vendredi 27 juin 2008

NOURRIE, LOGEE, BATTUE.


Elles viennent en France pour poursuivre des études ou pour des vacances. Tombées aux mains de «familles d’accueil» qui les exploitent, ces jeunes filles souffrent des années avant d’oser se confier.
Gaël Cogné
LIBERATION QUOTIDIEN : vendredi 27 juin 2008.

«Je suis arrivée en France à 17 ans.
Une amie de la famille avait proposé de me payer les billets. Je devais suivre des études.»
Comme pour beaucoup d’esclaves domestiques, l’histoire de Salima Sy (1) commence par la promesse d’un conte de fées. Une trop belle opportunité. «En arrivant, j’étais très impressionnée. Il faisait un peu frais. C’était tellement différent de Dakar.»

Fin du conte de fées.
Aujourd’hui, elle a 29 ans et travaille comme vendeuse dans un magasin de prêt-à-porter. Les contes de fées sont loin. Entre-temps, elle a vécu cinq ans dans un appartement de Saint-Germain-en-Laye (Yvelines). Asservie. Rapidement, il n’a plus été question de suivre des études. Passeport, visa et titres de séjour confisqués, la jeune fille doit aller chercher les enfants de l’«amie de la famille» à l’école, les nourrir et faire «la boniche». Salima Sy subit menaces et brimades, perd la notion du temps, devient une ombre qui fuit les questions des voisins, passe la majorité de son temps enfermée.
Il faudra cinq ans pour qu’une assistante sociale, amie de son frère, vienne la chercher et la confie au CCEM (Comité contre l’esclavage moderne). Viennent ensuite les procédures judiciaires et l’accompagnement. Salima Sy a la chance d’être placée dans une famille d’accueil. «Ils on été très gentils avec moi.» Heureusement, car au début, Salima Sy est complètement déconnectée. «C’était très difficile», confie-t-elle. Elle reste évasive sur la manière dont elle a remonté la pente.

Aminata (2), elle, est arrivée en France à onze ans.
«Je suis venue pour des vacances, mais ce n’était pas vraiment des vacances.» Le récit de son parcours se calque sur celui de Salima : une douche par semaine, travail continuel, couchage sur un canapé, violences et pressions. Elle n’est autorisée à laver ses vêtements que trois fois par an. La femme qui l’exploite lui soutient qu’elle connaît « les assistantes sociales, inutile d’aller les voir, elles te ramèneront. La police, ils sont méchants, ils vont te violer». Aucune issue . «Elle me frappait et m’a dit un jour que ça lui faisait plaisir de me voir souffrir.» La jeune fille, crédule, n’ose d’abord pas se confier à la voisine qui l’y invite. Mais elle finit par lui faire confiance. Elle échappe finalement à son «employeur».
Une fois libérée, il faut réapprendre à vivre. Dans le foyer de jeunes travailleurs où elle est hébergée, elle «ne dor[t] pas», «fai[t] des cauchemars», se retrouve à l’hôpital, confie-t-elle, de l’émotion dans la voix. «Lorsque je prenais le bus, je me sentais mal à l’aise, j’avais l’impression que tout le monde savait ce qui m’était arrivé. J’avais peur de m’approcher des gens. Quand j’en parlais, je voyais que ça rendait les gens tristes.» Un an de travail avec une psychologue a été nécessaire pour qu’elle commence à aller mieux. Longuement, elle prépare avec le CCEM la confrontation avec son exploiteuse au commissariat. Ça lui redonne confiance en elle. «Elle a essayé de m’impressionner mais j’étais prête.»
Nagham Hriech Wahaby est psychologue à l’association Esclavage tolérance zéro (ETZ), à Marseille. Elle a l’habitude de ce type de situation : «Elles témoignent, racontent, mais ne se racontent pas.» Difficile de parler de soi. «Quand les assistantes sociales demandent : "Comment allez-vous ?", ça les perturbe, ça fait dix ans que personne ne le leur a demandé.» Pour la psychologue, il n’y a pas de recette miracle. Il faut s’adapter à chaque situation, mais le temps est toujours un atout. «Il faut se réapproprier sa capacité à être sujet. Il est aussi important d’avoir un espace où l’on est écouté.»

Premier appartement.
La semaine dernière, Aminata emménageait. «C’est mon premier appartement. C’est chez moi. Je fais une formation en alternance en restauration dans une maison de retraite et je gagne 450 euros par mois. Je me débrouille pour vivre toute seule avec ça», lance-t-elle fièrement. «Je vais aller voir mes parents au pays. Je n’y suis pas retournée depuis mes 11 ans.»

(1) Relatée dans son livre, Personne ne voulait me croire, Editions du Toucan, 2008.
(2) Le prénom a été changé.

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