Chronique d'abonnés. Le Monde.
S'exprimer librement ? Comprenez-moi, j'hésite...par Etis 1. 01.03.09.
Quand j'écris, en fait, je n'écris plus, j'hésite...Ainsi, je voulais faire de la liberté d'expression le sujet de cette chronique. Beau sujet, certes, mais risqué. Alors j’hésite…
Pour intéresser le lecteur, il m’aurait fallu prendre des exemples précis dans notre actualité, mais ce sont autant de sujets de polémique. Alors j’hésite… Je peux quand même citer Siné. Ouf ! Il vient juste d'être relaxé et je suis content pour lui. Mais, voyez-vous, s'il faut passer pour s’exprimer librement par où Siné est passé, la case relaxe après la case poursuite, alors, j'hésite…
Si à chaque fois que j’écris ma vérité, je dois me poser la question de savoir si ma phrase est assez bien tournée pour qu’un lecteur, à l'esprit qui ne le serait pas, ne puisse lui faire dire autre chose que ce qu'elle dit et parfois même exactement son contraire, alors, j’hésite… Bien sûr, cette interrogation sur ma manière d’écrire serait utile si elle répondait à une exigence de rigueur littéraire ou philosophique, mais, hélas, elle n’est plus chez moi qu’angoisse procédurière. Comme j’ai l’impression que chaque lecteur va me faire lire par son avocat dans l’espoir du procès qu’il pourra m’intenter, je suis tenté d'écrire avec le code pénal sur les genoux. C’est lourd et compliqué! Je ne peux me résigner à écrire sous contrôle judiciaire. Alors j’hésite…
Autrefois l’écrivain ne craignait qu’un lecteur, le Prince, bon ou méchant. Maintenant, dans notre chère démocratie, c'est l'opinion publique qu’il doit craindre, cette foule de lecteurs anonymes et lecteurs par ouï-dire. Internet et le développement médiatique ont multiplié et élargi considérablement les possibilités d'être mal lu, mal compris. On choisit de moins en moins son lecteur. La toute-puissance de ce lecteur anonyme est devenue exorbitante, sa malfaisance aussi. Je dois faire avec sa bêtise, son inculture, son intolérance, sa mauvaise foi, sa susceptibilité, son émotivité, sa jalousie, son opportunisme financier ou politique (l’opportuniste exploite d’ailleurs à merveille l’intolérant et le bête). Mission impossible !
Si ma vérité déplait, un mot, une virgule, un trait d’humour, une pointe d’ironie, trois points de suspension suffiront pour que se montent des accusations, reprises partout, qui vont plomber mon texte, ma carrière, peut-être ma vie. Je sais même par avance qu’on me cherchera «raciste» si j’ose critiquer telle politique ou «pédophile» si je me permets d'apprécier la manière de tel écrivain. Et comme je sais aussi qu’avec un seul de ces deux termes, aujourd'hui, on peut discréditer, à peu de frais, et presque à coup sûr, n'importe qui, alors, comprenez-moi, j’hésite…
Tenez, aujourd’hui, écrivant tout ceci, je sens que je suis déjà forcément le coupable et que toi, pauvre lecteur, tu es forcément ma victime. Aussi, c’est décidé, prudent, la prochaine fois, je n’hésite pas, je change de camp, je n’écris plus, je lis.
S'exprimer librement ? Comprenez-moi, j'hésite...par Etis 1. 01.03.09.
Quand j'écris, en fait, je n'écris plus, j'hésite...Ainsi, je voulais faire de la liberté d'expression le sujet de cette chronique. Beau sujet, certes, mais risqué. Alors j’hésite…
Pour intéresser le lecteur, il m’aurait fallu prendre des exemples précis dans notre actualité, mais ce sont autant de sujets de polémique. Alors j’hésite… Je peux quand même citer Siné. Ouf ! Il vient juste d'être relaxé et je suis content pour lui. Mais, voyez-vous, s'il faut passer pour s’exprimer librement par où Siné est passé, la case relaxe après la case poursuite, alors, j'hésite…
Si à chaque fois que j’écris ma vérité, je dois me poser la question de savoir si ma phrase est assez bien tournée pour qu’un lecteur, à l'esprit qui ne le serait pas, ne puisse lui faire dire autre chose que ce qu'elle dit et parfois même exactement son contraire, alors, j’hésite… Bien sûr, cette interrogation sur ma manière d’écrire serait utile si elle répondait à une exigence de rigueur littéraire ou philosophique, mais, hélas, elle n’est plus chez moi qu’angoisse procédurière. Comme j’ai l’impression que chaque lecteur va me faire lire par son avocat dans l’espoir du procès qu’il pourra m’intenter, je suis tenté d'écrire avec le code pénal sur les genoux. C’est lourd et compliqué! Je ne peux me résigner à écrire sous contrôle judiciaire. Alors j’hésite…
Autrefois l’écrivain ne craignait qu’un lecteur, le Prince, bon ou méchant. Maintenant, dans notre chère démocratie, c'est l'opinion publique qu’il doit craindre, cette foule de lecteurs anonymes et lecteurs par ouï-dire. Internet et le développement médiatique ont multiplié et élargi considérablement les possibilités d'être mal lu, mal compris. On choisit de moins en moins son lecteur. La toute-puissance de ce lecteur anonyme est devenue exorbitante, sa malfaisance aussi. Je dois faire avec sa bêtise, son inculture, son intolérance, sa mauvaise foi, sa susceptibilité, son émotivité, sa jalousie, son opportunisme financier ou politique (l’opportuniste exploite d’ailleurs à merveille l’intolérant et le bête). Mission impossible !
Si ma vérité déplait, un mot, une virgule, un trait d’humour, une pointe d’ironie, trois points de suspension suffiront pour que se montent des accusations, reprises partout, qui vont plomber mon texte, ma carrière, peut-être ma vie. Je sais même par avance qu’on me cherchera «raciste» si j’ose critiquer telle politique ou «pédophile» si je me permets d'apprécier la manière de tel écrivain. Et comme je sais aussi qu’avec un seul de ces deux termes, aujourd'hui, on peut discréditer, à peu de frais, et presque à coup sûr, n'importe qui, alors, comprenez-moi, j’hésite…
Tenez, aujourd’hui, écrivant tout ceci, je sens que je suis déjà forcément le coupable et que toi, pauvre lecteur, tu es forcément ma victime. Aussi, c’est décidé, prudent, la prochaine fois, je n’hésite pas, je change de camp, je n’écris plus, je lis.
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