mardi 27 mai 2008

MICHEL VALOIS. LES PETITS PAVES.

Je n'aime pas les rencontres sur Internet.
Je me méfie quelque peu quand je ne puis plonger mes yeux dans les yeux de qui me cause.
Tout ça pour dire que je ne connais pas vraiment Michel Valois.
Simplement, depuis que je l'ai découvert, je retourne sur son site avec la certitude de partager - en prenant connaissance de ses publications - un évident sentiment de fraternité : je veux dire, Michel, que - quelque part - je suis sûr qu'on écrit pour les mêmes raisons.
On doit donc avoir des lecteurs de la même espèce et je voudrais que les quelques amis qui me suivent fassent aussi ta connaissance...
C'est pour cela que je me permets de publier ce qui suit.
J'aurais eu envie aussi qu'ils lisent ton compte-rendu jubilatoire du concert de Camille.
Mais j'ai été au plus pressé puisque tu fais du problème des sans papiers ton combat prioritaire...
Et puis, ils peuvent te rejoindre aussi ...
Bon vent ...
Claude.

Salomée.

Avais-je le droit de publier cette photographie ?
Puis je me suis posé d'autres questions, oui, je me pose parfois des questions et ce blog est une façon de chercher les réponses, sinon de trouver. Verbaliser, en essayant de se faire comprendre par un éventuel lecteur, c'est déjà essayer de se comprendre soi.

Le 27 avril, j'avais posté un texte qui me tenait vraiment à coeur.
D'ailleurs, il m'avait fallu du temps pour le publier et, alors que j'écris généralement sans trop réfléchir, considérant le premier jet comme le forcément meilleur puisque spontané, là, j'avais retravaillé, modifié.
Amélioré, je ne pense pas.
Je ne crois pas qu'on améliore un texte en l'enrichissant, ce que je suis d'ailleurs en train de faire avec celui-ci, commencé le 16, mais interrompu par nécessité. On court toujours le risque, en réécrivant mieux (on réécrit rarement pour faire pire) de se vautrer dans la boursouflure autosatisfaite.
Je préfère douter.

Il s'agissait dans ce papier du 27 avril de ces gens qui, d'une manière qui leur est propre, tendent la main, de quelques uns rencontrés essentiellement dans le périmètre du métro parisien. Ils ne sont pas allés pour autant à l'école de la main tendue, ils font ça parce que sinon, il n'y a rien.
Ils sont bien obligés d'accepter le regard de mépris d'un responsable syndical qui fut président de la CNAM, que j'avais accompagné lors d'un déjeuner par obligation et sans plaisir et qui, au dessert, s'était répandu en tristes lieux communs sur ceux qui lui tendaient la main et à qui, j'imagine, il répondait en levant le poing, du genre "camarade pauvre, ta gestuelle est indigne, la charité que tu demandes est contre-révolutionnaire" (ce qui, en soi, ne serait pas faux, d'un certain point de vue, mais je me souviens de Paul Laffargue, le gendre de Marx qui avait écrit : "on ne fait pas la révolution le ventre vide") et d'ailleurs, ce responsable syndical avait raconté des anecdotes qui ont fait pouffé de rire ses coreligionnaires, moi je n'ai pas de religion et mes obligations professionnelles ne me forcent pas à rire de n'importe quoi avec n'importe qui.
Un con qui se réclame de la classe ouvrière reste un con.

Moi, je suis du genre qui pleure en revoyant Modern times ou City lights ou encore A dog's life. On peut rire à Chaplin, ce n'est pas interdit (d'ailleurs, ce ne serait pas très libéral d'interdire de rire), mais chez moi, devant certaines scènes de Modern times, le rire s'étouffe en sanglots longs, même sans violons (en plus, chez Chaplin, il y a des violons, des moquettes de violons sur lesquelles on peut se répandre en sanglotant).

Donc, pour en revenir à mon sujet, cette photo : pouvais-je, avais-je le droit de la publier ici ?
Dans ce texte du 27 avril, je parlais d'une femme qui dit Bonjour. Elle est assise au bas de l'escalier, comme un tas de chiffons délavés abandonnés en vrac et dit Bonjour Madame aux dames (phrase non encore terminée) ...

