Faut-il repenser le système ?
LEMONDE.FR 12.10.08 09h58 • Mis à jour le 12.10.08 10h00
"La survie de l'espèce l'exige", par Paul Jorion.
La situation actuelle est très grave : il n'existe aucune position de repli. Il faut comprendre ce qui s'est passé et produire à partir de là des solutions tout à fait neuves, car les demi-mesures, on l'observe chaque jour, en Europe comme aux Etats-Unis, sont aussitôt emportées par la bourrasque.
Une refonte radicale des accords de Bretton Woods passe par une redéfinition des fonctions exercées par les banques centrales. Dans le cadre du capitalisme, le capitaliste avance un capital à un entrepreneur qui le fera fructifier. Tous deux se partagent ensuite le surplus généré par la combinaison de ces avances et du travail humain.
Or, depuis 1975 environ, les investisseurs - les "capitalistes" - et les dirigeants d'entreprise ont eu la folie de substituer à la part déclinante du surplus revenant aux salariés le crédit à la consommation. La réalité les a rattrapés et nous payons aujourd'hui le prix d'une telle cupidité.
Les banques centrales ont joué ici un rôle particulier, devenant des machines de guerre entre les mains des investisseurs seuls, manipulant les taux d'intérêt pour faire taire les entrepreneurs sous la menace de la fermeture d'entreprise, et les salariés sous celle du chômage.
Les intérêts récompensent le capitaliste des avances consenties à l'entrepreneur. Pour que les intérêts puissent être versés, il faut que ces avances aient créé une authentique richesse. Or le prêt à la consommation ne remplit pas ces conditions : le versement des intérêts est ponctionné sur le salaire de l'emprunteur, produit de son labeur, et nullement sur un surplus généré grâce aux avances. Lorsque les salaires déclinent, les ménages empruntent davantage. Les fonds ne constituent pas une avance productive mais le bouche-trou d'un salaire insuffisant. Du coup, les ménages gèrent leur budget à l'instar d'une "cavalerie". Il vient un moment où la masse salariale décline à ce point que la cavalerie rentre dans le mur. C'est ce qui vient d'arriver.
Une mission délicate avait été confiée aux banques centrales : s'assurer que la monnaie reflète la richesse véritablement créée et non, comme c'est le cas aujourd'hui, le montant des paris faits partout dans le monde. Il faut que cette mission redevienne d'urgence leur tâche essentielle, réduisant la masse monétaire quand la richesse se contracte et l'augmentant quand elle est en expansion.
Ce rôle, elles l'ont assumé par le passé, mais dans un cadre faussé de deux manières. D'abord, parce qu'elles représentent les intérêts des seuls investisseurs, alors qu'elles devraient représenter la nation tout entière dans le cadre d'une redistribution juste de la richesse.
Faussé aussi parce que aveugle à la nature finie du monde que nous habitons : comptabilisant comme bénéfice net le pillage des ressources naturelles non renouvelables, alors que la richesse doit se juger à sa juste mesure, c'est-à-dire à l'aune de la santé de la planète, où son épuisement doit être enregistré au passif.
Un Bretton Woods II ne doit pas viser à modifier la nature humaine : il s'y casserait les dents. Mais le système financier est en morceaux. Le rebâtir ne sera pas un luxe, car ce qui est en cause, c'est la survie de l'espèce. Celle-ci réclame un Bretton Woods dont elle puisse se souvenir, où l'on définisse des principes pour les siècles à venir : les principes d'une constitution pour l'économie qui serait axée sur la reconstruction du système financier et qui lui rende sa fonction première. Etre le système sanguin de l'économie réelle, celle de la production, de la distribution et de la répartition des richesses. Une constitution qui veille à ce que les états de fait ne dictent pas leur loi.
Paul Jorion est professeur invité à l'université de Californie de Los Angeles.
