A la une <>Le milliardaire philanthrope est bien placé pour décrypter la crise financière. C'est lui le pionnier des fonds spéculatifs.
Ma vérité sur le krach par George Soros.
Le Nouvel Observateur. - Cette crise financière est beaucoup plus grave que les autres. Quel va être son impact sur l'économie réelle ?
George Soros. - Nous sommes dans l'oeil du cyclone. Par son ampleur et sa durée, cette crise dépasse mes pires craintes. A terme, elle va empêcher les consommateurs américains, qui en se reposant sur la valeur estimée de leur propriété immobilière vivaient à crédit, de consommer plus qu'ils ne produisent. Mais la fin de cette garantie, en provoquant un effondrement de la valeur estimée de la propriété foncière, réduit à néant leur épargne. Les foyers américains vont donc devoir changer de mentalité. Simultanément, le gouvernement américain va devoir créer une nouvelle demande car, dans une période de déflation et d'endettement massif, le poids de la dette publique grève l'économie tout entière. Même si son système bancaire est plus solide car mieux régulé, l'Europe sera elle aussi touchée. La Grande-Bretagne est d'ailleurs déjà en pleine crise du crédit.
N. O. - Qui a provoqué cette crise ?
G. Soros. - La thèse que je ne cesse de défendre, c'est que les marchés ne tendent pas spontanément à l'équilibre. La «régulation» se fait par des bulles qui gonflent et qui éclatent. Selon ma théorie, chaque bulle se compose de deux éléments : le premier correspond à la tendance dominante réelle et le second à l'interprétation erronée qui en est faite. Je distingue ainsi une «fonction cognitive» et une «fonction manipulatrice» qui interagissent. Appliquez ce concept aux marchés financiers et vous aurez une première explication de la crise actuelle. Dans le cas présent, la microbulle du secteur immobilier - les fameux subprimes - entretient en l'amplifiant une bulle plus vaste et plus ancienne, la superbulle du crédit. Conséquence : un effet boule de neige qui, à terme, peut provoquer la déflagration d'une bombe atomique. Les intégristes du marché ont cru jusqu'au bout que les marchés allaient s'autoréguler. Erreur ! La bulle éclate avec d'autant plus de violence que pendant vingt-cinq ans on a laissé se développer toutes sortes d'instruments de manipulations financières - les produits dérivés de la titrisation -, en croyant à tort que les déséquilibres passagers étaient le fruit du hasard. Facteur aggravant : à chaque crise, on a laissé toute latitude d'expansion de crédit aux banques afin de se redresser. Ajoutez la confusion des banques commerciales et des banques d'investissement, le laxisme des agences de notation et vous avez tous les ingrédients d'une aggravation des défauts du système. Aujourd'hui, l'éclatement de la superbulle a des conséquences dévastatrices sur les Etats-Unis et l'Europe, mais cette fois aussi sur les marchés émergents et la Russie, qui font désormais partie du système.
N. O. - Quelles ont été les étapes de cette contamination ?
G. Soros. - L'effondrement de la bulle immobilière a fait entrer la bulle des matières premières et des marchandises dans sa phase ultime de croissance explosive, jusqu'à l'éclatement. La montée du prix du baril de pétrole à 140 dollars a constitué le point culminant de cette folle escalade, provoquée par la dépréciation du dollar et la volonté de posséder des matières premières plutôt que des devises. C'est la spéculation sur les matières premières qui a provoqué cette flambée des prix du pétrole. La tendance commence à s'inverser. La bulle des matières premières va peut-être éclater à son tour.
N. O. - La Fed a décidé de maintenir ses taux inchangés. Le gouvernement américain a ensuite «nationalisé» certains établissements financiers, puis lancé un grand plan de sauvetage. Mais c'est l'Etat, donc les contribuables américains, qui paieront l'addition...
G. Soros. - Le devoir des régulateurs est de sauver le système, sans s'encombrer de considérations morales. La faillite de Lehman Brothers montre les dangers que la défaillance d'un établissement fait peser sur le système tout entier. Quand on est comme aujourd'hui au bord du gouffre, le renflouement par l'Etat est inévitable. Henry Paulson, le secrétaire au Trésor, l'a compris : il s'est décidé à injecter des fonds publics et à prendre des mesures interventionnistes de grande ampleur. Car cette crise découle d'une carence de régulation. Après avoir été incapables d'empêcher la bulle des actifs d'enfler exagérément et de menacer le système, les régulateurs vont devoir assumer leur responsabililité.
