mardi 11 novembre 2008

LA DROGUE OU LA VIE.

Claude Olievenstein, le psy des toxicos.
Aujourd’hui, ses pires craintes sont devenues réalité.
Sur les vingt-cinq à quatre-vingts patients qui se présentent quotidiennement à l’accueil, plus de la moitié sont accrochés aux produits de substitution. Le sevrage, pour ceux qui le souhaitent encore, est plus long et plus douloureux qu’un sevrage à l’héroïne.Oliv, lui, s’est plongé dès 1995 dans une réflexion sur la naissance de la vieillesse. Elle a donné, même s’il est assez noir, l’un de ses plus beaux livres (encadré « à lire »). Il y compare l’entrée dans le vieil âge à l’adolescence : « Des âges où l’interrogation sur le sens de la vie est la plus prégnante, quand elle n’est pas la plus poignante. »Quand on lui demande ce qu’il regrette de ne pas avoir fait pour les toxicomanes, il répond : « J’aurais aimé leur faire passer une éthique. Juste leur faire accepter le simple fait d’être un humain, avec ses manques, ses contradictions, ses aventures… Et puis, aussi, leur dire que la question de Dieu, même si on choisit une réponse négative, se pose à chacun d’entre nous in fine. » Claude Olievenstein, éclaireur devant l’éternel.

ENTRETIEN AVEC OLIVENSTEIN : “Bientôt, on mourra d’un manque de manque”
Avant, les toxicos se rassemblaient autour d’utopies et de révolte. Aujourd’hui, ils réclament leur droit au plaisir et cherchent à se stimuler. Inquiétant !
Pourquoi se drogue-t-on aujourd’hui ?
Claude Olievenstein : Avant, ceux qui se droguaient se rassemblaient, toutes origines confondues, autour d’utopies. Aujourd’hui, je suis très frappé de voir qu’en dehors d’Internet, les jeunes n’ont pas d’idéal, pas de vision prospective de la vie. Je ne sens chez eux aucune idée de révolte, mais une recherche de plaisir furtif, qui est comme une fin en soi. En ce sens, ils se droguent pour mieux s’adapter, avoir leur part récréative. D’un côté, les jeunes n’ont jamais été aussi bien nourris, logés et vivants que maintenant. Mais de l’autre, on n’a su leur transmettre ni joie de vivre ni valeurs. Et c’est contre cette réalité que nous essayons de lutter, parce que ça fait beaucoup de dépressifs chroniques, tout ça… C’est pourquoi, j’ai écrit que c’est du « manque de manque » qu’on mourra désormais.
Qui sont les toxicomanes qui viennent à Marmottan ?
Ils forment un immense patchwork, dont il faut tenir compte si l’on veut approcher ce problème de la toxicomanie, ne pas dessiner un modèle sur lequel on pourrait appliquer des théories toutes faites. Les consommateurs, aujourd’hui, constituent des microsociétés cloisonnées, séparées entre elles par l’appartenance ethnique, la localisation géographique, le quartier. Beaucoup ont autour de 20 ans, mais nous accueillons aussi de nombreux patients qui ont 45 ans, un âge où l’on ne voyait personne il y a dix ou quinze ans. Ils restent insérés des années jusqu’à la perte de leur boulot, qui signe leur décadence. Il y a aussi autant de filles que de garçons. Près de la moitié sont des Maghrébins de la deuxième génération. Munis du viatique pour l’informatique, parlant le français – toutes les choses auxquelles leurs parents n’ont pas eu accès – ils partent à égalité avec les jeunes Français de souche. Et puis un jour, un déclencheur les fait plonger dans ces produits qu’ils consommaient au début par pur plaisir : l’entrée d’un concert leur est refusée ; ou, sortant avec une Française, se pose la question fatidique du mariage, de l’enfant. Alors, tout redevient difficile pour eux. C’est ce mixage des produits et du mode de vie qui est à la fois leur sauvegarde et ce qui leur claque les portes au nez. Mais il y a aussi la jeunesse dorée…Ceux-là n’ont pas du tout les mêmes motivations que ceux dont je viens de parler, mais ils sont aussi angoissés, surtout lorsqu’ils se sentent pris dans une logique de compétition. Lorsqu’ils préparent une grande école de commerce, par exemple. Eux aussi réclament un droit aux plaisirs qu’ils n’auraient pas osé demander il y a vingt ou trente ans.
Et à quoi est-on accro ?
Plus de la moitié sont ce que j’ai appelé des « toxicomanes domestiqués », encadrés par des institutions et qui vivent sous Subutex, produit de substitution. Les « toxicos sauvages », eux, plongent dans la boîte à pharmacie des parents ou puisent dans une masse de produits euphorisants, des nouvelles amphétamines, qu’ils mélangent à du haschisch, de l’alcool, voire du Subutex. Ils cherchent des produits qui ont une action relativement brutale et immédiate comme l’ecstasy. La majorité des nouvelles drogues sont des moteurs d’activité. La cocaïne, longtemps grande absente de la scène française, est en train de gagner beaucoup de terrain. Cela démontre que les jeunes eux-mêmes cherchent désespérément à se stimuler.

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