mardi 17 juin 2008

LA LUTTE CONTRE LA DESERTIFICATION.

«La lutte contre la désertification ne concerne pas que les Africains».
Questions à Luc Gnacadja, responsable auprès des Nations unies .
Recueilli par SONYA FAURE .
LIBERATION QUOTIDIEN : mardi 17 juin 2008.

Le 17 juin a été décrétée journée mondiale de la désertification. A cette occasion, Luc Gnacadja, secrétaire exécutif de la convention de la désertification de l’ONU, explique comment il veut remédier à la sous-médiatisation dont souffre la question de la dégradation des sols.

La lutte contre le réchauffement a su faire parler d’elle. Pas celle contre la désertification. Pourquoi ?

Déjà parce que la convention de l’ONU consacrée à la lutte contre la désertification est née au forceps à Rio, en 1992. Voilà son mal originel : elle a toujours été l’objet d’un bras de fer entre les pays du Nord, qui poussaient les questions de changement climatique et de biodiversité, et ceux du Sud, qui tentaient d’axer les conférences internationales sur la désertification, comme si le sujet leur appartenait, comme si la désertification ne concernait qu’eux seuls.
Ça semble paradoxal : il a été plus facile pour l’atmosphère que pour le sol d’être considérée comme un bien public mondial ! La terre a une dimension patrimoniale, nationale et culturelle : la relation qu’on a avec elle n’est pas la même d’un pays à l’autre… d’où la difficulté à en faire un bien public mondial. Il faut voir le mal qu’ont eu les pays membres de l’Union européenne à se mettre d’accord sur leur directive sols (1) !
A la fin des années 90, on parlait beaucoup du problème de la biodiversité. Aujourd’hui, a lieu une énorme prise de conscience sur le réchauffement. L’agenda des terres, lui, n’a pas tant progressé depuis quinze ans. Dans les négociations internationales, la désertification est souvent prise comme une partie de l’aide au développement, comme si c’était le seul problème du Sud. Un exemple parlant : à Bruxelles, la lutte contre la désertification relève de l’Aide au développement, alors que le réchauffement et la biodiversité relèvent, eux, de l’Environnement.

Est-ce que ça peut changer ?

Oui, car les pays du Nord ont désormais compris qu’il n’était pas besoin d’avoir sur son territoire des déserts de dunes pour être victime de la désertification ! L’Espagne, l’Australie, les Etats-Unis, etc. sont désormais très touchés par la dégradation de leurs sols et l’épuisement des ressources. Lors de la conférence des parties de Madrid, une étape essentielle a été franchie : pour la première fois, les 192 pays membres de l’ONU ont adopté à l’unanimité une stratégie décennale.

Que prévoit cette stratégie ?

Nous devons montrer que la lutte contre ce fléau ne concerne pas seulement les Africains, elle peut avoir des bénéfices pour l’ensemble du globe : assurer la sécurité alimentaire par exemple. C’est une évidence quand on voit qu’au Darfour ou au Tchad des conflits éclatent notamment pour les ressources naturelles. La polémique autour des agrocarburants prouve aussi que la lutte contre les émissions de gaz à effets de serre ne peut être pensée indépendamment de l’appauvrissement des terres. Enfin lutter contre la dégradation des sols, c’est aussi lutter contre le réchauffement climatique. Les connaissances scientifiques actuelles - les conclusions du GIEC [Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, ndlr] sont claires à ce sujet - ont montré que la désertification exacerbe le réchauffement et que celui-ci exacerbe à son tour la désertification. C’est d’ailleurs ce qui a favorisé la prise de conscience des pays du Nord…

Qu’est ce qui vous manque pour provoquer une réelle prise de conscience ?

Déjà, des indicateurs : il faut savoir mieux mesurer ce problème pour lutter contre. Nous voulons monter un «GIEC des sols» d’ici à 2009, c’est-à-dire obtenir un accord des communautés scientifiques sur un même bilan.

Est-ce qu’il ne vous manquerait pas aussi un Nicolas Hulot ?

Je cherche en effet des personnalités de ce genre qui pourraient porter ce combat. Et si Nicolas Hulot veut embrasser totalement le combat pour l’environnement, il devrait plaider davantage en faveur de l’agenda des terres.

Et les financements ?

C’est le problème. Lors de la conférence de Madrid, la convention n’a pas réussi à accoucher d’un budget. Il a fallu organiser une conférence extraordinaire à New York, en novembre, pour obtenir un accord sur le budget qui ne comporte pas une ligne sur le financement de la stratégie. Il nous faut donc décrocher des fonds, des partenariats pour pouvoir faire vivre la Convention contre la désertification. Nous avons commencé à plaider auprès des parties, à Bruxelles, à Paris, où j’ai rencontré Jean-Louis Borloo. Jusqu’à présent j’ai rencontré des personnes attentives. J’attends désormais qu’elles nous aident à obtenir des financements.
(1) qui vise à lutter contre la dégradation des sols, à l’échelle européenne.

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