samedi 25 avril 2009

LA GENERATION DECLASSEE A L'ECOLE DE L'INQUIETUDE.

Société 24/04/2009 à 06h51
La génération déclassée à l’école de l’inquiétude
Temoignages
L’entrée dans la vie active se fait entre découragement et amertume.
Recueilli par MARIE-JOËLLE GROS et CATHERINE MALLAVAL
(© AFP photo AFP)
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Comment voit-on son existence présente et son avenir quand on a autour de vingt ans et que l’on est déjà convaincu que l’on vivra moins bien que la génération de ses parents ? Libération est allé à la rencontre de six filles et garçons qui sont apprenti, ingénieur, stagiaire, étudiant. La plus jeune a 16 ans, la plus âgée 26. Portraits d’une génération dont le pragmatisme et la lucidité n’ont rien à envier à leurs aînés en ces temps de crise.

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Marion, 16 ans, en module d’insertion dans l’Essonne: «Mon premier stage, je l’ai passé à faire des papiers cadeau»
«Je n’ai jamais aimé l’école. Et depuis la sixième, je veux faire esthéticienne. Alors j’ai atterri dans une troisième découverte des métiers. C’était parfait, j’étais en stage le jeudi et le vendredi dans un institut de beauté. Seulement après, j’ai voulu aller dans un centre de formation des apprentis. Et là, ma patronne, qui en stage me laissait pratiquer, m’a dit qu’elle ne voulait pas d’apprentis, qu’elle n’avait pas le temps de s’occuper de moi. Il fallait me rémunérer. Ça a peut-être joué aussi.
Alors de mars à septembre, j’ai cherché dans toute l’Ile-de-France et à Paris, même. Je commençais à 10 heures, et je faisais les salons avec mon dossier, un CV et une lettre de motivation. Je téléphonais aussi. J’ai compté : j’ai poussé 300 portes, et envoyé une centaine de CV. J’ai même mis une copine sur l’affaire qui a démarché des salons pour moi. On me disait : «Pas le temps de former»,«l’équipe est au complet». Ça m’a démoralisée. Je ne pensais pas que c’était si compliqué. Tout ce que j’ai décroché, c’est une journée d’essai à Paris. Sans succès. J’avais rien.
J’ai fini par atterrir dans un lycée qui propose un module d’insertion. C’est une autre troisième, de remise à niveau. Mais on alterne deux semaines de cours et deux semaines de stage. Mon premier stage, dans un institut, je l’ai passé à faire des papiers cadeau. Alors que je devais être en cabine. Ils m’avaient menti. J’ai fini par décider d’aller en coiffure. J’ai trouvé chez un salon Franck Provost. Là ils veulent bien me garder pour un CAP. Avec cette discipline, j’espère que ce sera plus facile.»
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Rémi, 17 ans, apprenti électricien dans le Rhône: «La retraite va arriver de plus en plus tard»
«Je prépare un BEP d’électricien en alternance. Je passe seize semaines par an à l’école et le reste sur des chantiers avec un contrat de 39 heures, payé à 37 % du Smic. Pour l’instant, il y a du travail, mais c’est moins de chantiers neufs et davantage de rénovations. Autour de moi, c’est pas terrible : j’ai un copain en carrosserie qui ne trouve que des petits contrats d’un mois par-ci par-là. Je me fais du souci. Quand je vais sortir de l’apprentissage, si mon patron ne me garde pas… Je vais essayer d’enchaîner sur un brevet de technicien, puis un BTS. Je ne sais pas si j’y arriverais, mais je ne voudrais pas rester ouvrier toute ma vie. J’ai choisi l’apprentissage parce que ça convient bien aux métiers manuels, ça prépare mieux à la réalité que si on reste tous les jours bien habillés sur les bancs de l’école. Et puis, un apprenti qui se débrouille bien, on ne le laisse pas partir comme ça. L’avenir, ça fait peur. La retraite va arriver de plus en plus tard. Les banques ne prêtent plus d’argent, alors qu’on en a besoin pour s’installer. Mais je préfère penser au présent. Si tout le monde se replie sur lui-même, c’est pas comme ça que l’économie va repartir.»
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Romain, 21 ans, étudiant en histoire à Nanterre: «Il faut faire vite, ça se ferme de partout»
«Je suis issu de la classe moyenne, père kiné, mère cadre à la SNCF. A la fac, on est tous un peu dans ce cas, sans gros problème d’argent. Et pourtant, il y a cette inquiétude : on sait, ça se voit, certains vont se paupériser, c’est évident. Je suis entré à la fac avec l’idée de devenir prof. Et j’en ai eu vite marre. Je n’ai plus du tout envie de faire des études, j’ai perdu le goût, je n’y crois plus. J’ai participé à différents mouvements pour défendre l’éducation, mais en réalité, le problème n’est pas là.
La vérité, c’est que le diplôme ne garantit rien. Dans les années 60, on a cru que l’école pouvait garantir une place dans la société. En fait c’est faux, et beaucoup de gens ne captent toujours pas ça. On peut avoir les meilleurs diplômes de la terre, quand ça n’embauche pas, il n’y a rien à faire. J’ai des tas de copains qui ont fait des masters et qui sont réduits à bosser dans des secteurs sans rapport avec leur formation. En plus, les rémunérations ne correspondent plus du tout au niveau de diplôme, alors à quoi bon s’acharner ? Ce n’est pas là que ça se joue. L’emploi, ce n’est pas une affaire de formation et de diplômes, c’est une affaire de contexte économique.
