jeudi 19 juin 2008

CRISE DU SOJA.

La crise du soja culmine en Argentine.
De notre correspondant à Buenos Aires ANTOINE BIGO.
LIBERATION QUOTIDIEN : jeudi 19 juin 2008.

Il n’y a plus de steak au pays de la viande. Ni d’huile au supermarché. Dans le centre de Buenos Aires, il faut faire la queue devant les boutiques de change pour acheter des dollars, seule valeur refuge à l’approche d’une de ces tempêtes qui balaie régulièrement l’économie argentine. L’inflation frôle les 30 % et la fronde du campo (la campagne) qui réunit pour la première fois toutes les associations rurales - des petits fermiers des contreforts des Andes aux barons du soja de la Pampa - paralyse le pays.

Furie. Depuis cent jours, les agriculteurs coupent les routes et bloquent les exportations de grains et de céréales. Ils refusent d’être la vache à lait du gouvernement péroniste de Cristina Kirchner qui a augmenté de 25 % les taxes à l’exportation du soja et de ses dérivés, dont l’Argentine est le troisième exportateur mondial.
A quelques semaines de la récolte, en mars, cette décision, qui a déjà coûté la tête d’un ministre de l’Economie, a déclenché la furie du campo : «Les autorités oublient que les prix des engrais, des carburants, du loyer des terres et du transport a augmenté et réduit notre rentabilité. L’intransigeance du gouvernement risque de convertir une opportunité historique en une crise économique et politique de plus», avertit Eduardo Althabe, qui cultive 1 000 hectares dont 400 de soja au sud de Buenos Aires.

Avec des prix tirés vers le haut par la demande chinoise et une hausse de 30 % des cours en 2007, les revenus du soja - qui représentent la moitié des 30 millions d’hectares cultivables en Argentine et 50 % des exportations - sont une rente pour l’Etat. Mais l’invasion de cette plante oléagineuse a un impact désastreux sur l’environnement et entraîne la disparition des cultures traditionnelles ou vivrières moins rentables.
Même la viande dont l’Argentine est le plus gros consommateur au monde (69 kilos par an et par personne) doit être subventionnée par le gouvernement. Car la vente des bêtes en peso sur le marché intérieur ne rapporte rien par rapport au tourteau de soja payé en dollar par la Chine.
Depuis la crise immobilière américaine, les flux financiers internationaux, alléchés par la rente agricole promise par cet «or vert» achètent des dizaines de milliers d’hectares et renforcent la concentration des terres. Aujourd’hui en Argentine, 20 % des agriculteurs du soja se partagent 80 % des cultures et 2 % concentrent la moitié de la production.

Mal expliqué. Intensive, très mécanisée et gourmande en engrais, la culture du soja transgénique a éjecté des campagnes les petits agriculteurs. Pour le gouvernement, la hausse des taxes à l’exportation avait deux objectifs : financer un programme de construction d’hôpitaux et de logements sociaux, et ralentir «l’extension de cette mauvaise herbe au détriment des aliments sur la table des Argentins».
Cet essai a été très mal annoncé et expliqué. Il a entraîné une jacquerie ponctuée de manifestations de soutien spontanées dans les villes. Des rassemblements inédits depuis l’effondrement de l’Argentine en décembre 2001.


Aucun commentaire: