LIBERATION .Économie 8 oct. 6h51.
«Le problème est qu’il manque une théorie révolutionnaire»
Yves Michaud. Philosophe directeur de l’Université de tous les savoirs.
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On n’y comprend pas grand-chose. On comprend qu’il y a eu une bulle spéculative financière sur l’immobilier aux Etats-Unis, que les établissements financiers ont émis des titres de créance garantis sur ces bien immobiliers et que les créances ne pouvant être honorées, tout le système se retrouve en cascade privé de garantie. On comprend aussi que les banques ont seulement une petite partie de fonds propres, le reste correspondant à des actifs plus ou moins liquides et dont la valeur ne cesse de baisser voire de se volatiliser (les fameux actifs toxiques). Elles sont donc fragilisées en cascade, d’autant plus qu’elles ne cessent de se prêter des fonds (le marché interbancaire) ou de prendre des participations croisées. Bref, il y a fragilisation mécanique de tout le système bancaire, y compris quand il est «sain», par effet de contagion en cascade. Il y a aussi une formidable déflation : l’estimation de la richesse est revue à la baisse. C’est ce qu’on appelle destruction de richesse. Vous croyez que la croûte que vous a léguée votre grand-mère est un tableau de maître, mais c’est une vulgaire copie et vous êtes beaucoup moins riche. Pour le reste et surtout dans le détail, on n’y comprend rien.
Psychologie
Tant qu’on croit, tout va bien. Si on n’y croit plus (la perte de confiance»), tout vacille. Des queues se forment devant les banques. D’où les efforts pour rassurer, d’où le plan Paulson, aussi mauvais soit-il pourvu qu’il rassure les marchés, d’où les proclamations des dirigeants européens, les rencontres et sommets, même sans résultats tangibles. Il faut éviter la panique. Ce n’est en revanche plus de la psychologie quand on ne trouve plus d’escompte, quand il n’y a plus d’embauche, quand les chantiers s’arrêtent (même à Dubaï) parce qu’il n’y a ni bailleurs de fonds ni acheteurs.
Le manque de compétence
On n’y comprend rien, ai-je dit. Pas seulement nous, mais probablement tout autant les banquiers, les financiers, les parachutistes dorés. Ils semblent ne même pas savoir quels risques leurs établissements encourent parce qu’ils ne savent pas où ces risques sont logés. L’affaire Kerviel-Sociéte générale aurait dû nous mettre la puce à l’oreille. On a monté un formidable et intelligent système financier auquel plus personne ne comprend rien. On dit aux Etats-Unis que la difficulté principale du plan Paulson va être de l’appliquer en identifiant quels risques sont ou non toxiques et à quel niveau de prix racheter ces actifs «illiquides» faute de valeur estimable. On va donc «outsourcer», c’est-à-dire confier à des agences extérieures ce soin. On demandera aux experts financiers de faire les évaluations qu’ils n’ont pas été capables de faire au sein de leurs établissements…
On n’y comprend rien (suite)
Il y a une crise de liquidités : les banques ne se prêtent plus entre elles par manque de confiance. La Federal Reserve Bank aux Etats-Unis et la Banque centrale européenne en Europe injectent donc au jour le jour ces précieuses liquidités. Mais d’où viennent-elles ? Pour combien de temps ? En quantité suffisante ? Est-ce que ça ne revient pas à faire marcher la planche à billets ? Aux Etats-Unis, c’est peu douteux : la masse monétaire a augmenté de 1 400 % depuis trente ans et les autorités américaines ont cessé de fournir des informations sur cette masse depuis 2006… Quid en Europe ? Mystère.
La faute à personne ?
A gauche et au Modem, on dit que c’est la faute à Sarkozy. Quand même pas à voix trop forte : notre Président a beau être mégalo, on le voit pas à lui tout seul provoquer une telle crise. Alors, c’est la faute aussi aux financiers, aux parachutistes dorés, aux riches. Comble d’horreur, on va prendre l’épargne des pauvres (le livret A) pour sauver les riches. Visiblement, beaucoup croient que la Caisse d’épargne est une sorte de coffre ou de trou où on enterre son argent. Passons. Aux Etats-Unis, le futur retraité, qui a placé ses économies dans un fonds de pension, se licencie lui-même via le fonds de pension parce que l’entreprise où il travaille ne rapporte pas les fatidiques 15 % de retour sur investissement du marché financier…
Le pouvoir politique
Il est impuissant. Bush dévalué mais toujours aussi sournois («une petite guerre contre l’Iran, ça arrangerait les choses ?») n’est pas écouté. En Europe, chacun proclame le besoin d’union, mais joue perso jusqu’au moment où il faudra bien s’aider pour limiter la casse. On est quand même bien content que l’Etat soit là. On est heureux de sa présence rassurante. C’est l’Etat en tant que le collectif, en tant que l’ensemble des citoyens qui veulent se protéger les uns les autres. La forme la plus simple, mais aussi la plus robuste du politique : la puissance publique comme puissance de tous.
