dimanche 26 avril 2009

LA VIE PRIVEE, UN PROBLEME DE VIEUX CONS ?

DEBAT.

La vie privée, un problème de vieux cons ?
InternetActu 17.03.09 16h29 • Mis à jour le 20.03.09 08h45

Il faudrait donc en finir avec l’idée de la vie privée, ne serait-ce que parce que le droit à la vie privée, tout comme les mesures techniques de protection (DRM, censées brider l’utilisation faite de tels ou tels fichiers), ne sont jamais que des tentatives, vaines, d’enrayer la libre circulation et le partage des données.
“Si nous croyons en l’individu, si nous croyons que nous nous définissons essentiellement par les réponses que nous recevons de notre environnement et des gens qui nous entourent, alors l’intimité est une illusion qui n’est pas nécessaire.
Il faut repenser ce qu’est un être humain ! Pouvons-nous dépasser l’idée obsolète que représente la vie privée, la sphère privée, et prendre le risque d’essayer de vivre avec l’idée que la vie privée n’existe plus ? Certains en souffriront, d’autres iront également en prison, mais c’est peut-être le prix à payer pour bâtir un nouveau siècle des Lumières.”
Mais peut-on bâtir un nouveau Siècle des Lumières en partant du postulat que “certains en souffriront, et que d’autres iront également en prison” ? Et si la vie privée n’existe plus, que met-on en place pour lui succéder (sans forcément la remplacer) ? Et comment concilier les libertés inhérentes à nos démocraties avec le placement systématique sous surveillance de leurs citoyens de façons que ne renieraient pas les régimes totalitaires ?
La vie privée est la première des libertés
La réponse à toutes ces questions est peut-être à chercher du côté de ce que nous apportent, effectivement, les technologies de l’information en terme de libertés. La révolution sexuelle n’a pas fait de l’échangisme ni des orgies le B-A.BA de la sexualité, mais a permis de décomplexer, et libérer, le rapport à la sexualité. De même, ceux qui revendiquent la libre circulation de leurs données personnelles ont déjà commencé à désinhiber, et décomplexer, tout ou partie de la façon dont nous protégeons notre identité. Mais cela ne se fait pas sans stratégies ni valeurs de remplacement.
Tous ceux qui se sont penchés sur la notion d’identité numérique constatent que ceux qui passent une bonne partie de leurs vies sociales sur l’internet ont appris à en maîtriser les outils, à mettre en avant leurs compétences, qu’elles soient professionnelles ou non, leurs passions et expertises, et savent plus ou moins bien protéger ce qui relève à proprement parler de leur vie privée.
Ainsi, le journaliste de Mediapart qui, pour rebondir sur le désormais célèbre portrait Google d’un internaute lambda, publié par Le Tigre, avait décidé de me tirer le portrait, n’a pas trouvé grand chose d’attentatoire à ma vie privée (voir Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur moi mais que vous aviez la flemme d’aller chercher sur l’internet…). L’identité numérique est un processus, une construction, qu’il faut donc apprendre à maîtriser. Encore faut-il en avoir le droit, et la possibilité.
En conclusion de son article, Antoinette Rouvroy rappelle que la vie privée n’est pas “un droit fondamental parmi d’autres, elle est la condition nécessaire à l’exercice des autres droits et libertés fondamentaux” et que “le droit à la protection de la vie privée joue notamment le rôle d’un “système immunitaire de l’espace psychique”“.
La liberté d’opinion (de pensée plus d’expression), la liberté de circulation, et de réunion, les libertés politiques, syndicales et de culte, ne peuvent être exercée dès lors que l’on n’a plus le droit à la vie privée.
Et autant je doute que les marchands de données personnelles non plus que les partisans des logiques sécuritaires soient à même d’initier un mouvement d’émancipation similaire à la révolution sexuelle, ou au siècle des Lumières, autant il est effectivement fort possible que le processus d’émancipation, de partage et de libération de nos savoirs et compétences, tel qu’on le voit à l’oeuvre sur l’Internet, dessine effectivement les prémices d’un “nouveau monde“, moins hiérarchisé, moins contrôlé “par en haut“, et donc forcément plus démocratique et “par le bas“.
Comme l’écrivait également Daniel Kaplan dans son éditorial précité, “Et si, à l’époque des réseaux, l’enjeu était de passer d’une approche de la vie privée conçue comme une sorte de village gaulois – entouré de prédateurs, bien protégé, mais qui n’envisage pas de déborder de ses propres frontières – à la tête de pont, que l’on défend certes, mais qui sert d’abord à se projeter vers l’avant ? Il n’y aurait pas alors de “paradoxe”, mais un changement profond du paysage, des pratiques, des aspirations.
Voir aussi les travaux (en cours) d’un groupe de travail “Informatique & libertés 2.0 ?“, réuni dans le cadre du programme "Identités actives" de la Fing.