Aucune génération dans le passé n’a jamais été aussi diplômée que la nôtre, et pourtant, il n’y a pas de travail à l’arrivée. Même l’intérim, c’est mort. En tout cas, moi, j’arrête. Je suis en train de faire mon CV, je vais essayer d’entrer à La Poste ou à la SNCF. C’est-à-dire là où on embauche encore un peu. Il faut faire vite, car ça se ferme de partout. Je me dis qu’il vaut mieux y aller maintenant, plutôt que dans un an ou deux quand tout sera complètement bloqué.»
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Elise, 23 ans, ingénieure des universités dans le Lot: «J’ai contacté une petite centaine d’entreprises, j’ai décroché deux entretiens»
«Je suis diplômée depuis août d’un master professionnel en matériaux. Autrement dit, je suis ingénieure des universités. Cela touche à la physique et à la chimie. Normalement, cela ouvre des débouchés : le BTP, l’aérospatiale, l’aéronautique… Comme j’habite près de Toulouse, je pensais que ça tombait plutôt bien. Mon cursus m’a permis de faire un maximum de stages en entreprise. Je pensais que cela pouvait aider. J’en ai fait quatre, de deux à six mois.
Depuis octobre, je cherche du travail. J’ai contacté une petite centaine d’entreprises dans toute la France. En tout et pour tout, j’ai décroché deux entretiens. A Paris et à Orléans. La première boîte faisait du merchandising de polymères. Parfait. Finalement, ils m’ont expliqué qu’ils n’avaient pas le temps de me former à leur logiciel. La seconde était une boîte de BTP, spécialisée dans le béton. Elle proposait un poste de responsable de laboratoire. Ça me tentait. Nous étions deux jeunes diplômés sur le coup. C’est l’autre, un garçon, qui a été retenu. Il avait déjà fait un stage dans le béton. Et puis on m’a expliqué que le milieu du BTP est assez masculin.»
«Depuis janvier, février, plus rien. Ou pas grand-chose. Au début, je ne voulais pas tout mettre sur le dos de la crise. L’an dernier je regardais déjà les offres d’emploi, il y en avait davantage. Je m’étais fixé six mois pour trouver, c’est le temps moyen de recherche d’un emploi de cadres. Je suis au-delà. Je vais peut-être faire une thèse, c’est une façon de prolonger. Mais ce n’est pas un diplôme facile à valoriser. Ou alors, si cet été je n’ai toujours rien, j’envisage de partir à l’étranger.»
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Julie, 21 ans, étudiante en droit à Paris-II-Assas: «La vie des étudiants, ce n’est plus Saint-Germain-des-Prés, c’est la précarité»
«J’ai fait du droit parce que je ne savais pas trop quoi choisir. Mais aujourd’hui, en troisième année, je n’ai plus envie d’être juriste. Je vais passer les concours de la fonction publique l’année prochaine, sachant qu’entre la crise et la politique du gouvernement qui cogne sur les fonctionnaires, c’est pas gagné. J’ai conscience que ma génération vivra moins bien que celle de nos parents. Mes parents, quand ils étaient jeunes, les recruteurs venaient les chercher à la sortie de la fac. Nous, on rame. Je n’ai encore jamais fait de stages parce qu’ils ne sont pas rémunérés. Mes vacances, je les passe à bosser pour financer mes études. La vie des étudiants, ce n’est plus Saint-Germain-des-Prés, c’est la précarité pour une majorité. Je reste persuadée qu’un diplôme offre une protection, mais ma vision de l’avenir n’est pas très optimiste.»
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Laure, 26 ans, met sa recherche d’emploi entre parenthèses, Paris: «Je ne peux même pas m’inscrire au chômage, car je n’ai fait que des stages»
«J’ai fait une maîtrise de marketing à l’université Paris-Dauphine, puis un stage passionnant d’un an dans une grande enseigne française de luxe à New York. De retour en France, j’ai fait le meilleur master de la place de Paris en management mode et design, à l’Institut français de la mode, et enchaîné avec un stage de six mois chez L’Oréal division luxe. Puis j’ai voulu voyager six mois, à la fois pour mon plaisir et pensant en tirer bénéfice pour mon CV. De retour fin août à Paris, j’ai entamé ma recherche d’emploi. En sept mois, j’ai envoyé 50 CV, fait jouer mon réseau et ratissé large : je n’ai obtenu qu’un seul entretien, chez Dior, où l’on m’a proposé un boulot de vendeuse, ce que j’aurais pu faire avec mon baccalauréat. En plus, je ne peux même pas m’inscrire au chômage, car je n’ai fait que des stages.
J’ai tellement les boules que je préfère en rester là. Heureusement, mes frères ont monté leur boîte et m’ont embauchée, le temps de trouver quelque chose qui corresponde à ma formation. Je suis convaincue que l’économie va repartir, mais pour l’instant tout est bouché. Je reprendrai dans la deuxième moitié de 2009. Je n’ai pas envie de me griller auprès de contacts qui n’ont rien à offrir en ce moment. Pas la peine de les harceler. En attendant, je ne m’ennuie pas dans la PME de mes frères : je touche à tout, je prends des tas d’imitatives…»

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