Auteur de "La Crise : des subprimes au séisme financier mondial", Fayard (à paraître en novembre)
LEMONDE.FR 12.10.08 09h58 • Mis à jour le 12.10.08 10h00
"La survie de l'espèce l'exige", par Paul Jorion.
La situation actuelle est très grave : il n'existe aucune position de repli. Il faut comprendre ce qui s'est passé et produire à partir de là des solutions tout à fait neuves, car les demi-mesures, on l'observe chaque jour, en Europe comme aux Etats-Unis, sont aussitôt emportées par la bourrasque.
Une refonte radicale des accords de Bretton Woods passe par une redéfinition des fonctions exercées par les banques centrales. Dans le cadre du capitalisme, le capitaliste avance un capital à un entrepreneur qui le fera fructifier. Tous deux se partagent ensuite le surplus généré par la combinaison de ces avances et du travail humain.
Or, depuis 1975 environ, les investisseurs - les "capitalistes" - et les dirigeants d'entreprise ont eu la folie de substituer à la part déclinante du surplus revenant aux salariés le crédit à la consommation. La réalité les a rattrapés et nous payons aujourd'hui le prix d'une telle cupidité.
Les banques centrales ont joué ici un rôle particulier, devenant des machines de guerre entre les mains des investisseurs seuls, manipulant les taux d'intérêt pour faire taire les entrepreneurs sous la menace de la fermeture d'entreprise, et les salariés sous celle du chômage.
Les intérêts récompensent le capitaliste des avances consenties à l'entrepreneur. Pour que les intérêts puissent être versés, il faut que ces avances aient créé une authentique richesse. Or le prêt à la consommation ne remplit pas ces conditions : le versement des intérêts est ponctionné sur le salaire de l'emprunteur, produit de son labeur, et nullement sur un surplus généré grâce aux avances. Lorsque les salaires déclinent, les ménages empruntent davantage. Les fonds ne constituent pas une avance productive mais le bouche-trou d'un salaire insuffisant. Du coup, les ménages gèrent leur budget à l'instar d'une "cavalerie". Il vient un moment où la masse salariale décline à ce point que la cavalerie rentre dans le mur. C'est ce qui vient d'arriver.
Une mission délicate avait été confiée aux banques centrales : s'assurer que la monnaie reflète la richesse véritablement créée et non, comme c'est le cas aujourd'hui, le montant des paris faits partout dans le monde. Il faut que cette mission redevienne d'urgence leur tâche essentielle, réduisant la masse monétaire quand la richesse se contracte et l'augmentant quand elle est en expansion.
Ce rôle, elles l'ont assumé par le passé, mais dans un cadre faussé de deux manières. D'abord, parce qu'elles représentent les intérêts des seuls investisseurs, alors qu'elles devraient représenter la nation tout entière dans le cadre d'une redistribution juste de la richesse.
Faussé aussi parce que aveugle à la nature finie du monde que nous habitons : comptabilisant comme bénéfice net le pillage des ressources naturelles non renouvelables, alors que la richesse doit se juger à sa juste mesure, c'est-à-dire à l'aune de la santé de la planète, où son épuisement doit être enregistré au passif.
Un Bretton Woods II ne doit pas viser à modifier la nature humaine : il s'y casserait les dents. Mais le système financier est en morceaux. Le rebâtir ne sera pas un luxe, car ce qui est en cause, c'est la survie de l'espèce. Celle-ci réclame un Bretton Woods dont elle puisse se souvenir, où l'on définisse des principes pour les siècles à venir : les principes d'une constitution pour l'économie qui serait axée sur la reconstruction du système financier et qui lui rende sa fonction première. Etre le système sanguin de l'économie réelle, celle de la production, de la distribution et de la répartition des richesses. Une constitution qui veille à ce que les états de fait ne dictent pas leur loi.
Paul Jorion est professeur invité à l'université de Californie de Los Angeles.
Auteur de "La Crise : des subprimes au séisme financier mondial", Fayard (à paraître en novembre)
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