La récession
Certains ont déjà laissé ou laisseront des plumes dans cette crise. Parfois des vraies plumes, parfois des parures gonflées et rapportées (les fortunes mirobolantes des traders, des chevaliers de finance, des oligarques) D’autres pourront faire le gros dos. Le plus dur vient juste après : la récession, la hausse du chômage, la baisse de la consommation, avec leurs conséquences politiques, notamment en France sur le programme des réformes, sur la redistribution des investissements, sur la réforme fiscale.
Les malins
Tout ceci devrait être du pain béni pour l’extrême gauche. Elle a enfin sa vraie crise du capitalisme, pas juste une petite bulle qui éclate. Jean-Marc Rouillan devrait pouvoir reprendre ses activités armées en ressortant de prison. Le problème est qu’il manque une théorie révolutionnaire de la crise de ce capitalisme financier. On aura du mal à proposer juste un retour à un capitalisme de production industrielle (celui dont semblent parfois rêver Sarkozy et Guaino quand ils opposent le travail à la spéculation) car ce capitalisme financier a apporté une partie de la formidable croissance mondialisée des vingt dernières années (y compris celle qui s’est faite aux dépens des pays riches). On a donc une crise, des ferments de mouvement social, mais pas de théorie, sauf quelque chose comme la doctrine castriste, le besancenotisme ou le bovéisme. Que font les économistes ? Depuis un ou deux ans, sont parus à la volée les plus sombres diagnostics des meilleurs économistes («les incendiaires», «le capitalisme s’autodétruit», «nous ruinons nos enfants», «les banques sont folles»…). La plupart de ces économistes occupent des postes de conseillers ou de directeurs des études économiques dans des grandes banques, dont certaines mal en point.
«Le problème est qu’il manque une théorie révolutionnaire»
Yves Michaud. Philosophe directeur de l’Université de tous les savoirs.
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On n’y comprend pas grand-chose. On comprend qu’il y a eu une bulle spéculative financière sur l’immobilier aux Etats-Unis, que les établissements financiers ont émis des titres de créance garantis sur ces bien immobiliers et que les créances ne pouvant être honorées, tout le système se retrouve en cascade privé de garantie. On comprend aussi que les banques ont seulement une petite partie de fonds propres, le reste correspondant à des actifs plus ou moins liquides et dont la valeur ne cesse de baisser voire de se volatiliser (les fameux actifs toxiques). Elles sont donc fragilisées en cascade, d’autant plus qu’elles ne cessent de se prêter des fonds (le marché interbancaire) ou de prendre des participations croisées. Bref, il y a fragilisation mécanique de tout le système bancaire, y compris quand il est «sain», par effet de contagion en cascade. Il y a aussi une formidable déflation : l’estimation de la richesse est revue à la baisse. C’est ce qu’on appelle destruction de richesse. Vous croyez que la croûte que vous a léguée votre grand-mère est un tableau de maître, mais c’est une vulgaire copie et vous êtes beaucoup moins riche. Pour le reste et surtout dans le détail, on n’y comprend rien.
Psychologie
Tant qu’on croit, tout va bien. Si on n’y croit plus (la perte de confiance»), tout vacille. Des queues se forment devant les banques. D’où les efforts pour rassurer, d’où le plan Paulson, aussi mauvais soit-il pourvu qu’il rassure les marchés, d’où les proclamations des dirigeants européens, les rencontres et sommets, même sans résultats tangibles. Il faut éviter la panique. Ce n’est en revanche plus de la psychologie quand on ne trouve plus d’escompte, quand il n’y a plus d’embauche, quand les chantiers s’arrêtent (même à Dubaï) parce qu’il n’y a ni bailleurs de fonds ni acheteurs.
