samedi 13 décembre 2008

NOUS SOMMES SUR UNE POUDRIERE.

LIBERATION.
Politiques 12 déc. 6h51. «Nous sommes sur une poudrière». Interview.
Pour Isabelle Sommier, sociologue, la frustration des jeunes rend une explosion possible en France.
Recueilli par PASCAL VIROT.

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Isabelle Sommier, professeure de sociologie à Paris-I (1), explique que des émeutes, telles que la Grèce en connaît, peuvent survenir en France.
Existe-t-il en France un terreau semblable à celui de la Grèce ?
Il me semble que oui. Des crises violentes, nous en avons connues, par exemple en 2005 dans les banlieues. Une autre frange de la jeunesse, étudiante et lycéenne a vécu des moments de forte exaspération, passant par des phases de violences avec la police. Ce fut le cas en 1990. Et avec le mouvement anti-CPE de 2006, nous avons observé une radicalisation de la jeunesse.
Pourquoi ce risque en France ?
En Grèce ou chez nous, il existe une désespérance sociale profonde, qui a des racines anciennes à mesure du développement de la précarisation du salariat, qui semble sans fin. Autre point : la fracture générationnelle. Nous sommes dans une société qui a peur des jeunes, perçus comme une menace alors que, normalement, ils devraient représenter l’espoir.
Ils ressentent aussi la peur de rester au bas de l’échelle…
En effet, ces jeunes ont l’expérience du déclassement. Pour la première fois depuis la Libération, ils savent que ce sera plus difficile pour eux que pour leurs parents. Ce déclassement est d’autant plus ressenti que ces jeunes sont diplômés. D’où leur sentiment d’être floués : on les a encouragés à faire des études qui ne mènent à rien et qui conduisent à des emplois ne correspondant pas à leur niveau culturel. Ils prennent de plein fouet les réformes - elles se sont accélérées avec Sarkozy - qui visent le savoir, des secteurs non-utilitaires et hors champ du pouvoir comme l’éducation, les médias, la recherche, la santé…
Le désespoir des jeunes peut-il trouver un écho chez les salariés ?
C’est un des enjeux de la période à venir. Les jeunes des banlieues, en 2005, ne se sont pas unifiés avec les jeunes plus favorisés faisant des études. Mais aujourd’hui, la jonction est possible entre les jeunes et les trentenaires, qui se sont radicalisés. Souvenez-vous des grèves de 2003 dans l’éducation : ce sont eux qui voulaient bloquer les épreuves du sacro-saint bac…
Les syndicats et les partis peuvent-ils canaliser ce désespoir ?
Ils sont en plein marasme et sans crédibilité, n’offrant aucune alternative, c’est-à-dire aucun horizon autre que la préservation de ce qui est. Certes, ils sont capables de mobiliser, mais cela débouche, depuis plusieurs années, sur rien. Les réformes passent en dépit du niveau de mobilisation. D’où l’inclination, chez certains jeunes, à l’action directe. Ils ne croient plus dans l’avenir. Faute d’une perspective historique, ils croient en l’action immédiate. Casser une vitrine ou aller au contact de la police exprime une exaspération quand il n’y a ni issue ni espoir.
On peut donc assister à des mouvements sociaux violents…
Oui. Pendant les années 80 et 90, on a enterré la classe ouvrière, elle n’existait plus, nous étions dans la béatitude de la fin des classes. Et puis, nous avons vu à la fin des années 90 des conflits très durs, des ouvriers menaçant de faire sauter leur usine, de polluer une rivière. En s’exprimant avec violence, on devient plus visible.
Mais en période de chômage de masse, c’est plutôt la résignation qui règne…
Oui. Mais il peut y avoir une explosion. Nous sommes sur une poudrière. Une étincelle peut s’enflammer, plus qu’en 2005.
(1) Dernier ouvrage paru : la Violence révolutionnaire, Presses de Sciences-Po, 2008.

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