lundi 15 décembre 2008

CLAUDE OLIEVENSTEIN EST MORT.



Le professeur Claude Olievenstein, le "psy des toxicos", est mort.
LEMONDE.FR avec AFP 15.12.08 10h06 • Mis à jour le 15.12.08 10h12.
Fondateur du Centre Marmottan, à Paris, pour le traitement des toxicomanes, le professeur Claude Olievenstein, surnommé le "psy des toxicos", est mort, dimanche 14 décembre, dans la capitale, à l'âge de 75 ans, a-t-on appris lundi auprès de Marc Valleur, médecin-chef de Marmottan.
Le professeur Olievenstein était "en soins palliatifs" à Jeanne-Garnier, une clinique privée du 15e arrondissement, a indiqué le docteur Valleur. "Il était atteint depuis une dizaine d'années d'une maladie de Parkinson invalidante et était quasi inconscient ces dernières semaines."
Claude Olievenstein fut l'un des pionniers, au début des années 1970, d'une méthode de prise en charge des jeunes toxicomanes. Il avait créé le
Centre Marmottan en juillet 1971, alors qu'un mouvement dans l'opinion publique s'était ému de morts de jeunes par overdose.
"Olievenstein dans le monde de la toxicomanie, c'est un peu
Big Ben qui s'arrête", a estimé Marc Valleur, qui avait succédé en 2001 au "docteur Olive" lorsque ce dernier avait pris sa retraite.
Claude Olievenstein était né le 11 juin 1933 à Berlin. Après des études à la faculté de médecine de Paris, il avait consacré toute sa carrière, comme psychiatre, au traitement des toxicomanes.
Il était l'auteur de plusieurs ouvrages dont La Drogue (1970) et Il n'y a pas de drogués heureux (1977). Claude Olievenstein était chevalier de la Légion d'honneur, officier de l'ordre national du Mérite et décoré de la croix de la valeur militaire.
http://www.lemonde.fr/societe/article/2008/12/15/le-professeur-claude-olievenstein-le-psy-des-toxicos-est-mort_1131161_3224.html

Le révolté de Marmottan.
LEMONDE.FR 15.12.08 11h55 • Mis à jour le 15.12.08 12h09.
Claude Olievenstein est mort dimanche 14 décembre dans la capitale à l'âge de 75 ans, a-t-on appris lundi auprès de Marc Valleur, médecin-chef de Marmottan. Nous republions à cette occasion son portrait, publié dans Le Monde du 12 juillet 2001. Claude Olievenstein venait alors de partir à la retraite après trente années passées au centre médical de Marmottan.
Il ne s'assiéra plus derrière son vieux bureau, situé dans la pièce au fond du couloir, au premier étage du centre médical Marmottan, à Paris. C'est dans cette pièce sans luxe, dont les murs de couleur verdâtre témoignent éloquemment du passage du temps, que s'est achevée, avec son départ en retraite le 1er juin 2001, la carrière d'un pionnier de médecine humanitaire en zone urbaine. Pendant trente ans, le professeur
Claude Olievenstein - "Olive", comme l'appellent ses familiers - a accueilli dans ce bâtiment de brique rouge des toxicomanes en perdition, ceux dont aucune autre structure médicale ne voulait au début des années 1970. Cela n'a pas été simple.
Quand le premier consultant se présente à Marmottan, le 25 juillet 1971,
Claude Olievenstein n'y est installé que depuis quatre jours, avec une assistante sociale et une secrétaire. Ministre de la santé de l'époque, Robert Boulin a fini par accepter, contre l'avis du préfet de police, de confier à Claude Olievenstein les locaux désaffectés de l'hôpital Marmottan, rue d'Armaillé, à deux pas de la place de l'Etoile. Dès que la nouvelle est connue, des riverains de cette rue étroite du 17e arrondissement de Paris protestent. Des plaintes pour tapage nocturne ont été déposées avant même l'ouverture du centre. Le projet voit malgré tout le jour, car les overdoses mortelles font la "une" des gazettes. La menace d'une fermeture reste cependant présente : "Nous nous demandons tous les six mois si nous n'allons pas fermer", continue de répéter le docteur Marc Valleur, qui a succédé au professeur Olievenstein comme directeur du centre en mars 2000.
"Marmottan était le dernier endroit où faire une carrière, mais le premier où les choses allaient dans le bon sens La technique y passait après l'humanité." Arrivé au centre en 1974, il y trouve un
Claude Olievenstein "terriblement chaleureux et paternaliste, donneur de leçons et incroyablement séducteur. Comme j'étais ceinture noire de karaté, je l'intéressais, car face à certains cas difficiles il cherchait des gens qui n'avaient pas trop peur de la violence". Les professionnels qui viennent à Marmottan s'engagent corps et âme. L'équipage a embarqué sur un vaisseau qui possède son livre de bord, Le Cancan, où sont inscrits jour après jour les événements et les humeurs. C'est un sacerdoce. Il fallait "travailler tout le temps, avoue Marc Valleur. Il n'y avait pas de grandes frontières entre la vie privée, les références thérapeutiques et le travail quotidien". Non sans heurts, la vie commune s'organise entre les "clients", comme ils sont officiellement désignés, les "accueillants", anciens toxicomanes reconvertis dans la prévention, les infirmières, les médecins...