Je ne suis pas de ceux qui s'autorisent à imaginer que donner conférerait à celui qui donne un droit quelconque sur celui qui reçoit. A mon sens, la vérité est ailleurs et si la richesse est mal répartie, ce n'est pas la faute de ceux qui ont le moins.
Je sais, le mérite est devenu un effet de mode et il est d'usage de stigmatiser les chômeurs, tous plus ou moins feignasses ou les RMIstes qui vivent sur le dos des pauvres classes moyennes, obligées de vivre constamment la main dans le porte monnaie à cause des pauvres.
Là encore, s'agissant des classes moyennes, il n'est pas tout à fait stupide de penser qu'elle est mise à lourde contribution bien plus que les plus riches, c'est vrai. Mais quand un petit porteur donne ses petits centimes, qu'il compte et reconte, faisant perdre son temps à la personne qui lui tend la main comme si, quand on tend la main, on a du temps à perdre, alors que fouiller dans son petit porte-monnaie et grappiller entre les grosses pièces destinées à des usages plus jouissifs, ces minuscules rondelles de métal jusqu'à l'exacte détermination de la pertinence du nombre de ces rondelles à distribuer à cet homme, cette femme, qui n'est rien, finalement, au généreux petit porteur, était source (ici, rechercher le début de la phrase pour ne pas être perdu), pour lui, d'une perte de temps mesurable et donc d'une gêne que seule une réelle générosité peut justifier.

Je hais la condescendance.
Je hais la suffisance du nanti, même du peu nanti face à celui ou celle qui n'a rien.
Ma timidité naturelle se double, s'agissant de rapports de classe dans lesquels je domine par ma possibilité d'ouvrir ou non mon porte-monnaie, de la crainte de devenir ou paraître condescendant.
Quand je donne une pièce à quelqu'un, c'est avec un sourire d'encouragement et le mot "merci" dans mes yeux.
Ce n'est à celui qui reçoit qui doit dire merci, c'est celui qui donne et quitte à me vautrer dans le christique, celui qui donne devrait demander pardon. Outre qu'il investit dans un terrain au Paradis, celui qui donne conserve toujours la plus grosse part pour lui.
Tant qu'on a pas tout donné, on n'a rien donné, on reste redevable.

Ce matin là, j'entends à nouveau "Bonjour Monsieur, Bonjour Madame" en me dirigeant vers l'escalier d'où je sors du métro.
J'avais emporté cet appareil photo reflex Nikon numérique D 80 que je venais de m'offrir et que je trimballais partout. J'ai osé demander à la mère, celle qui dit Bonjour, si je pouvais photographier Salomée. La jeune femme m'a souri "en vrai", pas juste pour les deux euros et m'a fait signe que oui. J'ai visé l'enfant avec mon appareil, mais c'était un peu comme si je la menaçais avec une arme.
Elle était méfiante, la tête baissée, avec les yeux tout en haut de leur orbite pour me voir quand même.
Après quelques sourires, je l'ai shooté deux ou trois fois, comme pour lui montrer que ça ne fait pas mal, puis on a parlé un peu. Elle a relevé la tête avec lenteur et peu à peu la magie de l'enfance a posé un sourire sur son visage. jolie, pas jolie ? c'est une enfant. Et manifestement ses cheveux sont propres, sa mère qui joue bcoup avec elle la soigne bien, elle est aimée comme par toutes les mamans, qu'elles aient les moyens d'ouvrir leur porte-monnaie ou juste de tendre la main. Au bout d'un petit temps d'apprivoisement, son sourire était devenu un sourire, un sourire d'enfant, un sourire d'enfant coquin.

Et j'ai fait cette photo, puis j'ai arrêté. J'ai redonné deux euros à la mère qui semblait ravie, en lui disant qu'elle aurait les photos le lendemain. Le lendemain, en effet, je lui ai tendu les épreuves en 13 - 18 que j'avais imprimées le soir tard et là, elle a souri avec tout son visage. Je lui ai souhaité une bonne journée et ce sourire de pauvre femme dans mon dos (l'enfant dormait) m'a réchauffé.