Le chapitre intitulé “Little Brother is watching you” du recueil sur La sécurité de l’individu numérisé revient ainsi sur le débat qui a suivi la mise en ligne des salaires et déclarations fiscales des Suédois :
“Nous avons conclu que la qualité des informations est aussi reliée à la qualité de la lecture. Le fait de rendre accessible à tous des informations personnelles sans une vérification raisonnable de la qualité est dangereux : des individus peuvent être mal représentés et il n’existe pas d’assurance que les récepteurs de la (dés)information soient suffisamment compétents pour effectuer des jugements judicieux.”
De même que le naturisme n’est pas une incitation au voyeurisme, mais une liberté que certains, dans des espaces-temps bien précis (chez eux ou dans des “clubs” prévus à cet effet essentiellement), font le choix de vivre et d’assumer, et que l’on ne saurait contraindre tout un chacun à vivre nu, en tout lieu et tout le temps, la transparence devrait rester un droit, une possibilité, pas une obligation, encore moins une contrainte. C’est non seulement une atteinte à l’intimité, mais cela peut aussi être vécu comme une provocation par ceux qui se contentent de regarder, et une humiliation par ceux qui se retrouvent ainsi “mis à nu” par des étrangers.
Pour en finir avec la vie privée ?
Bill Thompson, célèbre éditorialiste spécialisé dans les technologies à la BBC, avançait récemment à la conférence Lift qu’on pourrait tirer partie de la fin de la vie privée qu’annoncent les sites sociaux et notre “société de bases de données“, et repenser ce que nous entendons par “personnalité“, ainsi que les frontières de ce qui relève du public, et du privé :
“Ceux qui n’hésitent pas à adopter, et utiliser, les technologies qui minent l’ancien modèle de vie privée ont énormément à apprendre à ceux qui craignent de voir leurs mouvements, habitudes alimentaires, amitiés et manière de consommer les médias être accessibles à tous.
Les utilisateurs de Twitter, Tumblr et autres outils de réseaux sociaux partagent plus de données, avec plus de gens, que le FBI de Hoover, ou la Stasi, n’auraient jamais pu en rêver. Et nous le faisons de notre propre chef, espérant pouvoir en bénéficier de toutes sortes de manières.”
Les détectives privés, récemment réunis en congrès, semblent du même avis, et semblent largement profiter de ce naturisme numérique : “Facebook est très efficace, bien plus utile que les fichiers policiers comme Edvige. La Cnil ne nous met pas des bâtons dans les roues. Les gens racontent toute leur vie en détail. Et le plus fou : les informations sont exactes, la plupart ne mentent même pas.”
A ceci près que, comme le soulignait Daniel Kaplan, “Edvige stocke par principe de soupçon, sans nous demander notre avis ; les individus en réseau font des mêmes informations “sensibles” (et de bien d’autres qui le sont souvent moins) un usage stratégique, pour se construire eux-mêmes dans la relation aux autres, pour apparaître au monde sous un jour qu’ils auront au moins partiellement choisi. Du point de vue qui compte, celui des individus, de leur liberté et de leur autonomie, tout oppose donc les deux démarches !”
La comparaison faite entre Edvige et Facebook a ceci de facile et démagogique qu’elle vise, non seulement à justifier un fichage policier, sinon illégal et amoral, tout du moins problématique d’un point de vue démocratique, mais aussi parce qu’elle justifie également toutes sortes de dérives. De même que le port d’une mini-jupe ou le fait de bronzer les seins nus ne sont pas des incitations au viol, l’exposition ou l’affirmation de soi sur les réseaux ne saurait justifier l’espionnage ni les atteintes à la vie privée.
Bill Thompson ne se contente pas de constater ce changement de statut de la vie privée. Pour lui, il devrait aussi constituer l’un des postulats d’un nouveau Siècle des Lumières, numérique, à bâtir. Il estime en effet que nos sociétés sont fondées sur des croyances à propos de l’intimité (et de la propriété) héritées des Lumières, mais qui seraient devenues obsolètes à l’heure où nos vies deviennent de plus en plus transparentes.
Pour lui, le droit à la vie privée repose également sur le fait qu’il est techniquement impossible de surveiller tout le monde, tout le temps. La technologie évoluant, Thompson prédit que, d’ici quelques années, nous serons tous sur écoute, par défaut, et que les autorités policières et administratives disposeront probablement d’un accès direct à toutes les données nous concernant.
Il faudrait donc en finir avec l’idée de la vie privée, ne serait-ce que parce que le droit à la vie privée, tout comme les mesures techniques de protection (DRM, censées brider l’utilisation faite de tels ou tels fichiers), ne sont jamais que des tentatives, vaines, d’enrayer la libre circulation et le partage des données.
