jeudi 12 juin 2008

LE PETROLE A 200 $...

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Deux documents pour discuter..., se faire son idée ...
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L'Hebdo. (hebdomadaire suisse). Edition du 12.06.2008.
Le pétrole à 200$, une vraie bombe sociale.
Par Rana Foroohar.
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Le prix du baril pourrait atteindre 200 dollars ces prochains mois. A ce niveau, tout va changer, pas seulement le prix de l’essence.
Bienvenue dans un monde nouveau.
Le prix du litre d’essence vient de passer la barre des 2 francs. Un seuil psychologique aux conséquences immédiates: les gens roulent moins, les voitures vendues sont moins gourmandes, notre conscience écologique se réveille un peu. Mais, au fond, rien qui change vraiment nos habitudes de vie. Si la hausse se poursuit, si le pétrole, comme le prévoient certains experts, atteint les 200 dollars le baril dans quelques mois, ce sera différent. Un tel prix, estime Rana Foroohar dans le magazine Newsweek, aura des conséquences globales énormes, sur notre manière de vivre et sur toute notre société.
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1. Un énorme transfert de richesses.
Un pétrole à 200 dollars, cela signifie que les réserves des seuls pays du Golfe vaudraient 95 trillions de francs, soit deux fois la valeur de toutes les entreprises cotées en bourse de la planète, selon la banque Morgan Stanley. Manque de chance, la majeure partie de cet argent irait dans les caisses d’Etats peu démocratiques, voire même dangereux, comme l’Arabie saoudite, l’Iran, la Russie ou le Venezuela.
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2. L’explosion de la corruption.
Avec la hausse des prix, de nombreux nouveaux pays deviennent producteurs d’or noir, comme le Cambodge ou le Timor Est. Des pays qui n’ont pas l’infrastructure administrative pour gérer sereinement cet énorme afflux d’argent. Résultat, pour Rana Foroohar, une probable explosion de la corruption, d’investissements de prestige et un énorme gaspillage de ressources.
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3. La multiplication des guerres.
Le pétrole et ses richesses fait tourner les têtes. Un tiers des guerres civiles sont dues à l’or noir. Des guerres qui poussent les prix de l’or noir à la hausse, hausse qui, à son tour, incite de nouvelles ethnies locales à réclamer leur part du gâteau, au besoin en prenant les armes.
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4. La mise à mal des valeurs occidentales.
L’argent du pétrole permet déjà à l’Arabie saoudite de financer le cinéma égyptien, en lui imposant ses valeurs morales, ou au président du Venezuela d’exporter sa révolution. La montée en puissance des pays du Moyen-Orient ou de la Russie va générer un inévitable néocolonialisme, estime Newsweek. Un néocolonialisme peu favorable aux grandes idées occidentales comme la démocratie, les droits de la femme, l’importance de la société civile ou la défense de l’environnement.

5. La fin de la mondialisation.
A 200 dollars le baril, les coûts des transports seront si élevés que bien des délo-calisations ne seront plus rentables. Les pays ne vont pas se replier sur eux-mêmes, mais on verra les Etats-Unis de plus en plus commercer avec l’Amérique du Sud, ou le Japon avec la Chine. Finis les jeans qui faisaient deux fois le tour du monde pour être fabriqués.

6. Nos entreprises rachetées.
L’actionnariat des entreprises, par contre, va devenir nettement plus international. Ces centaines de milliards de pétrodollars vont être en grande partie investis dans les actions des multinationales, dans des devises, dans des fonds de matières premières. Cette montée en puissance des fonds souverains va provoquer des réactions d’abord de méfiance, ensuite de défense de la part des gouvernements occidentaux.
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7. Une probable récession.
Même avec un pétrole à 200 dollars, les gens vont continuer à utiliser leur voiture. Mais s’ils dépensent plus pour l’essence, ils devront bien économiser ailleurs. Donc, moins d’achats de vêtements, de meubles, d’appareils électroménagers. Pas très bon pour la croissance économique, tout ça.
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8. Le mirage des énergies propres.
A court terme, les énergies renouvelables ne sont pas une solution, assure la journaliste de Newsweek. Qui rappelle un simple chiffre: l’année dernière, la production mondiale d’éthanol s’est élevée à 50 milliards de litres (à coup de subsides énormes aux fermiers). A peine plus que la production d’une seule grosse plateforme pétrolière.
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9. Une seule vraie solution.
Que faire alors pour éviter l’apocalypse? Sur le long terme, multiplier les soutiens aux énergies vertes. Et surtout arrêter de subventionner l’essence ou le pétrole. Ce qui équivaut à faire comme si de rien n’était et n’incite personne à changer ses habitudes. Reconnaissons enfin que le pétrole est une ressource finie, qui est en train de s’épuiser. Sur le court terme, il existe une solution miracle: arrêter de gaspiller. Selon Newsweek, on pourrait réduire de 25% la consommation mondiale de pétrole en prenant des mesures simples comme la réduction de la vitesse sur les routes, l’isolation des immeubles, etc.
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Cette prise de conscience globale avait eu lieu dans les années 70, suite au premier choc pétrolier (on se souvient, par exemple, des dimanches sans voiture). Si elle se répète aujourd’hui, et dure, la hausse du pétrole aura au moins eu un effet bénéfique.