J'ai eu envie de raconter cette histoire simple ici. Mais devais-je publier une photo ?
Que penser du droit à l'image de cette petite fille. Dans une période où l'identité profonde d'êtres humains est réduite par le pouvoir en place (et pas seulement en France) à la possession ou non d'une carte plastifiée avec le tampon d'une préfecture, je me suis vraiment demandé, face au visage de cette enfant mise en confiance, si je pouvais la montrer.
D'abord, je n'ai pas dit à la mère que sa petite Salomée serait sur internet. J'ai supposé que cette femme qui dit Bonjour n'avait pas accès à internet. J'ai même supposé qu'elle ne connaissait pas l'existence d'internet. J'ai supposé que sa vision du monde était réduite, pourquoi pas à une main tendue et à la pièce sale qu'un inconnu y dépose ou y laisse tomber. J'ai pensé, avec honnêteté, que ma vision du monde était plus riche que la sienne. Que j'étais capable de comprendre ou d'échaffauder des systèmes complexes, faisant appel à des abstractions auxquelles elle n'avait pas accès. Auxquelles la petite Salomée, dans notre beau pays démocratique, n'accéderait pas. Alors, publier une photo ou pas, quelle importance.

Et ce soir je me demande si moi, cadre moyen supérieur avec un découvert abyssal parce que je ne sais pas gérer, mais avec la confiance de ma banque parce que j'ai un certain "répondant", je ferais comment si j'étais à la rue (quelque chose qui arrive plus vite qu'on ne croit dans notre beau pays et à des personnes qui n'auraient jamais imaginé ça, dans leurs pires cauchemards), avec une petite fille à nourrir et une simple main à tendre.
Est-ce que je saurais ? Combien de temps je survivrais.

Alors oui, ici, Chez Michel (rebaptisé Les petits pavés, en raison des pavés de l'espoir d'un printemps vitrifié) on est solidaire. En particulier avec les "sans-pap", mais pas seulement. Simplement on ne se sent pas supérieur et on se demande si on serait capable de dire, inlassablement, assis au bas des marches d'une station de métro "Bonjour Madame, Bonjour Monsieur, une petite pièce s'il vous plait, merci.
Il y a des soirs on on ne se sent pas grand chose.

Mais cette photo, petite, je la publie pour toi, avec tout le respect et l'amour que je te dois, que je dois à tous les enfants. Et si ta mère tombe sur ce blog, qu'elle sache que je la respecte profondément et je l'admire.
Posté par Michel Valois à 22:13 -
Choses vues ou entendues - Commentaires [0] - Rétroliens [0] - Permalien [#]

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Claude, c'est vrai qu'on ne se connait pas à la manière où c'est écrit dans les dictionnaires, mais on est capable de se reconnaître.
Tu vois, la petite existe et sa mère aussi. Tout à l'heure lorsque j'ai repris le métro, il pleuvait fort. Elles s'étaient réfugiées à l'intérieur. Elles avaient manifestement froid. "Ah, quel beau pays ! aurait dit quelqu'un dont le souvenir toujours présent nous rapproche, Pierre.
Mon texte, je te le donne et je suis très fier que tu l'aies publié, compte-tenu de la hauteur de ton site. J'essaie de lancer des petits caillous, conscient de mon impuissance face à la tâche à accomplir. Mais si on est nombreux à lancer des caillous (ce que j'appelle des petits pavés), on montrera le chemin à d'autres, qui devront à l'heure tour lanceurs de caillous ou de pavés. Et "Comme on a les mêmes choses sur le coeur, un jour on pourrait chanter en choeur".
Très amicalement,
Michel

Anonyme a dit…

Désolé de t'avoir appelé Pierre et pour les fautes d'orthographes, dont une que je corrige pour la compréhension : "on montrera le chemin à d'autres, qui deviendront à leur tour lanceurs de caillous ou de pavés".
Michel
Envoie un mail sur le blog, je te passerai mon mail perso. Salut.
Michel