mardi 18 novembre 2008

JEUNES ET ANCIENS EN COMPETITION.

Jeunes et anciens en compétition par Jean-Michel Truong.
En 2025, la planète achève sa transition démographique. Le phénomène de chute de la fécondité et d'allongement concomitant de la durée de vie, déjà responsable du vieillissement des pays industrialisés, frappe à présent l'ensemble des pays en voie de développement.
Partout dans le monde, des légions de vieillards pèsent de plus en plus lourd sur le destin des plus jeunes. En Chine, quatre cents millions de vieux sans ressources font concurrence à leur propre progéniture sur le marché de l'emploi, acceptant pour survivre n'importe quel job à n'importe quel prix. Du fait du coût dérisoire de cette main d'œuvre, la Chine finit d'attirer sur son territoire les dernières entreprises occidentales ayant jusqu'à ce jour résisté aux charmes de la délocalisation. Elle est devenue la manufacture de la planète, une manufacture entièrement peuplée de vieux. Incapables de gagner leur vie chez eux, les jeunes Chinois n'ont d'autre issue que d'émigrer, et c'est par millions qu'ils débarquent en Europe, où ils entrent à leur tour en compétition pour les rares emplois peu qualifiés subsistants avec les jeunes autochtones, eux-mêmes écrasés par leurs propres parents : poids conjugué de leurs retraites, du déficit creusé par leurs dépenses de santé dans le budget de la sécurité sociale et du service de la dette résultant de leurs excès passés.
Partout dans le monde, des légions d'adolescents rêvent à des moyens de se débarrasser de ce fardeau. On ne parle plus de « respect dû aux anciens » ou de « solidarité entre générations » mais, de plus en plus ouvertement, de parasitisme social, de vampirisme, de légitime défense d'une génération saignée à blanc par celle qui lui a donné le jour. On se dit qu'un producteur vaut plus qu'un inactif, un entrepreneur plus qu'un retraité, un créateur plus qu'un oisif, et qu'après tout, en temps de disette, quand les ressources ne permettent plus de nourrir tout le monde, il est légitime de donner priorité à la vie qui vient sur celle qui n'est déjà plus tout à fait là. Un mot revient souvent dans les conversations : Euthanasie...
Jean-Michel Truong © Epok , 2 avril 2003, page 17.



Et voilà que c'est en route :


"Le crépuscule des vieux aisés est pour l'horizon 2015"
LE MONDE 29.11.08 12h54

Louis Chauvel, vous êtes sociologue, professeur à Sciences Po Paris et auteur du "Destin des générations" (PUF, 2002) et des "Classes moyennes à la dérive" (Le Seuil, 2006). Selon vous, peut-on parler, en France, d'"inéquités" entre générations ?
Dans le consensus des années 1990, il était normal que les jeunes actifs cotisent pour leurs anciens, car ceux-ci avaient naguère soutenu leurs aînés en formant ainsi une chaîne de solidarité infinie. Depuis, s'accumulent des preuves de déséquilibres intergénérationnels - chômage des jeunes, déclassement social et scolaire, baisse durable du salaire net, dette, réformes dissymétriques des retraites - qui portent le soupçon sur l'équité du système de redistribution entre générations.
Si les jeunes générations en difficulté doivent cotiser pour des anciens nombreux et mieux portants, si elles doivent accepter sans mot dire une dette qui ne sert en rien à l'investissement mais à la consommation des anciens, s'il leur faut payer sans prendre part à la décision tout en recevant moins au moment de la retraite, on pourra parler d'injustice entre générations.


Cette "inéquité" a-t-elle été renforcée par d'autres phénomènes que les politiques publiques ?
Le jeu des politiques publiques est clair, comme dans l'exemple des régimes complémentaires de retraite : les jeunes salariés achètent aujourd'hui des points bien plus chers qu'en 1980, dont la valeur finale en 2030 vaudra moins. Les retraités d'aujourd'hui, et ceux qui le seront prochainement, sont plus vigilants et mieux structurés politiquement que les jeunes actifs, qui deviennent alors une variable d'ajustement de déséquilibres manifestes.
Mais, à la source, la logique des marchés est allée dans le même sens. Sur le marché du travail, tout comme sur le marché du logement, la gestion des carrières, l'ensemble des droits assis sur l'ancienneté et les pratiques au quotidien font apparaître une génération intermédiaire : avec de moindres salaires et des trajectoires plus précaires, la génération née entre 1955 et 1975 a dû s'endetter lourdement pour acheter des logements dont le prix était au sommet. Elle risque fort de devoir revendre à perte des biens dont la valeur est maintenant aléatoire. Les politiques publiques n'ont pas contrecarré les déséquilibres ancrés dans l'économie privée : elles les ont renforcés, et les dénégations générales qui ont accompagné cette dynamique sont la source d'une profonde injustice entre générations.


Les autres pays européens sont-ils confrontés à ce problème ?
Si les pays latins - c'est le cas de l'Italie et de l'Espagne, avec ses "mileuristas", ces trentenaires diplômés qui vivent avec 1 000 euros mensuels - ont fait au moins aussi mal que nous, les pays nordiques ont favorisé l'équilibre de long terme entre générations : entrée précoce dans le monde du travail et retour ultérieur à l'université, plein emploi des jeunes, stabilité de la valeur des titres scolaires, participation forte de toutes les générations à la vie syndicale et politique, meilleure articulation entre sphères publiques et privées, notamment autour de l'avenir de l'enfance et de l'éducation. L'investissement pour les générations de demain fait l'objet d'une réflexion constante, et non d'une rhétorique creuse. Les pays anglo-saxons ont été aussi plus vertueux quant aux conditions d'entrée dans la vie faites aux jeunes, mais l'éclatement de la bulle immobilière y fera des dégâts : de nombreux jeunes ont acheté, des centaines de milliers de livres sterling, des biens qui pourraient ne plus valoir que le quart de leur prix d'acquisition.


Que vont devenir ces "inéquités" dans les années à venir ?
Aujourd'hui, nous vivons le point culminant d'une période marquée par la figure du jeune retraité riche, propriétaire d'un logement devenu inaccessible aux salariés actuels, et dont le niveau de vie est comparable à celui des actifs de son temps. Mais, dans notre pays, nous prenons conscience trop tard de difficultés qu'il aurait fallu traiter quinze ans plus tôt et nous ratons à chaque fois la cible.
Les générations nées après 1955 seront les "serial victims" des ajustements en cours : après le chômage et les bas salaires, leurs carrières ébréchées et leurs salaires en déclin leur vaudront de maigres droits. Le destin des générations nées à partir de 1955 laisse entrevoir le crépuscule des vieux aisés à l'horizon de 2015.
Propos recueillis par Ariane Chemin.


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