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Pourquoi la hausse du baril est une chance pour bouger notre monde...
Par Denis Delbecq et Vittorio de Filippis.
LIBERATION.FR : jeudi 16 novembre 2006.
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La fin du pétrole n'est pas pour demain. Mais la fin du pétrole bon marché est avérée.
Le baril à trois cents dollars n'est plus un mythe. Experts, banquiers, militants, militaires, planchent déjà sur ce futur possible, pour ne pas dire proche.
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La difficulté croissante à étancher la soif planétaire en pétrole est chaque jour plus évidente. Le Nord pompe à tour de bras depuis près de cent cinquante ans, et le Sud aspire logiquement à le rejoindre. La consommation mondiale, les formidables tensions géopolitiques, tirent le prix du baril vers le haut dans une spirale infernale.
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Cette situation provoque des raisonnements en noir et blanc. Les optimistes parient que la technologie, l'argent dégagé par un pétrole cher, doperont l'exploration et la découverte de nouveaux gisements. Les autres voient le compte à rebours déjà enclenché, le monde consommant presque autant en vingt ans qu'il ne l'a fait depuis la construction du premier derrick : technologie ou pas, d'ici deux décennies, peut-être même une seule, l'or noir aura quasiment disparu.
Et bien avant cela la carte politique du monde risque d'être profondément bouleversée, car les pays assoiffés d'or noir n'assistent pas les bras ballants au désastre annoncé.
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Nous réagirons.
Aujourd'hui ? Demain ? Une seule certitude, ce sera sans doute tard, et notre inertie risque fort de gripper les rouages d'une mondialisation triomphante. Sans même parler des autres conséquences de cette fringale d'or noir ­ pollution, réchauffement du climat, montée des océans ­ considérées en général comme quantité négligeable.
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Qui se soucie des populations les plus vulnérables, de celles qui, par centaines de millions, seront les premières victimes d'un pétrole toujours plus cher, qu'elles ne pourront plus s'offrir ?
Qui, hormis les scientifiques, économistes, anthropologues, écologues, agronomes, physiciens de l'atmosphère et ONG, s'inquiète de la facture des coûts externes engendrés par une planète shootée au pétrole ? Pas les politiques.
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Pourtant, dès la conférence de Stockholm en 1972, l'environnement s'est invité dans les débats, et les Etats ont été confrontés à la réalité de leur interdépendance planétaire. Certes, en 1992, la conférence des Nations unies sur l'environnement et le développement de Rio de Janeiro a débouché sur nombre de conventions d'importance majeure, sur le climat par exemple, ou encore la biodiversité. Enfin, le sommet de Johannesburg en 2002 a tenté de considérer le développement social comme la clé de voûte du développement durable. Mais tout cela avec les résultats qu'on sait : trois fois rien. La prise de conscience est réelle, mais les actes tardent. Et le pétrole n'en finit pas de s'envoler sans autre conséquence que de durcir la vie quotidienne.Et si, pourtant, ce baril hors de prix avait des vertus ? Aujourd'hui, personne ou presque ne se soucie de consommer mieux, c'est-à-dire de consommer moins de ressources et surtout d'énergie. En dépit d'un engouement sans précédent, les énergies «propres», sans hydrocarbures ni déchets à long terme, ne pèseront au mieux que 2 % de la consommation mondiale en 2030. Même l'atome n'y pourra rien.
Pourtant, la Chine, l'Inde, l'Europe, n'en finissent pas de planter des moulins à vent ; le Brésil fait tout pour sucrer ses moteurs et ceux du reste du monde ; et les adeptes du diesel à huile découvrent des qualités à la friture.
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Un pétrole cher, c'est l'assurance que les milliers de projets, d'expériences du moins consommer, ou du consommer autrement, ne seront plus de simples gouttes d'eau réservées à quelques bobos. La plupart des idées qui germent ici et là n'attendent plus qu'un petit coup de pouce et beaucoup de pédagogie : est-il normal que l'Autriche affiche trois fois plus de chauffe-eau solaires que la France ? Est-il raisonnable d'utiliser des hordes de camions quand le rail a prouvé depuis longtemps son efficacité ? Est-il judicieux que les ingrédients d'un simple pot de yaourt parcourent plusieurs milliers de kilomètres avant d'atterrir sur nos tables ? Est-il légitime de dégrader les côtes chiliennes en quelques années pour assouvir l'appétit de saumon des Européens?
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Le choc pétrolier dont nous vivons les prémices exige des politiques ambitieuses, pour forcer les uns, et accompagner les autres. Mais on ne les voit se dessiner ni en France ni en Europe ni ailleurs. La cure de désintoxication au pétrole aujourd'hui, la panne sèche demain, seront d'autant plus violentes que les responsables politiques auront gardé leurs oeillères. Pourtant, le développement durable, trop souvent considéré à tort comme un simple thème en vogue, ambitionne d'instaurer un état universel de bien-être en «écologisant», en humanisant l'économie.
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Chacun, politiques en tête, récite sans se tromper la définition du développement durable : «Un type de développement qui permet de satisfaire les besoins des générations présentes sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs.» Mais voilà, chacun voit la durabilité à sa porte. Si nous ne faisons rien, demain, le baril sera à prix d'or quand le sevrage sera impossible et le climat en surchauffe. Alors aujourd'hui, ce pétrole déjà cher est l'occasion ou jamais de changer notre monde.
Vive le pétrole cher, donc!

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