mardi 13 mai 2008

SYNDICALISTE AVANT TOUT. DANIEL GUERIN 1936.



Chez les syndicalistes, j'avais parfois souffert d'un manque de vues politiques générales; chez les pivertistes, par contre, je souffrais de leur origine non ouvrière, de la distance relative qui les séparait de l'authentique prolétariat et de ses problèmes.

Et, surtout, je n'avais guère confiance, malgré mon retour tardif à la S.F.I.O., dans l'action des partis politiques.

Ma réadhésion au Parti socialiste n'avait été qu'un pis-aller, une tentative d'échapper à un isolement stérile. Mais les moeurs, le formalisme et la vétusté de cette vieille maison me rebutaient.
Je n'étais pas à l'unisson de mes camarades lorsqu'ils jouaient le jeu du parti, lorsqu'ils prenaient au sérieux son rituel désuet, lorsqu'ils pensaient en thermes arithmétique de tendance, de congrès fédéral, de statuts, etc.
Par contre, j'étais pleinement avec eux lorsqu'ils tentaient de s'implanter et de faire entendre leur message hors du parti, au sein des larges masses ouvrières.

Au fond, j'étais demeuré un syndicaliste révolutionnaire. La révolution menée par les syndicats était pour moi la meilleure des révolutions, celle qui éviterait l'hiatus, l'arrêt prolongé du mécanisme de la production, qui assurerait la continuité technique grâce à des comités préparés à assurer la gestion, enfin, qui dispenserait les travailleurs de passer par les fourches caudines de technocrates autoritaires.

Tel était, en effet, pour moi, le dilemme : ou bien le syndicalisme serait en mesure de se substituer à l'Etat, de produire et de répartir lui-même les fruits du travail, de fournir les cadres et de s'identifier avec la structure de l'économie future, ou bien, pour éviter le chaos, la classe ouvrière serait assujettie à la dictature de quelques intellectuels.

Le syndicalisme, à mes yeux, n'était pas une idéologie, mais une organisation, l'organisation, le rassemblement des producteurs sur les lieux du travail, l'ordre en face du désordre.
Le jour où les militants ouvriers auraient une mentalité de successeurs, la révolution serait au trois quart accomplie.
(...)

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