La drogue y est interdite. Mais pas toujours les excès. Marc Valleur se souvient d'une soirée bruyante où le vin rouge coulait à flots et des joints circulaient. Sur un tableau, avec des lettres magnétiques, les plus freudiens s'amusent à composer une anagramme de Marmottan : "Mormattan". Quand "Olive" débarque au petit matin, il se joint à la fête. Ce qui ne l'empêchera pas d'assurer, sérieux comme un pape, au responsable du dispensaire d'hygiène mentale, qui partage les locaux de l'ancien hôpital Marmottan, qu'il ne comprenait pas comment des gens de son équipe avaient pu ainsi se laisser aller et d'affirmer qu'il allait leur "passer un savon". Bien entendu, il n'y eut pas de suite.
AU début des années 1970, les livres de
Claude Olievenstein sur la drogue, en particulier son best-seller Il n'y a pas de drogués heureux, le font connaître. Sa volumineuse couronne de cheveux dressée comme un défi au conformisme médical des années 1970, "Olive" s'impose à la télévision comme le contradicteur idéal des hommes politiques au discours sécuritaire. Eux voient dans les toxicomanes des délinquants, des dangers publics ; lui insiste sur une approche de clinicien, mais n'oublie pas de citer comme moteur la recherche du plaisir. Pourfendant, il y a quinze ans, les thèses répressives du projet de loi sur la drogue présenté par le garde des sceaux Albin Chalandon, il expliquait dans les colonnes du Monde son hostilité à des mesures qui faisaient "partie du grignotage de l'Etat de droit par l'Etat de force. Pour faire accepter cela aux Français, il faut trouver des boucs émissaires aux marges de la société. Aujourd'hui, les toxicomanes sont tout indiqués" ( Le Monde du 15 novembre 1986).
Savamment provocateur,
Claude Olievenstein choque. Il bouscule et dérange. Loin de stigmatiser les toxicomanes et d'en faire des parias, il n'hésite pas à raconter sa propre expérience avec les drogues. Jeune psychiatre, il séjourne en Californie aux plus belles heures du mouvement psychédélique et du Flower Power. A nous la liberté ! En particulier de consommer toutes sortes de drogues, à commencer par le LSD, auquel il consacrera sa thèse. Cette expérience personnelle lui permet de parler non plus d'un point de vue purement extérieur à l'univers du "drogué", mais comme un clinicien qui sait que la drogue peut être source de plaisir. Dénoncées comme iconoclastes, ses idées vont progressivement imprégner la politique officielle en matière de toxicomanie.
En juin 1984, alors que le sida commence à faire des ravages parmi les usagers de drogues administrées par voie intraveineuse, il réclame le premier aux pouvoirs publics, contre l'avis de toute la commission des stupéfiants, la mise en vente libre de seringues. La mesure, pourtant cruciale, ne sera annoncée que le 24 février 1987 par
Michèle Barzach. Plus tard, au début des années 1990, Claude Olievenstein va entretenir des rapports conflictuels avec les médecins généralistes, qui privilégient l'utilisation des produits de substitution. Leur logique est la suivante : les toxicomanes utilisant des drogues par voie intraveineuse s'exposent à des contaminations par les virus du sida ou de l'hépatite C, le plus souvent en partageant leur seringue ; en recourant à des opiacés administrés par voie orale, on peut limiter les risques de contamination, même si l'on ne guérit pas le toxicomane de sa dépendance.
1 Paul Benkimoun.
Un point de vue que combat Olievenstein, mais qui va cependant prendre le dessus, parallèlement à un déclin médiatique du directeur de Marmottan. Aujourd'hui encore, Claude Olievenstein a du mal à accepter que les idées "modernes" qu'il a défendues, non sans succès, "soient considérées comme ringardes, comme s'il n'y avait qu'une seule politique de réduction des risques. Ce n'est pas le produit, mais la personne qui doit être vue en premier", assène-t-il.
