vendredi 5 juin 2009

L'ECOLE A L'AGONIE.

Nº2326 SEMAINE DU JEUDI 04 Juin 2009.
Le Nouvel Observateur <>
L'école à l'agonie. Gigantisme et violence la condamnent, comme jadis les dinosaures, à une extinction progressive.
Il y a dans «la Journée de la jupe» une scène qui me poursuit depuis que j'ai vu ce film remarquable : celle où Isabelle Adjani, prof de français en proie à ses élèves, braque le plus odieux d'entre eux avec un revolver échappé d'un cartable et parvient alors à lui faire «avouer» ce que jusqu'ici il se refusait obstinément à dire, et peut-être à savoir : que le vrai nom de Molière était Jean-Baptiste Poquelin.Cette scène est évidemment une parabole. Puisque la force et les rapports de force tendent à devenir dominants dans l'univers scolaire, il n'y a pas de raison que l'acte d'enseigner proprement dit échappe miraculeusement à la nouvelle loi du milieu. Dans ces conditions, «l'école ouverte», c'est la pédagogie à coups de marteau. Toutes les bonnes âmes se scandaliseront d'un constat implicitement «réactionnaire», mais je n'en ai cure : ce qui est réactionnaire, et même tendanciellement fasciste, c'est l'irruption de la violence dans le domaine du savoir.Platon : «Lorsque les pères s'habituent à laisser faire les enfants..., lorsque les maîtres tremblent devant leurs élèves et préfèrent les flatter; lorsque les jeunes méprisent les lois parce qu'ils ne reconnaissent plus rien au-dessus d'eux, c'est le début de la tyrannie.»Corollaire : cette école où l'on menace - que dis-je ? - où l'on frappe les institutrices avec des couteaux de cuisine est aussi celle où l'on arrête des enfants de 6 ans pour les interroger pendant deux heures et où l'on convoque au commissariat un gamin de 8 ans pour une bagarre dans la cour de récréation. C'est aussi celle où l'on parle de fouiller tous les cartables à l'entrée - pourquoi pas une fouille au corps ? - et de faire passer les élèves par des portiques de sécurité. L'irruption de la violence ordinaire dans la classe débouche sur les procédures ordinaires de la société civile : police, justice, prison. Autrement dit, l'école est désormais considérée comme un lieu dangereux, aussi dangereux que les avions, les aérogares et les parloirs de prison.
Regardons les choses en face. Le gigantisme de l'institution scolaire, la prolongation sans fin de la scolarité, loin d'être des signes de bonne santé, pourraient avoir la même conséquence que pour ces dinosaures de l'ère secondaire : une extinction progressive. Si l'école n'existait pas, on ne l'inventerait plus sous sa forme actuelle. L'obligation scolaire, qui fut conçue à la fin du XIXe siècle comme un moyen de protection des enfants contre le travail précoce, et comme la base de l'égalité entre jeunes Français, est en train de se retourner contre ses objectifs mêmes. Combinée à la violence en milieu scolaire, elle interdit toute possibilité de pacification par exclusion des éléments perturbateurs et ouvre la voie à une extension indéfinie de l'enseignement privé qui a, lui, les moyens de se défendre.L'institution scolaire tout entière est devenue l'un des éléments du schéma tripartite des sociétés industrielles et capitalistes : les jeunes à l'école, les adultes à l'usine ou au bureau, les vieillards à l'asile. Etonnez-vous après cela qu'elle soit ressentie par les jeunes comme l'une des formes de l'emprisonnement social. Voyez encore, dans «la Journée de la jupe», les armoires à glace auxquelles la prof est confrontée : ils ont de l'argent, des motos, des portables, des copines. Et l'on attend de ces jeunes adultes piaffant devant la vie le comportement docile des chères têtes blondes à blouse noire de la communale sous la IIIe République ? C'est se moquer.
Certes, toute société a besoin d'une institution qui apprenne aux enfants les langages de base qui y ont cours : c'est l'enseignement primaire. A l'autre bout, l'enseignement supérieur est une nécessité pour développer la recherche et la formation professionnelle de haut niveau. Entre les deux, la double mission dévolue à l'enseignement secondaire, la culture générale et la garderie des ados (on le voit bien les jours de grève), cette double mission est en train de se défaire sous nos yeux.
C'était ma contribution de base à tout projet de réforme de l'enseignement présent ou à venir, de droite ou de gauche, possible ou impossible. «A développer», comme écrit le prof en marge des copies d'élèves.
Jacques Julliard. Le Nouvel Observateur.
http://hebdo.nouvelobs.com/hebdo/parution/p2326/articles/a402822-.html

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