques acceptent un nombre croissant de formats, dont le PDF, lisible par exemple sur un Kindle DX. Le piratage devient donc de plus en plus facile, en recourant à des sites d'échange de fichiers comme Rapidshare, domicilié en Suisse, Megaupload, Hotfile ou encore MediaFire. Le phénomène est encore à des années-lumière du téléchargement de fichiers musicaux, qui a décimé l'industrie du disque, mais il est suffisamment préoccupant pour qu'un éditeur américain, John Wiley & Sons, ait affecté trois personnes à temps plein pour traquer les copies illégales téléchargées sur internet.
Et déjà le débat fait rage dans le petit monde des éditeurs, qui ne parlaient que de cela à la Foire de Francfort : faut-il s'arc-bou- ter et résister, comme l'avait fait - avec l'insuccès que l'on connaît - le monde de la musique face à Napster, ou au contraire rechercher un nouvel équilibre économique peuplé de best-sellers à 10 dollars ? Aucune réponse définitive, mais une évidence : un livre, comme une chanson, un film ou un article de journal, est un produit qui peut être codé en milliers de 0 et de 1, puis envoyé par un simple clic d'ordinateur. S'il connaît la même «napstérisation» que ses homologues du son ou de l'image, c'est toute l'édition mondiale qui devra repenser son avenir.
Philippe Boulet-Gercourt.Le Nouvel Observateur.
http://hebdo.nouvelobs.com/hebdo/parution/p2346/articles/a411318-.html
 

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