Le manque de compétence
On n’y comprend rien, ai-je dit. Pas seulement nous, mais probablement tout autant les banquiers, les financiers, les parachutistes dorés. Ils semblent ne même pas savoir quels risques leurs établissements encourent parce qu’ils ne savent pas où ces risques sont logés. L’affaire Kerviel-Sociéte générale aurait dû nous mettre la puce à l’oreille. On a monté un formidable et intelligent système financier auquel plus personne ne comprend rien. On dit aux Etats-Unis que la difficulté principale du plan Paulson va être de l’appliquer en identifiant quels risques sont ou non toxiques et à quel niveau de prix racheter ces actifs «illiquides» faute de valeur estimable. On va donc «outsourcer», c’est-à-dire confier à des agences extérieures ce soin. On demandera aux experts financiers de faire les évaluations qu’ils n’ont pas été capables de faire au sein de leurs établissements…
On n’y comprend rien (suite)
Il y a une crise de liquidités : les banques ne se prêtent plus entre elles par manque de confiance. La Federal Reserve Bank aux Etats-Unis et la Banque centrale européenne en Europe injectent donc au jour le jour ces précieuses liquidités. Mais d’où viennent-elles ? Pour combien de temps ? En quantité suffisante ? Est-ce que ça ne revient pas à faire marcher la planche à billets ? Aux Etats-Unis, c’est peu douteux : la masse monétaire a augmenté de 1 400 % depuis trente ans et les autorités américaines ont cessé de fournir des informations sur cette masse depuis 2006… Quid en Europe ? Mystère.
La faute à personne ?
A gauche et au Modem, on dit que c’est la faute à Sarkozy. Quand même pas à voix trop forte : notre Président a beau être mégalo, on le voit pas à lui tout seul provoquer une telle crise. Alors, c’est la faute aussi aux financiers, aux parachutistes dorés, aux riches. Comble d’horreur, on va prendre l’épargne des pauvres (le livret A) pour sauver les riches. Visiblement, beaucoup croient que la Caisse d’épargne est une sorte de coffre ou de trou où on enterre son argent. Passons. Aux Etats-Unis, le futur retraité, qui a placé ses économies dans un fonds de pension, se licencie lui-même via le fonds de pension parce que l’entreprise où il travaille ne rapporte pas les fatidiques 15 % de retour sur investissement du marché financier…
Le pouvoir politique
Il est impuissant. Bush dévalué mais toujours aussi sournois («une petite guerre contre l’Iran, ça arrangerait les choses ?») n’est pas écouté. En Europe, chacun proclame le besoin d’union, mais joue perso jusqu’au moment où il faudra bien s’aider pour limiter la casse. On est quand même bien content que l’Etat soit là. On est heureux de sa présence rassurante. C’est l’Etat en tant que le collectif, en tant que l’ensemble des citoyens qui veulent se protéger les uns les autres. La forme la plus simple, mais aussi la plus robuste du politique : la puissance publique comme puissance de tous.
La récession
Certains ont déjà laissé ou laisseront des plumes dans cette crise. Parfois des vraies plumes, parfois des parures gonflées et rapportées (les fortunes mirobolantes des traders, des chevaliers de finance, des oligarques) D’autres pourront faire le gros dos. Le plus dur vient juste après : la récession, la hausse du chômage, la baisse de la consommation, avec leurs conséquences politiques, notamment en France sur le programme des réformes, sur la redistribution des investissements, sur la réforme fiscale.
Les malins
Tout ceci devrait être du pain béni pour l’extrême gauche. Elle a enfin sa vraie crise du capitalisme, pas juste une petite bulle qui éclate. Jean-Marc Rouillan devrait pouvoir reprendre ses activités armées en ressortant de prison. Le problème est qu’il manque une théorie révolutionnaire de la crise de ce capitalisme financier. On aura du mal à proposer juste un retour à un capitalisme de production industrielle (celui dont semblent parfois rêver Sarkozy et Guaino quand ils opposent le travail à la spéculation) car ce capitalisme financier a apporté une partie de la formidable croissance mondialisée des vingt dernières années (y compris celle qui s’est faite aux dépens des pays riches). On a donc une crise, des ferments de mouvement social, mais pas de théorie, sauf quelque chose comme la doctrine castriste, le besancenotisme ou le bovéisme. Que font les économistes ? Depuis un ou deux ans, sont parus à la volée les plus sombres diagnostics des meilleurs économistes («les incendiaires», «le capitalisme s’autodétruit», «nous ruinons nos enfants», «les banques sont folles»…). La plupart de ces économistes occupent des postes de conseillers ou de directeurs des études économiques dans des grandes banques, dont certaines mal en point.
Question : ils étaient là pour les conseils, pour la déco, pour le salaire ?
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