jeudi 26 juin 2008

QUAND L'ECOLE COGNAIT.


Nº2277. SEMAINE DU JEUDI 26 Juin 2008.
Le Nouvel Observateur. Quand l'école cognait.
On peut cogner, on peut fouetter. Mais gifler, Non.
Dans la longue histoire des châtiments corporels à l'école, le soufflet n'a jamais été bien vu. Même au XVIe siècle, lorsqu'on ne lésine pas sur les corrections. Les jésuites l'ont exclu (au moins en théorie) de l'arsenal punitif. C'est écrit noir sur blanc en 1599 dans leur charte pédagogique, le ratio studiorum. Lorsqu'un siècle plus tard il fonde la congrégation des frères des Ecoles chrétiennes, Jean-Baptiste de La Salle proscrit lui aussi la gifle. Les uns et les autres lui préfèrent l'usage d'un instrument. Pour les jésuites, c'est le martinet, auquel la figure du père Fouettard renvoie aujourd'hui. Les frères des Ecoles chrétiennes sont invités, eux, à privilégier la férule (petite palette de bois ou de cuir). Tout plutôt que la main ou les coups de pied.
Cette subtilité a été pensée : l'école doit se distinguer de l'univers familial ou des fripons qui manient le bâton. «Il en va de la préservation des prérogatives de la fonction enseignante», commente Eirick Prairat (1), professeur de sciences de l'éducation à l'université Nancy-II. Il faudra attendre le XIXe siècle pour voir les premiers textes interdisant les sévices aux écoliers, et la deuxième moitié du XXe siècle pour les voir respecter. Sous l'Ancien Régime, on se contentait juste de les codifier.L'historien Dominique Julia (2), qui connaît son Jean-Baptiste de La Salle sur le bout des doigts, peut presque réciter de mémoire chacun des préceptes du pédagogue : «Ne pas donner plus d'un coup de férule à la fois sur la main d'un écolier. Eviter de répéter l'opération plus de trois fois dans une demi-journée. Limiter l'utilisation des verges ou du martinet, ne jamais frapper sous l'emprise de la colère et adapter les corrections au caractère de l'élève», etc.
Dans les faits, c'est une autre histoire. Les instituteurs sont imprégnés de l'idée selon laquelle «douleur et souffrance creusent une antériorité dont on se souvient. On n'oublie jamais lorsqu'on s'est coincé les doigts dans une porte», ironise Eirick Prairat.
Et puis il y a la Bible, dont les proverbes décomplexeraient n'importe quel tyran. N'y lit-on pas que «la folie est ancrée au coeur du jeune homme [et que] le fouet de l'instruction l'en délivre» ? Il faut mater ce petit «être tordu et pervers». C'est ainsi qu'on perçoit l'enfant jusqu'à la fin du XVIIIe siècle. Jusqu'à ce que Jean-Jacques Rousseau, inspiré par quelques médecins, présente l'enfant comme «une promesse» dont il faut accompagner le développement.
Mais cette petite «promesse» devra encore patienter avant d'être débarrassée de la tyrannie de ses maîtres.La Révolution ne change pas grand-chose à l'affaire. Certes, on a basculé dans une autre époque. La discipline inspirée du modèle monacal sous l'Ancien Régime a vécu. Mais elle a été remplacée par une discipline toute militaire dans les lycées napoléoniens. Dans son processus de laïcisation, l'enseignement va cependant chercher à se démarquer des siècles précédents. Tout au long du XIXe, entre 1820 et 1880, «un ensemble de règlements qui tentent d'exclure le châtiment corporel sont édictés», note l'historien Jean-Claude Caron (3). Mais dans les faits, chez les frères des Ecoles chrétiennes par exemple, c'est encore férule, verge et Cie. Professeur d'histoire contemporaine à l'université Blaise-Pascal de Clermont- Ferrand, Caron a listé une série de plaintes parentales, dont certaines portées en justice. Dans les collèges et lycées plus fréquentés par des enfants de bourgeois, les punitions changent de nature. C'est la grande époque des cachots. Rien qu'à Louis-le-Grand, on en compte 13. C'est aussi celle des pensums, bonnets d'âne, port d'écriteaux, etc.
Les révoltes lycéennes, et notamment celle de Louis- le-Grand en 1883, auront, précise Eirick Prairat, «une influence déterminante sur le contenu du décret du 5 juillet 1890» qui confirme l'interdiction des sévices corporels. Mais c'est bien plus à l'influence des médecins et de la pensée hygiéniste des années 1860-1870 que l'anatomie des écoliers devra progressivement un répit. Au XXe siècle, les pédagogies nouvelles feront le reste. Car, comme le dit Eirick Prairat, «ce qui clôt une pratique, c'est la claire conscience de son inutilité». Certes, tout n'est pas linéaire. Jusque dans les années 1960, il n'était pas rare de se faire taper sur les doigts ou bien sur la tête par les enseignants. Et la gifle reste parfois un réflexe.
La preuve par José Laboureur.(1)«La Sanction en éducation», PUF, «Que sais-je ?», 2007.(2) A codirigé l'"Histoire de l'enfance en Occident. De l'Antiquité à nos jours", Seuil, 1998.(3) "A l'école de la violence. Châtiments et sévices dans l'institution scolaire au XIXe siècle", Aubier, 1999.

Nicole Pénicaut. Nouvel Observateur.

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