mardi 5 mai 2009

LAVILLIERS : UN SPECTACLE QUI DEGAGE DU PLAISIR, DE LA FORCE, DE LA POESIE.



LIBERATION. Culture. 28/04/2009 à 14h49
Lavilliers: «Un spectacle qui dégage du plaisir, de la force et de la poésie»

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«Si je chante, c'est en partie grâce à Léo Ferré», assure le Stéphanois. C'est «l'un de mes "modèles en qualité", pour son sens de l'invective, sa marginalité». A l'occasion de la sortie d'un DVD live, Bernard Lavilliers a répondu à vos questions.
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Michel. Parmi les qualités attribuées à Léo Ferré par Bernard Lavilliers, il en manque une: le courage, vertu qui se fait rare de nos jours. D'autres chanteurs se vantent de l'amitié que leur portait Léo, je pense à Barbelivien proche de qui vous savez, à Lalanne et quelques autres. Comment Ferré manifestait-il son amitié ? Est-ce que c'était des rencontres épisodiques ou des relations plus régulières, des discussions, des échanges de points de vue?
Bernard Lavilliers.
Au courage, qui est de toute évidence la valeur d'un artiste, Léo Ferré ajoutait l'audace. Il manifestait son amitié à travers des répliques ou des lettres pleines d'humour et de soutien. Je n'ai jamais eu l'impression qu'il y avait un cercle autour de Léo.
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Pascal. Je me souviens de ce film vidéo passé à la télé en 1992, où Léo est venu chanter La mémoire et la mer dans une émission qui vous était consacrée. Quels souvenirs gardez-vous de ce moment?
C'était très émouvant, très drôle. J'insiste sur l'humour puisque ce n'est pas l'image médiatique que dégageait Léo. En dehors de ça, il a changé un peu la mélodie de sa chanson, et nous avons eu l'occasion d'en chanter d'autres qui ne sont pas dans l'émission. A l'époque, nous étions moins surveillés.
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Cambien : La mémoire et la mer semble vous tenir particulièrement à coeur. Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur cette chanson en particulier ?
Cette chanson est complètement mystérieuse. Elle a la grande qualité d'emmener dans un voyage cérébral et poétique. On ne sait jamais vraiment ce que signifient les métaphores, il a beaucoup de musique dans les mots. Par exemple, «Au ras des rocs qui se consument...» D'autre part, cette double interprétation de la mémoire, puisque la mer est toujours renouvelée, c'est une chanson du futur, voilà ce que je ressens quand je la chante. C'est vrai qu'elle me tient à coeur.
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Elsaragon. J'attendais ce DVD avec impatience. Merci! Ferré avait repris des textes d'Aragon dont vous appréciez la poésie. Pensez-vous un jour faire un CD mettant en musique les poèmes de Louis Aragon ?
C'est possible, puisque mes amis de l'Humanité m'ont fait cadeau des éditions originales Messidor en neuf volumes, qui comprennent à la fois les articles politiques, la poésie, et les critiques littéraires que faisait Louis Aragon dans les Lettres françaises. J'ai mis en musique La Rose et le réséda pour madame Juliette Gréco, ça c'est fort bien passé, et j'ai bien l'intention de continuer.
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Fabndjema. Je ne viens pas te faire un procès d'intention, je suis fan de ton travail depuis longtemps déjà. Je t'entendais juste dimanche sur France Inter dans Eclektik, tu louais la mémoire de Léo... Penses-tu que Léo aurait signé l'appel en faveur de la loi Hadopi, comme tu viens de le faire?
Je pense qu'il n'aurait pas apporté les mêmes nuances que moi. Nous imaginions tous les deux que les majors étaient payées pour nous défendre, et non pas le contraire. Comme il n'était pas confronté aux nouvelles technologies, je ne peux pas imaginer quelle aurait été sa colère, à la fois contre les multi et contre le détournement. Je citerai Léo: «Je t'ai rencontré par hasard, ici, ailleurs, ou autre part, il se peut que tu t'en souviennes» (...) «et nos soirées sans cinéma, et mon succès qui ne vient pas, et notre pitance incertaine».
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Cambien. En tant qu'admirateur de Léo Ferré, avez-vous écouté les enregistrements inédits qui sortent régulièrement depuis sa mort? Si oui, qu'en pensez-vous?
J'en ai écouté quelques-uns, en particulier le Baudelaire. Pour ma part, j'ai apprécié Noir Désir et le travail de Jean-Louis Murat.
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Hervé. Votre musique, vos textes, voire peut-être votre vie se sont structurés principalement autour du voyage. Cette volonté d’aller chercher «sa vérité» ailleurs vous a toujours permis de jouer des styles de musique bien avant leur émergence en France (je pense à la salsa, au reggae notamment). Est-ce que cette envie de tendre l’oreille vers d’autres sonorités demeure toujours intacte chez vous?
Oui, d'ailleurs je suis sur une oeuvre de Blaise Cendrars la Prose du Transibérien, pas commercial, mais très intéressant de faire découvrir la poésie du début du XXe siècle, avec des arrangements orientaux-libanais.
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Bob laburne. Est-ce que tu reprends les Anarchistes»? Si oui, n'as-tu pas peur que MAM t'emprisonne pour ultragauchisme?
Non, dans ce DVD, je n'ai pas repris les Anarchistes, j'avais d'autres choix. Par exemple, Merde à Vauban, de Pierre Seghers, ou l'Affiche rouge, de Louis Aragon. Dans un autre, je rendrai un hommage particulier à cette phrase: «Le désespoir étant la forme supérieure de la critique, pour l'instant, nous l'appellerons bonheur.»
