mercredi 13 mai 2009

VICTOR HUGO. LA PROPRIETE ARTISTIQUE.

(21 Juin 1878 - Allocution de Victor Hugo au Congrès Littéraire International sur sa position concernant la propriété artistique ).
"Messieurs ,
dans cette grave question de la propriété littéraire, il y a deux unités en présence : l'auteur et la société.
Je me sers de ce mot unité pour abréger ; ce sont comme deux personnes distinctes.
Tout à l'heure nous allons aborder la question d'un tiers, l'héritier. Quant à moi, je n'hésite pas à dire que le droit le plus absolu, le plus complet, appartient à ces deux unités : l'auteur qui est la première unité, la société qui est la seconde.
L'auteur donne le livre, la société l'accepte ou ne l'accepte pas. Le livre est fait par l'auteur, le sort du livre est fait par la société.
L'héritier ne fait pas le livre ; il ne peut avoir les droits de l'auteur. L'héritier ne fait pas le succès ; il ne peut avoir le droit de la société.
Je verrais avec peine le Congrès reconnaître une valeur quelconque à la volonté de l'héritier.
Ne prenons pas de faux points de départ. L'auteur sait ce qu'il fait ; la société sait ce qu'elle fait ; l'héritier, non. Il est neutre et passif.
Examinons d'abord les droits contradictoires de ces deux unités : l'auteur qui crée le livre, la société qui accepte ou refuse cette création. L'auteur a évidemment un droit absolu sur son oeuvre, ce droit est complet. Il va très loin, car il va jusqu'à la destruction. Mais entendons-nous bien sur cette destruction.
Avant la publication l'auteur a un droit incontestable et illimité.
Mais dès que l'oeuvre est publiée, l'auteur n'en est plus le maître.
C'est alors l'autre personnage qui s'en empare, appelez-le du nom que vous voudrez : esprit humain, domaine public, société. C'est ce personnage-là qui dit : Je suis là, je prends cette oeuvre, j'en fais ce que je crois devoir en faire, moi, esprit humain ; je la possède, elle est à moi désormais.
L'oeuvre n'appartient plus à l'auteur lui-même, il n'en peut désormais rien retrancher.
L'homme qui vous parle en ce moment a commencé par être catholique et monarchiste. Il a subi les conséquences d'une éducation aristocratique et cléricale. L'a-t-on vu refuser l'autorisation de rééditer des oeuvres de sa presque enfance ? Non.
J'ai tenu à marquer mon point de départ. J'ai voulu pouvoir dire : Voilà d'où je suis parti et voilà où je suis arrivé. Je ne veux pas supprimer les premières années de ma vie. Mais je vais bien plus loin , je dis : Il ne dépend pas de l'auteur de faire une rature dans son oeuvre quand il l'a publiée. Il peut faire une correction de style, il ne peut pas faire une rature de conscience. Pourquoi ? Parce que l'autre personnage, le public, a pris possession de son oeuvre ."

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