vendredi 10 avril 2009

LA CRISE ALIMENTAIRE, UN RISQUE POLITIQUE NEGLIGE.

Compte rendu
La crise alimentaire, un risque politique négligé
LE MONDE 09.04.09 15h11 • Mis à jour le 09.04.09 15h11

C'était il y a tout juste un an. Les images d'émeutes de la faim en Afrique, en Asie ou aux Caraïbes se succédaient dans les journaux télévisés. De nouveau, sécurité alimentaire rimait avec sécurité tout court.
Douze mois plus tard, on en est encore à tirer la sonnette d'alarme. Révélé par le Financial Times, mardi 7 avril, un rapport préparatoire à la réunion du G8 sur l'agriculture prévue du 18 au 20 avril en Italie réclame des "interventions immédiates". Il indique que la crise alimentaire, qui pourrait devenir structurelle si rien n'est fait, aura "de graves conséquences non seulement sur les relations commerciales, mais de même sur les relations sociales et internationales, lesquelles auront un impact direct sur la sécurité et la stabilité de la politique internationale".
La sous-alimentation progresse dans le monde
Faim. Selon la FAO, plus d'un milliard de personnes vont souffrir de sous-alimentation en 2009, contre 963 millions fin 2008. Avant l'envolée des cours agricoles, elles étaient en moyenne 850 millions chaque année.
Prix. Depuis les sommets atteints au printemps 2008, les prix alimentaires ont reculé, mais ils sont toujours supérieurs de 19 % à la moyenne de 2006.
Besoins. D'après la FAO, il suffirait de 30 milliards d'euros par an pour combattre la faim, en relançant l'agriculture familiale.
Même s'il est admis que les besoins en matières premières agricoles vont croissant et que le réchauffement climatique accentuera les dangers de pénurie et de flambée des prix, les pays riches continuent d'ignorer la question agricole. Au G20 de Londres, elle ne faisait pas partie des priorités, même si les Etats-Unis ont annoncé, à l'issue du sommet, qu'ils comptaient doubler leur aide à la production dans les régions pauvres, ou si la France veut lancer un fonds d'investissement pour aider l'agriculture africaine.
L'indifférence n'est pas née avec la crise financière et économique. "Cela fait trente ans que cette question cruciale est sous-estimée", rappelle Sophie Bessis, directrice de recherche à l'Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS). Elle reconnaît que les experts en géostratégie eux-mêmes, qui commencent pourtant à s'intéresser à l'eau, négligent toujours la problématique agricole. Elle distingue, pour sa part, deux types de déstabilisation politique engendrée par l'agriculture : à l'échelle internationale, car depuis dix ans, c'est là-dessus qu'achoppent les négociations de libre-échange de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) ; à l'échelle nationale, car les mécontentements sur la cherté des prix peuvent facilement déstabiliser les Etats en déficit de légitimité.
Si dans les pays riches, la hausse des prix alimentaires a amené les consommateurs à acheter autrement, "en Afrique, elle s'analyse en termes de vie ou de mort, et cela menace l'existence même des Etats", a rappelé Aly Abou Sabaa, de la Banque africaine de développement, lors d'un récent colloque à la Banque de France.
Plusieurs participants africains y ont rappelé les graves conséquences que peut entraîner l'inflation des prix alimentaires : des émeutes, mais aussi l'essor des migrations et du terrorisme, le développement de la culture de la drogue, comme en Afrique de l'Ouest, ou de la piraterie, comme en Somalie. Sans oublier les guerres que la faim a souvent provoquées.
"L'inflation est beaucoup moins un risque que l'hypervolatilité des cours, que nous ne savons toujours pas maîtriser", précise de son côté Jacques Carle, délégué général du MOMA, un groupe de réflexion français. Selon ses calculs, la tonne de blé devrait régulièrement varier de 80 à 320 euros dans les prochaines années.
Dans ces conditions, il sera difficile d'espérer une production mondiale stable, car les agriculteurs règlent leurs ensemencements sur le niveau des cours. Ainsi, en 2009, les Américains ont-ils décidé de mettre de nombreuses terres en jachère, dans l'attente d'une remontée des prix.
Pour protéger les populations des pays pauvres, une solution fait l'unanimité : permettre à leurs agricultures de se développer. Mais comment ? Depuis un an, les projets d'investisseurs étrangers à la recherche de terres sont devenus une nouvelle source de risques politiques. Paysans et populations s'inquiètent d'une spoliation des ressources. A Madagascar, l'accord de cession de terres au sud-coréen Daewo par l'ex-président Marc Ravalomanana a provoqué en partie la chute de celui-ci.
Un autre phénomène, désormais, entrave la hausse nécessaire de la production agricole et multiplie les risques de flambée des prix : la limitation de l'accès au crédit, du fait de la crise financière. En agriculture, tout est lié à l'emprunt : les paysans y ont recours pour acheter semences et engrais. A la Réserve fédérale américaine, on s'inquiète aussi de l'impact de la restriction du crédit sur les exportations, alors que l'OMC prévoit un recul des échanges mondiaux en 2009. Ce qui pèsera davantage sur les gros importateurs de denrées, dont les pays pauvres.
Enfin, la question se pose de la capacité budgétaire des Etats à garantir des prix alimentaires raisonnables. "En 2008, certains ont pu prendre des mesures grâce aux excédents budgétaires qu'avait générés l'envolée du pétrole depuis 2006. En 2009, ils ne pourront pas autant intervenir", soulignait récemment Philibert Andzembé, gouverneur de la Banque des Etats d'Afrique centrale.
En 2008, la subvention du prix du pain, les exonérations de taxes ou de droits de douanes pour faciliter les importations, voire des hausses de salaires ont permis de soutenir les ménages. Les huit pays de l'Union économique et monétaire ouest-africaine y ont laissé plus de 457 millions d'euros en recettes fiscales.
Laetitia Clavreul

http://www.lemonde.fr/planete/article/2009/04/09/la-crise-alimentaire-un-risque-politique-neglige_1178651_3244.html#ens_id=1178742

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