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Renépichon. Depuis quand la poésie de Ferré vous accompagne-t-elle? Dès le Stéphanois? Avant? Après?
Depuis toujours. Dans mes souvenirs, ma mère écoutait «Ce sont de drôles de types...» sur un vieux poste de radio qui ressemblait à une usine à gaz. Et depuis, je continue.
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Cambien. Le choix des chansons de Ferré a-t-il été difficile ou bien c'était un choix évident?
C'est un choix instinctif. Je connais la plupart des chansons de Ferré, même les souterraines. Pour rappeler à la mémoire du public de Léo, et pour faire découvrir aux miens des perles, il fallait que le spectacle ne soit ni religieux, ni didactique, qu'il s'y dégade du plaisir, de la force et de la poésie, évidemment. J'ai fait ainsi le choix des tonalités, des sujets, des tempos, du début au piano solo, du passage rock psychédélique: «Amour anarchie», et le final symphonique en citant Caussimon, Rimbaud, Verlaine, Aragon.
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Jolie-môme. Pensez-vous comme Léo que la solitude est la pire chose qui existe sur cette terre?
Léo pensait que la solitude, c'est le prix à payer des artistes, de leur création. Et même le prix à payer des anarchistes, puisqu'il n'appréciait pas leur fédération. Pour un solitaire, il était très bavard, ouvert et chaleureux. Il donnait l'impression d'être cinglant, because timidité, parce qu'il était timide, sous ses airs fanfarons.
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Lagrippe. Vous avez chanté en soutien à la Fédération anarchiste. Vous le referez?
Oui, j'ai même fait plusieurs concerts pour la création de Radio libertaire, dans les années 80.Chrisven. D'après toi, quel groupe ou chanteur de la «nouvelle scène française» semble être le digne successeur de la lignée Aragon-Ferré-Lavilliers ?
C'est pas mince comme responsabilité. Je pense que la nouvelle génération est moins lyrique que nous. Je vous citerai un artiste pas très connu qui est capable d'avoir des oreilles et un cerveau: Balbino Medellin. Il a quelque chose de tragique, tout en étant extrêmement drôle.
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Jenlucroy. Salut d'un vieux pote de la Manu! La dernière fois que je t'ai vu, c'était à la Fête de l'Huma, avec la surprise Léo. Je n'ai pas de question, juste: continue, en souvenir de nos parents (...) et bonne santé et encore plus de Ferré...
Je te salue, on se reverra à la prochaine Fête de l'Huma...
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Siouf. Léo Ferré jouait arrière-gauche, mais il était également capable de monter sur l'aile-droite. Que pensez-vous de cette polyvalence étonnante ?
On peut imaginer Léo Ferré légèrement réactionnaire aux nouvelles technologies et à l'électricité. La preuve, il avait une île au large de Cancale, où il n'y avait ni chauffage, ni électricité. D'ici à dire que Léo puisse être de droite et souverainiste, il y a une marge.
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Mecanophilo : A quand un album entièrement tourné vers l'Afrique? Comme vous vouliez le faire déjà auparavant?
L'Afrique va être présente dans mon prochain album, même très présente. Un album mélangé, avec la latinité dont nous faisons partie et qui fait de beaux métis.Travail. Votre chanson Travailler encore revient à l'actualité avec toutes ces suppressions d'emploi. Pouvez-vous vous engager de nouveau en faveur de tous ces travailleurs qui perdent leur travail, même si ce ne sera plus dans la sidérurgie et dans votre région de naissance? Si oui, sous forme de chansons? Une nouvelle critique du capitalisme?
Je ne lâcherai pas mes racines, j'en ai écrit d'autres, moins sidérurgiques. Effectivement, les Mains d'or parlent de ce que je connais: les laminoirs, le travail de nuit, la pluie et la neige. Je me déplace pour l'instant dans les usines occupées pour leur redonner le moral. De cette expérience je tirerai sûrement un texte fédérateur.
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Marie-Claire. Bernard, ton texte Utopia date de 1977. Le réécrirais-tu en 2009? Et si oui, comment?
On ne peut pas affirmer réécrire un texte de cette sorte, avec des mots d'aujourd'hui. Je pourrai réécrire un passage: «La petite gauche vivotait, frileuse comme une alouette», mais la situation est multinationale, et plus prêt de Big Brother que les Anarchistes. Donc, moins lyrique.
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Croixdusud. Vous avez écrit, dans Saint Etienne, «On n'est pas d'un pays, mais on est d'une ville...». Après cent voyages, avez-vous vérifié cette assertion?
Absolument. Le problème, c'est qu'en voyageant, elles changent. On finit par se fabriquer une ville idéale, faite de tous les êtres humains rencontrés. On ne fuit pas, on se déplace.
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Fabndjema. Tu écrivais sur l'album Pouvoirs que «l'avenir est un chien crevé sous un meuble»... Es-tu toujours aussi catégorique?
Pouvoir était un album très provocateur, dans une époque un peu sûre d'elle, avec une belle croissance. Donc l'affirmation ressemble à l'époque.Le Baron. Pensez-vous que les paroles du Troisième couteau sont toujours d'actualité ?
Oui, plus que jamais. Quand les politiques mettront les mains dans le cambouis des paradis fiscaux, j'écrirai la suite.

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