lundi 9 juin 2008

FABRICE NICOLINO. LES BIOCARBURANTS PLUS NEFASTES QUE LE PETROLE.


«Les biocarburants sont plus néfastes pour le climat que le pétrole».
Fabrice Nicolino, auteur de "La faim, la bagnole, le blé et nous: une dénonciation des biocarburants".
a répondu aux questions des Libénautes, sur les méfaits de la culture intensive des plantes à usage de biocarburants.
LIBERATION.FR : lundi 8 octobre 2007
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Novice: le développement des biocarburants de manière excessive peut-il être un danger pour la production alimentaire?
Je butte un peu sur le mot excessif, tout simplement parce que l'état actuel de la production de biocarburants dans le monde, provoque déjà une catastrophe sur le plan alimentaire. Le marché alimentaire mondial est en situation de tensions, depuis des années déjà pour deux raisons essentielles: d'une part les déréglements climatiques, et d'autre part une demande croissante de la part d'un grand nombre de pays du Sud, dont la Chine et l'Inde. L'arrivée des biocarburants dans ce marché déjà difficile, provoque un déséquilibre complet, qui fait exploser le prix de toutes les céréales. La faim est déjà là, je renvoie à un communiqué de la FAO, daté du 4 octobre, qui prévoit hélàs des émeutes de la faim dans les mois et les années qui viennent, en particulier à cause du boum sur les biocarburants, que je préfère appeler des nécrocarburants.
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Blabla: Je n'ai pas encore lu votre livre (1) mais j'avais cru comprendre que les biocarburants étaient bons pour l'environnement, alors pourquoi pensez-vous visiblement l'inverse au regard du titre de votre ouvrage?
Ce n'est pas moi qui pense ça. De très grandes études scientifiques publiées dans les meilleures revues internationales montrent que contrairement à ce que prétend la propagande en faveur des biocarburants, ces derniers sont beaucoup plus néfastes pour le climat que le pétrole. Je renvoie à la dernière étude co-signée par le Prix Nobel de chimie, Paul Crutzen, en 1995.
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Aurel: Puisqu'il faut bien "rouler" quelle autre alternative aux biocarburants proposez-vous afin de diminuer les émissions de gaz dans l'atmosphère?
Les biocarburants envoient plus de gaz à effet de serre quand on analyse la totalité de leur cycle de production que le pétrole. Vous semblez penser qu'il faut bien "rouler", de toute façon. Et c'est bien une question essentielle à mes yeux. La voiture individuelle, qui est un objet parmi tant d'autres, a pris une place démesurée dans nos vies. Compte tenu des ressources disponibles sur Terre, la bagnole est devenue l'ennemi de l'humanité. C'est pour cette raison, qu'il faut remettre la voiture individuelle à sa place, et cette place doit être considérablement réduite.
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Alvin: Qui donc laisse croire l'inverse?
On ne vit pas dans un monde de conte de fée. Il existe évidemment un lobby en faveur des biocarburants. Ce lobby je le décris précisément dans mon livre. Au point de départ de ce lobby, il y a l'agriculture industrielle .
En 1992, pour se débarrasser de céréales en surproduction, cette agriculture industrielle a "inventé" un nouveau débouché: les biocarburants. En France, tout est parti de là. Ensuite, ce lobby industriel, qui sait y faire, a reçu l'appui de politiques de droite comme de gauche, mais aussi celui du ministère de l'Ecologie de monsieur Borloo. Je révèle dans mon livre que l'Ademe, (Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie) abrite en son sein le lobby français des biocarburants, sous le nom d'Agrice (Agriculture pour la chimie et l'énergie). Pour ma part, je souhaite la dissolution de l'Agrice qui est l'exemple type d'une confusion totale entre service public et défense des intérêts privés.
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Alvin: L'agriculture a un problème de débouchés ?
Ce qu'il faut comprendre par rapport à cette question de débouchés, ce que l'agriculture est devenue une industrie, avec des capacités de production et donc de surproduction perpétuelles. On l'a déjà vu des dizaines de fois au cours des cinquante dernières années. En France, il existe un système cohérent, très rodé, qui relie l'industrie de l'agriculture, l'industrie agroalimentaire, le syndicat majoritaire chez les agriculteurs, la FNSEA, et le ministère de l'Agriculture. C'est la base de toute l'explication.
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Alvin: J'ai cru comprendre que l'on allait supprimer les jachères pour manque de production alimentaire?
Les jachères, c'est une histoire drôle, rions un peu! En 1992, il y a eu une réforme de la politique agricole commune, la PAC. L'Europe a décidé de geler 15% des terres céréalières. En échange, les céréaliers ont reçu des subventions publiques importantes. Des petits malins, qui devaient déjà penser à autre chose, ont obtenu alors de pouvoir cultiver ces jachères, à la condition de ne cultiver que des plantes destinées à un usage non alimentaires. Autrement dit, dès 1992, certains pensaient déjà aux biocarburants. L'Union européenne vient de décider, le 13 septembre dernier, de ramener le taux de jachères en Europe, donc en France, à 0%. Pour un pays comme la France, les jachères c'est entre 1 et 2 millions d'hectares. C'est très important. Sur la plus grande partie de ces jachères, on va planter des biocarburants.
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Mercure: Quelle est selon vous l'alternative aux biocarburants?
Je n'en vois pas. Présenter la chose comme ça, c'est se tromper. Ce sont les marchands de biocarburants qui nous ont convaincus de l'intérêt de cette trouvaille. Accepter les biocarburants, à quel que niveau que ce soit, c'est accepter l'accroissement de la faim, la destruction d'une grande partie des forêts tropicales restantes, et c'est relancer massivement l'agriculture industrielle à coup d'engrais et de pesticides. Je propose une autre voie, plus difficile, qui consiste à revoir la totalité de nos modes de transport, et donc de nos modes de vie. C'est pas forcément très drôle, mais ça me paraît nécessaire.
(1) La faim, la bagnole, le blé et nous: une dénonciation des biocarburants, Fabrice Nicolino, Fayard, 17 euros.

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