N. O. - Mais qui régulera les régulateurs ?
G. Soros. - Je ne suis pas un partisan acharné de la régulation. Je la considère simplement comme un mal nécessaire, qu'il faut maintenir dans des limites raisonnables. Car les régulateurs eux-mêmes sont humains
G. Soros. - Le secteur financier avait pris une importance démesurée dans l'économie, au détriment des autres secteurs. Il va être ramené à de plus justes proportions. Mais il ne disparaîtra pas même si l'Etat acquiert une part majoritaire du secteur financier, même si les fonds souverains, associés à des investisseurs de capitaux privés, interviennent plus massivement encore qu'ils ne le font. L'Etat le permettra-t-il ? A terme, les fonds souverains représentent un danger, mais il n'existe aucune autre source de capitaux disponibles que ces trois acteurs-là.
N. O. - Barack Obama est favorable à une plus grande intervention de l'Etat. Il évoque un nouveau New Deal...
G. Soros. - Je crois qu'un New Deal sera nécessaire pour faire face à ce krach dont nous vivons les prémices. Pour empêcher les prix de l'immobilier de subir un effondrement aussi disproportionné que leur flambée, il faut donc augmenter l'offre en matière d'hypothèques et de prêts immobiliers, limiter les saisies pour éviter les ventes forcées et créer un organisme chargé de conserver les propriétés immobilières en attendant que la demande remonte. Les autorités publiques doivent donc êtres très actives en amont. Par ailleurs, il faut absolument renégocier le remboursement des prêts immobiliers et des hypothèques pour éviter que des gens ne soient chassés de chez eux. Il faut modifier aussi la loi sur les faillites, qui pour le moment ne permet pas aux juges de rééchelonner les prêts sur les résidences principales. Les milieux d'affaires n'aiment pas ce genre de régulations soupçonnées d'affecter la rentabilité des activités financières, mais ils n'ont plus le choix. Ce sont surtout les fonds spéculatifs (hedge funds) qui en pâtiront, mais il s'agit là d'une activité artificielle qui ne produit rien. J'ajoute que l'Etat devrait contribuer à créer une nouvelle source de demande. Qu'est-ce qui pourrait l'alimenter ? Je pense par exemple à la création d'une grande industrie de la dépollution pour faire face au réchauffement climatique. Travailler à réduire les émissions de carbone dans l'atmosphère suppose des investissements massifs, mais à terme ils représentent un moteur de l'économie, donc un substitut à une consommation déclinante.
N. O. - La crise financière sera donc au centre de l'élection présidentielle américaine...
G. Soros. - C'est la première fois que la population américaine prend conscience de la réalité de la crise financière et de ses conséquences sur sa vie quotidienne. J'imagine que cette situation profitera à Obama. Il s'est prononcé en faveur d'une réforme de la loi sur les faillites, et les démocrates sont traditionnellement plus favorables à une intervention publique que les républicains et les intégristes du marché. La gravité de la situation va changer les mentalités.
N. O. - Pour les républicains, vous êtes l'homme à abattre...
G. Soros. - Je sais ! Mais mon soutien à Obama consiste à ne pas m'afficher à ses côtés. Je ne l'ai rencontré qu'une fois.
N. O. - Vous avez été un pionnier des fonds spéculatifs. Un remords ?
Ma vérité sur le krach par George Soros.
Le Nouvel Observateur. - Cette crise financière est beaucoup plus grave que les autres. Quel va être son impact sur l'économie réelle ?
George Soros. - Nous sommes dans l'oeil du cyclone. Par son ampleur et sa durée, cette crise dépasse mes pires craintes. A terme, elle va empêcher les consommateurs américains, qui en se reposant sur la valeur estimée de leur propriété immobilière vivaient à crédit, de consommer plus qu'ils ne produisent. Mais la fin de cette garantie, en provoquant un effondrement de la valeur estimée de la propriété foncière, réduit à néant leur épargne. Les foyers américains vont donc devoir changer de mentalité. Simultanément, le gouvernement américain va devoir créer une nouvelle demande car, dans une période de déflation et d'endettement massif, le poids de la dette publique grève l'économie tout entière. Même si son système bancaire est plus solide car mieux régulé, l'Europe sera elle aussi touchée. La Grande-Bretagne est d'ailleurs déjà en pleine crise du crédit.