“Si nous croyons en l’individu, si nous croyons que nous nous définissons essentiellement par les réponses que nous recevons de notre environnement et des gens qui nous entourent, alors l’intimité est une illusion qui n’est pas nécessaire.
Il faut repenser ce qu’est un être humain ! Pouvons-nous dépasser l’idée obsolète que représente la vie privée, la sphère privée, et prendre le risque d’essayer de vivre avec l’idée que la vie privée n’existe plus ? Certains en souffriront, d’autres iront également en prison, mais c’est peut-être le prix à payer pour bâtir un nouveau siècle des Lumières.”
Mais peut-on bâtir un nouveau Siècle des Lumières en partant du postulat que “certains en souffriront, et que d’autres iront également en prison” ? Et si la vie privée n’existe plus, que met-on en place pour lui succéder (sans forcément la remplacer) ? Et comment concilier les libertés inhérentes à nos démocraties avec le placement systématique sous surveillance de leurs citoyens de façons que ne renieraient pas les régimes totalitaires ?
La vie privée est la première des libertés
La réponse à toutes ces questions est peut-être à chercher du côté de ce que nous apportent, effectivement, les technologies de l’information en terme de libertés. La révolution sexuelle n’a pas fait de l’échangisme ni des orgies le B-A.BA de la sexualité, mais a permis de décomplexer, et libérer, le rapport à la sexualité. De même, ceux qui revendiquent la libre circulation de leurs données personnelles ont déjà commencé à désinhiber, et décomplexer, tout ou partie de la façon dont nous protégeons notre identité. Mais cela ne se fait pas sans stratégies ni valeurs de remplacement.
Tous ceux qui se sont penchés sur la notion d’identité numérique constatent que ceux qui passent une bonne partie de leurs vies sociales sur l’internet ont appris à en maîtriser les outils, à mettre en avant leurs compétences, qu’elles soient professionnelles ou non, leurs passions et expertises, et savent plus ou moins bien protéger ce qui relève à proprement parler de leur vie privée.
Ainsi, le journaliste de Mediapart qui, pour rebondir sur le désormais célèbre portrait Google d’un internaute lambda, publié par Le Tigre, avait décidé de me tirer le portrait, n’a pas trouvé grand chose d’attentatoire à ma vie privée (voir Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur moi mais que vous aviez la flemme d’aller chercher sur l’internet…). L’identité numérique est un processus, une construction, qu’il faut donc apprendre à maîtriser. Encore faut-il en avoir le droit, et la possibilité.
En conclusion de son article, Antoinette Rouvroy rappelle que la vie privée n’est pas “un droit fondamental parmi d’autres, elle est la condition nécessaire à l’exercice des autres droits et libertés fondamentaux” et que “le droit à la protection de la vie privée joue notamment le rôle d’un “système immunitaire de l’espace psychique”“.
La liberté d’opinion (de pensée plus d’expression), la liberté de circulation, et de réunion, les libertés politiques, syndicales et de culte, ne peuvent être exercée dès lors que l’on n’a plus le droit à la vie privée.
Et autant je doute que les marchands de données personnelles non plus que les partisans des logiques sécuritaires soient à même d’initier un mouvement d’émancipation similaire à la révolution sexuelle, ou au siècle des Lumières, autant il est effectivement fort possible que le processus d’émancipation, de partage et de libération de nos savoirs et compétences, tel qu’on le voit à l’oeuvre sur l’Internet, dessine effectivement les prémices d’un “nouveau monde“, moins hiérarchisé, moins contrôlé “par en haut“, et donc forcément plus démocratique et “par le bas“.
Comme l’écrivait également Daniel Kaplan dans son éditorial précité, “Et si, à l’époque des réseaux, l’enjeu était de passer d’une approche de la vie privée conçue comme une sorte de village gaulois – entouré de prédateurs, bien protégé, mais qui n’envisage pas de déborder de ses propres frontières – à la tête de pont, que l’on défend certes, mais qui sert d’abord à se projeter vers l’avant ? Il n’y aurait pas alors de “paradoxe”, mais un changement profond du paysage, des pratiques, des aspirations.
Voir aussi les travaux (en cours) d’un groupe de travail “Informatique & libertés 2.0 ?“, réuni dans le cadre du programme “Identités actives” de la Fing.

Jean-Marc Manach
http://www.lemonde.fr/technologies/article/2009/03/17/la-vie-privee-un-probleme-de-vieux-cons_1169203_651865.html

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