De fait, même si elle s'est atténuée, l'opposition entre les deux approches tenait du contentieux entre Montaigu et Capulet, voire des schismes de l'Eglise et de leur cortège d'excommunications. Vice-président de l'Association française pour la réduction des risques et ex-responsable du programme méthadone de Médecins du monde, le docteur
Bertrand Lebeau a travaillé à Marmottan du printemps 1993 à l'été 1994. "Pour Olive, lâche-t-il, les toxicomanes n'avaient que des désirs et non des besoins. Son brio masquait les carences de son approche. Auprès de lui, j'ai appris beaucoup de choses, mais il a eu des positions très conservatrices vis-à-vis des produits de substitution. En fait, il ne donnait de la méthadone qu'en douce." Ancien directeur de l'association Nova Dona, consacrée à la prise en charge des toxicomanes, le docteur Antonio Ugidos souligne les contradictions de Claude Olievenstein, qui occupait, lui, le poste de secrétaire : "Il adoptait des positions publiques assez rigides, mais dans la pratique il se montrait plus pragmatique. Il a largement contribué à faire obtenir l'agrément du centre méthadone de notre association."Lui reproche-t-on d'avoir changé de position, aussitôt, Claude Olievenstein revendique ses volte-face : "J'assume mes contradictions, je ne suis pas linéaire." Continuité dans la discontinuité. L'art de l'esquive comme mode de vie autant que stratégie de défense. Il sait pourtant se montrer lucide et faire preuve d'humilité : "On a considérablement exagéré l'importance de la drogue, et je dois faire mon autocritique là-dessus" (Le Monde du 15 novembre 1986). Douze ans avant que le rapport du professeur Bernard Roques n'entérine cette position, il affirmait dans le même entretien : "J'aurais dû m'engager davantage pour la dépénalisation de l'usage du cannabis. Je n'ai pas assez insisté sur la différence entre les drogues et sur le fait qu'il n'y a pratiquement aucun rapport entre un usager occasionnel et un toxicomane. J'ai trop accepté qu'on parle de drogue en général sans jamais citer l'alcool, le tabac ou l'abus de médicaments."Ses rapports avec le pouvoir ont toujours tenu de ceux de la souris avec le chat. Il y a dix ans, dans le grand amphithéâtre de la Sorbonne, où, aux côtés de Georgina Dufoix, alors déléguée générale du gouvernement à la lutte contre la drogue, il présidait le vingtième anniversaire de Marmottan, Claude Olievenstein s'était amusé : "La dernière fois que je suis venu dans cet amphi, c'était en mai 68. Aujourd'hui, j'ai la Légion d'honneur et je reçois les ministres. Où diable me suis-je trompé ?" Claude Olievenstein joue avec les institutions, comme avec ceux qui l'entourent. Il est à la fois la référence et celui qui se trouve là où on ne l'attend pas. Comme s'il flirtait en permanence avec les frontières et les dérives possibles. En particulier, celle de se transformer en gourou, un rôle auquel il affirme avoir toujours été opposé. L'attitude de certains de ses disciples semble pourtant donner quelque consistance au reproche. Il y a souvent plus de subtilité dans les propos d'"Olive" évoquant "le rôle pernicieux de la notoriété", que dans la révérence d'une partie de ses élèves envers la parole du maître.
Le 26 janvier 2001, dans la grande salle de la Mutualité, à Paris, mille sept cents personnes, venues de quinze pays, étaient réunies pour célébrer le trentième anniversaire du centre médical Marmottan. L'incertitude a longtemps plané : viendra-t-il ? Nul n'ignore qu'"Olive" a des problèmes de santé, qui ne lui permettront peut-être pas d'être de la fête. Pourtant, même absent, il est difficile d'être plus présent. Finalement, à la mi- matinée, lors d'une pause, une silhouette ronde, dans un imperméable mastic, et coiffée d'une casquette, se glisse à petits pas fragiles, appuyée au bras d'un jeune homme, pour gagner les coulisses. Claude Olievenstein n'allait tout de même pas rater ça.
Il prend place à la tribune où sont déjà intervenus
Marc Valleur, Dominique Gillot, encore secrétaire d'Etat à la santé, et Nicole Maestracci, présidente de la Mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie (Mildt). Flanqué du philosophe Jacques Derrida et du généticien Albert Jacquard, Claude Olievenstein scrute la salle. Si les cheveux sont courts et ont blanchi, le regard, en revanche, n'a pas changé. Très mobile. Un mélange de douceur et de détermination. Une lueur d'ironie sous des faux airs d'indifférence. L'élocution rendue hésitante par la maladie - ce pour quoi il demande l'indulgence de son auditoire -, il critique sans ménagement l'action du gouvernement, fustigeant le "budget ridicule" affecté à la lutte contre la toxicomanie, dénonce l'étranglement du système de santé français et ne manque pas de décocher une flèche contre ses rituels adversaires, qui considèrent qu'il n'y a "qu'une seule politique, la réduction des risques". Au terme de son discours, la salle se lève pour l'ovationner longuement. Le psychiatre ne perd pas sa maîtrise. Il remercie, les mains jointes dans un salut à la manière bouddhiste, sans laisser paraître l'émotion pourtant décelable derrière le masque.
A la fois dans et hors de l'institution,
Claude Olievenstein sera avant tout resté "un rebelle vis-à-vis de l'ordre établi", résume Thérèse Brulé, sa secrétaire pendant vingt et un ans à Marmottan. Lui-même, né à Berlin le 11 juin 1933, quatre mois après l'arrivée au pouvoir de Hitler, en convient : "J'ai gardé de mon enfance juive, de mon communisme primaire, le sentiment de révolte, en particulier face à la bêtise des gens."
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Paul Benkimoun.

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