N. O. - Qui a provoqué cette crise ?
G. Soros. - La thèse que je ne cesse de défendre, c'est que les marchés ne tendent pas spontanément à l'équilibre. La «régulation» se fait par des bulles qui gonflent et qui éclatent. Selon ma théorie, chaque bulle se compose de deux éléments : le premier correspond à la tendance dominante réelle et le second à l'interprétation erronée qui en est faite. Je distingue ainsi une «fonction cognitive» et une «fonction manipulatrice» qui interagissent. Appliquez ce concept aux marchés financiers et vous aurez une première explication de la crise actuelle. Dans le cas présent, la microbulle du secteur immobilier - les fameux subprimes - entretient en l'amplifiant une bulle plus vaste et plus ancienne, la superbulle du crédit. Conséquence : un effet boule de neige qui, à terme, peut provoquer la déflagration d'une bombe atomique. Les intégristes du marché ont cru jusqu'au bout que les marchés allaient s'autoréguler. Erreur ! La bulle éclate avec d'autant plus de violence que pendant vingt-cinq ans on a laissé se développer toutes sortes d'instruments de manipulations financières - les produits dérivés de la titrisation -, en croyant à tort que les déséquilibres passagers étaient le fruit du hasard. Facteur aggravant : à chaque crise, on a laissé toute latitude d'expansion de crédit aux banques afin de se redresser. Ajoutez la confusion des banques commerciales et des banques d'investissement, le laxisme des agences de notation et vous avez tous les ingrédients d'une aggravation des défauts du système. Aujourd'hui, l'éclatement de la superbulle a des conséquences dévastatrices sur les Etats-Unis et l'Europe, mais cette fois aussi sur les marchés émergents et la Russie, qui font désormais partie du système.
N. O. - Quelles ont été les étapes de cette contamination ?
G. Soros. - L'effondrement de la bulle immobilière a fait entrer la bulle des matières premières et des marchandises dans sa phase ultime de croissance explosive, jusqu'à l'éclatement. La montée du prix du baril de pétrole à 140 dollars a constitué le point culminant de cette folle escalade, provoquée par la dépréciation du dollar et la volonté de posséder des matières premières plutôt que des devises. C'est la spéculation sur les matières premières qui a provoqué cette flambée des prix du pétrole. La tendance commence à s'inverser. La bulle des matières premières va peut-être éclater à son tour.
N. O. - La Fed a décidé de maintenir ses taux inchangés. Le gouvernement américain a ensuite «nationalisé» certains établissements financiers, puis lancé un grand plan de sauvetage. Mais c'est l'Etat, donc les contribuables américains, qui paieront l'addition...
G. Soros. - Le devoir des régulateurs est de sauver le système, sans s'encombrer de considérations morales. La faillite de Lehman Brothers montre les dangers que la défaillance d'un établissement fait peser sur le système tout entier. Quand on est comme aujourd'hui au bord du gouffre, le renflouement par l'Etat est inévitable. Henry Paulson, le secrétaire au Trésor, l'a compris : il s'est décidé à injecter des fonds publics et à prendre des mesures interventionnistes de grande ampleur. Car cette crise découle d'une carence de régulation. Après avoir été incapables d'empêcher la bulle des actifs d'enfler exagérément et de menacer le système, les régulateurs vont devoir assumer leur responsabililité.
N. O. - Mais qui régulera les régulateurs ?
G. Soros. - Je ne suis pas un partisan acharné de la régulation. Je la considère simplement comme un mal nécessaire, qu'il faut maintenir dans des limites raisonnables. Car les régulateurs eux-mêmes sont humains
G. Soros. - Le secteur financier avait pris une importance démesurée dans l'économie, au détriment des autres secteurs. Il va être ramené à de plus justes proportions. Mais il ne disparaîtra pas même si l'Etat acquiert une part majoritaire du secteur financier, même si les fonds souverains, associés à des investisseurs de capitaux privés, interviennent plus massivement encore qu'ils ne le font. L'Etat le permettra-t-il ? A terme, les fonds souverains représentent un danger, mais il n'existe aucune autre source de capitaux disponibles que ces trois acteurs-là.
N. O. - Barack Obama est favorable à une plus grande intervention de l'Etat. Il évoque un nouveau New Deal...
G. Soros. - Je crois qu'un New Deal sera nécessaire pour faire face à ce krach dont nous vivons les prémices. Pour empêcher les prix de l'immobilier de subir un effondrement aussi disproportionné que leur flambée, il faut donc augmenter l'offre en matière d'hypothèques et de prêts immobiliers, limiter les saisies pour éviter les ventes forcées et créer un organisme chargé de conserver les propriétés immobilières en attendant que la demande remonte. Les autorités publiques doivent donc êtres très actives en amont. Par ailleurs, il faut absolument renégocier le remboursement des prêts immobiliers et des hypothèques pour éviter que des gens ne soient chassés de chez eux. Il faut modifier aussi la loi sur les faillites, qui pour le moment ne permet pas aux juges de rééchelonner les prêts sur les résidences principales. Les milieux d'affaires n'aiment pas ce genre de régulations soupçonnées d'affecter la rentabilité des activités financières, mais ils n'ont plus le choix. Ce sont surtout les fonds spéculatifs (hedge funds) qui en pâtiront, mais il s'agit là d'une activité artificielle qui ne produit rien. J'ajoute que l'Etat devrait contribuer à créer une nouvelle source de demande. Qu'est-ce qui pourrait l'alimenter ? Je pense par exemple à la création d'une grande industrie de la dépollution pour faire face au réchauffement climatique. Travailler à réduire les émissions de carbone dans l'atmosphère suppose des investissements massifs, mais à terme ils représentent un moteur de l'économie, donc un substitut à une consommation déclinante.
N. O. - La crise financière sera donc au centre de l'élection présidentielle américaine...
G. Soros. - C'est la première fois que la population américaine prend conscience de la réalité de la crise financière et de ses conséquences sur sa vie quotidienne. J'imagine que cette situation profitera à Obama. Il s'est prononcé en faveur d'une réforme de la loi sur les faillites, et les démocrates sont traditionnellement plus favorables à une intervention publique que les républicains et les intégristes du marché. La gravité de la situation va changer les mentalités.
N. O. - Pour les républicains, vous êtes l'homme à abattre...
G. Soros. - Je sais ! Mais mon soutien à Obama consiste à ne pas m'afficher à ses côtés. Je ne l'ai rencontré qu'une fois.
N. O. - Vous avez été un pionnier des fonds spéculatifs. Un remords ?
G. Soros. - Je ne regrette rien, et je n'éprouve aucune culpabilité car j'ai toujours respecté et milité pour améliorer les règles de fonctionnement que j'avais établies pour ces hedge funds, même lorsqu'elles allaient à l'encontre de mon intérêt personnel. Je suis trop vertueux, fût-ce à mes dépens !
N. O. - Votre propre entreprise se porte bien ?
G. Soros. - Ca peut aller. Nous sommes pratiquement à zéro, ce qui, compte tenu des circonstances, est presque idéal !
George Soros est le président du Soros Fund Management et le fondateur d'un réseau mondial de fondations philanthropiques intervenant notamment dans le domaine des droits de l'homme. Il est l'auteur de plusieurs ouvrages dont «le Grand Désordre mondial» et «Pour l'Amérique. Contre Bush». Il vient de publier «la Vérité sur la crise financière» aux Editions Denoël.
Jean-Gabriel Fredet, François Armanet. Le Nouvel Observateur.
N. O. - Votre propre entreprise se porte bien ?
G. Soros. - Ca peut aller. Nous sommes pratiquement à zéro, ce qui, compte tenu des circonstances, est presque idéal !
George Soros est le président du Soros Fund Management et le fondateur d'un réseau mondial de fondations philanthropiques intervenant notamment dans le domaine des droits de l'homme. Il est l'auteur de plusieurs ouvrages dont «le Grand Désordre mondial» et «Pour l'Amérique. Contre Bush». Il vient de publier «la Vérité sur la crise financière» aux Editions Denoël.
Jean-Gabriel Fredet, François Armanet. Le Nouvel Observateur.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire